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aux arts du dessin : c'est de savoir si le fait de | arts, dit Renouard, diffèrent trop essentielletraduire une œuvre d'art en employant les pro- ment, soit dans leurs résultats matériels, soit cédés d'un art différent est une contrefaçon. Il dans leurs effets artistiques, soit dans la nécesserait difficile de donner à cette question une sité de leur composition, soit dans le talent solution générale et précise, les hésitations de la d'exécution qu'ils exigent, pour qu'ils puissent jurisprudence l'ont suffisamment attesté. Cepen- se nuire l'un à l'autre, ni commercialement, ni dant, si l'on s'appuie sur les principes que nous intellectuellement [1]. » On doit ajouter que la avons posés, il est certain que ce n'est pas la reproduction d'un dessin par la sculpture, ou pensée même de l'auteur, le sujet qu'il a traité, d'une statue par le dessin, est un travail de l'esque la loi a voulu protéger; mais le mode d'exé- prit, une composition artistique, et que cette cution de ce sujet, l'application qu'il en a faite, création, œuvre d'un talent différent, suffit pour le livre, le tableau, la statue, dans lesquels il a donner à l'artiste la propriété de cette œuvre. exprimé cette pensée. Il l'a publiée en adoptant La diversité des moyens d'exécution d'une pentel ou tel mode d'exploitation; la loi protége son sée originairement la même, fait naître deux ouvrage, elle lui garantit son exploitation; mais droits distincts, celui du peintre et celui du stala pensée, une fois publiée, appartient à tous les tuaire, et ces droits peuvent coexister sans se esprits qui la recueillent, la méditent, et en ten- nuire. La cour de Paris a jugé conformément à tent des applications nouvelles; ces applications cette opinion: « que le droit des peintres ne ne sont pas en général des reproductions qui peut être étendu à la reproduction de leurs oupeuvent constituer une contrefaçon. La loi tou- vrages au moyen d'un art essentiellement distefois a prévu et prohibé un mode de reproduc- tinct dans ses procédés comme dans ses résultats; tion qui s'opère par d'autres moyens que ceux que le droit de propriété d'un tableau ne s'étend employés pour produire l'œuvre originale: c'est point jusqu'à celui d'empêcher l'imitation ou la la reproduction d'un dessin ou d'une peinture reproduction de la composition par les procédés par la gravure. Mais lors même que cette indi- d'un art essentiellement distinct [2]. » cation serait démonstrative et non limitative, le graveur ne reproduit pas la pensée, il copie servilement le mode d'expression de cette pensée, le dessin; il place à côté de l'œuvre originale une œuvre parfaitement identique; enfin il emploie pour sa reproduction un art analogue à l'art du dessin, et dont les effets sont les mêmes. Il existe donc dans ce cas, entre les deux ouvrages, une véritable rivalité qui doit opérer la contrefaçon. Mais quelle induction peut-on tirer de cette disposition? C'est que la reproduction par un art parfaitement analogue à l'art qui a créé l'œuvre originale, peut constituer le délit. Ainsi, | il ne serait point douteux que la reproduction faite par les moyens de la lithographie, de la lithochromie, d'un dessin ou d'un tableau, ne fût une contrefaçon; si les procédés diffèrent, les effets sont les mêmes, et la destination identique des ouvrages amène un préjudice presque

certain.

Mais il n'en est plus ainsi, quand les procédés non-seulement s'éloignent de plus en plus, mais amènent des résultats essentiellement distincts. Supposons, par exemple, qu'un sculpteur reproduise par le marbre le sujet d'un tableau, ou qu'un peintre porte sur la toile le groupe du statuaire. Cette reproduction pourra-t-elle être incriminée? Il faut répondre négativement: « Ces

[1] T. 2, p. 89.

[2] Paris, 3 déc. 1831. (Sirey, 1832, 2, 282.)

La même solution doit être étendue au cas où les procédés employés pour la reproduction, bien qu'essentiellement distincts, amènent une copie servile, si d'ailleurs les deux ouvrages ont une destination complétement différente. Cette question souvent débattue s'est principalement élevée au sujet de la reproduction, sur des papiers peints destinés à des tentures, de divers tableaux ou dessins. La cour de Paris a jugé : « que l'usage et le commerce mettent une grande différence entre l'estampe et le papier peint ; ce qui détruit toute idée qu'on aurait pu supposer au fabricant de papier celle de mettre dans la concurrence du commerce son papier peint, pour porter préjudice à l'estampe, seul et unique caractère distinctif de la contrefaçon que le législateur ait entendu punir; que l'imitation du sujet d'une gravure ne constitue pas le délit de contrefaçon; que le droit de celui qui imite par d'autres procédés que ceux employés par l'inventeur tient à l'art, au talent, au droit naturel, et est de l'essence universelle du commerce; que l'invention dans le mode d'exécution, incompatible avec la fraude, détruit toute idée de contrefaçon [3]. » Cette décision nous paraît fondée en droit. La grossière imitation des papiers peints ne peut être considérée comme une reproduction des œuvres de l'art. Les procédés de

[3] Jugement du trib. crim. de la Seine, du 14 niv. an 11, rendu sur la plaidoirie de Lépidor et resté inédit.

cette industrie diffèrent essentiellement des procédés de la gravure ou de la peinture, et ses résultats incorrects ne sont qu'une incomplète ébauche des œuvres de ces arts; et puis la destination qu'elle donne à ses produits est tout à fait distincte; ils n'ont point pour but de satisfaire, comme les produits du burin ou du pinceau, au besoin du goût et de l'intelligence; ils ne créent donc pas aux beaux-arts une concurrence réelle; ils ne peuvent donc causer l'espèce de préjudice qui seul peut donner lieu, comme nous allons l'établir, à l'action en contrefaçon. Les éléments du délit ne nous semblent donc pas se retrouver dans cette sorte de reproduction.

Nous venons d'énumérer quelques-uns des ouvrages auxquels s'appliquent les droits des auteurs, et nous avons cherché à préciser la règle dans laquelle il faut puiser l'étendue et les limites de ces droits. C'est aux auteurs que lèsent les contrefaçons, c'est à leurs héritiers et à leurs cessionnaires, qu'il appartient de porter plainte et d'exercer des poursuites. Mais une question grave s'élève ici Ce droit de plainte existe-t-il indépendamment de toute formalité? Est-il subordonné à la formalité préalable du dépôt [1]?

L'art. 4 de la loi du 19 juillet 1793 dispose que « Tout citoyen qui mettra au jour un ouvrage soit de littérature ou de gravure, dans quelque genre que ce soit, sera obligé d'en déposer deux exemplaires à la bibliothèque nationale, ou au cabinet des estampes de la république, dont il recevra un reçu signé du bibliothécaire; faute de quoi, il ne pourra être admis en justice pour la poursuite du contrefacteur [2]. | Est-ce là une simple fin de non-recevoir qui suspend seulement la poursuite? ou l'inexécution de cette condition au moment même de la publication entraîne-t-elle la destruction du droit? Cette dernière interprétation s'appuyerait sur ce que l'auteur, en ne remplissant pas cette condition, doit être présumé avoir fait abandon de sa propriété au profit du public; d'où il suit qu'au jour même de la publication, sans dépôt préa

[1] Les tribunaux correctionnels sont, d'après la loi du 25 janv. 1817, compétents pour connaître des actions résultant de la violation du droit de copie. Il ne peut exister de délit de contrefaçon si toutes les conditions prescrites par l'art. 6 de la loi n'ont pas été remplies au moment de la publication de l'ouvrage. (Brux., 6 déc. 1828, 8 nov. et 16 août 1837; J. de Brux., 1828, 2, 127 et 1858, p. 178.) La formalité de l'indication de l'époque de la publication est exigée pour les estampes comme pour les ouvrages littéraires. (Brux., 16 août 1857, ib. V. la note suivante.)

[2] L'éditeur de tout ouvrage de littérature ou d'art

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une

lable, l'ouvrage doit être considéré comme acquis au domaine public, et que tout dépôt ultérieur ne saurait rétroagir contre cette transmission [3]. Nous ne pensons pas qu'une simple présomption suffise pour dépouiller un auteur de son droit de propriété. Le dépôt, ainsi que le remarque Renouard [4], est à la fois une mesure de police et une mesure littéraire mesure de police pour faciliter l'examen des ouvrages publics et la répression des délits; une mesure littéraire pour enrichir la bibliothèque nationale de toutes les productions de l'intelligence et en propager la communication. Or, l'omission de ce dépôt est une négligence, et peut être punie comme une contravention; mais on ne saurait en induire un abandon du droit de propriété, car un tel abandon ne se présume pas, il se prouve. A la vérité, la loi a voulu imposer à l'auteur, comme une peine de sa négligence, une fin de non-recevoir contre l'action qu'il veut intenter contre un contrefacteur: mais si cette fin de non-recevoir suspend l'action, elle n'atteint pas le droit; la loi refuse d'admettre le plaignant à poursuivre, elle ne va pas plus loin et elle ne peut être étendue au delà de ses termes. Ainsi le dépôt, lors même qu'il serait postérieur à la contrefaçon, validerait la poursuite, car le droit n'est point anéanti, et la condition légale se trouverait remplie [5].

Mais quelles sont les formes de ce dépôt? L'art. 4 de la loi du 19 juillet 1793 prescrit le dépôt de deux exemplaires à la bibliothèque nationale, et met cette formalité à la charge de l'auteur. L'art. 48 du décret du 5 février 1810 dispose que chaque imprimeur sera tenu de déposer à la préfecture cinq exemplaires, dont un pour la bibliothèque impériale. L'art. 14 de la loi du 21 octobre 1814 renouvelle cette obligation de l'imprimeur, et l'art. 16 punit toute infraction d'une amende de mille francs. L'art. 4 de l'ordonnance du 24 octobre 1814 répète que l'un de ces cinq exemplaires est destiné à la bibliothèque royale. Enfin l'ordonnance du 9 janvier 1828 réduit le nombre des exemplaires dont

doit, pour pouvoir réclamer le droit de copie, déposer les trois exemplaires entre les mains de l'administration communale de son domicile, sans qu'il puisse suffire que le dépôt soit fait à une autre administration communale. (Brux., 28 juin 1832. Jur. de Brux., 1852, 2, 45; Jur. du 19e s., 1832, 3, 236. V. Contrefaçon.)

[3] V., dans ce sens, Gastambide, Traité des contrefaçons, no 124.

[4] T. 2, p. 394.

[5] Paris, 8 fruct. an 11. (Dalloz, vo Propriété littéraire,

p. 480.)

Il résulte de cet arrêt, qui est considéré aujourd'hui comme la règle de la matière, que les auteurs n'ont plus à redouter qu'une fin de nonrecevoir formée sur l'omission de la formalité du dépôt vienne paralyser leur action, puisque cette formalité, qui se remplit à la direction de la librairie à Paris, et au secrétariat des préfectures dans les départements, est imposée non plus à l'auteur mais à l'imprimeur, et que ce dernier encourrait, en cas de récidive, une amende de mille francs.

Après avoir rappelé les lois et règlements qui établissent les droits des auteurs et les limites ainsi que les conditions de ces droits, il nous reste à déduire de ces dispositions une conséquence qui forme la règle de notre matière.

le dépôt est ordonné, à un seul exemplaire et à une seule épreuve, outre l'exemplaire et les deux épreuves destinés à la bibliothèque royale. Ces différents textes ont fait naître cette question: Si le dépôt ordonné par la loi du 19 juillet 1793 est indépendant du dépôt ordonné par les lois et les ordonnances postérieures, ou si, au contraire, la disposition de cette loi se confond avec les dispositions suivantes qui l'ont modifiée. La jurisprudence a hésité sur ce point. La cour de Besançon avait pensé que les deux formalités imposées, l'une à l'auteur, l'autre à Il est sans doute inutile de faire observer, en l'imprimeur, avaient un but différent et ne terminant sur ce point, que la loi du 19 juillet pourraient se confondre; que l'imprimeur n'avait 1793 ne prescrit l'obligation du dépôt qu'aux ni mandat ni caractère pour opérer le dépôt au auteurs des ouvrages imprimés ou gravés. Il rénom de l'auteur et le représenter; enfin, que sulte de cette restriction indiquée d'ailleurs par l'art. 6 de la loi du 19 juillet 1793 n'avait été la nature même des choses, que la propriété expressément abrogé par aucune loi. La cour de soit d'un manuscrit, soit d'une pièce de théâtre, cassation rejeta le pourvoi formé contre ces ar- soit d'un discours, soit d'un ouvrage de sculprêts : « Attendu que le décret du 5 février 1810 ture, se conserve indépendamment de tout déet la loi du 21 octobre 1814 n'ont point abrogé | pôt [3]. l'art. 6 de la loi du 19 juillet 1793; d'où il suit qu'en décidant que l'auteur qui ne justifie pas avoir fait à la bibliothèque royale le dépôt que cet article exige, est non recevable dans son action contre les contrefacteurs, l'arrêt attaqué n'a fait que se conformer à cet article [1]. » Mais la question s'est représentée, et la même cour revenant sur cette première décision a déclaré : «Que si l'art. 6 de la loi de 1793, qui assure la propriété à la charge du dépôt de deux exemplaires à la bibliothèque nationale, continue de subsister quant à l'application de la déchéance de cette propriété faute du dépôt, la quotité du nombre d'exemplaires à déposer a été modifiée par le décret de 1810, par la loi de 1814, et par le règlement d'administration publique du 9 janvier 1828, qui ont substitué la formalité du dépôt à la direction de la librairie à Paris et au secrétariat de préfecture dans les départements, à celle du dépôt direct à la bibliothèque royale, et qui ont réduit à un exemplaire par chaque édition le dépôt unique et facultatif de deux exemplaires établi par la loi de 1793; que Elle a donc limité le droit aux avantages maces lois et règlements ont rendu l'imprimeur tériels qui peuvent en résulter; elle n'a vu que l'intermédiaire naturel et légal de l'auteur ou le profit que ces ouvrages peuvent procurer; elle de l'éditeur, auquel l'art. 6 de la loi de 1793 a voulu en garantir la libre perception : aussi, avait imposé la condition qui continue de sub- quel est le fait qui, à ses yeux, constitue la consister, sauf la réduction du nombre; d'où il suit trefaçon ? c'est la fabrication d'une édition conque, pour conserver aux auteurs ou à leurs ces-trefaite. L'art. 3 de la loi du 19 juillet 1793 sionnaires la propriété littéraire, il suffit que les formalités établies par les lois et règlements de 1810, 1814 et 1828, aient été accomplies [2]. »

[1] Cass., 30 janv. 1832. [2] Cass., 1 mars 1834.

Nous venons d'établir que la contrefaçon est une atteinte portée aux droits des auteurs; l'article 425 la définit, en effet, une édition faite au mépris des lois et règlements relatifs à leur propriété. Le délit se compose donc du préjudice causé par la reproduction de l'ouvrage et des droits de propriété; c'est donc uniquement de cette espèce de préjudice que la loi a fait l'élément du délit. Toute autre lésion, si elle n'avait pas cet effet spécial, si elle ne produisait pas ce préjudice particulier, ne pourrait motiver aucune poursuite. Cette règle, quoiqu'elle ne soit que le corollaire de tout ce qui précède, exige quelques développements.

Quel est le droit que la loi du 19 juillet 1793 accorde aux auteurs? C'est le droit exclusif de vendre, faire vendre et distribuer leurs ouvrages.

ordonne également la confiscation de tous les exemplaires des éditions saisies; c'est donc, dans l'esprit de la loi, la fabrication d'une édition faite en regard de l'édition originale, la

[3] V. cass., 17 nov. 1814; Paris, 27 août 1828 et 18 février 1836.

substitution d'une édition frauduleuse et mensongère à la première, qui constitue la lésion, parce qu'elle établit une concurrence au droit exclusif de vendre ou de faire vendre.

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La pensée du législateur a tellement été de restreindre la poursuite au cas où les droits de propriété de l'auteur ont été lésés, que l'art. 429 | du Code pénal ajoute : « que, dans les cas prévus par les articles précédents, le produit des confiscations sera remis au propriétaire, pour l'indemniser d'autant du préjudice qu'il aura souffert. Ainsi la loi dispose toujours dans l'hypothèse que des éditions ont été saisies et confisquées; c'est dans ces confiscations qu'elle cherche une indemnité pour le propriétaire de l'ouvrage, et elle ne lui assure cette indemnité qu'à raison du préjudice qu'il a souffert par l'effet de ses éditions contrefaites. Le législateur n'a donc aperçu qu'une seule lésion, celle du droit de propriété.

La jurisprudence a d'ailleurs confirmé cette doctrine. La cour de Paris a déclaré, dans les termes les plus précis : « que le délit de contrefaçon, dans le sens et suivant l'esprit de la loi pénale, doit être considéré sous le point de vue de la possibilité d'une concurrence commerciale pouvant causer un préjudice à l'auteur [1]. » Un autre arrêt porte également que l'idée de faire concurrence, dans le commerce, à l'ouvrage original, est le seul et unique caractère distinctif de la contrefaçon que le législateur a entendu punir [2].

Enfin, une dernière règle domine toute cette matière, c'est que le délit de contrefaçon suppose nécessairement l'intention de nuire; c'est le troisième élément du délit.

La contrefaçon, dans le cas où la loi pénale la déclare punissable, a le caractère d'un délit; or, dans notre législation, il n'existe pas de délit sans une intention frauduleuse. Cette intention est donc un élément indispensable de la contrefaçon l'exposé des motifs du Code le reconnaît, en qualifiant formellement cette infraction de fraude. La cour de cassation déclare que les contrefaçons sont de véritables délits et de véritables larcins [3]. Elles ont en effet les caractères du vol; elles s'emparent en secret et à l'insu du propriétaire de sa chose même; comment la fraude ne serait-elle pas dans leur essence? comment admettre qu'on puisse, sans fraude, dépouiller autrui de sa propriété?

Telle est aussi l'opinion qui est professée par

[1] Paris, 3 déc. 1831. (Sirey, 1832, 2, 282.) [2] Paris, 14 niv. an 11, déjà cité. [5] Cass., 27 vent, an 9. (Pasicrisic.)

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Rauter « La condition de l'intention criminelle, dit cet auteur, est-elle requise ici comme elle l'est pour les autres crimes et délits? Il faut certainement répondre d'une manière affirmative; rien dans le texte de la loi, ni dans son esprit, n'autorise à admettre ici une exception. Il faudra donc que le contrefacteur ait su qu'il contrefaisait l'ouvrage d'autrui, et qu'il l'ait fait volontairement pour qu'il ait encouru la peine du contrefacteur [4]. » La jurisprudence est conforme à cette doctrine [5].

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Cependant Renouard a contesté cette règle. Suivant cet auteur, les droits des auteurs pourraient dans certains cas être lésés, si la question intentionnelle était un élément de la contrefaçon, puisque le contrefacteur peut n'avoir agi que par erreur sur son droit l'intention peut être prise en considération par le juge dans l'application de l'amende, non dans la déclaration du délit; il ne s'agit que d'un tort privé fait à l'exercice d'un droit que les lois civiles accordent, en même temps que les lois pénales le protégent. L'existence du privilége, le tort qui peut résulter de sa violation, voilà les seuls éléments auxquels la contrefaçon peut et doit se reconnaître [6].

Cette doctrine renferme une confusion étrange des principes du droit pénal. La contrefaçon peut être poursuivie soit à titre de délit, soit comme un simple fait dommageable. Poursuivie devant les tribunaux correctionnels, elle ne peut. être punie que si elle renferme les caractères d'un délit, car ils ne sont compétents que pour juger le délit. Sans doute la contrefaçon n'est qu'un tort privé fait à l'exercice d'un droit; mais il en est de même du vol, de l'escroquerie et de toutes les fraudes. En punissant ce tort, la loi pénale a voulu punir non pas une lésion involontaire, car la loi civile eût suffi pour cette réparation, mais la fraude elle-même qui l'a causé. Cette fraude est donc l'un des éléments du délit, et doit être prouvée. Est-il vrai que les droits de l'auteur seront lésés par cette preuve? Nullement; car, si le contrefacteur est de bonne foi, s'il a cru ou que l'ouvrage lui appartenait ou qu'il appartenait au domaine public, il n'aura pas commis un délit mais un fait dommageable, et il pourra être poursuivi devant les tribunaux civils pour réparer les dommages causés par cette usurpation. La contrefaçon n'est élevée au rang des délits que lorsque, à raison de la fraude qui l'a accompagnée, elle produit

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un trouble social. C'est la fraude que la loi pénale poursuit dans cette action, comme elle le fait dans l'escroquerie, l'abus de confiance, la tromperie dans les ventes. Dégagée de cette fraude, la contrefaçon ne constitue qu'une atteinte à un droit privé que les tribunaux civils peuvent réprimer comme toutes les lésions quelconques des droits de chacun. Punir la contrefaçon en faisant abstraction de l'intention frauduleuse, ce serait la transformer en une simple contravention, quand l'art. 425 la proclame un délit; ce serait la placer tout entière dans un fait matériel, quand ce fait peut subir, par l'intention de son auteur, les modifications les plus diverses; ce serait incriminer toute espèce de reproduction, indépendamment des circonstances et des faits qui peuvent en altérer la nature et les effets.

La bonne foi du contrefacteur détruit donc le délit, mais elle ne l'absout pas des dommagesintérêts. La bonne foi, au surplus, n'est jamais présumée dans cette matière. Celui qui reproduit un ouvrage doit s'assurer que cet ouvrage est dans le domaine public; s'il ne le fait pas, il y a lieu de croire qu'il savait l'existence de la propriété privée, et qu'il a voulu nuire à cette propriété.

En résumé, nous venons d'établir les trois conditions du délit de contrefaçon. Ces conditions sont la reproduction d'un ouvrage, c'est le fait matériel du délit; la propriété de cet ouvrage à un autre que le contrefacteur, et de là le préjudice qui est la base de l'incrimination; enfin l'intention frauduleuse de l'agent, c'est là l'élément moral du délit et la condition de la criminalité.

Jetons maintenant un coup d'œil sur les pénalités qui frappent la contrefaçon. L'art. 33 des statuts de la librairie approuvés par lettres patentes du 1er juin 1618 portait : « Sera défendu à tout libraire, imprimeur et relieur, de contrefaire les livres dès qu'il y aura privilége, sur les peines portées par les priviléges qui en auraient été obtenus. » Ces peines étaient purement pécuniaires. L'art. 65 du règlement de 1686 reproduisit cette disposition et ajouta «< Lesquelles peines ne pourront être modérées ni diminuées par les juges; et, en cas de récidive, les contrevenants seront punis corporellement et seront déchus de la maîtrise, sans qu'ils puissent directement ou indirectement s'entremêler du fait de l'imprimerie et du commerce des livres. » Ce dernier article se trouve lui-même textuellement répété par l'art. 109 du règlement du 28 février 1723. Enfin l'arrêt du conseil du 30 août 1777 portait contre les contrefacteurs la peine de six mille livres d'amende pour CHAUVEAU. T. IV. ÉD. FRANC. T. VII.

la première fois; de pareille somme et de déchéance d'état en cas de récidive. Ces peines étaient indépendantes et des dommages-intérêts de la personne lésée et de la destruction des exemplaires contrefaits et saisis.

La loi du 19 juillet 1793, ne considérant point la contrefaçon comme un délit, s'est bornée à fournir aux juges une base des dommagesintérêts des parties. L'art. 4 de cette loi porte : « Tout contrefacteur sera tenu de payer au véritable propriétaire une somme équivalente au prix de trois mille exemplaires de l'édition originale. » L'art. 427 du Code pénal dispose que « la peine contre le contrefacteur sera une amende de cent francs au moins et de deux mille francs au plus. » Cet article ajoute que << la confiscation de l'édition contrefaite sera prononcée, et que les planches, moules ou matrices des objets contrefaits seront aussi confisqués. » L'art. 429 porte encore, en ce qui concerne les dommages-intérêts, que « le produit des confiscations sera remis au propriétaire pour l'indemniser d'autant du préjudice qu'il aura souffert; le surplus de son indemnité, ou l'entière indemnité, s'il n'y a eu ni ventes d'objets confisqués ni saisies de recettes, sera réglé par les voies ordinaires. >>

Il suit de ces dispositions que les juges peuvent actuellement prononcer contre les contrefacteurs 1° l'amende dans les limites portées par la loi et suivant les circonstances plus ou moins graves du délit; 2° la confiscation de l'édition contrefaite, ou du moins des exemplaires non vendus de cette édition; 3° les indemnités au propriétaire, indemnités qui peuvent être fixées par les juges ou réglées par experts. Les indemnités ne doivent pas être adjugées, si le produit des confiscations a couvert le dommage; et les confiscations elles-mêmes peuvent n'être pas prononcées, s'il s'agit d'une contrefaçon partielle, et si le préjudice est réparé par une indemnité [1].

Le Code pénal, après avoir défini le délit de contrefaçon, prévoit deux délits de la même na

ture:

Le débit d'ouvrages contrefaits;

L'interdiction en France d'ouvrages contrefaits à l'étranger.

L'art. 426 porte : « Le débit d'ouvrages contrefaits, l'introduction sur le territoire français d'ouvrages qui, après avoir été imprimés en France, ont été contrefaits chez l'étranger, sont un délit de la même espèce. »

Le premier de ces délits suppose le débit fait sciemment d'un ouvrage contrefait.

[1] Cass., 4 sept. 1812. (Pasicrisie.)

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