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CHAPITRE LXXIV.

DES DESTRUCTIONS D'EDIFICES; DE L'OPPOSITION AUX TRAVAUX PUBLICS; DES PILLAGES OU DEGATS DE DENREES OU MARCHANDISES; DES DÉVASTATIONS DE RÉCOLTES.

LOI DE 1791 ET LE CODE PÉNAL.

§ 1 DESTRUCTIONs d'édifices prodUITES PAR UNE Autre cause que l'incendie. DIFFÉRENCES ENTRE LA CE QU'IL FAUT ENTENDRE PAR LA DESTRUCTION OU LE RENVERSEMENT. LA DESTRUCTION EST TOTALE OU PARTIELLE. IL FAUT QUE LA CHOSE DÉTRUITE SOIT UN Édifice, un PONT, UNE DIGUE, UNE CHAUSSÉE OU UNE CONSTRUCTION APPARTENANT A AUTRUI. EXPLICATION DE CES TERMES. LA VOLONTÉ EST UN ÉLÉMENT NÉCESSAIRE DU CRIME. HOMICIDE OU BLESSURES RÉSULTANT

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OBJET

CARAC

DE LA DESTRUCTION. § II. DE L'OPPOSITION AUX TRAVAUX AUTORISÉS PAR LE GOUVERNEMENT.
DE CETTE INCRIMINATION. L'OPPOSITION N'EST PUNISSABLE QU'AUTANT QU'ELLE S'EST MANIFESTÉE PAR
DES VOIES DE FAIT. CARACTÈRE DE CES VOIES DE FAIT. IL FAUT QUE LES TRAVAUX AIENT ÉTÉ AUTO-
RISÉS PAR LE GOUVERNEMENT. FAUT-IL DISTINGUER ENTRE LES TRAVAUX DÉFINITIES ET LES TRAVAUX
PRÉPARATOIRES? LES PROPRIÉTAIRES DES TERRAINS OU SE FONT LES TRAVAUX PEUVENT-ILS OPPOSER A
LA POURSUITE L'EXCEPTION DE PROPRIÉTÉ?
- § III. DU PILLAge et dégat dES MARCHANDISES.
TÈRES DU CRIME DES DESTRUCTIONS DE PROPRIÉTÉS MOBILIÈRES. DEFINITION DU PILLAGE ET DU DÉGAT.
IL EST NÉCESSAIRE que ceS FAITS SOIENT COMMIS SUR DES OBJETS MOBILIERS. UN DEUXIÈME ÉLÉMENT
DU CRIME EST QUE CES FAITS SOIENT COMMIS EN RÉUNION OU BANDE. DISTINCTION DE LA RÉUNION ET DE
LA BANDE, ET DÉFINITION DE CES DEUX CIRCONSTANCES. LE TROISIÈME ÉLÉMENT DU CRIME EST QUE
LE PILLAGE AIT ÉTÉ COMMIS A FORCE Ouverte. CARACTÈRE DE CETTE CIRCONSTANCE. PEINES.
ATTENUATION AU CAS DE PROVOCATION. AGGRAVATION A L'ÉGARD DES CHEFS ET INSTIGATEURS.
DE CES DEUX DISPOSITIONS. DÉGAT EFFECTUÉ A L'AIDE DE MATIÈRES CORROSIVES. CARACTÈRES PARTI-
CULIERS DE CE CRIME. CONDITIONS NÉCESSAIRES DE LA VOLONTÉ ET DU DÉGAT. CE QU'IL FAUT EX-
TENDRE PAR MARCHANDISES. -§ IV. DESTRUCTION ET DÉVASTATION DE RÉCOLTES, PLANTS, ARBRES, GREFFES,
GRAINS OU FOURRAGES. CARACTÈRE DES DÉVASTATIONS DE RÉCOLTES SUR PIED. DIFFUSION D'IVRAIE
DANS UN CHAMP. — A QUELS OBJETS CE DÉLIT S'APPLIQUE. DES COUPES ET MUTILATIONS D'ARBRES.
DESTRUCTION DES GREFFES. QUELS ARBRES SONT L'OBJET DE CES DISPOSITIONS. IL FAUT QUE LE
PRÉVENU AIT CONNAISSANCE QU'ILS APPARTENAIENT a autrui. CETTE CONNAISSANCE PEUT ÊTRE ACQUISE
PAR VOIE DE PRÉSOMPTION A L'ÉGARD DU fermier. PÉNALITÉ SPÉCIALE A CE DÉLIT. · COUPES DE GRAINS
ET DE FOURRAGES APPARTENANT A AUTRUI. - CARACTÈRE De ce délit. CIRCONSTANCES AGGRAVANTES.

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EXAMEN

DESTRUCTION DES INSTRUMENTS D'AGRICULTUre. CARACTÈRES PARTiculiers de ce déLIT. (COMMENTAIRE DES ART. 437, 438, 440, 441, 442, 443, 144, 445, 446, 447, 448, 449, 450, 451, 455, C. PÉN.)

Nous venons d'examiner les divers caractè- | res des destructions de propriétés qui sont causées par l'incendie. Les mêmes destructions peuvent être produites par d'autres moyens; mais comme ces moyens ont une moindre puissance, que les résultats en sont moins désastreux, la loi n'a pas attaché à l'emploi de ces moyens une peine aussi grave; elle a pensé que la criminalité de deux agents, fût-elle la même, se mesure en partie sur la somme du dommage que l'action peut produire. Nous examinerons dans ce chapitre: 1° les destructions d'édifices produites par une autre cause que l'incendie; 2° l'opposition,

par des voies de fait, à la confection de travaux autorisés par le gouvernement; 3° les pillages ou dégâts de denrées ou marchandises, commis en réunion ou bande et à force ouverte; 4o les dévastations de plants et de récoltes.

§ I. Des destructions d'édifices produites par une autre cause que l'incendie.

L'art. 35 de la deuxième section du titre 2 du Code de 1791 était ainsi conçu : « Quiconque sera convaincu d'avoir volontairement, par malice ou vengeance, et à dessein de nuire à autrui,

détruit ou renversé, par quelque moyen violent | maison ne commet point une destruction partielle que ce soit, des bâtiments, maisons, édifices de cette maison, et ne peut dès lors subir l'apquelconques, digues et chaussées qui retiennent plication de l'art. 437 [1]. En effet, on ne saurait les eaux, sera puni de six années de fers; et si dire, sans prendre les mots dans une significalesdites violences sont exercées par une ou plu- tion absolument inusitée, que celui qui a cassé sieurs personnes réunies, la peine sera neuf an- quelques carreaux ait détruit ou renversé l'édinées de fers, sans préjudice de la peine pronon- fice où se trouvaient ces carreaux. La qualificacée contre l'assassinat, si quelque personne perd tion donnée au fait et la sévérité de la peine inla vie par l'effet dudit crime. »> diquent d'ailleurs assez que la loi n'a voulu atteindre que la démolition totale ou partielle des constructions, la ruine des édifices.

Notre Code pénal, en reproduisant cette disposition, l'a modifiée dans plusieurs points essentiels. L'art. 437 porte : « Quiconque aura volontairement détruit ou renversé, par quelque moyen que ce soit, en tout ou en partie, des édifices, des ponts, digues ou chaussées, ou autres constructions qu'il savait appartenir à autrui, sera puni de la reclusion, et d'une amende qui ne pourra excéder le quart des restitutions et indemnités, ni être au-dessous de cent francs. S'il y a eu homicide ou blessures, le coupable sera, dans le premier cas, puni de mort, et dans le second, puni de la peine des travaux forcés à temps. >>

Nous rechercherons plus loin les différences qui séparent ces deux textes. Il faut remarquer en premier lieu que, d'après l'art. 437, le crime n'existe que par le concours de ces trois circonstances: qu'il y ait destruction ou renversement, par un moyen quelconque, de tout ou partie d'une chose immobilière; que cette chose soit un édifice, un pont, une digue, une chaussée ou une autre construction que l'agent savait appartenir à autrui; que la destruction ou le renversement ait été commis volontairement.

La loi incrimine cette destruction quel que soit le moyen employé pour l'opérer. Le Code de 1791 exigeait que ce moyen eût été violent. Le législateur n'a point reproduit cette expression; il a craint qu'elle n'induisît le juge en erreur, en le portant à restreindre le sens de l'article. L'action suppose nécessairement la violence; mais elle ne changerait pas de nature par cela seul que les moyens mis en œuvre pour l'exécuter n'auraient pas les apparences de cette violence.

Le deuxième élément du crime est que la chose détruite soit un édifice, un pont, une digue, une chaussée, ou une construction appartenant à autrui.

Ces termes ne comprennent point les monuments des arts destinés à l'utilité ou à la décoration publique; la destruction et le renversement de ces monuments sont prévus par l'art. 257 [2].

Ils ne comprennent point en général tous les objets, toutes les constructions qui n'ont point le caractère d'immeubles : ce sont les constructions immobilières que la loi a spécialement Le fait matériel du crime est la destruction voulu protéger [3]. Cela résulte d'abord de la ou le renversement; ces deux mots emportent nature même des objets énumérés, et de ces mots l'idée d'une démolition, d'une ruine; il faut que qui suivent cette énumération : ou autre conla construction ait été abattue, la digue percée, struction. Mais si l'on remonte à la rédaction de l'édifice jeté à bas. L'art. 257, relatif aux monu- cet article, on trouve que son texte portait dans ments publics, prévoit non-seulement la destruc- le premier objet ces mots : ou autres choses imtion et le renversement de ces monuments, mais mobilières. La commission du corps législatif fit encore leur mutilation et leur dégradation. Ces remarquer à ce sujet : « qu'en ajoutant aux difféexpressions n'ont point été reproduites par l'ar-rentes espèces d'immeubles détaillés dans cet ticle 437; c'est une raison nouvelle de conclure que la loi a voulu restreindre l'application de cet article aux actes les plus graves, à ceux qui porteraient atteinte à la propriété elle-même.

A la vérité, l'article comprend la destruction totale ou partielle; mais la destruction même partielle d'une chose est toujours une destruction de cette chose. Ainsi la cour de Bruxelles a jugé avec raison que celui qui brise les vitres d'une

[1] Brux., 19 sept. 1814. (Pasicrisie belge.) [2]. notre t. 2, p. 295.

[3] L'art. 437 ne peut s'appliquer à la destruction d'un

CHAUVEAU. T. IV. - ÉD. FRANC. T. VIII.

article les mots : ou autres choses immobilières, cette expression générale pourrait donner lieu à des discussions et des recherches sur la nature des objets réputés immobiliers. » Elle proposa, pour éviter cette difficulté, de substituer à ces mots ceux-ci : ou autres constructions, qui comprennent les écluses, les aqueducs, les murailles. Cette modification fut adoptée. Il suit de là que le législateur n'a point voulu modifier le

échafaudage servant à la réparation d'un fort. (Liége, 26 juill. 1828.)

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principe qui restreignait l'article aux choses immobilières, et que son seul but a été d'éviter une expression vague et non définie. Ainsi toutes les constructions qui ne constituent pas des immeubles, et, par exemple, les bateaux et les navires, ne sont point compris dans les termes de cet article. La destruction de ces derniers objets est, au reste, prévue et punie par la loi du 10 avril 1825 sur la baraterie.

On doit en général comprendre dans le mot constructions tous les ouvrages faits de main d'homme dans un but d'utilité publique ou privée. La loi ne distingue point si ces constructions sont achevées ou seulement commencées. Mais on ne doit pas ranger dans cette classe les cabanes de gardiens, puisqu'elles sont protégées par l'art. 451, et les clôtures, quels que soient les matériaux qui les composent, puisque l'art. 456 s'en occupe spécialement.

Les constructions ne rentrent dans les termes de l'art. 437 qu'autant qu'elles appartiennent à autrui. Chacun, en effet, est maître de disposer comme il l'entend de sa propre chose: ce droit du propriétaire n'a été circonscrit par la loi pénale qu'en matière d'incendie, en raison de la facile communication de ce moyen de destruction et des fraudes que son emploi favoriserait au préjudice des compagnies d'assurance. Le propriétaire peut donc détruire sa chose par tout autre moyen que par le feu, sauf l'action civile des tiers que cette destruction léserait. Le fermier, l'usager, l'usufruitier, ne pourraient invoquer leurs droits respectifs pour voiler leurs actes de destruction, car ils auraient détruit la chose d'autrui, quels que fussent leurs droits personnels sur cette chose; il serait seulement nécessaire de constater avec soin l'intention qui les animait et le but de leur action.

La troisième condition du crime est que la destruction ait été commise volontairement et avec la connaissance que la chose détruite appartenait à autrui. Le concours de ces deux circonstances forme la criminalité de l'action. Le Code de 1791 exigeait que cette action eût été faite par malice ou vengeance et à dessein de nuire à autrui. L'art. 437 n'a pas reproduit cette addition; s'ensuit-il que le crime ait été en quelque sorte matérialisé, et qu'il faille faire abstraction de l'intention? Nous ne le pensons pas. Tout ce qui résulte de cette omission, c'est que le jury ne peut être consulté, par une question séparée, sur le point de savoir si l'accusé a agi par malice, vengeance ou à dessein de nuire. Mais cette condition essentielle du crime peut-elle donc ne

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pas exister? N'est-elle pas renfermée dans la question de culpabilité? Comment l'accusé serait-il coupable, s'il n'avait pas dessein de nuire, s'il n'agissait pas avec méchanceté? A la vérité, la cour de cassation a jugé : « que tout individu qui a détruit un édifice ou une autre construction, en tout ou en partie, a commis un crime, s'il l'a fait volontairement et s'il savait que l'édifice appartenait à autrui; que la loi reconnaît un crime à ces deux caractères, qui sont tels, en effet, qu'il serait inutile de rechercher encore si le coupable a été poussé par la méchanceté, la haine ou la vengeance [1]. » Il faut remarquer que la cour de cassation ne déclare pas par cet arrêt que l'intention de nuire n'est pas un élément du crime; elle déclare seulement que cette intention est implicitement renfermée dans la volonté de détruire la propriété d'autrui; mais, lorsqu'il s'agit de constater l'intention de l'agent, il faut procéder non par voie indirecte, mais explicitement. La volonté d'ailleurs ne suppose pas toujours la pensée de nuire, car l'agent peut ne pas apercevoir les conséquences de son action; il ne doit être déclaré coupable qu'autant qu'il a voulu porter préjudice par cette action.

Néanmoins, comme la loi exige formellement que l'agent ait agi volontairement et avec la connaissance que l'édifice appartenait à autrui, il s'ensuit que ces deux circonstances, bien que constitutives de la culpabilité, doivent être constatées en dehors de cette culpabilité. C'est ce que la cour de cassation a décidé, en déclarant qu'il ne suffit pas que l'accusé soit déclaré coupable: « Attendu que, dans l'économie de l'ar-· ticle 437, la volonté est un élément caractéristique du crime qu'il prévoit; que la simple dégradation ou destruction sans le concours de la volonté ne rentre pas dans les dispositions répressives de cet article; que le mot coupable n'implique pas à lui seul l'existence de la volonté de commettre le crime, et a pu, dans l'intention du jury, ne signifier que la déclaration du fait de destruction à la charge de l'accusé [2]. »

Le 2 § de l'art. 437 porte que, « s'il y a eu homicide ou blessures, le coupable sera, dans le premier cas, puni de mort, et, dans le second, puni de la peine des travaux forcés à temps. »

Le projet du Code contenait une rédaction plus exacte de la même disposition; il portait : «S'il y a eu homicide ou blessures, il sera puni comme coupable de les avoir commis avec préméditation. »

[1] Cass., 25 déc. 1813. (Pasicrisie, à cette date.)

[2] Cass., 19 janv. 1858.

« Si cependant, disait Faure dans l'exposé des motifs, il en est résulté un homicide ou des blessures, celui par le fait duquel cet homicide ou ces blessures ont eu lieu est considéré par la loi comme les ayant faits avec préméditation; car, en détruisant ou renversant un édifice, il savait que les accidents pourraient arriver, et l'acte de méchanceté dont il s'est rendu coupable ayant en effet produit ces accidents, ils doivent lui être imputés comme s'il les avait occasionnés à dessein. »>

C'est d'après ces observations que l'article fut rédigé. « Le Code défend aussi, ajoute l'exposé des motifs, de s'opposer par des voies de fait à l'exécution d'ouvrages que le gouvernement a autorisés. Si le gouvernement a été induit en erreur, il faut recourir aux autorités compétentes. Les retards occasionnés par les voies de fait doivent d'autant moins rester impunis qu'ils peuvent causer un grand préjudice à l'intérêt public. »

Le législateur a soumis cette incrimination à deux conditions: il faut que l'opposition se soit manifestée par des voies de fait, et que les travaux aient été autorisés par le gouvernement.

La simple opposition à l'exécution des travaux du gouvernement, lorsqu'elle a lieu sans violence et sans voies de fait, ne constitue aucun délit.

On voit que cette disposition n'est que la reproduction du dernier paragraphe de l'art. 434. Le législateur a voulu que l'agent qui se rend coupable d'un crime fût responsable de toutes les conséquences de ce crime qu'il a pu prévoir lors de sa perpétration: si l'auteur de la destruction n'a pas voulu l'homicide ou les blessures, il a voulu du moins le fait criminel qui L'opposition est licite, pourvu qu'elle se proles a causés, et il n'a point été arrêté par la duise par des moyens légaux; le délit est tout prévoyance que ce fait pouvait les causer. C'est entier dans l'acte par lequel elle se manifeste. cette combinaison d'un fait criminel et d'un C'est la rébellion, ce sont les violences, les homicide occasionné en quelque sorte volontai-attroupements que la loi a voulu atteindre; rement par ce fait, qui constitue la criminalité mais quel doit être le caractère de ces voies de de l'agent. Nous ne pouvons, au reste, que fait? nous référer aux observations que nous avons faites sur le dernier paragraphe de l'art. 434.

§ II. De l'opposition aux travaux autorisés par le gouvernement.

L'article 438 du Code pénal est ainsi conçu : « Quiconque, par des voies de fait, se sera opposé à la confection des travaux autorisés par le gouvernement, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans, et d'une amende qui ne pourra excéder la gravité des dommages-intérêts, ni être au-dessous de seize francs. Les moteurs subiront le maximum de la peine. »> Cet article n'existait point dans le projet du Code.

Lors de la discussion de l'art. 437, Regnault fit observer, dans le sein du conseil d'État, que cet article n'était pas complet. « Il convient, dit-il, de l'étendre à ceux qui s'opposent à la confection de travaux ordonnés ou autorisés: on a des exemples de ces sortes de délit. Il faudrait aussi distinguer entre les moteurs et ceux qu'ils ont mis en mouvement. » Treilhard répliqua « qu'il fallait cependant prendre garde de ne pas faire tomber la disposition sur celui qui ne s'oppose à des travaux que parce qu'il prétend qu'ils sont faits sur sa propriété [1]. »

[1] Procès-verbaux du conseil d'État, séance du 27 décembre 1808.

La cour de Toulouse a jugé : « que l'art. 458 punit les voies de fait par lesquelles on s'oppose aux travaux autorisés par le gouvernement, ce qui suppose que ce sont les travaux eux-mêmes dont on arrête la confection, et que c'est sur les lieux mêmes où les travaux s'exécutent que le délit est commis; qu'en supposant que l'obstacle peut être opposé hors du lieu des travaux, tout au moins faudrait-il qu'il fût tel, qu'il y eût impossibilité de continuer lesdits travaux [2]. »

Cet arrêt nous semble contenir deux propositions inexactes. La loi n'exige point que les voies de fait soient telles, qu'il y ait impossibilité de continuer les travaux. Sans doute elles doivent se proposer comme but cette interruption; mais elles n'en sont pas moins punissables parce qu'elles n'ont pas réussi dans leurs efforts. La loi n'attend pas qu'il y ait une interruption pour punir; elle frappe la seule opposition, pourvu qu'elle se soit manifestée par des voies de fait; le délit est consommé par la rébellion, indépendamment de son résultat. Une autre erreur serait d'exiger comme une condition du délit que les voies de fait aient été commises sur les lieux mêmes où les travaux s'exécutent; la loi n'exige nullement cette condition. Sans doute le plus souvent, par la nature même des choses,

[2] Toulouse, 10 mars 1834. (Devill., 1834, 2, 173.)

elle se réalisera; mais supposons que, pour la confection des travaux, il soit nécessaire de tirer des matériaux d'un lieu voisin, et que l'opposition se manifeste au lieu de l'extraction de ces matériaux, ou bien que les travaux ne puissent s'exécuter que sous la direction d'un agent spécial, et qu'on cherche à s'opposer au transport de cet agent; est-ce que le résultat de l'opposition ne sera pas le même ? est-ce que le délit ne sera pas parfaitement identique? Et comment ferait-on entre ces divers cas une distinction, quand le Code n'en fait aucune?

On doit donc entendre, en général, par voies de fait, tous les actes matériels qui tendent à interrompre les travaux, soit qu'ils soient commis sur les lieux mêmes de l'exécution de ces travaux, ou sur les lieux voisins, soit qu'ils aient réussi ou non à produire leur interruption. Ces actes se manifestent ordinairement par des attroupements, par la destruction ou la tentative de destruction des travaux; leur caractère essentiel est d'avoir pour but d'en suspendre ou d'en empêcher l'exécution. La loi n'a point défini le degré de gravité qu'ils doivent revêtir; il semble qu'en général ils doivent être en rapport avec le but qu'ils se proposent.

Le deuxième élément du délit est que les travaux aient été autorisés par le gouvernement. | Le législateur a pensé que ce n'est que dans le cas où une présomption d'utilité générale s'attache aux travaux que la loi pénale doit intervenir pour les protéger. L'opposition faite aux travaux des particuliers ne constitue aucun délit; s'il résulte un dommage, ils ne peuvent en demander la réparation que par la voie civile.

Que faut-il entendre par les travaux autorisés par le gouvernement? Il faut entendre d'abord tous ceux qui sont faits pour le compte de l'État, soit qu'il les fasse faire par ses agents, soit qu'il. ait traité avec des entrepreneurs pour leur exécution. Mais si les travaux sont entrepris soit pour le compte d'un département, soit pour celui d'une commune, rentrent-ils dans les termes de l'article [1]? La cour de cassation a répondu affirmativement, lorsque ces travaux ont été régulièrement autorisés par le préfet : « Attendu qu'on doit comprendre dans ces mots : travaux autorisés par le gouvernement, les travaux légalement autorisés par des agents du

[1] Le mot gouvernement de l'art. 458, doit s'entendre non-seulement du pouvoir exécutif, mais encore de toute autorité légalement constituée et exerçant une partie quelconque du pouvoir public. Des droits de propriété ou de servitude, fussent-ils même établis, ne pourraient légitimer l'opposition par force ouverte aux travaux arrêtés par l'autorité compétente. Aucune loi n'impose aux com

gouvernement, dont le pouvoir émane du gouvernement lui-même [2]. » Cette doctrine, qui tendrait à comprendre dans les travaux publics les travaux des communes et des départements, nous paraît erronée; le motif de l'article 438 est l'intérêt général, qui ne s'attache qu'aux travaux concernant l'État. Le mot gouvernement ne veut jamais dire, en matière administrative, agents du gouvernement. En matière criminelle, l'appliquer dans un sens aussi élastique, ce serait étendre les termes de la loi pénale. Il faut donc que l'obstacle soit apporté à la confection de travaux ordonnés directement par le gouvernement; quand la loi a dit autorisés, elle n'a pas voulu s'occuper d'un simple acte de tutelle administrative.

Si les travaux ont excédé les limites fixées par l'autorisation, l'opposition est-elle encore punissable? Il faut répondre négativement. L'arrêt qui vient d'être cité dispose à la vérité : <«< que la circonstance que, dans l'exécution des travaux, on aurait dépassé les limites tracées par l'arrêté du préfet, ne pourrait, alors même qu'elle serait établie, légitimer les voies de fait dont les prévenus se seraient rendus coupables. Cette circonstance ne légitime point sans doute ces voies de fait, mais elle leur enlève leur caractère de délit. Il faut, en effet, pour l'existence du délit, que les travaux soient autorisés par le gouvernement; or, ils cessent d'être autorisés dès qu'ils excèdent les limites de l'autorisation; les travaux construits au delà de ces limites sont élevés arbitrairement; la présomption d'utilité publique ne les environne plus; ils doivent cesser d'être protégés par la loi.

Le Code n'a point distingué entre les travaux définitifs et les travaux préparatoires, tels que les études de terrains et levés de plans destinés à faciliter leur exécution. Lorsque ces études ont été dûment autorisées, et que l'autorisation a été publiée, il n'existe donc aucun motif de les soustraire à la protection légale. C'est ce que la cour de cassation a décidé en déclarant : « qu'il faut distinguer entre la déclaration d'utilité publique, qui ne peut émaner que du gouvernement, et la confection de travaux préparatoires autorisés par l'administration, et destinés à s'éclairer sur la nécessité de cette déclaration; que, si la déclaration d'utilité publique doit

munes, dans le cas de la suppression d'un sentier communal, l'obligation de payer une indemnité préalable à ceux qui pourraient souffrir un préjudice par suite de cette suppression; libre à eux de faire valoir leurs droits dans les formes ordinaires. (Brux., 8 mai 1841; J. de Bruz., 41, 515.)

[2] Cass., 3 mai 1834.

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