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les affaires de ce monde, alors... oh! alors... je ne les croirai pas davantage, mais je me regarderai au moins comme tenu de déduire les raisons de mon incrédulité.

II.

DE BONALD.

J'ai pensé tout ce que vous avez écrit, « et j'ai écrit tout ce que vous avez pensé,» disait l'illustre de Maistre à l'illustre Bonald, quelque temps avant de mourir. Résumé d'une laconique plénitude; identité de deux génies qui s'étaient étreints et fondus dans la vérité, dans la lumière des mêmes principes! Rien de plus noble que cet aveu, désintéressé de tout ce qui n'est pas la vérité même. Pour le grand esprit de Joseph de Maistre, en effet, une seule chose au monde eut de l'importance, et ce ne fut ni la personnalité du talent, ni l'originalité de l'œuvre, ni le sentiment enivrant de sa propre force, ni le cruel partage de la gloire, ni tous ces chers néants auxquels

tient la faible créature humaine par des nœuds si prompts à saigner; ce ne fut ni lui, ni Bonald, ni personne : ce furent les principes, les principes, que l'homme n'a pas faits et que le mérite de sa pensée et de sa volonté est de reconnaître. Bonald les a reconnus. П les proclamés d'une voix dont les événements accomplis depuis trente ans n'ont pas encore épuisé la portée. A ces principes, qui étaient comme les entrailles de sa raison, Joseph de Maistre a eu la conscience de lui-même dans la conscience de Bonald; et, tout ému de sentir son être intellectuel élargi dans un autre être, sa conviction palpiter dans une autre conviction aussi puissante que la sienne, heureux, il le lui écrivit, quoiqu'il ne l'eût jamais vu, non pour le louer en l'égalant à lui, ou se louer lui-même en s'identifiant avec un autre, mais pour glorifier les idées auxquelles tous les deux avaient foi.

Bonald vient donc après de Maistre, quoiqu'à côté de lui, dans le dénombrement de ces Prophètes du Passé que j'ai choisis comme des répliques immortelles aux injures des Visionnaires de l'avenir. Bonald, comme de Maistre, les a méritées, et ce n'est pas d'hier qu'ils ont eu l'honneur l'un et l'autre des mépris de leurs adversaires. Qu'on descende de quelques degrés dans l'histoire de la pensée contemporaine, on verra si l'incrédule injure ne date pas du même jour que la prophétie. Toutes les philosophies,

car l'Erreur, dragon à mille têtes, est un monstre multiple, toutes les philosophies qui ont passé sur l'esprit de la génération actuelle, et ont brisé un peu davantage ce débile enfant d'une société qui n'en peut plus, et la philosophie écossaise, et la philosophie allemande, et la philosophie matérialiste, et la philosophie éclectique ont, pendant vingt-cinq ans,

refusé dédaigneusement à Joseph de Maistre, à Bonald, à plusieurs autres, à toute l'école catholique enfin (pour parler l'affreux jargon de ces philosophies), la puissance d'observation, de découverte, d'intuition supérieure, qui marque les systèmes, ainsi que les hommes, du caractère souverain de la vérité. Cela se comprend. En philosophie, en politique, en toute science (j'excepte la morale), voir, avoir vu, discerner, est le fait suprême, incontestable, dominateur. C'était donc ce fait qu'on devait nier aux hommes de la Tradition religieuse, qui asseoient leur philosophie sur la base d'une Révélation divine. Aussi étaitil passé en force de chose jugée qu'ils ne voyaient pas. La faculté qui sert à saisir le vrai dans les choses, les hommes, le temps, ils ne l'avaient plus. L'esprit humain, dont la langue philosophique moderne a fait un coureur, je ne sais trop pourquoi, mar

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