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n'est pas le soleil. Il faut toute notre ignorance habituelle sur la psychologie des rêves, pour obliger un philosophe à développer une opinion qu'il n'aurait du qu'énoncer. L'intelligence est si naturelle à l'homme, qu'elle le suit même dans les hallucinations. L'halluciné se trompe, il a des sensations fausses qu'il regarde comme vraies, mais il raisonne ; quelquefois même, et les exemples n'en sont pas rares, l'intelligence finit par dominer la sensation. L'halluciné la subit toujours, il est vrai, mais il se rend compte de son erreur, et j'ai remarqué, dans la plupart des cas, que ce discernement était un signe certain de guérison prochaine.

Le somnambulisme, a dit Aubin Gauthier, est un état mitoyen entre la veille et le sommeil, loin d'être un rêve porté à son plus haut degré. Sans adopter pleinement cette définition, je dis que le somnambulisme a plus de ressemblance avec la veille qu'avec le sommeil. Cette opinion est en apparence un peu singulière, pour parler votre langage, et il convient de m'expliquer sur ce point. Ce qui caractérise particulièrement le sommeil par rapport à la veille, c'est que, dans le rêve, la sensibilité intérieure produit des sensations fausses relativement à l'extériorité. Eh bien! pour le somnambule, les sensations sont vraies en ce qui touche l'objet de ses pensées. Il y voyait, et d'une autre manière que nous, celui qui lisait dans l'ob

scurité la plus profonde, celui dont un carton interposé n'arrêtait pas la vision; il y voyait, celui qui évitait soigneusement en passant dessous un échafaudage dressé tout exprès sur le chemin qu'il parcourait habituellement; il y voyait, celui qui dépassait, par un bond prodigieux, la baignoire remplie d'eau froide que l'ordonnance du médecin avait fait placer secrètement au pied de son lit. Donc les somnambules ont cela de commun avec les gens éveillés, que leurs sensations les mettent en rapport avec ce qui les entoure, et quelquefois dans des conditions telles, que ces derniers ne les éprouveraient pas à leur place. Je ne nie pas, cependant, qu'à cette sensibilité somnambulique ne vienne quelquefois s'adjoindre la sensibilité externe de la veille, ou même la sensibilité interne du rêve. Je me rappelle l'histoire de ce somnambule qui prit son lit pour une rivière et son traversin pour un enfant qui s'y noyait ; mais ce ne sont pas là les cas ordinaires dans lesquels la réalité apparaît. Comment déterminer en quoi consiste cette sensibilité d'une nouvelle espèce qui appartient aux somnambules? Ce n'est, à mon avis, ni la sensibilité externe habituelle, ni la sensibilité interne du rêve, j'ai dit précédemment pourquoi. Qu'est-ce que c'est donc? J'ai répété, en plusieurs endroits de mon mémoire, que l'état actuel de la science ne permettait pas d'en bien

apprécier la nature. J'ai hasardé, à la fin de mon travail, une explication que l'on peut adopter ou rejeter, et que je vais rapporter, puisque vous n'avez pas jugé utile d'en parler, mais je préviens bien les lecteurs que ce n'est qu'une hypothèse.

« L'homme est composé d'une âme et d'un corps « virtuel ; il a, de plus, pendant sa station terres«tre, un corps organique qu'il est venu prendre «et informer; ce dernier, grossier et visible, qui «lui sert de relation avec les objets de la terre.

« Le somnambulisme serait un état dans lequel <«<le corps virtuel serait dégagé en quelque sorte « du corps organique, mais non complètement séparé de lui. La séparation complète n'a lieu qu'à << la mort.

((

« A la lueur de cette hypothèse, les phénomènes « du somambulisme s'expliqueraient.

« On concevrait parfaitement, en effet, con<«<ment l'âme est en relation avec les objets sen«sibles, par d'autres moyens que ceux de la sen«sibilité ordinaire. Puisque ce n'est plus le corps « organisé qui entre en action, mais bien le corps << virtuel, que signifie alors l'objection des physio«logistes, que les yeux ont été donnés pour voir « et les oreilles pour entendre, ce qui n'est vrai « que pour l'état de veille? On expliquerait très« bien par là les phénomènes de vue à distance: el « selon des lois inconnues à la physiologie, qui n'a

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« pu comprendre dans ses études que le corps organique, le seul visible et perceptible. Nous en << dirons autant de la faculté de prévision.

<< Par cette hypothèse, on rendrait raison égale>> ment de l'absence de souvenir qui se remarque fréquemment. Une fois que le corps virtuel ren<< tre par l'état de veille dans ses relations avec le « corps organique, les liens grossiers de ce corps «<forment un obstacle invincible au souvenir. « Mais, dès qu'il retourne au somnambulisme, la «< mémoire lui revient avec le dégagement qui s'o« père. Par là se découvrirait manifestement l'il<«<lusion des deux moi, qui a trompé Maine de Bi<< ran. Ce serait, en effet, le même moi dans un <«< cas pourvu de son corps organique et perdant « avec lui la faculté du souvenir; dans l'autre cas. << agissant avec son corps virtuel dégagé des élé«<ments grossiers de l'organisme, et retrouvant la «< mémoire de ce qui s'est passé à l'accès précé<< dent.

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« On comprend, d'ailleurs, qu'il y aurait des degrés à ce dégagement, qu'il serait plus ou moins « complet, que quelquefois il n'aurait lieu qu'à «< demi, ce qui expliquerait la mémoire de certains « faits chez les somnambules. Puisqu'ils auraient agi, dans quelques cas, à la fois, avec leur corps (( organique et avec leur corps virtuel incomplè «tement dégagé, les sensations pourraient laisser

((

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<«< quelques traces dans leurs organes, et se retrou<< ver au réveil par le souvenir.

« Cette théorie présente de grands avantages « sur celle de Brière de Boismont et de M. Lélut. « Ce dernier a eu la franchise de reconnaître, com« me nous l'avons vu, combien la sienne était in« suffisante. Toute notre discussion sur le som<«< nambulisme naturel et symptomatique nous «< conduit, sinon à adopter pleinement cette nou<< velle théorie, du moins à la considérer comme « très-probable. Si elle ne lève pas tous les voiles <«<< qui nous cachent le somnambulisme, elle s'a«<dapte merveilleusement à tous les faits et ne <«< laisse planer sur eux que le mystère inhérent à << l'esprit humain en un pareil sujet.

« Quoi qu'il en soit, ce n'est qu'une hypothèse << parmi tant d'autres, et si nous l'avons mention« née, si nous avons fait exception, à cet égard, « à la loi du silence que nous nous sommes impo«sée pour toutes les autres, c'est qu'elle nous a « paru rendre un compte plus exact des phéno« mènes, c'est qu'elle sc lie à une de nos croyan«<< ces intimes. »

Quant au court appendice sur les tables tournantes, il rentre éminemment dans le sujet, puisqu'il donne de nouvelles forces à l'opinion d'un fluide nerveux chargé des relations réciproques de l'âme et du corps, et qu'il vient ainsi trancher une

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