Images de page
PDF
ePub

que seul il peut apprécier la gravité de l'inexé- | cution du service et les résultats de cette inexécution. Il s'agit donc ici d'une sorte de délit privé qui ne peut être poursuivi que sur la plainte de la partie lésée. Quelques auteurs pensent que les tribunaux sont valablement saisis, lorsque les fournisseurs inculpés leur sont dénoncés par le ministre de la guerre ou le ministre de la marine, suivant que les fournitures concernent l'armée de terre ou de mer [1]. Mais nous ne partageons pas cette opinion; du mot gouvernement, il résulte que la poursuite doit ètre autorisée par ordonnance royale.

Ces deux principes établis, nous allons examiner les textes du Code qui posent les éléments de la responsabilité des fournisseurs.

bilité ne devrait peser sur eux. L'obéissance passive n'est point sans doute une excuse pour l'inférieur qui, en exécution d'un ordre de son supérieur, commet un délit; mais si l'inférieur n'a pas su ce qu'il faisait, s'il n'a pas vu le délit, s'il n'a pas connu les effets de la mesure qui lui était prescrite, cette mesure ne saurait lui être imputable.

La deuxième condition est que le service dont était chargé le fournisseur ait manqué. C'est là le fait matériel qui constitue le délit. De simples retards ne sont pas un manquement du service, puisque l'art. 433 les punit séparément et avec moins de sévérité; mais une omission, même partielle, pourrait être considérée comme un manquement, si la partie du service omise a été complétement manquée.

L'art. 430 est ainsi conçu : « Tous individus chargés, comme membres de compagnie ou in- Il est enfin nécessaire que le fournisseur ait dividuellement, de fournitures, d'entreprises ou agi volontairement en faisant manquer le serrégies pour le compte des armées de terre ou device, ou du moins que cette inexécution soit le mer, qui, sans y avoir été contraints par une force majeure, auront fait manquer le service dont ils sont chargés, seront punis de la reclusion et d'une amende qui ne pourra excéder le quart des dommages-intérêts, ni être au-dessous de 500 francs; le tout sans préjudice de peines plus fortes, en cas d'intelligences avec l'ennemi. »

On entend par fournisseur tout individu chargé, comme membre de compagnie ou individuellement, de fournitures, d'entreprises ou régies, pour le compte des armées de terre ou de mer. Cette qualité est la première condition de l'application de l'article. Le crime consiste dans une sorte de trahison d'une fonction; il n'y a donc que celui qui est revêtu de cette fonction qui puisse le commettre.

Toutefois, la loi a étendu l'incrimination aux agents des fournisseurs. L'art. 451 porte « Lorsque la cessation du service proviendra du fait des agents des fournisseurs, les agents seront condamnés aux peines portées par le précédent article. Les fournisseurs et leurs agents seront également condamnés, lorsque les uns et les autres auront participé au crime. » Le motif de l'application d'une peine est en effet le même à l'égard des uns et des autres. Le sous-traitant et le simple agent peuvent faire manquer le service aussi bien que le fournisseur; la loi devait donc les atteindre également. Cependant, s'ils n'avaient fait qu'obéir aux ordres des fournisseurs, sans connaitre leurs projets et sans y prendre part, il est évident qu'aucune responsa

[ocr errors]

résultat d'une faute grave. Car il serait difficile d'admettre qu'une simple action matérielle, et même une simple omission, pût, abstraction faite de toute intention frauduleuse ou de toute faute imputable, avoir le caractère d'un crime. L'art. 430 apporte d'ailleurs son texte à l'appui de cette opinion; car, d'une part, il ne punit les infracteurs qu'autant qu'ils n'ont pas été contraints par une force majeure; et, d'un autre côté, il prévoit le cas où l'infraction est le résultat d'intelligences avec l'ennemi; il suppose donc que le fournisseur a agi librement, et qu'il a pu être dirigé par une intention coupable, autre toutefois qu'une intelligence avec l'ennemi. Dans ce dernier cas, les art. 77 et 78 seraient seuls applicables.

L'art. 430 ajoute à la peine de la reclusion celle d'une amende qui ne peut excéder le quart des dommages-intérêts, ni être au-dessous de 500 francs. « Cet accessoire, dit l'exposé des motifs, tient à la nature du délit, vu que les retards proviennent presque toujours de l'espoir d'augmenter les profits. >>

Nous avons vu que lorsque les agents des fournisseurs sont complices du crime, ils sont punis comme les fournisseurs eux-mêmes. La loi a prévu encore une autre classe de complices : ce sont les fonctionnaires publics, agents ou salariés du gouvernement. L'art. 432 porte : « Si des fonctionnaires publics, ou des agents, préposés ou salariés du gouvernement, ont aidé les coupables à faire manquer le service, ils seront punis de la peine des travaux forcés à temps, sans préjudice de peines plus fortes en cas d'intelligence avec l'ennemi. » La peine est plus forte

[1] Legraverend, Législ. crim., t. 2, p. 152; Mangin, si le crime a été facilité par des fonctionnaires Traité de l'action publique, no 148.

publics ou des agents du gouvernement; car

c'est un plus grand crime de participer au mal, lorsque par état on devait l'empêcher. Cet article, du reste, ne fait qu'appliquer à ce cas particulier le paragraphe 4 de l'art. 198, et par conséquent il était inutile et surabondant.

L'art. 433 prévoit deux délits distincts: les retards causés par simple négligence, et la fraude sur la nature, la qualité ou la quantité des choses fournies. Il est ainsi conçu : « Quoique le service n'ait pas manqué, si par négligence les livraisons et les travaux ont été retardés, ou s'il y a eu fraude sur la nature, la qualité ou la quantité des travaux ou maind'œuvre, ou des choses fournies, les coupables seront punis d'un emprisonnement de six mois au moins et de cinq ans au plus, et d'une amende qui ne pourra excéder le quart des dommages-intérêts, ni être moindre de cent francs. >>

[ocr errors]

même délit que celui que l'art. 423 a prévu, et par conséquent cette disposition peut paraître surabondante. Le législateur a voulu sans doute prévenir les objections qui auraient pu naître de la qualité des fournisseurs et des marchés qui les liaient à l'administration. Il est nécessaire, pour l'existence du délit, que les travaux effectués, ou les choses livrées, n'offrent pas la nature, la qualité ou la quantité stipulées dans les marchés des entreprises, et que cette différence soit le résultat non d'une simple erreur, mais d'une fraude caractérisée. Car ce n'est plus la négligence que la loi prétend atteindre ici, c'est la fraude, et tout le délit repose sur cette seule base.

Il reste un point important à examiner : le crime prévu par l'art. 430 et les délits prévus par l'art. 453 sont subordonnés à une même circonstance, c'est que le service a manqué ou qu'il a été retardé; or, comment constater cette inexécution ou ces retards? Carnot paraît croire qu'il n'appartient qu'au gouvernement de constater ce fait matériel du crime ou du délit, et il se fonde sur ce que la poursuite est soumise à sa dénonciation [1]. Il suit de là que les juges devraient donner force de chose jugée à la déclaration du gouvernement, et se borner à appliquer la loi; cette opinion n'est pas admissible. Si la loi a soumis l'action publique à la dénonciation du gouvernement, c'est de crainte que des poursuites intempestives ne vinssent entraver le service et la marche des opérations militaires, et par assimilation aux autorisations exigées pour la poursuite des fonctionnaires publics;

Dans la première hypothèse, la loi suppose deux conditions: l'une, que le service a été seulement retardé, mais qu'il n'a pas manqué; s'il avait manqué, l'art. 430 serait seul applicable. L'autre, c'est que les retards ne sont imputables qu'autant qu'ils sont le résultat d'une négligence; c'est cette faute qui constitue la moralité du délit. On peut se demander quelle serait la peine applicable, si ces retards avaient été causés, non par une simple faute, mais par une intention criminelle et frauduleuse. Il nous paraît que ce fait rentrerait encore dans les termes de l'art. 433, car si cet article punit les retards occasionnés par une simple négligence, à plus forte raison doit-il s'appliquer à ceux qui sont occasionnés par la fraude et la connivence: ilmais, une fois la dénonciation faite, les tribunaux ne s'agit point ici d'étendre la loi; le fait matériel est le même dans les deux cas; il ne s'agit que de le punir quand il est commis par méchanceté, de la même manière que quand il est commis par négligence. Du reste, si cette interprétation était contestée, il faudrait admettre que les retards causés par toute autre cause que par négligence resteraient impunis, puisque l'article 433 n'a fait mention que de la négligence, et que les dispositions de l'art. 450 seraient inapplicables, puisque le service n'aurait pas manqué.

Dans la deuxième hypothèse, la loi punit la fraude sur la nature, la qualité ou la quantité des travaux ou des choses fournies; c'est le

sont investis de toutes leurs attributions, puisque la loi n'a fait aucune restriction; ils ont donc le pouvoir de constater le fait matériel du délit comme dans les poursuites ordinaires; et si les renseignements qui leur sont transmis par l'administration peuvent éclairer leur conviction, ces renseignements ne les dispensent point d'appeler des témoins, et de constater l'infraction d'après leurs dispositions faites à l'audience [2].

Nous déciderons enfin que la poursuite devant les tribunaux criminels est complétement indépendante de la demande en dommages-intérêts qui peut être portée devant les tribunaux administratifs.

[1] Comment, du C. pén., t. 2, p. 447.

[2] . nos principes analogues pour la dénonciation calomnieuse.

CHAPITRE LXXIII.

CARACTÈRE GÉNÉRAL DE L'INCENDIE.

GENT A MIS LE FEU.

LA LOI.

[ocr errors]
[ocr errors]

[ocr errors]

[ocr errors]
[ocr errors]

DEUX

DE L'INCENDIE, DES DESTRUCTIONS PAR L'EFFET D'UNE RUINE, DES MENACES D'INCENDIE.
LÉGISLATION Romaine sur ceTTE MATIÈRE. ANCIENNE LÉGISLATION
FRANÇAISE. ESPRIT DU CODE PÉNAL DE 1810.- MODIFICATIONS APPORTÉES PAR LA LOI DU 28 AVRIL 1832.
DIVISION DE LA MATIÈRE: § 1. DE L'INCENDIE DES LIEUX HABITÉS OU SERVANT A L'HABITATION.
ÉLÉMENTS DU CRIME LA VOLONTÉ ET LE FAIT MATÉRIEL DE L'Incendie.
QUELLE EST LA SIGNIFICATION
DU MOT VOLONTÉ? CARACTÈRES DE L'INTENTION CRIMINELLE. LE CRIME EST CONSOMMÉ LORSQUE L'A-
QUEL EST LE SENS DES MOTS LIEUX HABITÉS OU SERVANT A L'HABITATION?
FAUT-IL COMPRENDRE DANS LE MOT MAISON HAbitée les dépeNDANCES DE CETTE MAISON? INCENDIE DES
ÉDIFICES SERVANT A DES RÉUNIONS DE CITOYENS. QUELS SONT CES ÉDIFICES? -§ II. DE L'INCENDIE DES
ÉDIFICES NON HABITÉS, FORÊTS ET RÉCOLTES SUR PIED APPARTENANT A AUTRUI. CARACTÈRES DE CET
ATTENTAT. QUELLE EST LA VOLONTÉ NÉCESSAIRE POUR CONSTITUER LE CRIME? LA GRAVITÉ DU CRIME
SE PUISE DANS LA NATURE DE L'OBJET INCENDIÉ. OBJETS ÉNUMÉRÉS PAR LA LOI. CE QU'IL FAUT EN-
TENDRE PAR ÉDIFICES, NAVIRES, BATEAUX, MAGASINS, CHANTIERS, FORÊTS, BOIS TAILLIS, RÉCOLTES SUR
PIED, BOIS ET RÉCOLTES ABattues. DANS QUELS CAS CES DIVERS OBJETS RENTRENT DANS LES TERMES DE
IL EST NÉCESsaire que cES OBJETS APPARTIENNENT A AUTRUI. EXPLICATION DE CETTE Règle.
L'INCENDIE D'Une chose par LE PROPRIÉTAIRE DE CETTE
§ III. DE L'INCENDIE DE SA PROPRE chose.
CHOSE NE CONStitue ni crime ni DÉLIT, LORSQU'IL N'EN RÉSULTE AUCUNS DOMMAGES POUR AUTRUI.
DANS QUELS CAS CE DOMMAge peut deveNIR CONSTITUTIF D'UN CRIME. DISPOSITIONS DU CODE DE 1810 ET
JURISPRUDENCE DE LA COUR DE CASSATION SUR CETTE MATIÈRE. MOTIFS DES NOUVELLES DISPOSITIONS DE
CE CODE. ÉLÉMENTS DU CRIME D'INCENDIE COMMIS PAR LE PROPRIÉTAIRE. NATURE DE L'OBJET
INCENDIE. PROPRIÉTÉ DE CET OBJET.
PREJUDICE CAUSÉ A AUtrui. COMPLICITÉ D'UN TIERS.
CARACTÈRE DU CRIME DANS CE CAS.-§ IV. DE L'INCENDIE DE MATIÈRES COMBUSTIBLES PLACÉES DE MANIÈRE
A COMMUNIQUEr le feu. CARACTÈRES PARTICULIERS DE CE CRIME. suffit-il que l'AGENT AIT EU
L'INTENTION D'INCENDIER LES OBJETS AUXQUELS IL METTAIT LE FEU? EST-IL NÉCESSAIRE QU'IL AIT
VOULU COMMUNIQUER L'INCENDIE AUX AUTRES OBJETS? IL FAUT QUE LES OBJETS SOIENT PLACÉS DE MA-
NIÈRE A COMMUNIQUER L'INCENDIE. A QUELS OBJETS FAUT-IL QUE LE FEU AIT COMMUNIQUÉ? § V. DE
L'INCENDIE QUI A OCCASIONNÉ LA MORT ACCIDENTELLE D'UNE OU DE PLUSIEURS PERSONNES. ESPRIT
DU § 8 DE L'ART. 434. QUELLE EST LA VOLONTÉ EXIGÉE PAR LA LOI POUR LA CONSTITUTION DU CRIME?
-A QUELS CAS S'APPLIQUÉ LE § 8? IL FAUT QUE Les personnes HOMICIDÉES SE SOIENT TROUVÉES DANS
CARACTÈRES DU CRIME. § VI. DES DESTRUCTIONS CAUSÉES
PAR L'EFFET d'une mine. LACUNES DE L'ANCIEN ART. 455. MODIFICATIONS FAITES PAR LA LOI DU
28 AVRIL 1832. ÉLÉMENTS DU CRIME. L'AGENT DOIT AVOIR AGI VOLONTAIREMENT. FAIT MATÉRIEL
DE LA DESTRUCTION. LA SIMPLE TENTATIVE EST PUNISSABLE. EST-IL NÉCESSAIRE QUE LA MINE AIT EU
LA PUISSANCE DE DÉTRUIRE? NATURE DE LA CHOSE DÉTRUITE. RELATION DES ART. 95 ET 435. — A

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors]

QUELS OBJETS S'APPLIQUE L'ART. 455? § VII. DES MENACES D'INCENDIE. LÉGISLATION ANTÉRIEURE AU

[merged small][ocr errors][merged small][merged small]

LA MENACE VERBALE D'INCENDIE SANS ORDRE NI CONDITION N'EST PAS PUNISSABLE.

[ocr errors]
[ocr errors][merged small]

QUELS OBJETS S'APPLIQUE L'ART. 436? RELATION DES ART. 305, 306, 307 ET 436. (COMMENTAIRE DES ART. 484, 435 ET 436 DU CODE PÉNAL.) [1].

L'incendie, considéré en lui-même n'est qu'un moyen puissant de perpétration de certains crimes: il peut être employé comme une arme pour

[1] Ces articles ont été modifiés par le nouveau Code pénal français. (V. à l'appendice, t. 2.)

| commettre un homicide, comme un instrument de dommage et de destruction, comme une manœuvre d'escroquerie. De là les caractères divers que les législations ont reconnus à cet attentat; de là les distinctions et les peines différentes dont sa répression a été l'objet.

La loi romaine condamnait les incendiaires à la peine du feu, par une sorte de loi du talion, lorsque l'incendie avait été mis à un édifice ou de manière à être communiqué à cet édifice : Qui ædes acervumve frumenti juxtà domum positum combusserit, vinctus, verberatus, igni | necari jubetur si modo sciens prudensque commiserit [1]. Cette peine fut réservée plus tard pour les cas les plus graves, ceux où l'incendie avait eu pour mobile la haine, ou le désir du pillage, et surtout ceux où l'incendie avait eu lieu dans l'enceinte des villes. Dans ces cas mêmes la simple peine de mort remplaçait quelquefois le supplice du feu Incendiarii capite puniuntur, qui ob inimicitias vel prædæ causâ incenderint | intra oppidum, et plerumque vivi exuruntur [2]. Les incendies dans les campagnes étaient punis d'une peine moins rigoureuse qui vero casam aut villam aliquo leniùs. Au reste, Ulpien fait connaître que, même commis dans les villes, l'incendie avait été l'objet de quelque distinction dans la distribution de la peine la peine de mort n'était appliquée qu'aux coupables de la condition la plus vile; à l'égard des autres, cette peine était le plus souvent commuée en déportation Qui data operâ in civitate incendium fecerint, si humiliore loco sint, bestiis objici solent; si in aliquo gradu id fecerint, capite, puniuntur, aut certè in insulam deportantur [3]. | Le crime puisait aussi quelquefois une plus haute gravité dans la nature et la valeur de l'objet incendié, comme si, par exemple, les moissons d'Afrique ou les vignes de Mysie avaient été consumées par le feu: Evenit ut eadem scelera in quibusdam provinciis gravius plectantur ut in Africa messium incensores, in Mysiá vitium [4]. Les anciennes ordonnances étaient à peu près muettes sur le crime d'incendie [s]. La législation ne présente qu'un capitulaire de Charlemagne, portant que ce crime devait être puni du genre de mort le plus rigoureux. Si aliquis malitiæ studio incendium miserit, de hoc crimine convictus, pœnis gravissimis jubetur interfici [6]. Mais les arrêts avaient distingué plusieurs espèces d'incendie l'incendie des maisons et bâtiments situés dans les villes, et des églises; l'incendie des maisons et fermes de campagne; celui des vignobles et des moissons, celui des bois et des forêts. Le premier était puni de la

peine du feu, « sur le fondement, dit Muyard de Vouglans, qu'il est juste de faire subir au coupable le même supplice qu'il voulait faire subir à ceux qui se seraient trouvés enveloppés dans son incendie [7]. son incendie [7]. » L'incendie des maisons et fermes de campagne n'était pas puni avec la même rigueur, parce qu'il ne présentait pas les mêmes dangers: la peine était la mort ou le bannissement perpétuel suivant la qualité des accusés. L'incendie des moissons et vignobles, ne pouvant jamais atteindre les personnes, n'était puni que du bannissement, avec une amende proportionnée au préjudice causé. Enfin, les incendies des bois et forêts étaient punis par l'article 32, tit. 27 de l'ordonnance de 1669, d'amende arbitraire et de punition corporelle; mais, la qualité de la peine corporelle n'ayant pas été déterminée, la déclaration du 16 novembre 1714 ordonne « que ceux qui, de dessein prémédité, avaient mis le feu dans les landes et bruyères et autres lieux des bois et forêts, seraient punis de mort. »

Le législateur de 1791 supprima ces distinctions, quelque incomplètes qu'elles fussent, et renferma toutes les nuances du crime dans cette disposition laconique et absolue : « Quiconque sera convaincu d'avoir, par malice ou vengeance et à dessein de nuire à autrui, mis le feu à des maisons, bâtiments, édifices, navires, magasins, chantiers, forêts, bois taillis, récoltes en meules ou sur pied, ou à des matières combustibles disposées pour communiquer le feu auxdites maisons, bâtiments, édifices, navires, bateaux, magasins, chantiers, forêts, bois taillis, récoltes en meules ou sur pied, sera puni de mort [8]. »

Les rédacteurs du Code de 1810 furent encore plus concis : « Quiconque, portait l'article 434, aura volontairement mis le feu à des édifices, navires, bateaux, magasins, chantiers, forêts, bois taillis, ou récoltes, soit sur pied, soit abattus, soit aussi que les bois soient en tas ou en cordes, et les récoltes en tas ou en meules, ou à des matières combustibles placées de manière à communiquer le feu à ces choses ou à l'une d'elles, sera puni de la peine de mort. »

Pour justifier une disposition aussi absolue, l'exposé des motifs traçait un tableau terrible du crime d'incendie : « Ce crime, comme celui de l'empoisonnement, est l'acte qui caractérise la

[1] Gafus, lib. 4, ad leg. 12 Tabul.; 1. 9, Dig. de p. 402 et 403. V. aussi Damhouderius, Prax. criminal., incend. ruina.

[blocks in formation]

cap. 103 et 104, p. 333 et 537.

[6] Cap. Carl. Magn., l. 7, c. 264.

[7] Lois crim., p. 192.

[8] Art. 32, sect. 2, tit. 2, 1. du 25 sept.-6 oct. 1791.

plus atroce lâcheté ; il n'en est point de plus effrayant, soit par la facilité des moyens, soit à cause de la rapidité des progrès, soit enfin par l'impossibilité de se tenir continuellement en garde contre le monstre capable d'un si grand forfait. L'empoisonnement même, sous certains rapports, semble n'être pas tout à fait aussi grave; car il n'offense que la personne qui doit en être la victime, tandis que l'autre crime s'étend jusqu'aux propriétés de ceux à qui l'on n'a voulu faire aucun mal, et tend à envelopper plusieurs familles dans une ruine commune. Il expose même la vie des personnes qui se trouvent dans le lieu incendié, et qui peuvent n'avoir pas le temps d'échapper aux flammes; ou, si ce sont des récoltes qu'il incendie, le feu peut se communiquer d'un champ à l'autre, et plonger un canton tout entier dans un état de détresse absolue. Un crime aussi exécrable mérite la mort; et telle est, en effet, la peine prononcée par le Code [1]. » Ces réflexions sont parfaitement fondées lorsqu'on les applique à la classe la plus grave et la plus désastreuse des incendies; mais ce crime, plus que tout autre, a des nuances et des degrés, et le législateur de 1810 n'a pas semblé les apercevoir. Il a entassé dans la même disposition et frappé de la même peine l'incendie des maisons habitées et de celles qui ne le sont pas, des édifices les plus précieux et des récoltes les plus minimes, sans considérer ni l'intention de l'agent, ni les dangers de l'action, ni ses résultats matériels. Parce que l'incendie est dans certains cas un crime odieux, il en a conclu que dans tous les cas il devait être puni comme un crime odieux. Parce qu'il peut constituer un assassinat, il a pensé qu'il devait être puni comme un assassinat, lors même qu'il ne constituait réellement qu'une dévastation, un dégât, ou une escroquerie. Il n'a vu qu'une face du crime, il n'a puni que son degré le plus élevé.

Le projet de révision du Code pénal, proposé en 1832, maintenait cependant cette disposition, et se bornait à y ajouter un paragraphe relatif aux personnes qui auraient incendié leurs propres maisons pour toucher le prix d'une assurance la peine était, dans ce projet, celle des travaux forcés à perpétuité. La commission de la chambre des députés ne s'arrêta pas à cette seule modification. « On ne peut se dissimuler, dit le rapporteur, qu'il n'y ait entre les différents cas d'incendie, quant au préjudice, quant à l'alarme, quant à la perversité, un intervalle im

[ocr errors]

mense. Toutes les raisons d'équité exigent donc une différence dans les peines comme dans les crimes, et votre commission les a jugées supérieures aux raisons d'utilité qu'on allègue pour maintenir l'uniformité de peine portée par le Code pénal. Sans doute l'incendie est un crime à part; la facilité de le commettre, la difficulté de le prouver, les ravages qu'il exerce, la terreur qu'il répand, appellent toutes les sévérités de la loi. Dans les temps de troubles, un incendie peut devenir un instrument de haine politique, une vengeance organisée de parti; les conspirations incendiaires sont le plus redoutable auxiliaire de la révolte. Mais remarquez, d'abord, que la peine de mort n'a pas besoin d'être maintenue pour cette dernière hypothèse; elle est écrite dans l'art. 91 du Code pénal, qui applique la peine capitale au complot lorsqu'il a pour objet de porter la désolation dans une ou plusieurs communes, et elle est réservée par le projet de loi pour le cas où le complot aura été suivi d'exécution ou de tentative. Dans les temps ordinaires, il est nécessaire que la peine de mort protége la vie de l'homme, lorsque l'incendie peut la mettre en danger; mais, si la vie de l'homme n'a pas même été menacée, l'incendie n'est autre chose qu'une dévastation avec circonstances aggravantes; et n'y a-t-il pas une suffisante aggravation de peine à punir des travaux forcés à temps et même des travaux forcés à perpétuité une simple dévastation [2]? »

La loi du 28 avril 1832 a établi cinq classes dans lesquelles viennent se placer tous les crimes d'incendie :

L'incendie des lieux habités ou servant à l'habitation, qu'ils appartiennent ou non à l'auteur du crime;

L'incendie des lieux non habités, des bois et forêts, et des récoltes sur pied appartenant à autrui; et celui des bois ou récoltes abattus et appartenant à autrui;

L'incendie des lieux non habités, des bois et forêts, des récoltes sur pied ou abattues, lorsque ces différents objets appartiennent à l'auteur du crime;

L'incendie d'objets placés de manière à communiquer le feu à quelques-uns des objets mentionnés ci-dessus;

Enfin, l'incendie qui a occasionné, même accidentellement, la mort d'une ou plusieurs personnes se trouvant sur les lieux incendiés au moment où il a éclaté.

[1] Damhouderius, Prax. crim., cap. 103, p. 335, avait dit, dans son langage naïf: « Et mihi certè (ut ingenuè meam sententiam præferam) videntur hi cives esse

perniciosissimi, imò pestes planè lethales potiùs... [2] C. pén. progressif, p. 322.

« PrécédentContinuer »