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l'incrimination de l'art. 410, a eu pour but d'interdire d'une manière absolue, dans les transactions civiles, l'instrument de la loterie, l'emploi de la loi du sort comme cause principale du gain ou de la perte. Elle a proscrit cette espèce de contrat sous toutes les formes qu'il peut revêtir, soit que la spéculation qui prend le sort comme son unique base soit principale ou accessoire, habituelle ou isolée, soit qu'elle se dérobe sous la forme d'une vente ou d'une souscription, soit qu'elle offre un mélange d'opérations commerciales et de chances aléatoires. C'est la forme, c'est le moyen qui est incriminé indépendamment des dangereux résultats qu'il peut produire. Et de là il suit, et nous l'avons constaté, | que l'infraction prévue par cette loi est toute matérielle, bien qu'elle ait pour objet de prévenir ces fraudes; car, si le législateur avait les yeux fixés sur ces fraudes qui menaçaient de toutes parts la société, il a circonscrit la mission du juge à la seule interdiction du moyen employé à ces sortes d'escroquerie ; le juge n'a donc point à s'occuper du but de la loterie et de la moralité des spéculations auxquelles elle a servi; il ne doit rechercher que la loterie elle-même; son seul emploi constitue le délit.

§ III. Contraventions aux règlements sur les maisons de prêt sur gages?

Le gage est un contrat dont la loi civile a prévu les effets et réglé les conditions. Mais ces dispositions, suivant les termes de l'art. 2084, C. civ., ne sont point applicables aux maisons de prêt sur gages.

En effet, lorsque cette espèce de prêt est une spéculation habituelle, lorsque cette spéculation possède une organisation et des moyens particuliers d'action, lorsque des établissements spéciaux sont ouverts pour faire ce trafic, les dispositions communes de la loi civile deviennent insuffisantes. Les intérêts des classes pauvres, que les facilités du prêt séduisent, exigent l'intervention plus active du législateur. Il doit stipuler comme un tuteur pour les emprunteurs sur lesquels pèseraient des conditions trop onéreuses. Il doit faciliter leur payement et leur conserver le gage déposé entre les mains du prêteur. Des règlements particuliers régissent donc cette matière.

Des maisons publiques de prêt sur gages ou monts-de-piété furent, pour la première fois, établis en France, par les lettres patentes du 9 décembre 1777. Toutes les maisons de prêt particulières furent dès lors interdites (édit. du 10 août 1779). La révolution abolit ces dispositions philanthropiques. Les maisons de prêt sur

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| gages se multiplièrent aussitôt, et bientôt des abus nombreux attirèrent l'attention du législateur. La loi du 16 pluviôse an 12 disposa, par ses art. 1 et 2, qu'aucune maison de prêt sur nantissement ne pourrait être établie qu'au profit des pauvres et avec l'autorisation du gouvernement, et que tous les établissements qui ne seraient pas autorisés devraient opérer leur liquidation. L'art. 3 ajoutait : « Les contrevenants seront poursuivis devant les tribunaux de police correctionnelle, et condamnés au profit des pauvres à une amende payable par corps, qui ne pourra être au-dessous de cinq cents francs, ni au-dessus de trois mille francs; la peine pourra être double en cas de récidive. » L'art. 4 portait encore que « le tribunal prononcerait en outre,. dans tous les cas, la confiscation des effets donnés en nantissement. » Le décret du 24 messidor an 12 prescrivait ensuite que des monts-depiété seraient organisés à Paris et dans les départements. Les succursales de ces monts-depiété furent les seules maisons de prêt autorisées par le gouvernement; toutes les autres furent fermées par le décret du 8 thermidor

an 13.

Tel était l'état de la législation, lorsque l'article 411, C. pén., fut rédigé. Cet article, qui a remplacé la loi du 16 pluviôse an 12, est ainsi conçu « Ceux qui auront établi ou tenu des maisons de prêt sur gages ou nantissement sans autorisation légale, ou qui, ayant une autorisation, n'auraient pas tenu un registre conforme aux règlements, contenant de suite, sans aucun blanc ni interligne, les sommes ou les objets prêtés, les noms, domicile et profession des emprunteurs, la nature, la qualité, la valeur des objets mis en nantissement, seront punis d'un emprisonnement de 15 jours au moins, de trois mois au plus, et d'une amende de cent francs à deux mille francs. »>

Cet article prévoit deux contraventions différentes: 1° l'établissement d'une maison de prêt sur gages sans autorisation légale; 2° les omissions et irrégularités dans la tenue du registre prescrit dans les maisons de prêt autorisées.

Il est évident, en premier lieu, que ces deux infractions sont purement matérielles; ce que la loi punit, c'est uniquement le défaut d'autorisation ou l'omission du registre prescrit; elle ne recherche point l'intention du délinquant; elle ne constate point si c'est dans une pensée de fraude qu'il ouvrait une maison de prêt clandestine, ou qu'il omettait d'enregistrer les objets mis en nantissement; elle ne s'attache qu'à l'omission de la formalité; cette omission, dès qu'elle est prouvée, justifie la peine, abstraction faite de la pensée du contrevenant; sa bonne foi

peut atténuer l'infraction, mais ne la fait point disparaître.

Recherchons maintenant les éléments de l'une et de l'autre infraction. La première consiste dans l'établissement d'une maison de prêt sur gages sans autorisation. Cette contravention renferme trois conditions. L'établissement d'une maison de prêt suppose, en premier lieu, une institution permanente, ou du moins l'institution d'une maison avec la destination habituelle de prêter; car un fait isolé ou accidentel n'est pas un établissement; cette expression énonce la pensée de se livrer à ce trafic illicite, d'en faire une habitude, un métier.

Il est nécessaire, en second lieu, que la maison ait pour objet le prêt sur gages; car la prohibition de la loi ne s'applique qu'à cette sorte de prêt. Ainsi il ne suffirait pas que le jugement de condamnation déclarat le prévenu convaincu d'avoir tenu une maison de prêt, il faudrait qu'il constatat que cette maison de prêt était sur gages ou nantissement; ce fait est substantiel et caractéristique de la criminalité [1]. Mais si le gage était déguisé sous le voile d'une vente avec faculté de rachat ou de toute autre convention, il appartiendrait au juge de lui restituer son véritable caractère en déclarant la convention simulée [2].

La troisième condition de l'infraction est le défaut d'autorisation. Aucune autorisation ne peut être accordée aujourd'hui, si ce n'est pour l'institution des monts-de-piété qui sont établis

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par ordonnance du roi dans certaines villes. Chaque mont-de-piété peut élever, avec l'autorisation administrative, les succursales nécessaires aux besoins des populations. Ces succursales sont les seules maisons de prêt sur gages qui aient aujourd'hui une existence légale.

La deuxième infraction prévue par l'art. 411 est relative à l'administration même de ces maisons; la loi a voulu donner une sanction à des formalités qui sont la seule garantie de l'emprunteur. Les préposés des monts-de-piété qui ne tiennent pas un registre conforme aux règlements, c'est-à-dire, contenant de suite et sans blanc ni interligne toutes les indications nécessaires pour constater le prêt et le nantissement, sont passibles des peines portées par cet article. Ainsi la contravention peut résulter soit de l'omission complète du registre, soit des irrégularités commises dans sa tenue; car l'obligation consiste dans la tenue d'un registre conforme aux règlements. La seule omission de l'inscription d'un prêt serait-elle une contravention punissable? Il faut répondre affirmativement. Chaque prêt est un contrat qui doit être formellement constaté: l'art. 48 du règlement du 8 thermidor an 13 prescrit formellement la rédaction d'un acte de dépôt signé par le déposant ou son répondant; il y aurait donc infraction aux règlements dans l'omission de cet acte sur le registre; il y aurait omission du registre en ce qui concerne cet acte particulier. Tel est assurément l'abus le plus grave que la loi ait voulu proscrire.

CHAPITRE LXV.

ENTRAVES APPORTÉES A LA LIBERTÉ DES ENCHÈRES.

ORIGINE DE CETTE INCRIMINATION. LOIS OU ELLE A ÉTÉ PUISÉE. - CARACTÈRES Particuliers du délit.— CONDITIONS NÉCESSAIRES POUR L'APPLICATION DE LA PEINE. CETTE PEINE S'APPLIQUE AUX ENTRAVES APPORTÉES A LA SURENCHÈRE, COMME A CELLEs apportées a l'enchère. -LES PERSONNES QUI ONT AGRÉÉ LES OFFICIERS PUBLICS, LORS MÊME QU'ILS SONT Chargés de surveiller les enchèreS, SONT PASSIBLES DES MÊMES PEINES QUE LES PARTICULIERS, SAUF L'APPLICATION DES ART. 198 ET 462, C. PÉN. (commentaire de L'ART. 412, C. PÉN.).

LES DONS ET PROMESSES NE SONT PAS PUNIES COMME COMPLICES.

Cette incrimination est née du sein de nos troubles politiques. La vente des biens nationaux

[1] Cass., 9 mars 1819. (Sirey, 19, 1, 298.)

avait soulevé dans plusieurs provinces une vive opposition, qui se manifestait soit par des vio

[2] Cass., 15 juin 1821.

lences ouvertes, soit par des manœuvres propres à la faire avorter. Le législateur dut intervenir pour protéger la liberté des enchères.

L'art. 27 du tit. 2 de la loi du 19-22 juillet 1791 portait : « Tous ceux qui, dans l'adjudication de la propriété ou de la location soit des domaines nationaux, soit de tous autres domaines appartenant à des communautés ou à des particuliers, troubleraient la liberté des enchères ou empêcheraient que les adjudications ne s'élevassent à leur véritable valeur, soit par offre d'argent, soit par des conventions frauduleuses, soit par des violences ou voies de fait exercées avant ou pendant les enchères, seront punis d'une amende qui ne pourra excéder 500 livres, et d'un emprisonnement qui ne pourra excéder une année. »

La loi du 24 avril 1793 reproduisit cette disposition en la modifiant : d'une part elle atténua la peine, sans doute pour en rendre l'application plus certaine; d'un autre côté elle distingua deux espèces de délit, suivant la nature de l'opposition apportée aux enchères. L'art. 11 de cette loi portait « Tous ceux qui troubleraient la liberté des enchères (des domaines nationaux) par des injures ou menaces, seront punis d'une amende qui ne pourra être au-dessous de 50 livres, et d'un emprisonnement qui ne pourra être au-dessous de 15 jours. » L'art. 12 ajoutait « Ceux qui troubleraient la liberté des enchères ou empêcheraient que les adjudications ne s'élevassent à leur véritable valeur, soit par offres d'argent ou par des conventions frauduleuses, soit par des violences ou voies de fait exercées avant, pendant ou à l'occasion des enchères, seront poursuivis et punis d'une amende qui ne pourra être au-dessous de 500 livres; et d'un emprisonnement qui ne pourra être moindre de six mois. » Un décret du 7 messidor an 2 révèle que les fonctionnaires publics trempaient eux-mêmes dans ces manœuvres et s'en rendaient les instruments; la rigueur de la loi était extrême à leur égard: « Lorsque les délits, porte le décret, auront été commis par des fonctionnaires publics, commissaires, gardiens et dépositaires, les coupables et leurs complices seront punis de douze années de fers et jugés par les tribunaux criminels. »

Le Code pénal a conservé ces dispositions en les modifiant. L'exposé des motifs se borne à constater la source où elles ont été prises: « Le fond de cet article, a dit Faure, a été puisé dans la loi correctionnelle de 1791, et dans la loi particulière du 24 avril 1793. La nouvelle rédaction est beaucoup plus complète et remplace plusieurs lacunes. » Voilà le texte de l'article 412 « Ceux qui, dans les adjudications

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de la propriété, de l'usufruit ou de la location des choses mobilières ou immobilières, d'une entreprise, d'une fourniture, d'une exploitation ou d'un service quelconque, auront entravé ou troublé la liberté des enchères ou des soumissions par voies de fait, violences ou menaces, soit avant, soit pendant les enchères ou les soumissions, seront punis d'un emprisonnement de quinze jours au moins, de trois mois au plus, et d'une amende de cent francs au moins et de cinq mille francs au plus. La même peine aura lieu contre ceux qui, par dons ou promesses, auront écarté les enchérisseurs. >>

Le premier point qu'il faut remarquer dans cette nouvelle rédaction, c'est qu'elle comprend toutes les espèces d'adjudications, quelle que soit la nature des choses mises en vente : nonseulement des domaines nationaux; mais des biens particuliers; non-seulement des immeubles, mais des choses mobilières, des entreprises, des fournitures, des services divers qui sont soumissionnés par la voie des enchères.

Lorsqu'une adjudication de cette nature a été troublée, trois conditions sont nécessaires pour que ce trouble constitue un délit punissable : la première est que la liberté des enchères ou des soumissions ait été entravée ou troublée; c'est cette entrave ou ce trouble qui forme le mal matériel du délit, mais il faut qu'il ait été de nature à porter atteinte à la liberté même de l'adjudication. La commission du corps législatif avait proposé de supprimer ces mots; cet amendement fut rejeté par le conseil d'État [1]. Il suit de là que la loi ne punit le trouble matériel qu'autant qu'il a pour but et pour effet d'entraver la liberté des enchères; ainsi le trouble qui n'aurait pas ce résultat spécial, et qui ne produirait qu'une suspension de l'opération, n'aurait pas le caractère exigé par la loi pour constituer le délit.

Une deuxième condition est que l'entrave ou le trouble soit le résultat de voies de fait, de violences ou de menaces. C'est dans ce moyen d'exécution que consiste l'immoralité du fait : les paroles, les exhortations, les cris, lors même qu'ils auraient pour résultat de troubler la liberté de l'enchère, ne suffiraient pas pour l'existence du délit. Les dons et les promesses même ne sont assimilés aux voies de fait que lorsqu'ils ont eu pour résultat d'écarter les enchérisseurs.

Enfin la loi limite l'incrimination aux troubles commis soit avant, soit pendant les enchères. Il est évident, en effet, que, les enchères terminées, la peine n'aurait plus de cause, puisque son seul but est de protéger leur liberté. Mais

[1] Procès-verbaux du conseil d'État, séance du 18 janv. 1810.

que faut-il entendre par les troubles commis avant les enchères? Si l'on s'en tenait aux mots dans l'adjudication qui commencent l'art. 412, on serait porté à décider qu'il faut entendre les troubles qui sont commis dans le cours de l'opération de l'adjudication. Mais l'article lui-même, par l'expression avant, démontre que ce n'est pas cette opinion que le législateur a voulu consacrer. En effet la liberté des enchères pourrait être entravée par des faits très-graves qui précéderaient l'adjudication; par exemple, si celui qui voudrait se rendre adjudicataire ou qui voudrait faire manquer l'adjudication, déterminait, par des dons, promesses ou menaces, plusieurs jours avant celui fixé pour la mise aux enchères, des individus à ne pas prendre part à l'adjudication, ou si la veille de cette adjudication il les retenait violemment, de sorte qu'à raison des distances, il ne leur fût plus possible d'arriver en temps utile, quoiqu'on leur laissàt entière liberté le jour de l'adjudication. Évidemment dans ces diverses hypothèses la loi doit être appliquée. Loin d'y répugner, le texte et l'esprit de l'art. 412 nécessitent cette solution.

Les éléments du délit prévu par l'art. 412 sont donc clairement établis il est nécessaire que la liberté de l'enchère ait été troublée, que ce trouble ait été causé par des voies de fait, des violences ou des menaces, qu'il ait été commis avant ou pendant l'adjudication. La réunion de ces circonstances constitue le fait puni par la loi. Mais à côté de cette incrimination l'art. 412 en place une autre qui n'est qu'une modification de la première. Il ajoute en effet : « La même peine aura lieu contre ceux qui, par dons ou promesses, auront écarté les enchérisseurs. >>

Dans le projet du Code pénal, cette disposition se trouvait confondue dans le corps même de l'article, lequel punissait alors toute entrave à la liberté des enchères, soit par dons ou promesses, soit par voies de fait, etc. La commission du corps législatif fit remarquer avec raison que des dons ou promesses n'entravent pas précisément la liberté des enchères, mais qu'ils entravent les enchères elles-mêmes; elle proposa, pour donner au texte une plus grande exactitude, de supprimer les mots la liberté; elle alléguait que cette modification ôterait tout prétexte d'éluder la peine, par le motif que les dons ou promesses n'auraient pas entravé ou troublé matériellement la liberté des enchérisseurs. Le conseil d'État n'admit pas cet amendement; mais, reconnaissant l'objection fondée, il divisa l'article en deux parties [1].

[1] Procès-verbaux du conseil d'État, séance du 18 janv. 1810.

Dans ces deux parties le délit est le même, il se produit dans les mêmes circonstances, avec le même but; il s'agit, dans l'un et l'autre cas, de soumettre le sort d'une adjudication à une influence illicite, d'entraver les enchères; mais les éléments qui le constituent sont différents.

Il n'est plus nécessaire que la liberté des enchères ait été matériellement troublée; il suffit que des enchérisseurs aient été écartés de l'adjudication. Cette manœuvre frauduleuse est placée sur la même ligne que le trouble matériel. Mais il faut que les enchérisseurs aient été écartés par dons ou par promesses; si le prévenu n'avait pas employé l'un de ces deux moyens, s'il s'était borné à exhorter les enchérisseurs à s'abstenir de prendre part à l'adjudication et de crier l'objet mis aux enchères, il n'y aurait aucun délit : le délit réside dans la violence ou dans la corruption employée pour entraver l'adjudication.

L'article 412 s'applique-t-il à la surenchère comme à l'enchère? L'adjudicataire sur saisie immobilière qui, par dons ou promesses, obtient que le surenchérisseur ne donne aucune suite à la surenchère, est-il passible des peines de cet article? On a dit pour la négative que, quoiqu'aux yeux de la morale ce fait soit répréhensible, il ne saurait attirer à son auteur une pénalité quelconque, à moins que la loi pénale ne l'ait spécialement prévu; que les termes de l'art. 412 n'appellent de pénalité que sur celui qui, avant ou pendant l'adjudication, a usé de violences ou de menaces, ou employé des dons ou promesses pour écarter les enchérisseurs; que cet article est muet sur ce qui se passe après l'adjudication, et relativement aux surenchères; que l'on doit penser dès lors que la loi n'a point porté sa prévoyance jusqu'à la surenchère; que d'ailleurs cette surenchère ne compromet pas les mêmes intérêts, et ne demande pas la même protection. La cour de Riom a répondu à ces objections, par arrêt du 17 décembre 1834: << que les dispositions de l'art. 412 sont générales et absolues; qu'elles embrassent non-seulement les premières adjudications faites à la chaleur des enchères, mais encore toutes celles qui peuvent être le résultat de l'exercice préalable d'une surenchère; que, d'une part, l'expression d'enchère employée dans cet article est un terme générique qui désigne à la fois l'offre qu'on fait au-dessus de celle d'un autre individu pour une chose vendue judiciairement au plus offrant, et l'enchère faite en sus du prix d'une vente ou d'une adjudication d'immeubles pour en provoquer la réitérative adjudication, ce qui constitue proprement la surenchère; que, d'autre part, on ne peut se méprendre sur le sens véritable de l'article, si l'on considère que les énonciations

qu'il renferme se rencontrent toutes en matière de surenchère; en effet, dans un tel cas, il y a nécessité du concours 1° d'une soumission préalable de porter ou faire porter le prix au taux fixé par la loi, selon la nature de la première aliénation; 2° d'enchères successives entre les individus légalement désignés; 3° enfin, d'une adjudication judiciaire et définitive pour désigner le véritable propriétaire de la chose vendue. » La cour de cassation a confirmé cette doctrine par les motifs : « que la surenchère par suite d'une saisie immobilière n'est que la continuation de la première enchère; que le but de l'art. 412 est de protéger les droits du débiteur saisi et de ses créanciers, en punissant ceux qui empêchent, par les moyens dont il parle, que les immeubles saisis arrivent à leur véritable valeur; que ce but n'est atteint que par l'effet des enchères et des surenchères librement faites, d'où il suit que les dispositions de cet article sont applicables aux surenchères aussi bien qu'aux enchères [1]. »

Cette jurisprudence doit-elle être suivie? En matière pénale, la loi doit être strictement renfermée dans ses termes, et il n'est jamais permis de l'appliquer par voie d'analogie à un cas qu'elle n'a pas prévu. Mais il nous paraît qu'ici les termes de la loi ne sont point restrictifs. La question ne peut s'élever qu'en ce qui concerne l'application du 2 § de l'art. 412. Or ce paragraphe | parle en général des enchérisseurs, sans distinguer entre eux; il est donc naturel de comprendre dans cette expression tous ceux qui enchérissent, et par conséquent l'auteur d'une surenchère aussi bien que celui d'une première enchère; l'un et l'autre sont des enchérisseurs, puisqu'ils mettent un plus haut prix à la chose soumise à la vente publique. La loi, dans tous les cas, ne repousse point une telle interprétation, et il est certain que, si elle n'est pas contraire à son texte, elle est conforme à son esprit, car l'intention du législateur a été de préserver les ventes et les soumissions publiques de toute influence illicite; or il serait assurément étrange que cette protection s'étendit sur les enchères seulement et non sur les surenchères, et que ces dernières pussent être impunément l'objet de la corruption elles ont un même but, celui de faire porter la chose mise en adjudication à sa véritable valeur, elles doivent donc trouver dans la loi la même protection.

Nous ferons remarquer d'ailleurs que les arrêts que nous venons de rapporter ont été rendus avant la loi du 2 juin 1841 sur les ventes judiciaires de biens immeubles, et que depuis cette

[1] Cass., 12 mars 1835.

nouvelle loi, tout le monde étant appelé à surenchérir et à enchérir après la surenchère, il ne peut plus s'élever aucun doute en ce qui concerne les enchères de ces biens.

Les personnes qui ont agréé les dons ou les promesses doivent-elles être considérées et punics comme complices? Il faut répondre négativement. Ces personnes n'ont commis aucun acte constitutif de la complicité; elles se sont seulement abstenues d'enchérir or rien ne les forçait de faire ces enchères; elles ont cédé à une influence illicite, mais elles n'ont commis aucun délit. Il en est autrement du fonctionnaire ou du témoin qui, par suite d'un fait de corruption, s'abstient d'un acte de ses fonctions ou déguise son témoignage; l'un et l'autre manquent à un devoir. Mais l'enchérisseur n'enfreint aucune obligation; aussi, la loi qui renferme des dispositions particulières pour le témoin et le fonctionnaire n'en contient point pour l'enchérisseur. Un autre motif est que celui-ci est le plus souvent le seul témoin.

Une dernière question se présente dans cette matière. Le décret du 7 messidor an 2 punissait de la peine des fers le fonctionnaire qui prenait part à ces manœuvres. Le Code de Sardaigne a maintenu ce principe d'aggravation à l'égard des officiers préposés pour les enchères. (Art. 417.) Cette distinction peut-elle être faite même sous l'empire de notre Code? La négative est évidente. L'art. 412 renferme une disposition générale applicable à tous les agents qui se sont rendus coupables du délit, quelle que soit leur position; mais, aux termes de l'art. 198, les officiers publics chargés de surveiller les enchères, et qui auraient abusé de leurs fonctions pour entraver leur liberté, seraient punis du maximum de la peine portée par la loi.

Le Code de Sardaigne porte, dans son article 410, que toutes conventions faites pour écarter les enchérisseurs sont nulles de plein droit, et que les adjudications qui auraient eu lieu au profit de ceux qui auraient pris part à ces conventions, pourront être annulées à la diligence des intéressés. Ces deux dispositions n'existent point dans notre législation; mais les points qu'elles décident se trouvent fixés par les règles générales du droit. Ainsi, d'une part, les conventions pour écarter les enchérisseurs, considérées comme illicites, ne pourraient avoir aucun effet; d'un autre côté, l'adjudication entachée de dol ou de fraude devrait être annulée, et la fraude résulterait sans aucun doute du seul fait d'avoir écarté des enchérisseurs par l'un des moyens que la loi a mis au nombre des délits [2].

[2] C'est ce qui a été déjà décidé par l'un des auteurs

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