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crite par l'art. 408 pour qu'il y ait délit : c'est que le détournement frauduleux ait été commis au préjudice des propriétaires, possesseurs ou détenteurs. Il résulte, en premier lieu, de cette règle, qu'il n'y a point de délit lorsqu'il n'y a point de préjudice causé, et que par conséquent la restitution, même après un usage momentané, l'empêche d'exister: nous venons de développer cette proposition. Il en résulte, en second lieu, que ce préjudice n'est lui-même un élément du délit qu'autant qu'il porte sur les propriétaires, possesseurs ou détenteurs des effets détournés. La cour de cassation a consacré cette dernière règle, dans une espèce où un propriétaire avait vendu une certaine quantité de blé à un boulanger qui s'était obligé à payer au vendeur le prix convenu, au fur et à mesure que le blé serait converti en farine et la farine en pain. Au lieu d'exécuter fidèlement cette convention, le boulanger avait cédé le blé à un tiers; poursuivi pour abus de confiance, il fut condamné, par arrêt de la cour de Bastia, à deux mois d'emprisonnement, par application de l'art. 408. Cet arrêt a été cassé, par les motifs : « Que l'inexécution, par le prevénu, de la convention ne pouvait produire contre lui qu'une action civile; qu'en effet, le blé ne lui avait pas été remis à titre de dépôt, ni pour un travail salarié; que s'il avait été convenu qu'il en ferait un usage ou un emploi déterminé, ce n'était pas comme mandataire, mais comme propriétaire, en vertu de la vente qui lui en avait été consentie; que le plaignant, par la délivrance qu'il avait faite de ce blé, moyennant le prix réglé entre lui et le prévenu, avait cessé d'être propriétaire, possesseur ou détenteur; que cependant, d'après les expressions de l'art. 408, cet article n'est applicable au détournement de marchandises que dans le cas où ce détournement a été fait au préjudice du propriétaire, du possesseur ou du détenteur de ces marchandises [1]. »

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blés que reçoit un meunier pour les moudre, les farines qui sont remises à un boulanger pour faire du pain, et généralement toutes autres matières pouvant être l'objet d'un travail quelconque [2]. »>

En ce qui concerne les actes, on doit remarquer que l'art. 408 ne dit pas, comme l'art. 407 : tout acte pouvant compromettre la personne ou la fortune; il énonce seulement les billets, quittances ou tous autres écrits contenant ou opérant obligation ou décharge. Il résulte de cette différence, que l'abus de confiance ne peut s'appliquer qu'à des actes emportant un préjudice matériel, tels que les billets et les quittances. Ainsi, celui qui, dépositaire d'une lettre ou d'un acte quelconque dont l'exhibition peut produire un préjudice moral, livrerait cet acte à des tiers, ne commettrait pas le délit prévu par l'art. 408; cet article n'a prévu que les abus de confiance qui portent atteinte à la propriété. Les seuls écrits qui peuvent donner lieu à son application, sont donc les écrits opérant obligation ou décharge. La cour de cassation a jugé avec raison que le | détournement d'une contre-lettre pouvait rentrer dans cette disposition [3].

La cour de cassation a déclaré, dans l'un des arrêts qui viennent d'être cités : « Que le Code ne dit pas et ne pouvait pas dire qu'il fallait, pour qu'il y eût délit, que la totalité de l'objet confié fût détournée ou dissipée, le caractère du délit ne pouvant pas plus, dans l'abus de confiance que dans le vol, dépendre de la valeur de la chose dont le propriétaire se trouve privé par eet abus de confiance. » Cette règle est constante en elle-même; mais toutefois il faut remarquer que la rétention d'une partie quelconque de la chose confiée peut avoir un motif légitime, qu'elle peut avoir pour objet, soit de couvrir des déboursés, soit d'indemniser des peines et des soins ; que lors même que la portion retenue pour l'un de ces motifs serait exagérée, il y aurait lieu à débattre le montant de cette retenue, mais non à exercer une poursuite correctionnelle. Sous ce point de vue encore, l'abus de confiance diffère essentiellement du vol, et toute analogie entre ces deux délits ne tend qu'à égarer l'interprétation. Les reliquats de compte et les débats d'un compte rendu ne doivent, en général, donner Les mots effets, deniers et marchandises com- lieu qu'à une action civile: il n'y a pas là, prennent les meubles, l'argent et toutes les den- effet, dénégation d'une somme confiée, mais conrées qui peuvent faire l'objet d'un commerce. testation sur le montant d'une dette avancée; et Ainsi, la cour de cassation a jugé : « Que sous la voie correctionnelle n'est point destinée à réla dénomination de marchandises, sont néces-gler les intérêts privés des parties. sairement comprises les denrées, telles que les

La troisième règle, posée par l'art. 408, est que le détournement doit avoir pour objet des effets, deniers, marchandises, billets, quittances ou tous autres écrits contenant ou opérant obligation ou décharge. L'abus de confiance peut donc s'appliquer, soit à des objets mobiliers, soit à des actes.

[1] Cass., 29 sept. 1820.

[2] Cass., 11 avril 1817.

en

L'art. 408 exige enfin, et c'est la quatrième

[5] Cass., 20 fruct. an 12 et 27 janv, 1837.

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rend-il coupable d'un abus de confiance? Plusieurs de nos anciennes coutumes avaient vu dans cet acte un délit de vol [7]. Jousse enseigne, comme une règle de la jurisprudence, que : celui chez qui on a mis des bestiaux à cheptel, à la charge de les nourrir et de donner le croît au pro

règle de cette matière, que les effets aient été remis à titre de louage, de dépôt, de mandat, ou pour un travail salarié ou non salarié, à la charge de les rendre ou représenter, ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé. Nous allons successivement examiner les caractères du détournement résultant de la violation de ces diffé-priétaire, et qui vend ou détourne en cachette

rents contrats.

La loi prévoit, en premier lieu, le détournement des objets remis à titre de louage. La loi romaine, qui considérait comme un vol l'usage abusif de la chose louée [1], étendait à plus forte raison cette qualification au détournement de cette chose [2]; cette décision fut maintenue par la pratique, ainsi que l'atteste Farinacius [3]. Jousse pose également en principe que le locataire ou le fermier qui ne restitue pas les choses louées peut être poursuivi par action de vol [4]. Cette incrimination ne fut reproduite ni par les articles de 1791, ni par le Code de 1810. Le législateur pensa sans doute que le bailleur possède presque toujours les moyens, soit de contraindre le preneur à l'exécution du bail, soit d'obtenir des dommages-intérêts: son but avait été de ne faire porter l'action pénale que sur les fraudes à l'aide desquelles les contrats sont violés, et non sur les simples manques de foi de l'une des parties dans leur exécution. La loi modificative du Code pénal a fait sur ce point, ainsi que nous l'avons vu, une addition à l'article 408. Il faut maintenant tenir pour constant que tout preneur qui aurait vendu frauduleusement une chose mobilière, remise à titre de louage, est passible des peines de l'art. 408 [5]. Mais si le preneur s'était borné à prolonger la jouissance au delà de l'expiration de son bail, il n'y aurait ni fait passible des peines portées par l'art. 408, parce que la simple prolongation de jouissance ne peut être assimilée à un détournement, ni vol, ainsi que nous l'avons décidé à l'occasion du vol d'usage [6].

Le preneur de bestiaux à cheptel qui les vend à l'insu et sans la participation du bailleur, se

[1[ Inst. lib. 4, tit. 1, de oblig. quæ ex delicto nascuntur, $ 6.

[2] L. 42, Dig. locati conducti; 1. 67, § 5, Dig. de furtis.

[3] Quæst. 168, no 10.

[4] T. 4, p. 176.

[5] Le fait de disposer à son profit de meubles pris en location ne tombe sous l'application d'aucune disposition du Code pénal. (Brux., 4 oct. 1852; Jur. du 19e s., 1852, 3, 327: Dalloz, 14, 214.)

[6] V. notre vol. 3, p. 177 et suiv.
[7] Art. 7, tit. 17, de la coutume de Berri.

[8] Traité de justice crim., t. 4, p. 176.

ces bestiaux ou leur croît, peut être poursuivi par action de vol [8]. » Il est évident, d'abord, que ce fait ne peut constituer un vol, puisque le bail à cheptel a constitué l'agent possesseur légitime des bestiaux qui en sont l'objet, et que dès lors il ne commet aucune soustraction frauduleuse en les vendant sans le consentement du bailleur. Mais cette vente, qui, avant la modification apportée à l'art. 408, ne constituait aucun délit, ainsi que l'a reconnu la cour de cassation [9], constituerait évidemment aujourd'hui un abus de confiance, puisque le bail à cheptel, soit simple, soit partiaire, est un véritable contrat de louage, et que l'art. 408 s'applique au détournement de tous les objets remis à titre de louage [10]. Cette décision ne s'étendrait pas toutefois au cheptel à moitié cette espèce de cheptel est, aux termes de l'art. 1818 du Code civil, une société dans laquelle chacun des contractants fournit la moitié des bestiaux, qui demeurent communs pour le profit et pour les pertes. Cette convention ne constitue donc non plus un contrat de louage, mais un contrat de société : ce ne serait donc plus un simple abus de confiance, mais un vol, ainsi que nous l'avons déjà décidé [11].

Le deuxième cas prévu par l'art. 408 est le détournement des effets confiés à titre de dépôt [12]. La loi romaine punissait la violation du dépôt comme un vol [13]; mais elle distinguait ces deux délits: Inficiando depositum nemo facit furtum; nec enim furtum est ipsa inficiatio, licet propè furtum est [14]. La violation du dépôt n'est évidemment point un vol, puisque ce dépôt exclut nécessairement la soustraction frauduleuse; il importe même de ne pas confondre cette violation.

[9] Cass., 5 oct. 1820.

[10]. art. 1804, 1805, 1821, 1822, C. civ. [11] . notre vol. 3, p. 192, 2e part.

[12] L'individu qui, ayant reçu en dépôt une certaine quantité de pièces de monnaie, ne rend qu'une partie du dépôt réclamé par le propriétaire, et souscrit pour le restant de la somme un billet auquel il n'est pas fait honneur, ne peut se prétendre affranchi de l'action du ministère public en abus de confiance, en soutenant que par la création du billet il y a eu novation. (Liége, 6 sept1852; Legraverend, t. 1, p. 68.)

[13] Inst. lib. 4, tit. 1, § 6. [14] L. 67, Dig, de furtis.

et le détournement frauduleux du dépôt. Le dépositaire viole le dépôt toutes les fois qu'il se sert de la chose déposée sans la permission du déposant; mais cet usage, l'ouverture de l'enveloppe qui recèle cette chose, quand elle est scellée, le prêt même de cette même chose, ne suffisent pas pour constituer le délit; il faut un détournement frauduleux: or ce détournement ne peut résulter que de la vente ou de la dissipation des objets déposés, ou du refus du dépositaire de les restituer, ou de la dénégation du dépôt [1]. | La loi pénale n'a point donné au dépôt un autre sens que la loi civile: en ne le définissant pas, elle s'est reportée à sa définition légale. Le dépôt est donc, dans l'art. 408, l'acte par lequel on reçoit la chose d'autrui, à la charge de la garder et de la restituer en nature. La cour de cassation a décidé, en conséquence, que la vente d'une chose remise à l'agent, avec la condition d'en faire usage, ne constitue point une violation de dépôt, « attendu qu'il ne peut y avoir dépôt, dans le sens légal de ce mot, que lorsque la garde et la conservation de la chose qui en est l'objet ont été le but principal et déterminant de sa tradition [2]. »

Il suit de là que le détournement d'une chose confiée à titre de prêt ne rentre point dans les termes de la loi; car le prêt est un autre contrat que le dépôt, et la loi ne l'a point prévu dans ses termes. La cour de cassation a déclaré, en conséquence, par plusieurs arrêts, que la vente ou le détournement d'une chose prêtée n'était passible que d'une action civile en dommages-intérêts [3].

Toutefois cette cour semble s'être écartée de cette jurisprudence dans une espèce récente. Elle a jugé : « que s'il est incontestable, en principe, que la loi pénale n'est pas susceptible d'extension, il n'est pas moins vrai aussi qu'elle doit être appliquée d'après son esprit et suivant la portée des termes dans lesquels elle est conçue; que la généralité des expressions employées dans l'art. 408 a eu pour but d'atteindre et de réprimer tout détournement frauduleux d'un objet confié à titre de louage, de dépôt, de mandat, à la charge de le rendre ou représenter, ou d'en faire un usage ou emploi déterminé; que, dans l'espèce, il résulte des faits relevés par l'arrêt attaqué, que le plaignant n'avait consenti à confier ou à prêter son cheval à la prévenue, sa

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domestique, que pour un usage personnel à cette dernière, et à la charge par elle de le lui rendre ; que c'est dans ce but et à cette condition que le cheval a été confié à cette fille; qu'il résulte de ces faits que la convention intervenue dans de telles circonstances participe essentiellement du contrat de dépôt, dont elle offre le caractère principal indiqué dans l'art. 1915 du Code civil, l'obligation de garder et restituer en nature; que si la garde du cheval n'a pas été son but principal, ce n'est pas un motif suffisant pour lui refuser ce caractère; qu'il résulte de la combinaison des art. 1915 et 1928 du Code civil, qu'il existe en droit des contrats de dépôt de plusieurs sortes les uns faits dans l'intérêt unique du déposant, les autres dans l'intérêt du dépositaire; que la convention en vertu de laquelle le plaignant avait confié son cheval doit être considérée comme constituant un dépôt de cette dernière espèce [4]. »

Cet arrêt ne décide point sans doute que le détournement d'une chose remise à titre de prêt est nécessairement passible des peines de l'article 408; il ne fait que constater dans un prêt particulier certains caractères du dépôt, et c'est comme violation d'un dépôt qu'il incrimine le détournement de la chose prêtée; mais même en le restreignant dans les termes de cette espèce, cet arrêt nous paraît avoir consacré une dangereuse application de la loi. Quel était le fait imputé au prévenu? Ce prévenu avait vendu à son profit un cheval qui lui avait été prêté pour s'en servir, à la charge de le rendre. Quel est le caractère de ce contrat? Est-ce un dépôt? est-ce un prêt? La réponse est dans l'art. 1887, C. civ., qui porte : « Le prêt à usage ou commodat est un contrat par lequel l'une des parties livre une chose à l'autre pour s'en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s'en être servi. » Il est évident que la remise du cheval, dans l'espèce, était un véritable commodat; et tel est aussi le caractère que la loi romaine avait reconnu au même fait : Si quis equum gestandi causa commodatum sibi longius aliquo duxerit [s]. Or, l'art. 408 a-t-il prévu le détournement des choses confiées à titre de prêt ou de commodat? Nullement, et la cour de cassation le reconnaît formellement; mais le commodat serait, suivant sa doctrine, une espèce de dépôt. En premier lieu, des différences essentielles séparent

[1] . ce que nous avons déjà dit sur cette question, militaire, arrêt du 28 oct. 1834. V. notre vol. 3 (loco cidans notre vol. 3, p. 180, 2e part.

[2] Cass., 28 janv. 1832.

[5] Cass., 26 avril 1810 (De Villeneuve, Pasicrisie);

22 janv. et 9 oct. 1821; 28 janv. 1852; Brux., haute cour

tato), pour ce qui concerne le prêt et le nantissement.

[4] Cass., 22 juin 1839.

[5] Inst., lib. 4, tit. 1, § 6, de oblig, quæ ex del, nascuntur, et 1. 40, Dig, de furtis.

le commodat et le dépôt. Le caractère distinctif | du dépôt, elle a nécessairement entendu parler

du dépôt et son but principal et déterminant, est la garde et la conservation de la chose (article 1915, C. civ.); tellement que le dépositaire ne peut s'en servir sans une permission spéciale du déposant (art. 1930), ni même l'examiner, si elle est enfermée ou enveloppée (art. 1931). Le but principal du commodat, au contraire, est l'usage de la chose confiée sans doute l'emprunteur doit la restituer en nature; mais c'est pour s'en servir et non pour la garder qu'il l'emprunte. Le prêt est fait dans l'intérêt de celui qui reçoit la chose; le dépôt, dans l'intérêt de celui qui la donne. Le dépositaire est tenu de rendre les mêmes et identiques espèces qu'il a reçues, à toute réquisition du déposant; l'emprunteur n'est tenu de rendre qu'une pareille somme, à un terme fixé. On objecte que le § 3 de l'art. 1928, C. civ., prévoit une espèce de dépôt qui se confond avec le prêt à usage; cet article veut que la responsabilité du dépositaire soit appliquée avec plus de rigueur: « 1° si le dépositaire s'est offert lui-même pour recevoir le dépôt; 2° s'il a stipulé un salaire pour la garde du dépôt; 3° si le dépôt a été fait uniquement pour l'intérêt du dépositaire; 4° s'il a été convenu expressément que le dépositaire répondrait de toute espèce de faute. » Mais si les obligations du dépositaire sont dans ces divers cas plus rigoureuses, il n'en résulte aucune altération dans la nature du contrat : le but principal de la convention, soit que le dépositaire reçoive un salaire, soit que la chose lui ait été confiée dans son intérêt, soit que la garantie de toute espèce de faute ait été stipulée, est toujours la garde de la chose déposée; le dépositaire même aurait obtenu la permission de se servir de cette chose, qu'il resterait tenu des soins et des obligations imposées au dépositaire; il s'agit toujours d'un dépôt, et le dépôt, quelles que soient ses modifications, conserve des caractères spéciaux qui ne permettent pas de le confondre avec le prêt. A la vérité, les parties peuvent changer le caractère de la convention primitive; elles peuvent stipuler, par exemple, qu'après tel délai, le dépositaire pourra se servir d'une somme déposée à titre de prêt. Mais alors c'est un nouveau contrat qui succède au premier, et jusqu'à l'époque fixée le dépositaire reste passible des peines de l'abus de confiance, s'il détourne les deniers déposés : Si pecunia apud te ab initio hac lege deposita sit ut si voluisses utereris, priusquam utaris, depositi teneberis [1]. Ensuite, quand la loi pénale a incriminé la violation

du dépôt tel que l'a défini la loi civile, avec ses caractères particuliers, et non des autres contrats qui sont empreints d'une nature et de signes distinctifs, quels que soient leurs rapports plus ou moins intimes avec le dépôt. Ainsi, il importe peu que le prêt ait certains caractères du dépôt; il suffit qu'il ait reçu de la loi une qualification différente, qu'il ait d'autres caractères distincts et un but spécial, pour qu'il ne soit pas permis de lui appliquer une disposition pénale qui n'a désigné que le dépôt. On doit même remarquer que la jurisprudence avait signalé avant la loi rectificative du Code pénal, les lacunes de l'article 408, en ce qui concerne le louage, le mandat et le prêt, et que le législateur, en présence de ces arrêts, n'a introduit dans cet article, par une disposition additionnelle, que le louage et le mandat; il est donc impossible de suppléer à cette lacune volontaire par la voie de l'interprétation. Cette omission s'appuie d'ailleurs sur un grave motif: tout propriétaire ou possesseur peut être contraint de louer, de confier la gestion de ses biens, de déposer des effets chez un tiers. La loi a dû protéger ces actes souvent nécessaires contre les fraudes dont ils peuvent être l'objet; mais le prêt à usage, contrat essentiellement gratuit, est purement volontaire de la part du prêteur; c'est un acte de bienfaisance; il n'a donc pas droit à la même protection: il s'est librement abandonné à la foi de l'emprunteur; s'il a été imprudent, il a voulu s'exposer à ce risque; la loi ne lui accorde qu'une action civile en dommages-intérêts.

Les mêmes raisonnements s'appliquent au contrat de nantissement. La cour de cassation a jugé que le détournement du gage devait être considéré comme une violation du dépôt, et devenait passible des peines de l'art. 408: « Attendu que le prêt sur gage est un contrat mixte; que la chose mobilière donnée en nantissement au créancier prend dans ses mains, pour sa conservation, la nature du dépôt; qu'en effet l'article 2079, C. civ., déclare formellement qu'elle n'est ainsi dans la possession du créancier qu'un dépôt assurant son privilége [2]. » Mais le nantissement, comme le prêt, s'il a quelques-uns des caractères du dépôt, n'est point un véritable dépôt; car son but principal est la sûreté de la dette, et non la conservation de la chose. Sans doute le créancier répond de la perte ou de la détérioration de la chose survenue par sa négligence; mais cette obligation accessoire ne change point le caractère principal du contrat; elle ne

[1] I.. 1, § 34, Dig, depositi; 1. 4, Dig. de rebus creditis.

[2] Cass., 3 déc. 1818 et 31 janv. 1821.

transforme point le nantissement en contrat de dépôt; le gage demeure aux mains du créancier à titre de nantissement, et non à titre de dépôt; et l'art. 2079, en énonçant qu'il n'est qu'un dépôt destiné à assurer le privilége, voulu seulement exprimer que le créancier n'acquiert aucun droit de propriété sur ce gage. Or, en matière pénale, nous avons souvent répété ce principe: toute interprétation extensive est proscrite; la loi doit être restreinte dans ses termes, et dès lors, lorsqu'elle ne punit que la violation du dépôt, on ne doit pas étendre ses peines à la violation du gage.

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les faits de l'espèce: il en résultait, en effet, que le prévenu n'avait pas fait la distribution de ces cartouches aux soldats; qu'il les avait conservées quoiqu'un arrêté en eût prescrit la restitution, et qu'il les employait à son usage personnel. Mais nous ne saurions suivre la même cour, lorsqu'elle a appliqué la même décision aux, gardes nationaux qui, après la dissolution du corps dont ils faisaient partie, ont refusé de restituer les armes qui leur avaient été distribuées. L'arrêt qui a consacré ce point porte : << que l'art. 91 de la loi du 22 mars 1831 ne prévoit que le cas spécial de la vente par un garde national, à son profit, des armes ou des effets d'équipement qui lui ont été confiés par l'État ou par les communes, et non celui du détournement; que c'est à l'art. 69 de la même loi qu'il faut se référer pour connaître les obligations générales des gardes nationaux envers l'État à l'occasion des armes qui leur sont con

La cour de cassation a appliqué les dispositions de la violation du dépôt : 1° aux syndics provisoires d'une faillite qui détournent, au préjudice de la masse des créanciers, une partie des marchandises et effets appartenant au failli [1]. Il résulte, en effet, des dispositions du Code de commerce, que les syndics provisoires d'une faillite ne reçoivent qu'à titre de dépôt, c'est-à-fiées; que cet article déclare expressément que dire à la charge de rendre et représenter les effets et deniers appartenant au failli; mais cette question spéciale se trouve tranchée par la loi du 28 mai 1838, sur les faillites et banqueroutes. L'art. 596, C. comm., rectifié par cette loi, porte que tout syndic qui se sera rendu coupable de malversation dans sa gestion sera puni correctionnellement des peines portées en l'art. 406, C. pén. 2° Aux militaires qui vendent les effets d'habillement et d'équipement qui appartiennent à leur corps ou à l'État, et qui leur ont été remis pour leur service [2]. Cette solution, contestable en elle-même, ne serait plus applicable, puisque les art. 3 et 6 de la loi du 15 juillet 1829 ont puni comme un délit distinct et spécial le détournement des effets militaires [3]. 3° Aux individus qui, gardiens d'un magasin et dépositaires de la clef qui le ferme, ont détourné une partie des marchandises qui y étaient déposées [4]. 4° A celui qui a soustrait une somme d'argent déposée dans son domicile, alors même que le déposant aurait conservé la clef du meuble où cette somme est placée; car l'argent n'en demeure pas moins en sa possession, sous sa garde, et confié à sa foi [5].

ces armes restent la propriété de l'État; que la délivrance n'en est faite, aux termes du premier alinéa de cet article, qu'à la charge, par les gardes nationaux qui les reçoivent, d'en donner un reçu par émargement; qu'il suit de la que ces armes ne leur sont confiées qu'à titre de dépôt; que lorsque, après une dissolution, les gardes nationaux dépositaires de ces armes refusent, après sommation individuelle, de rendre ces armes, il y a détournement véritable de l'objet de leur destination, puisque les gardes nationaux ne peuvent plus en faire l'usage pour lequel elles leur avaient été confiées; qu'après cette sommation demeurée sans effet, l'art. 408 devient applicable [7]. » Cet arrêt, qui a été rendu sous l'influence des circonstances politiques, est évidemment dénué de fondement. Sans nul doute, les armes ne sont confiées aux gardes nationaux qu'à titre de dépôt et à la charge de les rendre ou représenter; mais comment conclure de là qu'il y a détournement punissable, par cela seul que les détenteurs de ces armes, qui offrent de les représenter, refusent de les restituer à une certaine époque? Est-ce que le simple refus du dépositaire de restituer la chose La cour de cassation a jugé encore que l'offi- déposée constitue le délit de violation de dépôt, cier de garde nationale qui a reçu en cette qua- s'il est certain qu'il l'a fidèlement gardée, s'il lité des cartouches, qui les a retenues et qui offre de la représenter? Il manque au délit deux s'en sert pour la chasse, commet le délit de vio-éléments essentiels : le fait matériel du détourlation de dépôt [6]. Cette décision se justifie par nement des effets, et la fraude, sans laquelle il

[1] Cass., 29 avril 1825.

[2] Cass., 26 fév. 1818.

[3]. Code pénal militaire belge, art. 192 et suiv. [4] Cass., 24 mars 1832.

[5] Cass., 16 fév. 1858.
[6] Cass., 27 nov. 1817.
[7] Cass., 27 juill, 1832.

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