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L'habitude de pénétrer jusqu'à la pensée même, sans s'arrêter à ce qui lui est extérieur, a déjà banni et doit bannir à jamais de cette étude les formules mnémotechniques. Ce langage étrange a dû disparaître, du moment où l'on a compris qu'il n'exprimait aucun des faits réels de l'intelligence; et depuis Port-Royal, les logiciens français se sont toujours montrés jaloux de parler un langage humain.

L'art de penser, s'il prend pour guide une psychologie exacte et complète, ne saurait se borner aux règles du raisonnement : à côté de ce procédé, il doit une place à tous ceux qui ont un rôle dans le travail de l'intelligence : l'expérience, la mémoire et l'induction, le langage, la foi au témoignage de nos semblables, toutes ces manières de penser et de connaître ont droit de cité en logique, et bon gré mal gré, la plupart y ont déjà fait invasion.

En traçant les règles de la vraie méthode, la logique rencontre le chapitre si considérable de nos erreurs. Là, si elle s'inspire de la psychologie, elle ne cherchera plus dans le langage ni dans la forme seulement les causes de nos erreurs, mais bien dans la pensée ellemême; et, sans trop s'arrêter à la manière dont les conséquences ont été déduites, elle saura remonter jusqu'aux principes et y démêler le faux d'avec le vrai.

Serait-ce aller trop loin que de demander à la philosophie de notre temps ce que toute grande philosophie a donné une classification des sciences humaines? La logique, aidée de la psychologie, pourrait tenter cette œuvre si utile. Avec ce secours, en effet, on pourrait

laisser de côté les vieilles classifications, fondées sur la nature des matières dont traite chaque science, comme si plusieurs sciences ne pouvaient pas s'appliquer à une même matière, ou bien sur les procédés mis en œuvre, comme si un procédé intellectuel était la propriété exclusive d'une science quelconque. Les véritables objets des sciences, ceux qui leur appartiennent en propre, ce sont les questions que chacune d'elles agite c'est là ce qu'il faut classer, et par là toutes les sciences. La tâche est difficile: elle n'en est que plus belle.

Enfin, pour remédier à toutes les imperfections qui se remarqueraient encore dans une logique ainsi faite, il faudrait, suivant le projet si souvent annoncé par les philosophes, et que le génie abstrait de Kant n'a pu exécuter, il faudrait, dis-je, essayer de tracer les limites du savoir humain, conformément à l'idéal de science que nous devons poursuivre sans nous lasser jamais. Si nous savions une fois ce que peut le génie de l'homme, et le terme précis où il doit borner son ambition, nous jugerions beaucoup mieux sans doute de la valeur de nos sciences nous apprécierions plus sainement et notre force et notre faiblesse. La logique, science humaine comme toutes les autres, nous dira ce que valent toutes les sciences et ce qu'elle vaut elle-même. Elle nous élèvera sans nous enfler, suivant le conseil de Pascal; elle nous fera éviter ainsi ce double écueil, une excessive confiance et un lâche découragement, les exaltations fébriles et les doutes pusillanimes, deux dangers qui se tiennent de plus près qu'on ne pense.

Voilà la logique telle qu'on doit la désirer, et telle

qu'on pourrait la faire, si l'on y appliquait la psychologie.

Ai-je besoin d'ajouter, Messieurs, que je n'ai nullement la prétention de mener à fin une pareille tâche? Ma plus haute ambition serait de la rendre plus facile à quelque autre, si elle devait être l'œuvre d'un seul. Mais il faudra sans doute que plusieurs y travaillent ; je m'estimerai donc trop heureux si mon appel est entendu des amis de la philosophie, et si les modestes et obscures leçons que je pourrai faire ici, sous les auspices de mes maîtres, ont pour effet de ramener quelques personnes à une science trop longtemps négligée parmi nous.

DE LA

MÉTHODE DÉDUCTIVE.

PARIS.- IMPRIMÉ PAR E. THUNOT ET S',

rue Racine, 26, près l'Odéco

ཏུ

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