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pleine faculté, elle ne leur impose aucune obli- | gation. La peine atténuée est la reclusion. L'article n'a point ajouté, comme l'art. 440, l'amende à cette peine; d'où il suit qu'il ne doit en être prononcé aucune.

Non-seulement les chefs, instigateurs et provocateurs sont exclus du bénéfice de l'art. 440, mais la peine des travaux forcés à temps est portée contre eux au maximum, dans un cas que formule l'art. 442: « Si les denrées pillées ou détruites sont des grains, grenailles ou farines, substances farineuses, pain, vin ou autre boisson, la peine que subiront les chefs, instigateurs ou provocateurs seulement, sera le maximum des travaux forcés à temps, et celui de l'amende prononcée par l'art. 440. » Cet article, ainsi que l'art. 441, n'est que le corollaire de l'art. 440; il ne fait que substituer une peine à une autre; les éléments du crime de pillage sont toujours les mêmes. Deux circonstances sont en outre nécessaires pour motiver son application: il faut que le pillage ou le dégât ait porté sur les substances mentionnées par cet article; il faut ensuite que les accusés soient les chefs, instigateurs ou provocateurs du crime. Lorsque cette nature des substances pillées et cette qualité des accusés ont été constatées, le maximum des travaux forcés à temps et de l'amende est nécessairement applicable, sauf l'atténuation autorisée par l'art. 463.

Il reste à examiner un cas particulier de dégât qui est soumis à des règles spéciales et qui fait l'objet de l'art. 443; cet article est ainsi conçu : « Quiconque, à l'aide d'une liqueur corrosive ou par tout autre moyen, aura volontairement gâté des marchandises ou matières servant à la fabrication, sera puni d'un emprisonnement d'un mois à deux ans, et d'une amende qui ne pourra excéder le quart des dommages-intérêts, ni être moindre de 16 fr. Si le délit a été commis par un ouvrier de la fabrique, ou par un commis de la maison de commerce, l'emprisonnement sera de deux à cinq ans, sans préjudice de l'amende, ainsi qu'il vient d'être dit. »

Le but de cet article est, suivant les paroles de l'exposé des motifs, de protéger les intérêts du commerce et des manufactures, en punissant les détériorations volontairement causées aux marchandises. La loi distingue et prévoit trois circonstances: le moyen employé pour commettre le dommage; la volonté de causer ce dommage; enfin le fait matériel du dégât fait aux marchandises.

La loi prévoit d'abord le cas où le dommage a été produit à l'aide d'une liqueur corrosive; mais cette dénomination est purement démonstrative, car elle ajoute aussitôt ou par tout

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autre moyen. 11 suit de là que le moyen employé n'est point un élément du délit; peu importe que l'agent se soit servi de tout instrument analogue de destruction, il suffit que le dégât ait été

effectué.

La première condition du délit est que ce dégât ait été commis volontairement, c'est-à-dire avec intention de nuire, car la volonté sans intention de nuire pourrait n'être que le résultat d'une erreur; tel serait, par exemple, le cas où l'agent aurait gâté les marchandises par des procédés qu'il n'aurait employés qu'avec l'intention de les améliorer; il faut qu'il ait agi nécessairement avec la connaissance des conséquences de son action. Dans tout autre cas, il n'est passible que d'une action civile, à raison du dommage qu'il a causé.

La deuxième condition du délit est qu'il y ait eu un dégât causé à des marchandises ou matières servant à la fabrication. Par dégât il faut entendre toute détérioration causée aux marchandises; il n'est pas nécessaire qu'elles aient été détruites, ni même qu'elles aient perdu toute leur valeur; il suffit qu'elles aient été assez altérées pour perdre une partie de cette valeur. Par marchandises et matières servant à la fabrication, il faut entendre les objets fabriqués destinés à être vendus, et les matières premières destinées à alimenter la fabrication. Le dégât ne constituerait donc pas le délit prévu par cet article, s'il était commis sur un objet qui ne serait destiné ni à la fabrication ni à la vente, et qui ne serait pas dans le commerce avec le caractère d'une marchandise.

La question s'est élevée de savoir si sous le mot marchandises on peut comprendre les objets d'art, tels que les tableaux, les dessins, les statues, les bas-reliefs, lorsque ces objets sont encore dans l'atelier de l'artiste et qu'il les destine à la vente. L'affirmative a été décidée par un jugement portant : « que l'expression marchandises employée dans l'art. 443 comprend toutes les choses mobilières destinées ou livrées au commerce, et qui se trouvent dans les mains soit du producteur, soit de celui qui en fait négoce; que c'est ce qui résulte du rapprochement et de la combinaison des art. 440, 441, 442, 443 et 479, n° 1, Code pénal; de là il suit que les tableaux, les dessins, les gravures, les statues et autres objets d'art ont le caractère de marchandises, non-seulement à l'égard de celui qui en fait commerce, mais encore pour l'artiste qui les produit, parce que l'un ne les achète que pour les revendre, et que l'autre ne les produit le plus ordinairement que dans l'intention de les vendre; qu'à la vérité, considérée au point de vue de la pensée et du génie, l'œuvre de l'artiste se distin

gue essentiellement de ce que vulgairement on |
entend par marchandise; mais qu'il en est autre-
ment quand on l'apprécie sous le rapport de
l'intérêt et du but matériel de l'auteur, parce
que, si l'amour des arts et de la gloire anime,
encourage l'artiste dans la création et l'accom-
plissement de son œuvre, il est évident aussi que
le plus souvent il imagine et produit pour satis-
faire aux nécessités de la vie, et en considération,
dès lors, des avantages pécuniaires qu'il doit na-
turellement et légitimement trouver dans la vente
de son œuvre et dans le droit de la reproduire
en la livrant à l'industrie; que, placé à ce point
de vue, il est manifeste que l'artiste n'est plus
qu'un producteur ordinaire, et sa composition,
sa production, son œuvre enfin, qu'une véritable
marchandise; d'où la conséquence que, l'artiste
produisant comme fabricant, l'œuvre de l'artiste,
comme marchandise, se trouve nécessairement
sous l'empire des dispositions de l'article 443;
qu'autrement les objets d'art que confectionne
l'artiste ou que débite le marchand seraient
moins protégés que les marchandises, à propre-
ment parler, puisque les mutilations, les dégra-
dations que la méchanceté leur ferait subir, ne
seraient qu'une simple contravention punie de
15 francs d'amende, tandis qu'elles constitue-
raient un délit grave et sévèrement réprimé, si
elles atteignaient la marchandise, telle, par exem-
ple, qu'une pièce d'indienne; que c'est là une
contradiction qu'on ne peut supposer à la loi [1].»
Nous ne pouvons rien ajouter à ces motifs pleins
de force et de justesse, dont nous adoptons la
doctrine. L'œuvre de l'artiste est un objet de
commerce en même temps qu'un objet d'art, et
il serait étrange que son mérite artistique l'em-
pêchât de profiter d'une protection qui s'étend
aux plus viles marchandises. Toutefois, il faut
prendre garde que l'objet d'art ne peut revêtir
ce caractère de marchandise que lorsqu'il se
trouve soit dans l'atelier de l'artiste qui le des-
tine à la vente, soit dans le magasin du marchand
qui l'expose pour être vendu. Lorsque cette vente
est effectuée, lorsque son placement est définitif,
cet objet abdique ce caractère momentanément
commercial, il ne conserve que son caractère
artistique, et l'art. 443 cesse alors de lui être ap-
plicable.

La peine de ce délit est un emprisonnement d'un mois à deux ans, et une amende qui peut s'élever de seize francs au quart des dommagesintérêts. Mais cette peine s'aggrave, sans que le délit change de nature, s'il a été commis par un

ouvrier de la fabrique ou par un commis de la maison de commerce; l'emprisonnement est alors de deux à cinq ans, sans préjudice de l'amende. Cet ouvrier ou ce commis se rendent coupables, en effet, d'un abus de confiance qui ajoute à la gravité du délit de destruction,

§ IV. Destructions et dévastations de récoltes, plants, arbres, greffes, grains ou fourrages.

Nous réunissons dans ce paragraphe plusieurs faits de dévastation qui ont des caractères communs, soit parce qu'ils se rattachent au même intérêt, celui de l'agriculture, soit parce qu'ils concernent tous également des objets qui sont confiés à la foi publique.

Tels sont les dévastations de récoltes sur pied, ou de plants venus naturellement ou faits de main d'homme;

Le fait d'abattre des arbres, ou simplement de les mutiler, quand la perte de l'arbre peut en résulter;

La destruction des greffes;

L'action de celui qui coupe des grains ou fourrages qu'il sait appartenir à autrui; Les ruptures ou destructions d'instruments d'agriculture.

Les dévastations de récoltes font l'objet de l'art. 444. Cet article est ainsi conçu : « Quiconque aura dévasté des récoltes sur pied ou des plants venus naturellement ou faits de main d'homme, sera puni d'un emprisonnement de deux ans au moins, de cinq ans au plus. Les coupables pourront de plus être mis, par l'arrêt ou le jugement, sous la surveillance de la haute police pendant cinq ans au moins et dix ans au plus. »

Cet article est la reproduction presque textuelle de l'art. 29 du titre 2 de la loi du 28 septembre-6 octobre 1791 sur la police rurale. Če dernier article portait en effet : « Quiconque sera convaincu d'avoir dévasté des récoltes sur pied, ou abattu des plants venus naturellement ou faits de main d'homme, sera puni d'une amende double du dédommagement dû aux propriétaires, et d'une détention qui ne pourra excéder deux années. » Les peines seules ont été modifiées.

On doit distinguer deux choses dans cette disposition : le fait de la dévastation, et la nature de l'objet dévasté.

La dévastation, en général, est l'action de ruiner, de saccager, de désoler un pays. Il s'agit donc ici de la ruine, du saccagement, de la destruction des récoltes ou des plants, car on doit [1] Jugement du tribunal correct. de la Seine du 22 fév. supposer que la loi a donné à ce mot son sens 1842. (Gaz, des Trib. du 23 fév. 1842.) naturel et ordinaire si elle avait voulu lui don

ner un autre sens, elle l'eût défini. Il faut donc distinguer la dévastation de l'enlèvement partiel de quelques plants, de quelques parties de récoltes; on peut enlever pour dévaster, mais l'enlèvement doit être général et avoir pour but la dévastation. Il faut également distinguer la dévastation du vol de récoltes et du maraudage. Dans ce dernier cas, le but principal de l'agent, c'est le vol; s'il dévaste, c'est pour voler dans le premier, au contraire, il ne s'empare pas des récoltes et des plants, il ne vole pas, il saccage, mais pour nuire; il ne cherche pas son propre avantage, mais seulement le préjudice

d'autrui.

:

La question s'est élevée de savoir s'il y a dévastation de récoltes dans le fait d'avoir méchamment répandu une grande quantité d'ivraie dans le champ d'autrui préparé pour être ensemencé [1]. Nous croyons que la solution doit être négative [2]. En premier lieu, le délit de dévastation de récoltes suppose nécessairement une récolte existant au moment de la dévastation: or, un champ ne renferme pas de récoltes lorsqu'il est simplement préparé pour l'ensemencement, ou même ensemencé, si les productions qu'il récèle n'apparaissent pas à sa surface. Ensuite, le seul rapprochement du fait que la loi punit et du fait qu'il s'agit de punir, suffit pour prouver que ces deux fails ne sont point identiques; l'étouffement plus ou moins complet du grain par l'ivraie n'est point une dévastation, dans le sens propre de ce mot; les effets peuvent être les mêmes, mais les actes diffèrent essentiellement. Celui qui sème l'ivraie nuit à la récolte, mais il ne la saccage point, il ne lui nuit même que pour l'avenir, et non pas actuellement; de sorte que, si la graine malfaisante qu'il répand, par quelque accident, ne germait pas, il n'y aurait point de dommage, et par conséquent point de délit. Ce n'est donc point là le fait qu'a prévu l'art. 444. Au reste, le délit de dévastation suppose nécessairement la méchanceté, l'intention de nuire; si la dévastation a été le résultat d'un accident, si, par exemple, l'agent l'a causé en laissant passer ses bestiaux ou ses voitures sur le champ couvert de récoltes, il ne sera responsable que d'une négligence, et passible que d'une peine de police, aux termes des articles 471, n° 13 et 14, et 475, n° 10, Code pénal, à moins qu'il ne soit constaté qu'il a agi par malice et à dessein de porter préjudice.

Tel est le caractère de la dévastation; mais

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pour qu'elle soit punissable un deuxième élément est nécessaire, il faut qu'elle ait atteint des récoltes sur pied ou des plants venus naturellement ou faits de main d'homme. Si les récoltes étaient abattues, la dévastation pourrait être punie comme dégât de propriétés mobilières, pillage, ou destruction de récoltes, mais elle ne rentrerait pas dans les termes de l'art. 444; la dévastation suppose des productions utiles de la terre attenant au sol par leurs racines. Quant aux plants, il faut entendre par cette expression ceux qui sont venus soit naturellement, soit de main d'homme, dans les champs ouverts, mais non dans les bois et forêts; dans ce dernier cas, les lois forestières seules seraient applicables [3].

Les coupes et mutilations d'arbres sont prévues par les àrt. 445, 446, 447 et 448 du Code pénal.

L'article 43 du titre 2 de la loi des 28 septembre-6 octobre 1791 portait : « Quiconque aura coupé ou détérioré les arbres plantés sur les routes sera condamné à une amende du triple de la valeur des arbres, et à une détention qui ne pourra excéder six mois. » L'article 445 Code pénal, en puisant son principe dans cette disposition, l'a étendue, et a élevé en même temps la pénalité : « Quiconque, porte cet article, aura abattu un ou plusieurs arbres qu'il savait appartenir à autrui, sera puni d'un emprisonnement qui ne sera pas au-dessous de six jours ni au-dessus de six mois, à raison de chaque arbre, sans que la totalité puisse excéder cinq ans. » Ainsi le délit ne s'applique plus seulement aux arbres plantés sur les routes, il s'applique en général aux arbres appartenant à autrui.

Deux conditions sont donc nécessaires pour le constituer: la coupe d'un ou de plusieurs arbres, et la connaissance, de la part de l'agent, que ces arbres étaient la propriété d'autrui.

Le fait matériel du délit consiste dans la coupe des arbres; l'art. 445 veut formellement qu'ils aient été abattus; mais les articles suivants placent à côté de cette disposition d'autres faits auxquels ils donnent le même caractère : la mutilation des arbres et la destruction des greffes.

L'art. 446 est ainsi conçu : « Les peines seront les mêmes à raison de chaque arbre mutilé, coupé ou écorcé de manière à le faire périr. » L'art. 447 ajoute : « S'il y a eu destruction d'une ou plusieurs greffes, l'emprisonnement sera de

[1] Tribunal correctionnel de Lille, 24 déc. 1839.

[2] L'art. 444, C. pén., n'est pas applicable à celui qui jette de l'ivraie dans un champ ensemencé de froment ou

de seigle. (Gand, 17 mars 1835 et 50 novembre 1842.) [3] Cass., 22 fév. 1821.

six jours à deux mois, à raison de chaque greffe, | régler; d'où il suit qu'aux termes de l'art. 484 de sans que la totalité puisse excéder deux ans. » ce Code, ces lois doivent continuer d'être obserCes deux dispositions sont puisées dans l'art. 14 vées, toutes les fois qu'il s'agit de prononcer sur du tit. 2 de la loi du 28 sept.-6 oct. 1791, qui les délits forestiers commis dans les bois de portait : « Ceux qui détruiront les greffes des ar-l'État, des communes et des établissements pubres fruitiers ou autres, et ceux qui écorceront blics, et même sur ceux de ces délits commis ou couperont, en tout ou en partie, les arbres dans les bois des particuliers, qui n'ont point été sur pied qui ne leur appartiendront pas, seront prévus par d'autres lois spéciales; que le Code condamnés à une amende double du dédomma- | pénal de 1810 ne s'est occupé des arbres abatgement dû aux propriétaires, et à une détention tus ou mutilés que lorsque les arbres sont plande police correctionnelle qui ne pourra excéder tés soit sur des fonds ruraux autres que les bois et forêts, soit sur les places et autres lieux désignés par l'art. 448 [2]. »

six mois. >>

Ainsi le délit existe non-seulement quand les arbres ont été abattus, mais même quand ils ont été seulement mutilés, coupés ou écorcés; mais il faut, la loi le déclare formellement, que la mutilation ait été de nature à faire périr l'arbre; si elle n'avait pas cette gravité, elle ne constituerait aucun délit [1].

Toutefois, si la mutilation, quoiqu'elle n'ait pas été de nature à faire périr l'arbre, a détruit une greffe, le délit reprend son caractère, moins grave cependant, et passible d'une peine moins forte. L'arbre ne périt pas; mais l'espérance qu'il recélait dans son sein, mais ce nouvel arbre enté sur le premier, est détruit, et le législateur a cru devoir, à peu près, estimer cette perte à celle de l'arbre même.

Quels arbres la loi a-t-elle voulu protéger par ces dispositions? Ces arbres appartiennent à deux classes ceux qui sont plantés dans les champs, dans les parcs, dans les propriétés particulières, et ceux qui sont plantés sur les places, routes, chemins, rues, voies publiques ou vicinales ou de traverse. Nous verrons tout à l'heure qu'à l'égard des arbres de cette dernière catégorie, l'art. 448 formule une aggravation de la peine. Il suit de là que la loi comprend nonseulement ces arbres, mais tous les arbres qui sont plantés sur des propriétés urbaines ou rurales, publiques ou privées, autres que les bois et les forêts. Cette unique exception est fondée sur les lois spéciales qui punissent les coupes d'arbres dans les bois et forêts; le même délit ne peut être réprimé par deux législations différentes, et la loi spéciale déroge nécessairement à la loi générale. La cour de cassation a reconnu cette dérogation, en déclarant : « que l'ordonnance de 1669 et le Code rural de 1791 sont des lois spéciales qui régissent la matière des délits forestiers, délits que le Code pénal n'a pas entendu

Le second élément du délit est la connaissance que l'agent a dû avoir que les arbres appartenaient à autrui. C'est cette connaissance qui forme la moralité du délit; elle renferme l'intention de nuire et la méchanceté. Il est donc nécessaire qu'elle soit formellement constatée par le jugement, puisqu'elle est la base de la peine.

Cependant la cour de cassation a déclaré : << que s'il résulte de l'art. 445 que la peine portée par cet article ne doit être appliquée qu'à celui qui a abattu des arbres qu'il savait appartenir à autrui, il ne s'ensuit pas que les tribunaux qui l'appliquent soient tenus de déclarer explicitement, et par une disposition formelle de leur jugement, que les délinquants savaient positivement que les arbres qu'ils ont abattus appartenaient à autrui, puisque leur culpabilité dépend, dans l'espèce, de cette seule circonstance, et qu'en certifiant les faits qui constituaient cette culpabilité, et en appliquant la peine, les juges déclarent suffisamment l'existence de cette circonstance essentielle [3]. »

Nous ne pouvons admettre cette culpabilité par voie de conséquence et de présomption. Pour qu'elle soit claire et certaine, il faut que les éléments qui la constituent soient nettement constatés. La décision de la cour de cassation repose sur ce raisonnement: Le prévenu a été déclaré coupable du délit ; or ce délit n'existerait pas sans la connaissance de la propriété d'autrui ; donc il avait cette connaissance. Mais le juge n'a-t-il pas pu se tromper sur les véritables éléments du délit? n'a-t-il pas pu perdre de vue une circonstance essentielle à son existence, mais qui n'appartient pas à sa matérialité ? n'a-t-il pas pu le circonscrire dans le fait matériel? Pourquoi s'éloigner ici du principe qui veut que, lorsque les éléments du délit sont définis par la

[1] Cass., 29 fév. 1828. Les art. 445 et 446 sont inapplicables, s'il n'est pas constaté que les arbres mutilės, coupés ou écorcés, l'ont été de manière à les faire périr. Le délit tombe alors seulement sous la disposition de l'ar

ticle 43, tit. 2, de la loi du 28 sept. 1791. (Liége, 21 juin 1828; Paris, cass., 27 fév. 1828, t. 11.) [2] Cass., 14 mai 1813. (Pasicrisie.) [3] Cass., 6 mai 1826.

loi, le jugement doit les constater? Il ne suffit pas que le prévenu soit déclaré coupable, il faut qu'il soit déclaré coupable du délit prévu par la loi, et par conséquent du délit composé des deux éléments qui le constituent légalement; c'est aussi dans ce sens que Carnot résout cette question [1].

Quelques doutes se sont élevés à l'égard du fermier; il sait assurément que les arbres ne lui appartiennent pas, mais il peut méconnaître les limites du droit de jouissance qu'il puise dans son bail, et faire un acte de propriété quand il ne croit faire qu'un acte de jouissance. Il est évident qu'en général le fermier ne peut invoquer en sa faveur aucune exception; il doit connaître l'étendue et la limite de son droit; il a la jouissance des arbres, il ne peut les abattre. L'usage d'un droit ne peut en excuser l'abus; à plus forte raison, l'exercice d'un droit ne peut motiver l'usurpation d'un autre droit tout à fait distinct du premier. La cour de Metz a adopté cette doctrine, en déclarant, dans une espèce où le prévenu avait fait arracher des arbres fruitiers dans une pièce de vigne qu'il exploitait comme fermier, sans autorisation du propriétaire, « que cette destruction constituait le délit prononcé par l'art. 445, C. pén., article dont la disposition est générale, et ne s'applique pas moins à un fermier qu'à tout autre individu qui abat des arbres qui ne lui appartiennent pas [2]. »

Toutefois, si le fermier prévenu d'avoir abattu ou mutilé des arbres, usait de son bail qui lui donnerait la faculté de les élaguer, ou même d'en couper pour son usage, cette exception formerait une question préjudicielle : il faudrait apprécier les clauses du bail, et juger si le droit stipulé en faveur du prévenu lui donnait celui de mutiler les arbres et de les faire périr [3].

Il est évident, au surplus, que les mutilations involontaires ne pourraient être, pas plus de la part du fermier que de toute autre personne, la matière du délit. C'est ainsi que la cour de cassation a reconnu que le fermier qui fait périr, en coupant les racines dans un labour, les arbres du propriétaire, n'est passible que d'une action civile : « Attendu que le plaignant reconnaissait lui-même que c'était en faisant au pied des arbres les labours qu'il était du devoir du fermier de faire, que les racines des arbres avaient été coupées ou endommagées; que le fait ne présente pas un délit du genre de ceux prévus par l'art. 14 du tit. 2 de la loi du 28 sept.-6 oct. 1791; qu'en

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supposant que par l'effet de cette culture un plus grand nombre d'arbres ait péri, cela ne pourrait donner lieu qu'à une action en dommages-intérêts, par voie civile, pour la dégradation commise [4]. »

La loi a restreint dans quelques cas, entre les mains des propriétaires, le droit de disposer de leurs arbres. Ainsi l'art. 3 de la loi du 9 ventôse an 12 et l'art. 99 du décret du 16 décembre 1811 portaient que les propriétaires riverains des grandes routes, qui ont planté des arbres sur la rive de ces routes, ne peuvent ni les couper ni les abattre que sur une autorisation de l'administration des ponts et chaussées. Mais, aux termes de l'art. 101 du même décret, le propriétaire qui, sans autorisation, a coupé, arraché ou fait périr les arbres plantés sur son terrain, est condamné à une amende égale à la triple valeur de l'arbre détruit, et cette contravention est portée devant les conseils de préfecture. Les art. 445 et 446 ne peuvent donc recevoir, dans cette hypothèse, aucune application, et leur texte d'ailteurs n'aurait pas permis de les y étendre.

Les pénalités appliquées aux destructions et mutilations d'arbres et de greffes sont d'une nature particulière. L'art. 445 prononce un emprisonnement qui ne peut pas être au-dessous de six jours, ni au-dessus de six mois, à raison de chaque arbre, sans que la totalité puisse excéder cinq ans. L'art. 447 prononce également un emprisonnement de six jours à deux mois, à raison de chaque greffe, sans que la totalité puisse excéder deux ans. Ainsi la peine puise sa gravité dans l'importance du dommage causé, et non dans les circonstances extérieures du délit. Lorsque ces articles furent discutés au conseil d'État, Pasquier fit remarquer que c'était laisser trop de latitude aux juges que de leur permettre de ne condamner qu'à six jours d'emprisonnement pour un arbre coupé, et d'étendre l'emprisonnement à cinq ans, quand le nombre des arbres coupés s'élève à dix. Berlier répondit que la gradation, à raison du nombre, est, dans le cas de cet article, parfaitement conforme à la justice, et que s'il est quelquefois douteux que celui qui a coupé ou rompu un arbre ou jeune plant, l'ai fait dans des vues autres que de se procurer un sot amusement, il est toujours certain au contraire que celui qui en a coupé ou rompu plusieurs l'a fait malo animo [5].

L'art. 448 a cru devoir fixer, dans un cas spécial, un minimum plus élevé de la peine appli

[4] Cass., 18 flor. an 10. (Pasicrisie.)

[5] Procès-verbaux du conseil d'État, séance du 27 décembre 1808.

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