Images de page
PDF
ePub

imprimés sans privilége pouvaient être réimpri- | més par tous les libraires.

Cette législation fut modifiée par les arrêts du conseil du 30 août 1777. Jusque-là toutes les lois avaient plutôt supposé la propriété des auteurs qu'elles ne l'avaient consacrée; les priviléges étaient des actes de faveur, et leur continuation une pure tolérance. Les arrêts de règlement consacrent la propriété à perpétuité des auteurs; mais la condition de cette propriété est qu'ils ne cèdent pas l'ouvrage, soit euxmêmes, soit leurs héritiers et ayants cause; s'ils se sont dessaisis de leurs priviléges par une cession, le fait de cette cession réduit le privilége à la durée de la vie de l'auteur. Si le privilége était accordé à un imprimeur ou à un libraire, il durait pendant toute la vie de l'auteur, ou, s'il 'était décédé, jusqu'au terme fixé par le privilége, terme qui ne pouvait être moindre de dix ans. A l'expiration des priviléges tous les ouvrages tombaient dans le domaine public. Les possesseurs ou cessionnaires des priviléges avaient le droit de plainte, de recherche et de saisie.

Telle fut la législation jusqu'aux décrets d'août 1789, qui abolirent tous les priviléges et proclamèrent la liberté de la presse. Les droits des auteurs demeurèrent sans protection et sans garantie, parce qu'on avait placé un droit sacré de propriété sous la protection d'une forme privilégiée; la loi du 19 juillet 1793 restreignit ces droits dans des bornes fort étroites, au lieu de les déclarer illimités comme tous les autres. Les art. 1, 2 et 7 de cette loi sont ainsi conçus « Art. 1o. Les auteurs d'écrits en tous genres, les compositeurs de musique, les peintres et dessinateurs qui feront graver des tableaux ou dessins, jouiront durant leur vie entière du droit exclusif de vendre, faire vendre, distribuer leurs ouvrages dans le territoire de la république, et d'en céder la propriété en tout ou en partie. Art. 2. Leurs héritiers ou cessionnaires jouiront du même droit durant l'espace de dix ans après la mort des auteurs. Art. 7. Les héritiers de l'auteur d'un ouvrage de littérature ou de gravure, ou de toute autre production de l'esprit ou du génie, qui appartient aux beauxarts, en auront la propriété exclusive pendant dix

années. >>

Le décret du 5 février 1810 renouvela et modifia en ces termes quelques-unes de ces dispositions : « Art. 39. Le droit de propriété est garanti à l'auteur et à sa veuve pendant leur vie, si les conventions matrimoniales de celle-ci lui en donnent le droit, et à leurs enfants pendant vingt ans.-Art. 40. Les auteurs, soit nationaux soit étrangers, de tout ouvrage imprimé ou gravé, peuvent céder leur droit à un imprimeur ou li

braire ou tout autre personne, qui est alors substituée en leur lieu et place, pour eux et leurs ayants cause. »

1

Il faut ajouter à ces dispositions le décret du germinal an 13, qui assimile les ouvrages posthumes aux ouvrages des auteurs vivants : « Les propriétaires par succession ou à un autre titre d'un ouvrage posthume ont les mêmes droits que l'auteur, et les dispositions des lois sur la propriété exclusive des auteurs et sur sa durée lui sont applicables, toutefois à la charge d'imprimer séparément les ouvrages posthumes, et sans les joindre à une nouvelle édition des ouvrages déjà publiés et devenus propriété publique; » l'art. 12 du décret du 8 juin 1806, qui applique la même disposition aux auteurs d'ouvrages dramatiques : « Les propriétaires d'ouvrages dramatiques posthumes ont les mêmes droits que l'auteur, et les dispositions sur la propriété des auteurs et sur sa durée lui sont applicables; » enfin le décret du 7 germinal an 13, concernant l'impression des livres d'église, des heures et prières : « Les livres d'église, les heures et prières, ne pourront être imprimés ou réimprimés que d'après la permission donnée par les évêques diocésains. Article 2. Les imprimeurs-libraires qui feraient imprimer, réimprimer des livres d'église, des heures ou prières, sans avoir obtenu cette permission, seront poursuivis conformément à la loi du 19 juillet 1793. »

Tels sont les lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, auxquels se réfère l'article 425, C. pén. [1].

Ces lois et ces règlements établissent les droits des auteurs sur leurs ouvrages. Nous n'avons à nous occuper ici ni de la nature ni de l'étendue de ces droits, ni des règles relatives à leur transmission; nous rechercherons seulement à quelles œuvres de l'esprit ils peuvent s'appliquer.

La loi étend en premier lieu sa garantie aux écrits de tout genre: ce sont les termes de l'article 1er de la loi du 19 juillet 1793. Le premier corollaire de cette règle est que tous les écrits, quels que soient leur valeur relative, leur inégal mérite, leur utilité différente, obtiennent la même protection, sont placés sur la même ligne. Un autre corollaire est que tous les écrits, même les plus humbles et les plus infimes, peuvent invoquer cette garantie.

Ainsi les compilations, lorsqu'elles sont faites avec des ouvrages qui appartiennent au domaine public, peuvent être l'objet d'une propriété pri

[1] V., pour la Belgique, la loi du 25 janv. 1817 et l'arrêté du gouvernement provisoire du 21 oct. 1830.

vée, si elles dénotent une conception de l'esprit, un labeur véritable, une création. Telle est la décision de la cour de cassation, fondée sur ce que « La loi du 19 juillet 1793 s'applique, d'après ses expressions littérales, aux auteurs d'écrits en tous genres; que si elle énonce particulièrement les ouvrages qui sont les fruits du génie, elle énonce aussi expressément les productions de l'esprit; qu'elle s'étend donc aux recueils, aux compilations et autres ouvrages de cette nature, lorsque ces ouvrages ont exigé dans leur exécution le discernement du goût, le choix de la science, le travail de l'esprit; lorsque en un mot, loin d'être la simple copie d'un ou de plusieurs autres ouvrages, ils ont été tout à la fois le produit de conceptions étrangères à l'auteur, et de conceptions qui lui ont été propres, et d'après lesquelles l'ouvrage a pris une forme nouvelle et un caractère nouveau [1]. »

La même distinction s'applique, ainsi que nous l'avons établi plus haut, aux abrégés, parce que l'abréviation d'un ouvrage peut, par la composition et l'ordonnance des matières, le choix et la nature des extraits, faire un acte de créa- | tion d'intelligence et d'industrie et constituer un droit de propriété [2].

Elle s'applique encore aux traductions [3]. Une traduction est l'œuvre du traducteur, son travail propre, la création de son esprit. Sans doute il n'a acquis aucun droit sur l'œuvre traduite; toute personne peut la traduire encore, de même que toute personne peut se servir des matériaux employés dans une compilation pour en faire une nouvelle sous un autre titre, et des livres d'une science pour les résumer dans un nouvel abrégé; mais nul ne peut copier la traduction même, parce qu'elle est la propriété privée du traducteur. Cette solution a été consacrée par la jurisprudence [4].

[ocr errors]

puyant sur le règlement du 30 août 1777, que les augmentations faites à un ouvrage n'attribuaient un droit de propriété qu'autant qu'elles étaient du quart de l'ouvrage [s], et cette décision a porté quelques arrêtistes à considérer comme une règle que les additions faites à un ouvrage qui appartient au domaine public, lorsqu'elles n'excèdent pas le quart de cet ouvrage, suivent le sort de la production principale [6]. Renouard a très-bien réfuté cette doctrine [7]. Le règlement du 30 août 1777 ne prévoyait que le cas où un libraire voulait à l'expiration d'un privilége en obtenir la continuation : l'augmentation du quart était exigée pour que cette nouvelle concession eût lieu. Il s'agissait, par conséquent, non pas seulement d'un privilége sur les additions et sur les commentaires, mais sur l'ouvrage lui-même; il est donc impossible d'appliquer cette disposition, d'ailleurs aujourd'hui tombée en désuétude avec la législation ancienne, aux annotations mêmes. Et quel serait le motif d'une telle exception aux droits des auteurs sur les écrits de tous genres? Dès que les notes et les additions sont distinctes du texte primitif, pourquoi ne seraient-elles pas, comme toute espèce d'écrits, l'objet d'une propriété particulière? Quelle serait l'origine d'une exception inutile, lorsque les deux parties ne sont pas indivisibles? Des travaux fort utiles ont été donnés à la science sous la forme de notes ou d'additions. La science du droit en offre des exemples [8]. Il serait aussi injuste qu'étrange de déshériter ces consciencieux annotateurs du prix de leurs utiles labeurs, par la seule raison qu'ils ont choisi une forme plutôt qu'une autre, et qu'ils se sont attachés à éclairer des textes déjà consacrés par l'estime publique, plutôt qu'à créer une œuvre distincte.

La jurisprudence a étendu encore la garantie légale : 1° à des tableaux synoptiques lorsqu'ils sont servilement copiés [9]; 2° à de simples notices, explications, lorsqu'elles renferment des notions assez importantes pour devenir la matière d'une propriété; 3° aux articles publiés dans les journaux, lorsque leur reproduction n'est pas un de ces emprunts faits à charge de réciprocité et que l'usage a consacrés; mais qu'elle a pour objet une spéculation domma

La garantie s'étend également aux commentaires, notes et additions qui accompagnent le texte d'un livre tombé dans le domaine public, lorsque ces travaux constituent une véritable production de l'esprit et ajoutent par leur utilité au prix de l'ouvrage auquel ils s'appliquent. Ils ne donnent évidemment aucun droit sur l'ouvrage annoté ou commenté; mais ils forment par eux-mêmes un ouvrage susceptible d'un droit exclusif. La cour de cassation avait jugé, en s'ap-geable [10]; 4° aux titres mêmes des ouvrages;

[1] Cass., 2 déc. 1814,

[2] Jugem, du trib. de la Seine, 22 mars 1854. (Gazelle des Tribunaux du 23.)

[3] V. la loi belge du 25 janv. 1817, art. 2.

[4] Cass., 25 juill. 1824. (Dalloz, Jurisp. gen., vo Propriété littéraire, p. 469.) Paris, 14 janv. 1830.

[5] Cass., 23 oct. 1806. (Rép., vo Contrefaçon, § 11.)

[6] Dalloz et Favard de Langlade (vo Propr. littéraire). [7] Traité des droits d'auteurs, t. 2, p. 102.

[8] Le Rép. de Guyot, qui a pris le titre de Rép. de Merlin.

[9] Paris, 22 mars 1830 et 21 déc. 1831. (Gaz, des Trib. des 23 mars 1830 et 23 déc. 1831.)

[10] Paris, 25 nov. 1836.

toutefois une distinction est nécessaire ou le | titre par son indivision, par sa spécialité, peut être l'objet d'une propriété exclusive pour celui qui l'a créé, ou ce titre ne fait qu'appliquer à l'ouvrage une expression généralement consacrée pour désigner une branche particulière des connaissances humaines, des études, des lois ou des sciences. Dans le premier cas, le titre est une création de l'esprit, il fait partie de l'œuvre; l'usurper, c'est usurper une partie de cette œuvre. Dans le second cas, le titre n'est point une création, il n'est pas susceptible d'une propriété privée [1].

Toutefois, il y a des actes qui ne peuvent être l'objet d'aucune propriété et qui tombent immédiatement dans le domaine public. Tels sont les lois et les règlements, les arrêts et les jugements, les arrêtés et les circulaires, les instructions, les lettres officielles et autres actes de l'autorité publique. Tels sont encore les comptes rendus, rapports, exposés des motifs des lois, avis officiels. Ces actes appartiennent à tous les citoyens et peuvent être publiés par tous. Emanés des dépositaires de l'autorité publique, ces fonctionnaires ne les créent que pour accomplir les devoirs qui leur sont imposés par la loi; ils ne peuvent donc prétendre aucune propriété sur ces actes [2].

Les évêques ont-ils un droit de propriété sur les livres religieux publiés dans leurs diocèses, tels que les mandements et catéchismes, les instructions, livres d'église, heures et bréviaires? Il faut distinguer le droit de propriété qui appartient aux évêques sur les ouvrages dont ils sont les auteurs, et le droit de censure que le décret du 7 germinal an 13 leur a conféré sur les livres d'église publiés dans leur diocèse.

Les droits des évêques sur les livres qu'ils ont eux-mêmes composés sont les mêmes que ceux des autres écrivains; ces livres ne sont qu'un devoir facultatif de leurs fonctions, et la propriété leur en appartient. Telle est aussi la décision de la cour de cassation, fondée sur ce que : « la loi de 1793, assurant aux auteurs d'écrits en tout genre le droit exclusif de disposer de leurs ouvrages et d'en céder la propriété, et prohibant toute édition imprimée sans la permission des auteurs, on ne peut, sans violer cette loi,

con

[1] Cass., 18 flor, an 12. (Merlin, Propriété littéraire, quest. 81.)

tester à un évêque le droit de disposer de son ouvrage, et maintenir une édition faite sans son consentement; que c'est à tort qu'on voudrait trouver dans l'art. 5 des articles organiques de la convention du 26 messidor an 9 une exception à cette règle générale; que cet article, en déclarant que toutes les fonctions ecclésiastiques sont gratuites, sauf les oblations qui seraient autorisées par les règlements, n'a fait qu'exécuter un principe qui a toujours été reconnu et exécuté en France, mais que cette règle n'impose pas aux ecclésiastiques l'obligation de faire imprimer à leurs frais leurs ouvrages, et ne leur défend pas de choisir un imprimeur et de lui conférer le droit exclusif de les vendre [3].

Ont-ils le même droit sur les livres d'église publiés dans leur diocèse, et dont le décret du 7 germinal an 15 leur attribue la surveillance et l'application? Cette question a été fort controversée. Un avis du conseil d'État du 15 juin 1809 décida que le décret du 7 germinal an 13 n'avait point entendu donner aux évêques le droit d'accorder un privilége exclusif à l'effet d'imprimer ou de réimprimer les livres d'église, d'heures et de prières [4]. Deux arrêts de la cour de cassation des 30 avril 1823 et 23 juillet 1830 ont, au contraire, consacré le privilége des évêques; le dernier de ces arrêts porte: « que d'après les articles 1 et 2 du décret du 7 germinal an 13, les imprimeurs et libraires qui feraient imprimer ou réimprimer des livres d'église, heures ou prières, sans en avoir obtenu la permission écrite de l'évêque diocésain, doivent être poursuivis conformément à la loi du 19 juillet 1793; que les individus contre lesquels les art. 3 et suivants de cette loi autorisent des poursuites et prononcent des peines, sont ceux qui impriment des ouvrages sans la permission formelle et par écrit des auteurs; que, par conséquent, c'est dans cette même catégorie que le décret du 7 germinal an 13 place, sous le rapport de la poursuite et de la pénalité, l'impression ou la réimpression des livres d'église sans la permission des évêques, auxquels ce décret donne véritablement un droit de propriété sur cette sorte d'ouvrages [5]. » Mais cette jurisprudence ne s'est point maintenue, et la cour de cassation, par un nou vel arrêt, a décidé : « que le décret du 7 germi

tion, une correction et disposition musicale particulière. Il faudrait, en tout cas, pour être en droit de s'en pré

[2] V. décret 6 juill. 1810, ord. 12 janv. 1820, et Re- | valoir, que les formalités imposées par la loi du 25 janv. nouard, t. 2, p. 133 et suiv.

Les livres d'église appartiennent au domaine public. Un manuel de plain-chant est regardé comme tel. Le droit de propriété ne serait pas acquis sur un semblable ouvrage, par cela qu'on lui aurait donné une distribu

1817, art. 7, eussent été remplies. (Liége, 15 fév. 1827. V. Favard, t. 4, p. 629.)

[3] Cass., 29 therm. an 12. (Pasicrisie); 30 avril 1825. [4] Sirey, 1817, 2, 183.

[5] Cass., 23 juill. 1830. (Bull., no 194.)

nal an 13, en disposant que les livres d'église, | il donc distinguer s'il a fixé ou non son discours heures et prières, ne pouvaient être imprimés ni par écrit pour lui en reconnaître ou lui en refuréimprimés sans la permission de l'évêque dio- ser la propriété? Nous n'hésitons pas à poser en césain, n'a pas conféré aux évêques la propriété principe, et nous sommes ici d'accord avec les de ces livres; qu'il n'a fait qu'établir, dans l'in- auteurs et la jurisprudence [4], que les paroles, térêt des doctrines religieuses et de leur unité, soit qu'on les considère comme réalisables en un droit de haute censure épiscopale, duquel ré- écrits, soit comme une production distincte de sulte pour les évêques le droit de porter plainte, l'esprit, sont protégées par la loi, et que leur et pour le ministère public le droit et le devoir reproduction, quand elle est accompagnée des de poursuivre, même d'office, les imprimeurs qui autres conditions légales, peut constituer le délit contreviendraient à sa disposition [1]; qu'il suit de contrefaçon. de là que les évêques ou les imprimeurs auxquels ils ont accordé la permission d'imprimer ou de réimprimer les livres de cette nature, sont sans qualité pour intenter l'action résultant de la loi du 19 juillet 1793, et des art. 425, 427 et 429 du Code pénal [2]. »

La doctrine consacrée par ce dernier arrêt a été complétement adoptée par la jurisprudence [3], et il est aujourd'hui hors de toute contestation que les évêques ne peuvent réclamer aucun droit d'auteur sur les livres d'église, d'heures et de prières qui s'impriment dans leurs diocèses, et que le décret du 7 germinal an 12 n'a eu d'autre but que de leur assurer dans l'intérêt de la pureté de la foi catholique et de l'unité de la liturgie, l'exercice d'une censure qui se manifeste par un refus d'approbation.

Il est toutefois des discours qui ne sont pas susceptibles de propriété. Tels sont les discours prononcés dans les assemblées législatives; ces discours appartiennent au pays tout entier, et la presse a le droit illimité de les reproduire, Tels sont aussi les plaidoiries et les réquisitoires; ils participent de la publicité des audiences et des jugements. Tels sont enfin tous les discours prononcés, soit dans des circonstances solennelles, soit dans des réunions publiques. Mais si ces discours peuvent être reproduits par la presse, est-il également permis de publier un recueil des harangues, des plaidoiries de tel orateur, de tel avocat, sans son assentiment? Renouard répond affirmativement dès que les discours de la tribune et du barreau, considérés isolément, tombent dans le domaine public; il paraît, en

La loi punit toute édition d'écrits faite au mé-effet, d'une logique rigoureuse, d'attribuer au pris des droits des auteurs; faut-il comprendre dans ces termes l'édition d'un discours, d'une leçon orale, d'une plaidoirie? Nous n'élevons à cet égard aucun doute: ce n'est pas l'impression qui attribue à l'auteur la propriété de sa pensée; dès qu'il l'a publiquement formulée, elle lui appartient, et il a le droit exclusif de la reproduire. Qu'importe qu'il l'ait formulée par l'écriture ou par la parole? Comment la propriété de la pensée pourrait-elle dépendre du mode de son expression? D'ailleurs l'art. 425 punit la contrefaçon non-seulement de tous écrits, mais de toute production. Or, un discours dès qu'il est préparé, dès qu'il est le fruit d'un travail quelconque, est évidemment une production de l'esprit; et comment n'appliquerait-on pas cette expression à des œuvres souvent prodigieuses qui conquièrent plus que toutes les autres l'admiration des hommes en exerçant sur eux la plus haute puissance? Et quel motif alléguer pour déshériter l'orateur de ses travaux, des fruits de son génie? faudrait

même domaine ces discours pris collectivement. « Sans doute, dit cet auteur, dans une telle collection, la personnalité de l'orateur apparaît dans toute sa force. Mais c'est pour le service de tous et pour accomplir un devoir public qu'elle s'est ainsi manifestée. La réimpression des discours qui, par leur destination, appartiennent à la publicité et à la nation tout entière, ne dépouille ni l'orateur ni ses héritiers d'aucun fruit de son travail sur lequel soit lui soit les siens aient jamais eu à spéculer. Ce n'a pas été pour tirer un profit pécuniaire de ses travaux d'écrivain que l'orateur a été envoyé à la tribune [5]. » Pardessus avait émis, sur le même point, une opinion différente: « Il y a, dit-il, un cas où chacun est libre d'imprimer les discours ou autres travaux des fonctionnaires, c'est lorsque cette publication se confond elle-même dans celle des actes de l'autorité publique que chacun a le droit d'imprimer. On doit appliquer alors la règle que l'accessoire suit le principal. Mais cette faculté

[1] Renouard blame ce considéraut de l'arrêt; il pense que le décret du germinal an 12 a été implicitement abrogé par la charte, qui a aboli tonte censure, et que la publication d'un livre d'église sans approbation n'est susceptible d'aucune poursuite. (Traité des droits d'auteurs,

t. 2, p. 160.) C'ette question est étrangère à notre sujet. [2] Cass., 28 mai 1836.

[3] Cass., 11 fév. 1839. (Pasicrisië.)

[4] Renouard, t. 2, p. 130, et Gastambide, no 23.
[5] T. 2, p.
143.

[ocr errors]

un arrêt; aucune œuvre publique ne s'y vient identifier, et le but de l'enseignement est accompli lorsque chaque personne admise à l'entendre a emporté avec elle l'impression qu'elle a éprouvée, l'exemple qui lui a été donné, l'instruction qui lui a été communiquée, les notes qu'elle a recueillies [2]. » La cour royale de Paris a confirmé plusieurs fois cette doctrine, et ses arrêts portent également : « que sans doute un professeur doit à ses élèves, dans son cours, le tribut de ses études, de ses travaux, de ses méditations; mais qu'il ne le leur doit que pour leur instruction personnelle, et non pour qu'ils puissent s'en emparer et les publier en corps d'ouvrages pour en recueillir le bénéfice pécuniaire; que ces leçons, envisagées sous cet aspect, sont la propriété du professeur, le fruit de ses veilles, de ses recherches, de ses réflexions, de son génie, et que nul n'a le droit de s'en emparer et de les publier contre sa volonté [3]. »

n'irait pas jusqu'à pouvoir publier et débiter le recueil des rapports ou discours qu'un orateur aurait prononcés dans les diverses époques de sa vie politique [1]. » Nous adoptons cette distinction. Les discours prononcés à l'occasion d'une loi, d'un procès, d'un événement quelconque, se confondent avec cet événement, ils ne peuvent en être détachés; ils appartiennent au public, ils appartiennent à la science ou à l'histoire, ils participent de la publicité des actes ou des faits auxquels ils se rattachent. Mais réunir tous les discours d'un orateur et en former une collection, ce n'est plus examiner ou discuter des actes ou des faits publics, c'est édifier l'œuvre d'un homme pour juger l'homme lui-même; l'éditeur n'est plus conduit par un but d'utilité générale, mais par une pensée de spéculation privée. Sous ce double rapport, cette œuvre collective sort du domaine public. Lorsqu'il s'agit non plus d'éclairer les actes, mais l'homme même; non plus de corriger des documents historiques, mais de mettre en lumière la vie d'un citoyen, la publicité des discours ne peut plus être invoquée, car l'intérêt général cesse dans ce cas pour faire place à l'intérêt particulier. Si la collection des discours d'un membre de la législature ou du barreau peut faire l'objet d'une propriété privée, cette propriété doit appartenir à l'orateur luimême. D'ailleurs l'orateur en prononçant un dis-production en prenne l'ensemble ou seulement cours a consenti à ce que chacun pût le reproduire au moment où il venait de le prononcer. Cet orateur peut se refuser à ce qu'on place son nom dans le titre d'un livre à la publication duquel il n'a pas consenti.

:

Les mêmes questions se présentent à l'égard des leçons publiques des professeurs chacun peut en rendre compte, c'est une conséquence nécessaire de la publicité des cours; mais nul ne peut en publier la suite et la collection, elles sont la propriété exclusive des professeurs. En effet, un professeur ne doit à ses élèves que sa leçon orale, que l'enseignement de sa parole; il ne leur doit pas la publicité de cette leçon par la voie de l'impression. Vainement on objecterait que le professeur étant salarié pour donner des leçons, ces leçons ne lui appartiennent pas, qu'elles appartiennent au public pour qui la chaire a été instituée. « Un salaire, répond avec justesse Renouard, n'est promis qu'à son enseignement et à sa parole; ce qui reste, après cette parole émise, lui demeure propre. Il n'en est pas de la leçon comme du discours qui a préparé une loi, comme du plaidoyer qui a préparé

[1] Cours de droit commercial, no 165.
[2] Traité des droits d'auteurs, t. 2, p. 145.

Après les écrits, l'art. 425 mentionne parmi les objets auxquels s'étend la garantie légale, les compositions musicales. Les mêmes règles que nous avons appliquées aux écrits s'appliquent à ces compositions. Ainsi on doit reconnaître, d'après ces règles, que la garantie doit s'étendre à toutes les compositions musicales, quelque faible que soit leur importance, et soit que la re

quelques parties détachées; mais toutefois cette garantie doit se limiter aux compositions qui supposent un travail de l'intelligence, qui constituent une création de l'esprit; elle doit se limiter également aux compositions dont la reproduction totale ou partielle peut apporter un véritable préjudice à leurs auteurs.

L'art. 425 comprend ensuite dans son énumération les arts du dessin et de la peinture. La garantie s'étend comme à l'égard des écrits et des compositions musicales aux dessins de tous genres [4]. Ainsi la plus faible esquisse est protégée par la loi, pourvu qu'elle soit une œuvre originale, un travail de l'esprit, une création de l'art. Il est évident toutefois qu'il faut distinguer si l'artiste inculpé de contrefaçon n'a fait que traiter le même sujet, sans imiter le premier dessin, ou si son dessin au contraire n'est qu'une servile imitation de celui-ci il ne peut y avoir de contrefaçon que dans ce dernier cas; car la contrefaçon suppose la reproduction, c'est-àdire la copie ou l'imitation servile de l'œuvre originale.

Une question grave s'est élevée relativement

[3] Paris, 27 août 1828 et 30 juin 1836. (Gax, des Trib. des 28 août 1828 et 1er juill. 1836.)

[4] . la loi belge du 25 janv. 1817, art, 1 et 4.

« PrécédentContinuer »