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gentes. Lorsque l'abandon des principes moraux multiplie incessamment cette indigence, la religion et la charité doi vent redoubler d'efforts et s'appuyer plus que jamais sur la puissance de l'association.

Pour juger ce que le développement général de l'esprit d'association appliqué à la charité pourrait produire d'admirable, de merveilleux en France, nous n'avons besoin que de rappeler seulement la proportion qui existe dans ce royaume entre la population totale et le nombre d'indigens. Ce rapport est de 20 à 1, c'est-à-dire qu'il existe un indigent sur vingt habitans. Or, si dix-neuf personnes riches ou plus ou moins aisées se réunissaient pour secourir chacun, suivant leurs moyens, un de leurs frères malheureux (et si cette réunion est difficile à obtenir, elle n'est pas, du moins, matériellement impossible); si, disons-nous, chaque indigent pouvait devenir l'objet de la sollicitude 'spéciale et exclusive de dix-neuf de ses concitoyens, l'extinction de l'indigence ne serait-elle pas opérée par cette généreuse association? On pourrait l'obtenir sous d'autres formes; mais ce ne peut être que par le même principe; et si l'on regardait un tel projet comme une utopie, ne faudrait-il pas du moins chercher à s'en rapprocher le plus possible? Mais, pour disposer ainsi l'esprit d'association, on ne saurait se passer de l'esprit religieux et de l'intervention des hommes auxquels le dépôt en est principalement confié (1).

(1) Il est à remarquer que la puissance et le besoin de l'esprit d'association se font sentir chaque jour davantage, à mesure que l'égoïsme et l'affaiblissement des idées religieuses isolent et matérialisent les intérêts.

Pour répondre à ce besoin de notre époque et aux voeux des hommes de bien de toutes les parties de la France, un philantrope chrétien (M. de Rainneville père) a conçu le projet d'une société de services mutuels, destinée à mettre en relations, d'un bout de la France à l'autre, toutes les notabilités, toutes les spécialités, toutes les probités, toutes les sympathies chrétiennes et charitables. Une telle pensée, étrangère à l'esprit de parti et à la politique, ne peut manquer d'être accueillie avec empressement et de

Persuadés que la charité est inséparable de la religion, nous avons été toujours affligés de voir en France, depuis la révolution de 1789, le clergé se trouver en quelque sorte étranger à l'administration des secours publics auxquels son ministère semble cependant l'appeler à présider. On doit attribuer cette situation contradictoire à deux causes, d'abord à notre organisation de secours publics, ensuite au petit nombre de prêtres disponibles. Il est en effet dfficile, et peut-être même impossible à un ou deux ecclésiastiques qui desservent une commune souvent importante, de se livrer, à la fois, aux obligations de leur ministère et aux soins constans et assidus que réclamerait le soulagement moral et physique des pauvres de la paroisse. Mais combien il serait désirable qu'à côté des pasteurs chargés de la conduite des âmes, de faire entendre la parole de Dieu et de distribuer des secours spirituels, il se trouvât, selon les besoins, un ou plusieurs prêtres chargés exclusivement de soulager les pauvres, et sous le titre d'aumôniers paroissiaux, de diriger et d'exciter incessamment l'exercice de la charité! Ce serait une institution nouvelle et spéciale dont l'effet infaillible serait de parvenir à bien connaître les pauvres, leurs inclinations, la nature de leurs besoins, et de faire naître, par la confiance due à une sage distribution de secours, des ressources infinies, et le puissant auxiliaire

porter un jour d'heureux fruits. Combien il serait heureux, en effet, pour tous les hommes de bien, de se connaître, de s'unir par un échange de services de tout genre, par une communauté de bonnes œuvres, et de pouvoir se passer des intermédiaires à moralité équivoque dont ils sont si souvent les dupes et les victimes! Ainsi, les propriétaires, les négocians, les industriels, les artistes, les écrivains et les hommes de toutes les professions, dont les principes moraux sont identiques, s'appuieraient mutuellement, et sans cesser, pour cela, d'appartenir à la grande société française, formeraient entre eux une association toute chrétienne, ou, pour ainsi dire, une réunion d'amis sûrs et dévoués. Si nous ne nous trompons pas, un tel exemple devrait exercer tôt ou tard une grande inAluence sur les mœurs publiques; nous aidons, par conséquent, de tous nos vœux, sa prompte et complète réalisation.

de l'esprit d'association. Pour ces aumôniers, la charité deviendrait une véritable science dont ils devraient recevoir les élémens dans les séminaires, et qu'ils appliqueraient suivant les circonstances et les lieux. La charité particulière, l'aumône pure n'étant plus en rapport avec les besoins de la société moderne, le cercle de la charité s'agrandissant et venant toucher à de hautes questions d'économie sociale, il importerait que les ministres de la charité nouvelle fussent à la hauteur de toutes les lumières, de toutes les découvertes, de tous les progrès, et pussent s'aider de toutes les sciences humaines pour les faire tourner au profit de la charité.

Si les difficultés des temps s'opposaient, comme on a lieu de le craindre d'ici à long-temps, à un accroissement de personnel et de dépense, bien compensé, d'ailleurs, par d'immenses avantages, ne serait-il pas possible du moins de faire de la charité publique, de sa théorie et de ses diverses applications, l'objet d'une sorte de chaire spéciale dans les séminaires et dans les maisons où se forment les hospitalières et les frères de la charité? Nous soumettons cette pensée à l'épiscopat français si éclairé, si digne de comprendre les besoins des temps et les améliorations que réclame une société nouvelle. Nous pensons qu'il compléterait ainsi les bienfaits de ces saintes associations, les premières qui aient eu pour objet d'adoucir la misère et le malheur, et les seules qui aient subsisté intactes, parce qu'elles avaient pour fondement une religion qui ne doit point périr. Nous reviendrons ailleurs sur ce sujet important (1).

Pour donner la mesure de tout ce que le clergé catholique pourrait faire en faveur des pauvres, s'il était investi plus spécialement de l'administration de la charité, nous n'aurions besoin que d'invoquer quelques souvenirs.

(1) Voir le chapitre II du livre V.

Les noms de Vincent-de-Paule, de Fénélon, de Belzunce, de Legris-Duval, de Caron, sont inséparables de l'histoire de la charité. Celui de Quelen (1) et d'un nombre infini de saints pontifes et de vénérables ecclésiastiques, est déjà consacré désormais dans les annales qui transmettront à la postérité le souvenir de l'un des plus terribles fléaux qui ait frappé l'Europe, et particulièrement la capitale de la France.

(1) L'Europe chrétienne sait comment M. l'archevêque de Paris a ré-, pondu, par les bienfaits d'une ardente charité, aux menaces et aux injures dont il avait été l'objet, de la part d'une populace égarée. Nous ne pouvons nous refuser au plaisir de placer ces quelques lignes où M. Mennechet rendit compte de l'impression produite par une prédication de l'illustre prélat, sur la charité. « Les brebis ont reconnu le pasteur, à son extérieur où respirent la mansuétude et la dignité, à son organe plein de douceur et cependant pénétrant, au geste que ne déparent pas quelques momens d'abandon, mais surtout à cette onction évangélique qui va au cœur par des routes qui ne sont connues que d'elle. On nous permettra d'exprimer ici toute notre pensée. Il nous semble que M. de Quélen rappelle Fénélon. Je dis qu'il le rappelle; car, qui de nous ne connaît pas, qui ne croit pas avoir vu l'archevêque de Cambrai, et avoir admiré ce modèle toujours vivant de la perfection humaine? Nous avons si présens sa belle figure, son noble maintien, l'harmonie de sa voix, l'enchantement de ses paroles, que si, par miracle, il apparaissait au milieu de nous, dans une des chaires de Paris, nous tomberions la face contre terre, parce que nous le reconnaî

trions tous. »

CHAPITRE XXIII.

DES ASSOCIATIONS LIBRES DE BIENFAISANCE ET
PHILANTROPIQUES.

La véritable philantropie est toute évangélique dans son esprit comme dans ses actes. Désinteressée dans ses déterminations, elle fait le bien pour le bien; mais elle le rapporte au bienfaiteur suprême, invoque son aide et sa bénédiction, lui rend grâce d'avoir été l'instrument de ses miséricordes. La piété, sa céleste compagne, guide et doit toujours guider ses pas. On pourrait la définir : l'amour des hommes sanctifié par l'amour de Dicu.

(Gustave DEGÉRANDO.)

PENDANT long-temps la charité pure, c'est-à-dire celle qui commande de faire du bien aux hommes, non seulement pour eux-mêmes, mais en vue de Dieu, a régné exclusivement en France et dans la plupart des états de l'Europe. Nous venons de parcourir rapidement la série des prodiges qu'elle a enfantés.

A mesure que l'affaiblissement des croyances religieuses, suite nécessaire de la réforme, s'est opéré dans les esprits, la charité a dû perdre aux yeux de quelques hommes son caractère religieux pour faire place à un sentiment seulement humain. Cette charité incomplète, inventée en Angleterre, nous a été importée avec les doc

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