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cette distinction. Nous remarquerons seulement | son, et lorsqu'il introduit son domestique dans ici que la cour de cassation elle-même a confirmé une maison étrangère, il le fait participer à la nos observations, en déclarant, dans une espèce même confiance que celle dont il jouit chez lui; relative au commis salarié d'un receveur muni- les obligations de ce domestique sont donc les cipal « que le n° 3 de l'art. 386 s'applique à mêmes. tout homme de service à gages et au vol commis par tout individu travaillant habituellement dans l'habitation où le vol a été commis, et que l'accusé, en qualité de commis salarié, se trouve compris tout à la fois et dans la dénomination d'homme de service à gages, et dans celle d'individu travaillant habituellement dans l'habitation. » Ainsi la cour de cassation, même avant la loi du 28 avril 1832, semblait douter de l'application aux commis salariés de la première partie du n° 3 de l'art. 386, et sentait le besoin d'appuyer cette interprétation sur la troisième partie de la même disposition.

Nous venons d'examiner à quelles personnes s'étend la qualification de domestiques et gens de service à gages. Il faut rechercher maintenant dans quels cas cette qualité devient une cause d'aggravation.

En règle générale, le vol domestique est celui qui est commis par les gens de service au préjudice du maître et dans sa maison. Ce n'est, en effet, que vis-à-vis du maître que le domestique est lié par une obligation plus étroite, et que sa culpabilité, en cas de vol, devient plus grave; et ce n'est que dans sa maison que le domestique est entouré d'une confiance nécessaire, et que tous les objets qui s'y trouvent sont livrés à sa foi. Cependant cette règle n'est point absolue, elle admet une double extension.

Mais ces dispositions, par cela même qu'elles étendent la règle de responsabilité au delà de ses limites naturelles, doivent être strictement renfermées dans leurs termes : le vol domestique ne peut donc être commis hors de la maison du maître ou de celle où l'agent l'accompagnait. Ainsi le domestique qui, envoyé par son maître. dans une maison étrangère, y commet un vol; celui qui l'accompagnant dans un lieu public, tel qu'un marché, y soustrait quelque chose, ces deux agents sont passibles, sans doute, des peines attachées au vol d'après ces circonstances, mais ne sont pas coupables d'un vol domestique. C'est dans ce sens que la cour de cassation a jugé : « que, d'après les dispositions expresses de l'art. 386, no3, le vol commis par un domestique, au préjudice de toute autre personne que son maître, n'a le caractère de vol domestique que dans le cas où il l'aurait commis soit dans la maison de son maître, soit dans celle où il l'accompagnait [1]. »

Une difficulté toutefois est née à ce sujet. Le domestique qui soustrait, dans la maison même de son maître, des objets qui n'appartiennent pas à celui-ci, est-il passible de l'aggravation, lorsque la personne qui les y a déposés ne se trouve pas dans cette maison? La raison de douter est que l'art. 386, en parlant du vol commis par le domestique envers les personnes qu'il ne En premier lieu, l'art. 386 étend l'aggravation sert pas, semble supposer que ces personnes se résultant de la qualité de domestique au voleur, trouvent dans la maison de son maître au momême lorsqu'il aura commis le vol envers des ment du vol [2]. Tel ne peut être le sens de la personnes qu'il ne servait pas, mais qui se trou-loi. Il faut distinguer, dans la première partie vaient soit dans la maison de son maître, soit dans celle où il l'accompagnait..

Ainsi le vol subit encore l'aggravation résultant de la domesticité, bien qu'il ne soit pas commis au préjudice du maître, et bien que les personnes qui en sont lésées ne se trouvent même pas dans la maison de celui-ci, pourvu d'ailleurs que l'agent accompagnât son maître au moment où il a volé. On peut donner pour motif de ces deux dispositions que, dans la maison du maître, tous les objets, qu'ils soient ou non sa propriété, doivent être également sacrés pour le domestique, puisque le maître en a la surveillance et qu'il en est responsable, et que, hors de sa mai

du n° 3 de l'art. 386, deux dispositions, l'une générale et absolue, qui punit sans distinction tout vol commis par un domestique ou un homme de service à gages dans la maison; l'autre qui ne prévoit qu'un cas particulier, celui où le vol est commis sur les personnes étrangères qui sont dans cette maison, ou dans la maison où il accompagnait son maître. Or, cette deuxième disposition, qui n'a eu d'autre objet que d'étendre la première à une espèce spéciale, ne peut avoir pour effet d'en restreindre la généralité. Le vol dans la maison du maître est donc, dans tous les cas, un vol domestique, quel que soit le propriétaire des effets volés, abstraction faite de la pré

[1] Cass., 15 fév. 1834; 24 déc. 1825.

tique, il faut que l'étranger se trouve dans la maison du [2] Pour qu'un vol commis par un domestique, chez son mattre ou qu'il y travaille habituellement. (Liége, 1er août maître, envers un étranger, puisse être réputé vol domes- I 1842; Pasicrisie, 1843, p. 81.

sence de ce propriétaire. Cette présence est une circonstance indifférente, elle n'atténue ni n'aggrave l'action du domestique; celui-ci n'a pu disposer des objets qu'il a soustraits que par suite de la confiance nécessaire qui était la conséquence de son service; il a donc trahi le devoir de sa position pour commettre le vol; il est donc passible de l'aggravation.

les objets qui sont laissés à la discrétion des gens de service; que si, dans un seul cas, il a prévu la perpétration du vol hors de la maison, quand l'agent accompagne son maître dans une maison étrangère, il a pris soin d'énoncer ce cas particulier et de le formuler comme une exception. La réponse est dans les termes de l'article que nous avons déjà expliqués. Les mots : si le voleur est un domestique ou un homme de service à gages, même lorsqu'il aura commis le vol envers des personnes qu'il ne servait pas..., indi

Telle est aussi l'interprétation que la cour de cassation a consacrée, en déclarant : « que la première disposition du n° 3 de l'art. 386 est générale et absolue; qu'elle s'applique conséquent que lorsque le vol a été commis envers des quemment au vol commis par un domestique de tous effets qui pourraient se trouver dans la maison de son maître et n'y seraient pas sous la surveillance du propriétaire particulier de ces effets; que la seconde disposition du même article est une extension de la première; qu'elle attribue le même caractère de vol, qualifié crime, aux vols commis par un domestique dans la maison de son maître envers des personnes qui s'y trouvaient et pouvaient veiller elles-mêmes à la conservation de leurs effets, ainsi qu'aux vols que le domestique qui accompagne son maître dans une maison, y aurait commis envers les personnes qui se trouvaient dans cette maison [1]. »

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Est-il nécessaire d'ajouter que la présence même du maître dans la maison est indifférente à la qualification du vol? Cette qualification, en effet, ne se puise pas dans le défaut de surveillance du maître, elle se puise dans l'abus que fait l'agent de la confiance qui lui est accordée; or, cette confiance est plus grande encore quand le maître s'éloigne que lorsqu'il est présent. La cour de cassation a donc pu décider: « qu'il suffit que l'accusé soit domestique ou homme de service à gages dans la maison où il a commis le vol; que la première partie du § 3 de l'article 386 n'exige pas que le maître de la chose volée se trouve dans la maison où l'un des domestiques l'aura volée; que c'est même pour les cas d'absence, où il se confie à la foi de ses domestiques, qu'il aurait besoin de trouver plus de secours et de sévérité dans la loi [2]. »

La règle qui restreint le vol domestique au cas où il est commis dans l'habitation du maître éprouve une seconde extension. Si le vol, en effet, est commis par le domestique au préjudice du maître, cesse-t-il donc d'être passible de l'aggravation, parce qu'il a été consommé en dehors de la maison? On objecte que l'art. 386 suppose la perpétration du vol dans l'habitation; qu'il a eu pour objet de protéger le foyer domestique,

personnes qu'il servait, c'est-à-dire au préjudice de son maître, la seule condition requise par la loi pour l'application de l'art. 386 est qu'il ait la qualité de domestique. Nulle expression de cet article ne restreint dans ce cas la perpétration du vol dans l'intérieur de l'habitation. Cette condition est exprimée lorsque le vol est commis au préjudice d'une personne étrangère, ou lorsqu'il est commis par un ouvrier ou par un individu travaillant habituellement dans l'habitation; mais lorsque la soustraction est commise par un domestique et qu'elle est commise au préjudice du maitre, la disposition est générale, elle incrimine le domestique dans tous les cas et quel que soit le lieu de la perpétration. Et, en effet, pour quel motif eût-elle distingué? Dès que c'est par un abus de la confiance dont il était investi que le domestique a commis le vol, qu'importe qu'il l'ait commis dans l'intérieur de l'habitation ou à l'extérieur? que la soustraction ait eu lieu dans la maison ou, par exemple, dans une grange non dépendante de cette maison, ou dans les champs? Partout où il marche entouré de la confiance du maître, le crime est le même dès qu'il la trahit.

Telle est aussi la doctrine de la cour de cassation. Cette cour a jugé, en effet : « que la deuxième partie du n° 3 de l'art. 386, toute spéciale pour les vols dont peuvent se rendre coupables, soit un individu travaillant habituellement dans l'habitation, soit l'ouvrier, compagnon ou apprenti, soit le domestique envers les personnes qu'il ne servait pas, est absolument restrictive, puisqu'elle n'est applicable à ces vols que lorsqu'ils ont eu lieu dans la maison du maitre, ou dans la maison où le domestique l'accompagnait; que cette condition est essentiellement constitutive de la criminalité des vols, dans chacune de ces trois hypothèses, parce que la confiance de celui qui en a été victime envers leur auteur se trouvait elle-même limitée de plein droit aux lieux où elle a été trahie, et ne

[1] Cass., 13 fév. 1819; 10 janv. 1823; 7 juin 1832.

[2] Cass., 20 août 1829.

s'étendait pas nécessairement au delà; qu'au | contraire la première partie de la disposition précitée est générale et absolue en ce qui concerne le domestique ou l'homme de service à gages, relativement à leur maître; qu'à leur égard, en effet, la confiance nécessaire de ce dernier est illimitée, et les suit partout où ils peuvent en abuser ; que, par cette raison, le législateur n'a voulu ni dû admettre aucune distinction entre le cas où le vol par eux commis l'a été dans la maison de leur maître, et celui où il n'aurait eu lieu qu'au dehors; que le vol dont le domestique ou le serviteur à gages se rend coupable au détriment de son maître constitue donc toujours un crime, n'importe en quel lieu se trouvassent, lors de sa perpétration, les objets volés [1]. »

Cette solution cependant suppose qu'un vol a été commis hors de la maison du maître; telle est aussi l'espèce de l'arrêt qu'on vient de lire. Mais nous ne saurions admettre, avec la cour de cassation, que cette règle puisse être étendue à des fraudes qui n'ont pas le caractère d'une soustraction frauduleuse.

Cette cour, en effet, a jugé par de nombreux arrêts qui témoignent de la résistance que sa jurisprudence a rencontrée, que le domestique, le commis salarié, le secrétaire, le caissier, qui détournent et dissipent des sommes qui leur ont été confiées et qu'ils sont allés porter ou toucher au nom de leur commettant, commettent un vol domestique [2]. Les motifs sur lesquels s'appuient ces décisions, sont de diverse nature [3].

Tantôt la cour de cassation déclare : « qu'un maître ne remet pas à titre de dépôt ou pour un travail salarié les billets, effets et deniers à son domestique ou serviteur à gages; qu'en ce cas le maître ordonne jure domini, et le domestique s'acquitte d'un service à gages [4]. » Tantôt elle pose en principe « qu'on ne peut assimiler les serviteurs à gages aux mandataires dont parle l'art. 408, C. pén. ; que la confiance volontaire et limitée d'une opération déterminée par le mandant, accordée à ces derniers, est différente de la confiance nécessaire et générale que le maître est obligé d'accorder à son serviteur; que cette confiance nécessaire produit entre eux des

[1] Cass., 14 avril 1831.

[2] Cass., 9 juill. 1812; 25 fév. 1821; 31 janv. 1822; 24 janv. 1825; 15 déc. 1826; 14 fév. 1828; 7 janv. 1830; 17 juill. 1829; 11 mai 1852.

[3] Il y a vol domestique de la part du serviteur à gages qui soustrait frauduleusement la chose de son maître, même hors de la maison de celui-ci. (Brux., cass., 11 avril 1834 et 27 mai 1829; Bull, de cass., 1854, p. 289.) Il en est de

rapports et des devoirs différents; que le serviteur représente le maître dans tout ce qui est relatif au genre de service auquel il l'emploie; que les deniers confiés aux mains du serviteur sont réputés dans les mains et dans la possession du maître; que ceux que l'on verse dans les mains du serviteur sont réputés à l'instant même dans les mains du maître et lui sont immédiatement acquis; que le serviteur ne peut se les approprier et en frustrer son maître, sans le priver par là de cette possession, et conséquemment sans les soustraire à son préjudice [5]. » Enfin, elle explique « que l'art. 408 s'applique seulement à ceux qui ont détourné ou dissipé des deniers ou effets qui ne leur auraient été remis qu'à titre de dépôt, ou pour un travail salarié; que la prévention dont il s'agit ne peut rentrer dans la violation d'un dépôt; qu'elle ne saurait se rattacher non plus aux autres faits de cet article, qui ne peuvent évidemment concerner ceux qui détournent et soustraient des effets dans une maison où ils travaillent habituellement, lesquels étant déjà compris dans le n° 3 de l'article 386, ne peuvent point l'être dans l'art. 408, dont les expressions d'ailleurs excluent par elles-mêmes ce genre de détournement et de soustraction [6]. »

Ces motifs sont de deux sortes les uns tendent à prouver que l'abus de confiance domestique doit être puni des mêmes peines que le vol domestique; les autres ont pour but d'établir une fiction d'après laquelle le domestique qui détournerait des sommes qui lui auraient été volontairement remises, commettrait une véritable soustraction de ces valeurs. Il est impossible d'admettre cette dernière proposition. Un abus de confiance ne peut devenir un vol par cela que le coupable est un commis, un préposé, même un domestique; ces deux délits ont leur caractère propre l'abus de confiance consiste à détourner ou à dissiper; le vol, à soustraire: or, il est évident que si des objets sont remis à un individu quelconque et qu'il les applique à son profit, il les détourne et ne les soustrait pas; il est infidèle à la commission dont il a été chargé, il ne s'empare pas de ces effets à l'insu des propriétaires; en un mot, il ne se rend pas coupable de la soustraction fraudu

même du cas où un domestique ou serviteur à gages détourne ou s'approprie, au préjudice de son maître, des sommes qu'il a reçues en cette qualité pour le compte de celui-ci et à l'effet de les lui remettre. (Brux., cass., 27 mai 1829; J. de Brux., 1829, 1, 420.)

[4] Cass., 9 juill, 1812. [5] Cass., 17 juill. 1829. [6] Cass., 24 janv. 1823.

leuse qui est un élément essentiel du vol, quelle | a l'abus d'une confiance nécessaire, seul motif

que soit sa qualification. On objecte que le domestique représente le maître lui-même; d'où l'on conclut qu'en dissipant les deniers qu'il a dans les mains, il commet une véritable soustraction frauduleuse. On pourra en dire autant du mandataire qui représente le mandant, agit en son nom et l'oblige. Mais en matière pénale, il n'est pas permis de substituer aux faits une fiction de droit; le domestique représente son maître vis-à-vis des tiers, il se confond avec lui dans les actes où il agit en son nom, mais en réalité il n'en reste pas moins une personne distincte, dont les intérêts sont divers, et par conséquent il ne peut soustraire une somme qui lui a été confiée; il ne peut que la détourner.

Cette controverse, au surplus, a été fermée par le législateur. D'une part, il a considéré que l'abus de confiance, lorsqu'il est commis par un domestique, doit être puni, comme le vol, d'une aggravation de peine; d'un autre côté, il a proscrit, comme contraire à la nature des choses autant qu'aux principes du droit, l'assimilation de ces deux délits que la jurisprudence avait vainement tenté de faire. La loi française du 28 avril 1832 a ajouté à l'art. 408 un deuxième paragraphe ainsi conçu : « Si l'abus de confiance prévu et puni par le précédent paragraphe a été commis par un domestique, homme de service à gages, élève, clerc, commis, ouvrier, compagnon ou apprenti, au préjudice de son maître, la peine sera celle de la reclusion.» Ainsi se trouve tarie une source féconde de discussions dans la pratique; ainsi se trouve proscrite une jurisprudence qui avait méconnu, dans une espèce aussi importante, l'un des éléments essentiels du vol; ainsi les deux délits du vol et de l'abus de confiance, un moment confondus, reprennent leurs caractères distincts et leurs conditions respectives de criminalité.

On ne doit pas confondre avec cette hypothèse celle du domestique qui, chargé par son maître d'aller chercher ou de reconduire chez des particuliers des effets appartenant à ceux-ci, en aurait soustrait une partie. La Cour de cassation, appelée à prononcer sur ce fait, a décidé « qu'une soustraction frauduleuse faite par un domestique d'objets qu'il transporte pour le compte de son maître, soit que celui-ci en soit le propriétaire ou qu'il en soit responsable, rentre dans l'application du paragraphe 3 de l'article 386, puisque dans l'un et l'autre cas, il y

[1] Cass., 9 oct. 1812.

[2] ▼, en ce sens Legraverend, t. 3, p. 131.

de la sévérité de la loi relativement aux vols commis par les domestiques [1]. » Cette décision ne nous paraît pas fondée. La soustraction n'est point commise au préjudice du maître, car les objets soustraits ne lui appartiennent pas; la responsabilité qui pèse sur lui ne lui attribue nullement cette propriété ; les tiers restent propriétaires, sauf leur recours. Or, si la soustraction est véritablement commise au préjudice de ces tiers, comme elle n'est commise ni dans la maison du maître, ni dans une maison où l'agent l'accompagnait, il s'ensuit qu'elle ne peut constituer un vol domestique [2]. D'un autre côté, elle ne peut être considérée comme un abus de confiance : le domestique n'a nullement trahi la confiance des particuliers auxquels appartenaient les objets; il n'avait reçu d'eux aucun mandat, aucune mission; vis-à-vis d'eux, la soustraction est un véritable vol commis frauduleusement et à leur insu. Le caractère de cette soustraction ne serait donc que celui d'un vol simple.

On ne doit voir également ni un abus de confiance ni un vol domestique dans le détournement qu'un serviteur à gages a commis d'une somme d'argent qu'il a reçue de son maître pour acheter les provisions de sa maison, lorsque d'ailleurs il a réellement procuré ces provisions. Il n'y a pas de vol domestique, car ce vol suppose nécessairement un préjudice causé, soit au maître, soit aux personnes de sa maison. Or, où serait ce préjudice? Le domestique s'est approprié l'argent des fournisseurs, mais non celui de son maître; il a trompé les premiers, il n'a point été infidèle à celui-ci; il n'est donc pas coupable de vol envers lui. Il n'y a pas non plus d'abus de confiance; car il a rempli le mandat qu'il avait reçu, il a fourni les provisions qu'il avait ordre de fournir; s'il a détourné les sommes destinées à les payer, ce n'est point au préjudice du mandant, qui n'avait point contracté avec les fournisseurs, et qui n'est point responsable de la mauvaise foi de son domestique. Le seul délit que ce fait puisse caractériser, en supposant d'ailleurs qu'il ait été précédé de manœuvres frauduleuses qui sont l'un de ses éléments, est le délit d'escroquerie. Telle a été aussi, dans cette espèce, l'opinion de la Cour de cassation [3].

Nous avons achevé d'exposer les caractères généraux du vol domestique commis par les serviteurs et les gens de service à gages. Ce vol est de

[3] Cass., 22 janv. 1813,

deux espèces, suivant qu'il est commis au préju- | dice des maîtres ou au préjudice d'autres personnes que les maîtres, et, dans ces deux cas, ces caractères sont différents. Dans la première hypothèse, le vol subsiste avec sa qualification, en quelque lieu qu'il soit commis, pourvu qu'il soit le résultat d'une soustraction frauduleuse. Dans la deuxième, au contraire, la condition essentielle de son existence est qu'il soit commis dans la maison même du maitre, ou dans celle où le domestique accompagnait ses pas.

La deuxième espèce du vol domestique comprend celui qui est commis par un ouvrier, compagnon ou apprenti, dans la maison, l'ate- | lier ou le magasin de son maître,

Cette aggravation existait également dans notre ancien droit; « Les compagnons et apprentis, dit Jousse, qui volent le maître chez qui ils demeurent, doivent aussi être regardés comme voleurs domestiques, et il en est de même des jardiniers, vignerons, valets de labour et autres qui volent leurs maîtres [1]. »

Deux circonstances doivent concourir pour l'existence de l'aggravation: il faut que le vol ait été commis par un ouvrier, compagnon ou apprenti, et qu'il l'ait été dans la maison, l'atelier ou le magasin du maître.

La qualité d'ouvrier, de compagnon ou d'apprenti est comme celle de domestique ou d'homme de service à gages, dans la première partie du n° 3 de l'art. 386, la condition essentielle de l'aggravation. Des rapports nécessaires de confiance s'établissent entre le maître et ses ouvriers; ils sont admis dans la maison à raison de leurs travaux, et ces travaux habituels rendent impossibles toutes précautions à leur égard. Donc si l'un d'eux profite de cette confiance pour commettre un vol dans la maison de son maître, son délit s'aggrave de toute la trahison dont il se rend coupable. Il est donc nécessaire que l'arrêt de condamnation constate cette qualité, base principale de l'aggravation de la peine.

La deuxième condition est que le vol ait été commis dans la maison, l'atelier ou le magasin du maître. La raison de cette restriction est que la confiance de celui qui a été victime du vol, envers son auteur, se trouvait elle-même limitée de plein droit aux lieux où elle a été trahie, et ne s'étend pas nécessairement au delà. La Cour de cassation a consacré cette règle, en décidant, par de nombreux arrêts, que l'omission de cette

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circonstance, dans les questions soumises au jury, emportait nécessairement la nullité de la condamnation [2].

Mais que faut-il entendre par la maison, l'atelier ou le magasin du maître?

Il faut entendre l'atelier, le magasin, la maison où les ouvriers étaient employés ou travaillaient habituellement. Cela résulte d'abord du texte même de la loi, qui limite son application aux vols commis soit dans la maison, soit dans le magasin, soit dans l'atelier, et non pas dans ces trois endroits cumulativement. Cela résulte ensuite de son esprit, puisque c'est seulement au lieu du travail habituel que la confiance du maître est nécessaire; sous ce rapport l'ouvrier diffère du domestique: le service de ce dernier peut l'appeler dans toutes les parties de la maison, dans tous les magasins et ateliers de son maître; le travail de l'ouvrier l'attache à l'atelier, au magasin, à la maison où il est occupé; la qualité du premier le suit partout; la qualité du second n'existe vis-à-vis du maître que dans les lieux où il travaille habituellement. Cette règle a été reconnue par la cour de cassation, qui a déclaré, par un premier arrêt : « que, d'après l'art. 386, pour que le vol commis par un ouvrier travaillant habituellement dans la maison. de l'individu volé soit passible de la reclusion, il faut qu'il ait été commis dans la maison de cet individu où l'ouvrier travaillait habituellement [3]; » et par un deuxième arrêt : «< qu'aux termes du même article, les ouvriers, compagnons, apprentis ou individus travaillant habituellement dans une habitation, ne sont passibles des peines qui y sont portées, qu'autant que le vol a été commis dans l'atelier, le magasin, la maison où ils étaient employés ou travaillaient habituellement [4]. »

Ainsi les ouvriers qui viendraient pendant la nuit dépouiller le toit de l'atelier où ils travaillent du plomb qui le recouvre, ne rentreraient pas dans les termes de cet article; car ce vol n'est pas accompagné de la circonstance de la perpétration du vol dans la maison où les accusés travaillaient habituellement; car cette perpétration n'est pas une suite de la confiance qui leur avait été accordée comme une conséquence de leur travail habituel [5].

Ainsi l'ouvrier qui serait déclaré coupable d'avoir commis le vol dans le domaine de son maître ne serait point passible de l'aggravation; en effet, suivant les termes d'un arrêt : « de cette

[1] Traité de justice crim., t. 4, p. 203.

[2] Cass., 22 nov. 1811; 11 avril 1822; 29 oct. 1850; 24 mai 1832; 21 janv. 1836.

[3] Cass., 11 avril 1822. [4] Cass., 29 oct. 1830, [5] Cass., 11 avril 1822.

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