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la décrépitude des temps actuels pour qu'on pensât jamais à pressentir l'avenir, enveloppé dans sa mystérieuse chrysalide, autrement que ces grands esprits ne l'ont fait. Il fallait que le signe de la vieillesse des nations fût sur nous; car il faut des prophètes aux nations vieilles, qui ont le sentiment de leur vieillesse et qui, ne pouvant se résoudre à mourir, voudraient noyer les angoisses de leur dernière heure dans toutes les ébriétés de l'avenir!

Et, de bonne foi, est-ce que cette heure n'est pas sonnée?... Pour les mâles esprits qui savent reconnaître la vérité désolante à travers leurs larmes, la France n'a-t-elle pas depuis long-temps dépassé ce point du zénith après lequel, pour les peuples comme pour l'homme, comme pour la Vie ellemême, il n'y a plus qu'une courbe à descendre et de la poussière à retrouver ? N'at-elle pas eu tout ce qui constitue une en

fance, une jeunesse, une virilité? Et depuis quand donc les peuples sont-ils faits autrement que l'homme? La France a eu d'incomparables jours de gloire, suivis d'incomparables jours d'égarement et d'abaissement, car on s'abaisse toujours quand on s'égare. La plus grande des nations levées dans le sang mêlé du peuple romain et des Barbares, elle a parcouru le cercle qu'ont épuisé ses sœurs, les nations italiques, et ses fautes, d'autant plus grandes qu'elle avait reçu de plus grands dons, lui ont fait refermer un peu plus vite sur elle le cercle fatal. Oui, on peut dire que par ses fautes la France a brusqué son déclin. Arrivée là, ne devait-elle pas se proclamer immortelle? C'est un fait commun aux mourants de nier la mort à la face de l'agonie. Semblable à tous les peuples expirants dont l'histoire a compté les jours et qu'elle a ensevelis, elle devait avoir ses prophètes, ses joueurs d'in

struments creux et sonores, qui, comme les joueurs de flûte antiques, précèdent le cercueil des nations. Son passé évanoui, son présent perdu, parce qu'on l'avait arraché à ce passé qui en était la racine, elle devait ne plus parler que de l'avenir. Aussi prenez la littérature de ce temps, et cherchez si ce qui domine le chaos de toutes ces pensées, n'est pas l'ardente Vision de l'avenir. On a mis, je le sais, un symptôme de vie dans cette préoccupation enflammée; moi, j'y vois un symptôme de mort. Ouvrez la littérature des autres époques de notre histoire vous n'y trouverez pas cette inquiétude des jours qui ne sont pas encore; ce besoin de se jeter en avant parce qu'on est mal à sa place; cette rêverie colossale et confuse, comme Babel, d'un monde nouveau qui va éclore sur un type inconnu aux siècles passés. Non, les peuples forts s'ajustent exactement à l'heure présente;

ils savent que chaque jour suffit à sa tâche; ils font, pour ainsi dire, bon mét nage avec leur destin. Relativement dans la vérité, puisqu'ils sont forts, et que toute force a sa raison d'être dans la raison éternelle, ils ne croient pas que cette vérité puisse se refaire, se modifier, se varier, se fuir, se chercher, se poursuivre dans des enroulements et des déroulements perpétuels. Ils ne croient pas qu'il y ait une vérité autre que celle par le fait de laquelle ils vivent et sont forts; et, pour eux, vivre comme ils vivent, c'est déjà de l'avenir réalisé. Mais, au contraire, pour les nations usées physiologiquement par le temps et spirituellement par l'amour de l'erreur et l'abus de l'intelligence, cet avenir qui se tisse jour par jour, comme une trame à laquelle on ajoute modestement quelques fils, n'est plus qu'un méprisable ouvrage que le Génie dédaigne et que l'Or

gueil abandonne. Elles veulent en essayer d'un autre sans aucune analogie avec celuilà; et on les voit affolées de choses neuves, croyant qu'il leur pousse des organes nouveaux,parce que Dieu leur a permis quelques malheureuses découvertes, préparer sur leur métier vide une chaîne d'industrieuses espérances que le Temps ne remplira pas.

Alors, et on le comprend, les prophètes de cet avenir impossible s'élèvent et doivent s'élever contre les Prophètes du Passé, comme ils les appellent, c'est-à-dire contre ceux qui croient que les principes régulateurs des sociétés ne changent pas plus que la couleur du sang dans les veines, que son passage dans le cœur de l'homme, que les lois mêmes de la double nature humaine. Prophètes du Passé! disent-ils, c'est-à-dire non prophètes, c'est-à-dire rien du tout, moins que rien, dans un temps où les sociétés malades des maux qu'elles se sont faits, se re

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