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l'encourage, elle l'aide! Voyez ensuite ce sang-froid dans l'usage d'une détestable ressource ! »

Pour remédier à ce déplorable abus de la facilité d'emprunter, M. Lestiboudois ne pense pas qu'il fallût diminuer le taux de l'intérêt ; ce serait, au contraire, dit-il, encourager davantage les emprunts. La suppression entière du mont-de-piété lui paraîtrait préférable à tout; mais si des considérations puissantes ne permettaient pas encore d'enlever aux hospices une ressource qui leur est nécessaire, il faudrait du moins diminuer, par tous les moyens possibles, la facilité donnée aux pauvres d'emprunter sur des gages de faible valeur. On atteindrait ce but: 10 en supprimant ces porteurs et ces porteuses jurés, établis dans toutes les rues, et tenant chez eux magasin de hardes de toutes espèces et qui sont prêts à prendre la chemise du pauvre pour l'aider à continuer de boire; 20 en abolissant l'usage des gages demi-périodiques qui entretiennent un double intérêt et en ne recevant, et ne rendant les gages qu'à certains jours, le samedi, par exemple, au lieu de rien accepter le lundi ou le mardi; 5o à ne pas prêter pour moins de quinze jours; 40 en faisant connaître, aux distributeurs des pauvres, le nom des indigens empruntant sur gages.

M. Lestiboudois juge, avec raison, qu'à ces moyens palliatifs il serait nécessaire d'ajouter l'institution de caisses d'épargnes et de prévoyance. C'est en leur donnant des habitudes d'ordre, de tempérance et d'économie, et en leur offrant des secours dans leurs besoins imprévus, qu'on parviendrait surtout à détourner les ouvriers de l'habitude si funeste d'emprunter sur gages. « On a remarqué (écrivait encore le même observateur, en janvier 1829) que depuis cinq mois que la loterie, dite génoise, a été supprimée à Bruxelles, le mont-de-piété de cette ville a reçu 7,857 gages de moins que dans le temps correspondant de l'autre année. La valeur de ces gages excédait 24,000 florins; en

outre, pendant le même espace de temps, il y a eu 3,609 dégagemens de plus que dans l'autre année, c'est-à-dire qu'il y a eu en tout 11,446 gages en moins. >>

« Une observation analogue a été faite pendant le même temps à Louvain. Il en est une qui m'est personnelle et qu'on peut joindre aux précédentes. Un homme, qui était placé sous ma dépendance immédiate, avait la fureur de mettre à la loterie, et j'ai toujours vérifié qu'il possédait autant de billets du mont-de-piété que de billets de loterie. Ni exhortations, ni conseils, ni menaces ne purent rien contre sa passion. Il est tombé dans une affreuse misère. »

« Ces faits sont extrêmement précieux, non seulement en faisant connaître des circonstances qui influent d'une manière désastreuse sur l'extension des prêts sur gages. mais encore en démontrant que ce n'est pas toujours la nécessité réelle qui pousse les indigens à se dépouiller des objets qui leur sont indispensables, mais bien des passions effrénées et vicieuses. Ils indiquent par conséquent une foule de mesures à prendre pour arrêter cet abus pernicieux, et nous plaçons au premier rang la propagation de l'instruction, la cessation de l'ivrognerie, etc. »

Ces détails, qui ne sont que trop vrais, mettent en relief les vices et les conséquences funestes des meilleures institutions, lorsqu'une fois elles ont franchi le cercle dans lequel la véritable charité les avait placées.

Un gouvernement éclairé ne saurait trop étudier et approfondir les effets qu'elles produisent sur l'immoralité du peuple et les abus dont, par une déplorable réciprocité, elles deviennent complices. La pensée de secourir, par un prêt d'argent, un ouvrier que quelques avances faites à propos peuvent sauver de la misère, était sans doute excellente, et ce fut elle qui présida à l'institution des monts-de-piété; mais offrir indistinctement cette ressource à toutes les classes de la population et spéculer sur l'imprévoyance et sur les passions des pauvres, ce n'est plus

là de la charité, c'est toujours de l'usure, c'est l'usure autorisée, légale, régularisée, et par conséquent bien plus dangereuse. Peu importe au profit de qui elle s'exerce; le nom de celui qui profite, quelque sacré qu'il soit, ne lui ôte pas son caractère et sa nature destructive. Prétendre la faire tourner au bénéfice des pauvres est une dérision, puisque ce sont les pauvres qui la supportent, et que ces pauvres, tôt ou tard, tombent à la charge de la charité publique. Ainsi ce qui est une grande faute en morale devient une grossière erreur sous le rapport purement économique.

Nous avons cité des exemples frappans des améliorations dont les monts-de-piété sont susceptibles. Quant à la loterie, c'est une question aujourd'hui jugée. Déjà, par les soins du gouvernement de la restauration, le nombre des bureaux a été considérablement réduit dès l'année 1899. Le taux des mises a été élevé (1); il n'existe plus de bureaux que dans les villes importantes, et ils doivent être graduellement supprimés.

(1) Le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique a donné l'idée de cette réforme.

CHAPITRE XX.

DES INDIGENS qui se reFUSENT AU TRAVAIL, OU MENDIANS.

La pitié se retire alors qu'on l'importune.

(DELILLE.)

Il n'y a pas au monde de contraste moral plus prononcé que celui qui existe entre le faux pauvre qui mendie par calcul, et le véritable indigent qui est réduit à mendier.

(DÉGÉRANDO, Visiteur du pauvre.)

Nous l'avons déjà dit plusieurs fois, la charité religieuse a toujours proscrit l'oisiveté, et l'aumône, dans son principe et dans son but, n'a jamais été recommandée qu'en faveur de la pauvreté véritable. Mais un des caractères de la charité, c'est le devoir, c'est le besoin de faire le bien au moment même où l'occasion s'en présente. De même que la loi ne présume pas le crime dans un accusé, la charité ne doit pas présumer la fraude dans le mendiant : elle préfère la légère humiliation d'avoir été trompée, à la douleur de n'avoir pas secouru l'homme qui se présente à elle avec l'accent et l'image de la misère.

Ici, nous revenons encore sur les reproches adressés au christianisme, d'encourager l'ignorance et la misère, la fainéantise et la mendicité condamnable. Ces reproches

ont été si opiniâtres, qu'il faut en prouver l'injustice et prévoir toutes les objections. Il en est auxquelles nous chercherons à répondre de nouveau.

1o Le législateur des chrétiens considère les pauvres d'esprit comme bienheureux et devant avoir part à son royaume.

2o Le christanisme tend à détacher de la possession et de la recherche des biens de la terre.

50 L'église a autorisé la formation d'ordres religieux mendians.

La première de ces difficultés est facile à résoudre, et, il faut le dire, elle n'est élevée que par des hommes qui n'ont jamais pris la peine d'étudier la doctrine évangélique. Jésus-Christ, en accordant aux apôtres les dons les plus sublimes de l'intelligence, le pouvoir de parler toutes les langues de la terre et une éloquence propre à convaincre et à toucher les cœurs, a donné la mesure du prix qu'il attachait aux lumières et à l'instruction. Personne, parmi les pères de l'église et les membres du clergé, n'a interprété autrement ces mots, pauvres d'esprit, que par ceux-ci, pauvres en esprit, pauvres volontaires, c'està-dire les riches qui vivent dans les privations ou se dépouillent en faveur des malheureux, ou les savans humbles, modestes et religieux. C'est une vérité vulgaire que nous avons déjà retracée, et sur laquelle nous ne nous arrêterons pas davantage.

Sans doute, la religion chrétienne porte au détachement des biens temporels; mais elle n'en interdit pas l'usage modéré, sage, et surtout charitable. L'homme, destiné à une vie de bonheur éternel, après un court passage sur la terre; l'homme, condamné à des épreuves et obligé à expier sa faute originelle par des vertus, ne devait pas être excité à placer dans les richesses son bonheur et ses espérances. Le divin législateur savait que les passions ne l'entraînent que trop vivement vers la cupidité et la vo

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