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des édifices, navires, bateaux, magasins, chantiers, lorsqu'ils ne sont ni habités ni servant à l'habitation, ou à des forêts, bois taillis ou récoltes sur pied, lorsque ces objets ne lui appartiennent pas, sera puni de la peine des travaux forcés à perpétuité. » — <«< Quiconque aura volontairement mis le feu à des bois ou récoltes abattus, soit que les bois soient en tas ou en cordes, et les récoltes en tas ou en meules, si ces objets ne lui appartiennent pas, sera puni des travaux forcés à temps. >>

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elle est évidemment restrictive. En effet, dans ce premier paragraphe, après avoir énoncé les édifices, navires, magasins et chantiers, la loi ajoute : et généralement les lieux habités ou servant à l'habitation; d'où il suit que l'énumération qui précède ces mots n'est que démonstrative. Mais une semblable addition ne se retrouve pas dans les paragraphes trois et cinq, et la loi spécifie les objets dont l'incendie peut causer le plus d'alarmes; elle gradue la peine suivant la gravité du péril; elle puise la raison de cette peine dans la nature même de l'objet incendié : ainsi la peine des travaux forcés à perpétuité est appliquée à l'incendie des édifices, des magasins et des chantiers, parce que soit par leur valeur propre, soit par les richesses qu'elles renferment, ces constructions sont au nombre des propriétés les plus précieuses; la même peine s'applique à l'incendie des forêts et des moissons sur pied, à raison des ravages que cet incendie peut produire et du préjudice immense qui peut en résulter; enfin une peine inférieure frappe l'incendie des bois et des moissons abattus, parce que le feu circonscrit à un objet isolé ne peut produire la même dévastation. La peine du crime se trouve donc dans un rapport direct avec l'objet incendié. Cette peine ne peut donc être appliquée qu'à l'incendie de cet objet lui-même; c'est une condition de son application; la loi n'a voulu Trois caractères doivent être remarqués dans donner qu'aux objets qu'elle a désignés la gales crimes d'incendie prévus par ces deux para-rantie d'une protection aussi forte; les autres graphes: la volonté de l'agent, la nature de l'objet incendié, la propriété de cet objet.

Ce n'est plus la vie de l'homme que la loi protége dans ces deux paragraphes, c'est sa propriété; le crime change d'objet; tout à l'heure son but principal était l'attentat à la personne, ici c'est uniquement l'attentat aux biens. Cependant le dommage causé par le feu peut être si grand, la destruction si rapide et si étendue, que le législateur a cru pouvoir appliquer, dans les circonstances les plus graves, la plus sévère des peines prononcées contre les crimes qui s'attaquent aux propriétés. « Cette peine, a dit le rapporteur de la chambre des pairs, n'est pas trop sévère, car tout le monde sait que quand on met le feu à une forêt ou à des récoltes sur pied, l'incendie peut se propager et s'étendre au loin; il est raisonnable de punir sévèrement un crime qui peut occasionner de si grands dommages à une contrée entière [1]. »

La volonté est ici, comme dans le premier paragraphe, la volonté d'incendier, c'est-à-dire l'intention de nuire, de porter préjudice à autrui en mettant le feu. En écrivant dans la loi le mot volontairement, le législateur a voulu distinguer l'incendie accidentel et l'incendie volontaire, l'imprudence et le crime. Il faut qu'il soit constaté que l'auteur de l'incendie a agi sciemment, qu'il a mis le feu avec malice et pour détruire, qu'il a connu la portée et les conséquences de son action.

Le second élément du crime réside dans la nature de l'objet incendié; c'est dans cette nature que la peine puise sa gravité : la loi énumère successivement les édifices, navires, bateaux, magasins et chantiers qui ne sont ni habités ni servant à l'habitation, les forêts, bois taillis et récoltes sur pied, les bois et récoltes abattus.

Cette énumération n'est point simplement démonstrative comme dans le premier paragraphe,

[1] C. pén. progressif, p. 527.

CHAUVEAU. T. IV. ÉD. FRANG. T. VIII.

objets, moins précieux ou moins exposés aux ravages de l'incendie, n'exigeaient pas les mêmes dispositions.

Au reste, même en les restreignant dans leur sens propre, les termes de la loi sont très-étendus: le mot édifices comprend évidemment tous les bâtiments, toutes les constructions, toutes les maisons. Dans le paragraphe trois de l'article, à la vérité, il ne s'applique qu'aux bâtiments, constructions et maisons qui ne sont point habités ou ne servent point à l'habitation; mais tous les bâtiments de cette nature rentrent dans cette expression, depuis les monuments publics qui décorent les cités jusqu'aux plus humbles maisons la loi n'a eu ici d'autre but que de protéger les propriétés; elle fait une complète abstraction de leur valeur; soit impuissance, soit système, elle les confond toutes dans une disposition uniforme; tous les édifices, quels qu'ils soient, ne sont soumis à d'autre distinction qu'à celle qui dérive du fait de l'habitation; habités ou servant à l'habitation, ils rentrent dans les termes du paragraphe premier; inhabités ou ne servant pas à l'habitation, ils appartiennent sans distinction au paragraphe trois.

La même observation s'applique aux navires

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ou la possibilité de ce dommage qui constitue ici la matérialité du crime s'il est impossible, le crime disparaît. Il faut donc que la récolte sur pied soit inflammable et qu'elle présente une proie certaine à l'incendie, pour que le seul fait d'y mettre le feu puisse caractériser le crime prévu par l'art. 434. Les motifs exprimés par le rapporteur à la chambre des pairs viennent for

et bateaux, aux magasins et chantiers; la loi ne | à l'état de maturité. Si cette condition n'est pas recherche point s'ils étaient remplis de mar- dans les termes, elle est dans l'esprit de la loi; chandises ou vides au moment de l'incendie; qu'importe que le feu soit mis à des objets qui elle recherche seulement s'ils sont ou non habi- ne sont pas susceptibles de s'embraser ou de tés, s'ils servent ou ne servent pas à l'habita-propager au loin l'incendie? C'est le dommage tion; elle protége ici, comme en ce qui concerne les édifices, ou l'habitation, ou la propriété; mais, dans l'un et l'autre cas, elle voit le lieu et non ce qu'il renferme, le dommage possible et non le dommage réel. Dans les mots de navires et bateaux se confondent toutes les espèces d'embarcations, quelle que soit leur dénomination spéciale. Dans le terme de magasins sont compris également tous les dépôts de marchan-tifier notre opinion [1]. dises. La législation précédente avait particulièrement désigné les granges à côté des magasins; l'art. 4 de la loi du 23 floréal an 10 attribuait à une juridiction spéciale le crime d'incendie de granges et autres dépôts de grains : ces dépôts se trouvent aujourd'hui confondus dans les expressions générales de la loi.

La loi place à côté des édifices, navires, magasins et chantiers, les forêts, bois taillis ou récoltes sur pied; nous avons vu que l'incendie de ces mêmes objets, lorsqu'ils sont abattus, est prévu par le paragraphe cinquième et puni d'une peine inférieure à celle des travaux forcés à temps. Cette différence des deux peines naît de la différence de résultats des deux crimes le feu mis à une forêt ou à des récoltes sur pied peut se propager et s'étendre au loin; s'il est circonscrit, au contraire, à des objets isolés, comme un tas de bois ou comme une meule de grains, le dommage est limité et le danger s'amoindrit. On doit entendre par forêts tous les bois et forêts, soit qu'ils appartiennent à l'État, à la couronne, aux communes, aux établissements publics ou aux particuliers; mais il faut remarquer que la disposition de la loi est limitée aux bois et forêts; elle ne s'étendrait pas à des groupes d'arbres qui ne formeraient pas une forêt ou un bois; le danger de l'incendie ne serait plus le même, et la loi ne s'occupe ici que des incendies les plus dangereux. La même réflexion s'applique aux bois taillis; ces bois sont ceux qui sont destinés à être coupés périodiquement et qui renaissent de leur souche. Il ne faut pas étendre la disposition qui les concerne aux arbres isolés qui sont soumis à une coupe réglée; la loi n'a prévu que l'incendie des bois, parce que les bois seuls peuvent occasionner un dommage considérable.

Le Code a ajouté à son énumération les récoltes sur pied, mais sans les définir; il est évident qu'il n'a pu avoir en vue que les récoltes qui par leur nature seraient susceptibles d'être incendiées; tels sont les blés quand ils sont parvenus

Le paragraphe cinq de cet article prévoit ensuite l'incendie des bois ou récoltes abattus, soit que les bois soient en tas ou en cordes, et les récoltes en tas ou en meules.

L'incendie des bois abattus a été considéré par la loi sous plusieurs rapports.

Lorsque ces bois sont renfermés dans des magasins ou chantiers, l'incendie rentre dans les termes du § 3 de l'article 434, et devient passible de la peine des travaux forcés à perpétuité.

Lorsqu'ils sont placés de manière à communiquer l'incendie à des édifices, navires, magasins, forêts ou récoltes sur pied, la peine applicable est celle même qui eût été appliquée à l'incendie immédiat de ces différents objets.

Enfin lorsque les bois abattus sont en tas ou en cordes, et qu'ils ne sont placés ni dans des chantiers, ni de manière à communiquer le feu, la peine est celle des travaux forcés à temps.

Dans cette dernière hypothèse, qui fait l'objet du paragraphe que nous examinons, la loi suppose que les bois sont en nature de récoltes; en effet elle les assimile aux récoltes, elle les place sur la même ligne, elle leur applique les mêmes garanties, elle les renferme dans la même disposition; et puis, lorsque les bois ont cessé d'avoir le caractère de récoltes, ils se trouvent soit dans les magasins ou chantiers, où la vigilance de la loi les protége encore, soit dans les édifices, où ils se confondent avec l'objet principal auquel ils attiennent. Il est donc évident que le paragraphe cinq a eu pour but de protéger les bois qui se trouvent exposés dans les ventes ou sur la propriété de celui qui les a recueillis.

Mais deux observations doivent être faites. La première, c'est qu'il est nécessaire pour l'appli cation de ce paragraphe que les bois aient été mis en tas ou en cordes; en effet, s'ils sont dispersés sur la surface du sol, le feu ne pro

[1] C. pen. progressif, p. 327.

duirait qu'un dommage trop restreint pour motiver l'application d'une peine afflictive et infamante; il faut donc qu'il soit constaté que le bois se trouvait, au moment de l'incendie, en tas ou en cordes [1].

La seconde observation est que la loi n'exige point, comme l'article 388, que les bois coupés soient placés dans les ventes. A la vérité, leur caractère de récoltes doit faire supposer qu'en général ces bois sont placés, au moment de l'incendie, et par suite d'une confiance nécessaire, sous la protection de la foi publique; mais la loi n'en contient point la condition expresse. Ainsi, tant que les bois ne sont pas entrés dans le commerce comme marchandise, tant qu'ils sont encore sur la propriété de celui qui les a recueillis, dans un lieu autre que ses magasins et ses chantiers, et même après le procès-verbal de récolement, s'ils sont exposés dans une vente, le paragraphe cinq est applicable, car il ne trace aucune limite.

Les mêmes observations s'appliquent aux récoltes; nous avons dit à l'occasion de l'art. 388: « qu'on doit entendre par récoltes tous fruits ou productions utiles de la terre qui, séparés de leurs racines ou de leurs tiges, par le fait du propriétaire, ou de celui qui le représente, sont laissés momentanément dans les champs jusqu'à ce qu'ils soient enlevés et renfermés dans un lieu où ils peuvent être particulièrement surveillés [2]. » Il ne s'agit donc que des productions utiles de la terre qui, au moment de l'incendie, se trouvaient en nature de récolte; c'est-à-dire, qui, après avoir été détachées du sol, ne sont pas encore renfermées dans les magasins, greniers ou chantiers, où elles peuvent être l'objet d'une plus grande surveillance. Ainsi, lorsque les fruits ont passé des mains du propriétaire ou de celui qui le représente dans les mains d'un tiers, lorsque le propriétaire les conserve luimême après le temps de la récolte, en les renfermant dans ses magasins, ils perdent leur caractère de récolte, ils deviennent des marchandises, et le paragraphe cinq de l'article cesse d'être applicable. Il est donc nécessaire qu'il soit déclaré que les productions incendiées constituaient une récolte ou une partie de récolte, pour l'application d'une peine qui est spécialement destinée à la protection des récoltes.

La loi exige, comme en ce qui concerne les bois abattus, que les récoltes soient en tas ou

[1] Cass., 15 sept. 1826. (Bull., no 187.) [2]. notre t. 4, p. 30.

[5]. 27 sept. 1827 (Bull., no 246); voy. aussi 22 mars 1832.

[4] . notre t. 6, p. 188.

en meules; la raison est la même; ce n'est que lorsque les blés, les foins ou les autres récoltes sont en tas ou en meules, que le ravage de l'incendie est assez considérable pour motiver une poursuite criminelle. Mais elle n'exige point que les récoltes soient exposées à la foi publique dans les champs où elles ont été recueillies; elle les protége dans tous les lieux où elles sont momentanément déposées jusqu'à ce qu'elles aient perdu leur caractère de récolte [3]. Le troisième caractère du crime prévu par les troisième et cinquième paragraphes est que les objets incendiés appartiennent à autrui. En effet, le but de l'incendie c'est la destruction de la propriété d'autrui; la criminalité de l'action consiste non-seulement dans le dessein de profiter du crime, mais dans le dessein de nuire par la destruction. La loi suppose que l'agent est animé par la haine ou la vengeance et non par la cupidité. Il se peut cependant que l'attentat soit inspiré par un autre motif, par exemple, par la soif d'un pillage rendu facile par l'incendie, ou par le désir insensé de jeter l'effroi dans une contrée. Dans ces deux cas, la destruction de la propriété d'autrui n'est plus le but, elle est le moyen; mais le résultat est le même, et dès lors le crime ne change pas de caractère.

Le caractère essentiel de ce crime est donc l'attentat à la propriété. Ainsi celui qui mettrait le feu à des récoltes qu'il aurait momentanément déposées comme un gage sur la propriété de son créancier, ne pourrait être l'objet de l'application des paragraphes trois et cinq, car le gage ne fait point passer au créancier la propriété de l'objet engagé [4]. Ainsi celui qui mettrait le feu à des récoltes saisies sur lui, et confiées soit à sa garde, soit à celle d'un tiers, se trouverait également en dehors de cette application, car la saisie n'exproprie point le débiteur [5].

Nous ferons observer ici que l'article 683, Code de procédure civile ne doit avoir aucune influence sur la criminalité de l'agent; les mots : s'il y a lieu, de cet article ne peuvent nullement atténuer la force et la précision de la loi pénale [6].

Mais il faudrait décider encore, comme l'a fait la cour de cassation sous l'empire du Code de 1810, que le mari qui met le feu à des édifices ou à des récoltes appartenant à sa femme, après que la séparation de corps et de biens a été prononcée et légalement connue, se rend

[5]. notre t. 6, p. 189.

[6] V., au t. 5 des Lois de la procédure civile, la question 2280 dans laquelle l'un des auteurs de ce livre a déjà émis et démontré cette opinion.

coupable du crime prévu par ces deux paragraphes, car ces édifices ou ces récoltes sont devenus à son égard la propriété d'autrui [1].

L'application des mêmes dispositions doit également être faite au copropriétaire qui met le feu à la chose commune, au cohéritier ou au coassocié qui incendie les immeubles de la succession ou de la société; car, lorsque la loi suppose que la chose incendiée n'appartient pas à l'agent, elle entend qu'il n'en a pas la libre et entière disposition. En détruisant une chose dont il n'a que la propriété partielle et indivise, il détruit une partie de cette chose qui ne lui appartient pas; il se rend coupable d'attentat à la propriété d'autrui.

§ III. De l'incendie de sa propre chose.

L'incendie d'un objet quelconque par le propriétaire de cet objet ne constitue ni crime ni délit, si cet incendie ne cause aucun préjudice ou n'apporte aucun péril à autrui : c'est un acte de démence ou un abus du droit de propriété, car il n'y a point de crime sans une intention criminelle [2]. Or, l'intention criminelle ne peut se puiser que dans le préjudice ou le péril que l'incendie peut produire. Un incendie qui ne peut nuire à personne, et qui n'est que la simple destruction d'un édifice, d'une forêt, d'une récolte appartenant à l'agent lui-même, ne peut donc avoir le caractère d'un crime [3].

Mais l'incendie devient punissable, lors même que son auteur est le propriétaire de l'objet incendié, dès qu'il a pu en résulter quelque préjudice ou quelque péril pour des tiers. L'article 434 a prévu plusieurs cas dans lesquels le propriétaire est incriminé à raison de l'incendie de sa propriété.

S'il a mis le feu à ses édifices, navires, bateaux, magasins ou chantiers, quand ils sont habités ou servent à l'habitation, la peine est la mort.

S'il a mis le feu à ses édifices, navires, bateaux, magasins ou chantiers, lorsqu'ils ne sont ni habites ni servant à l'habitation, ou à ses forêts, bois taillis ou récoltes sur pied, et s'il a, par cet incendie, volontairement causé un préjudice quelconque à autrui, la peine est celle des travaux forcés à temps.

S'il a mis le feu à ses bois ou récoltes abattus, et s'il a par ce moyen causé un préjudice quelconque à autrui, la peine est celle de la reclusion.

Enfin, s'il a mis le feu à des objets à luimême appartenant, mais placés de manière à le communiquer à une propriété étrangère, et si l'incendie a été communiqué, il est puni comme s'il avait directement mis le feu à cette propriété; et, dans tous les cas, la peine est la mort, si l'incendie a causé la mort d'une personne se trouvant dans le lieu incendié au mnoment où il a éclaté.

Ces distinctions, que formulent les §§ 1", 4, 6 et 7 de l'art. 434, n'existaient point dans le Code de 1810; elles ont été introduites par la loi du 28 avril 1832.

L'ancien article 454 punissait d'une manière générale et absolue de la peine de mort tout incendie volontaire des objets qu'il énumérait, sans rechercher si ces objets étaient ou n'étaient pas la propriété de l'agent. Il s'ensuivait que, dès que l'intention criminelle se trahissait par la possibilité d'un préjudice envers un tiers. par exemple en cas d'assurance de la maison incendiée, la qualité de propriétaire était indifférente et n'effaçait ni même n'atténuait le crime. C'est ainsi que la cour de cassation déclarait, dans une espèce où l'accusé avait mis le feu à sa propre maison dans le dessein de toucher le prix d'assurance de cette maison: « Qu'aux termes de l'article 434, le crime d'incendie ne consiste pas seulement à mettre le feu à des édifices ou à des choses appartenant à autrui, mais à mettre le feu à des édifices ou à des choses qui peuvent en brûlant incendier les propriétés d'autrui ou nuire à autrui; que la loi a eu évidemment pour objet de réprimer avec une juste sévérité le moyen de nuire le plus facile, le plus nuisible et le plus effrayant pour la société; que mettre le feu à sa propre maison assurée, dans l'intention de toucher le prix de l'estimation que les assureurs se sont engagés de payer en cas de sinistre, c'est commettre le crime d'incendie, car c'est mettre le feu à un édifice dans l'intention de nuire à autrui [4]. »

Cette interprétation souleva de graves objections. On soutenait que l'incendie que le législateur avait voulu frapper de la peine de mort,

[1] Cass., 2 mars 1820. (Bull., no 38.)

L'article 434 est applicable au mari qui incendie la propriété immobilière de sa femme. (Brux., cass., 28 juin 1859; Bull., 1859, 481. V., dans ce sens, Carnot, sur l'art. 434, no 5, et Dalloz, vo Incendie, p. 15.)

[2] Il nous semble inutile d'insister sur ce principe, que

nous avons développé dans plusieurs chapitres de notre ouvrage, notamment au chapitre du faux.

[3] Cass., 21 nov. 1822. (Bull., no 167.) « Ce ne sera pas un crime,» a dit M. le rapporteur à la chambre des pairs. (C. pén. progressif', p. 335.)

[4] Cass., 11 nov. 1825. (Bull., no 219.)

c'était l'attentat à la vie des personnes, ou la destruction de la propriété d'autrui; que c'est dans ces deux cas seulement que le crime prend un caractère assez dangereux pour motiver l'application de cette peine; mais que lorsqu'il se propose uniquement de causer un préjudice indirect, en faisant naître un cas de responsabilité pour un tiers, l'incendie ne doit plus être considéré que comme une manœuvre frauduleuse constitutive du délit d'escroquerie. Cette distinction puisée dans la raison de la loi prévalut sur ses termes, quelque absolus qu'ils fussent; et la cour de cassation rendit, après partage, un nouvel arrêt qui déclara : « que l'art. 434 suppose que le feu aura été mis volontairement à des édifices appartenant à autrui, ou à des matières combustibles placées de manière à communiquer le feu à ces sortes de propriétés; d'où il suit qu'il faut avoir incendié ou tenté d'incendier les édifices d'autrui pour être passible de la peine portée par cet article ; qu'il ne prévoit pas le cas où l'on aurait mis le feu à ses propres édifices lorsqu'ils sont isolés, en sorte que le feu ne puisse s'étendre à des édifices ou autres objets spécifiés audit article et appartenant à autrui; qu'il ne prévoit pas davantage celui où l'on aurait mis le feu à ses propres édifices assurés; et que, si dans ce cas on nuit aux droits incorporels d'un tiers, ce n'est pas là l'espèce de dommage causé à autrui que la loi punit de mort, puisque l'action du feu n'a pas atteint ou détruit la maison ou l'édifice d'autrui; | qu'un édifice assuré n'est pas en effet la propriété de l'assureur, et qu'on ne peut, par voie d'interprétation ou d'analogie, atteindre et punir un fait qui n'est pas qualifié crime ou délit par la loi [1]. »

Il résulta de cette nouvelle jurisprudence une véritable lacune dans le Code pénal. L'exposé des motifs de la loi du 28 avril 1852 s'énonçait en ces termes : « Les contrats d'assurance contre l'incendie, et les évaluations trop souvent exagérées, dans ces contrats, des immeubles qui en sont l'objet, ont donné naissance à un crime d'une nature toute particulière. Le propriétaire met lui-même le feu à sa maison pour obtenir de la compagnie avec laquelle il a traité le capital de l'assurance il importe de réprimer avec sévérité un tel attentat, dont il est si difficile de convaincre les auteurs; car, gardiens de leurs propriétés, ils choisissent le moment qui convient le mieux à leurs coupables projets. La jurisprudence avait assimilé d'abord ce crime au

[1] Cass., 19 mars 1831. (Bull., no 55.) [2] C. pén. progressif', p. 522.

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crime ordinaire d'incendie, et la peine de mort devait atteindre celui qui avait incendié sa propre maison dans la pensée de dépouiller une compagnie d'assurance, comme celui qui avait incendié la maison d'autrui. Ces crimes ne sont pas les mêmes; ils ne supposent pas la même perversité dans leurs auteurs. Le projet de loi propose de prononcer la peine des travaux forcés à perpétuité contre celui qui a incendié sa propre maison dans la pensée de porter préjudice à autrui ; si quelqu'un a péri dans l'incendie, la peine sera la mort [2]. »

La chambre des pairs substitua à cette proposition unique plusieurs distinctions. En premier lieu, elle pensa que la peine de mort devait continuer d'être appliquée à l'incendie de toute maison habitée, soit qu'elle appartint à l'auteur de l'incendie ou à un tiers. Car, suivant les expressions du rapporteur, « ce n'est pas ici la destruction de la propriété par le feu qu'on veut punir, c'est la vie des hommes qu'on veut protéger. Quand on met le feu à une maison habitée, plusieurs personnes peuvent s'y trouver et périr; il faut se défendre de ce grand crime par la peine capitale. Quand la maison est habitée, le crime est aussi grand, que la maison appartienne ou n'appartienne pas à l'incendiaire [3]. » Le garde des sceaux jugea cette disposition trop rigoureuse : « Que résulte-t-il de là? dit-il. Que l'individu qui incendie sa maison dans une pensée de lucre, lors même qu'il n'y a personne dans sa maison, est menacé de la peine capitale. Je trouve qu'il y aurait trop de rigueur à entrer dans un pareil système. Tout le monde accorde que l'homme qui brûle sa maison pour escroquer à une compagnie d'assurance le prix de cette maison, est plus qu'un voleur ordinaire; mais il me semble qu'il y aurait de l'injustice à assimiler cet incendiaire à celui qui brûlerait la maison d'autrui. Celui qui brûle sa propre maison est souvent entraîné par l'ignorance qui lui fait croire que brûler sa maison n'est pas un crime aussi grand que celui de brûler la maison du voisin. Il est constant d'ailleurs que la conscience publique ne le confond pas avec les autres incendiaires. Il y a cependant une protection à donner, dans le cas dont il s'agit, non-seulement à la propriété, mais à la vie de l'homme si l'incendie a dévoré une existence, ce n'est plus la reclusion qui est appliquée, mais la peine capitale. Je craindrais que les dispositions proposées par la commission ne parussent d'une trop grande difficulté dans la pratique; que le jury,

[3] C. pen. progressif, p. 327.

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