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CHAPITRE LXXXIV ET DERNIER.

DES MATIÈRES NON RÉGLÉES PAR LE CODE PÉNAL.

PRINCIPES GÉNÉRAUX SUR L'ABROGATION DES LOIS. DE L'ABROGATION EXPRESSE.

TACITE. PLusieurs sortes d'ABROGATION tacite.
DE CETTE RÈGLE PAR L'ORATEUR DU GOUVERNEMENT.

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DE L'ABROGATION RÈGLE POSÉE par l'art. 484. DÉVELOPPEMENT LOIS SPÉCIALES MAINTENUES PAR CETTE RÈGLE. DISTINCTION DES LOIS GÉNÉRALES ET DES LOIS PARTICULIÈRES. LES LOIS SPÉCIALES NE SONT ABROGÉES QU'AUTANT QU'ELLES SONT RELATIVES A DES MATIÈRES QUE LE CODE A RÉglées. QUE FAUT-IL ENTENDRE PAR MATIÈRES RÉGLÉES PAR LE CODE? EXEMPLES DES MATIÈRES QUE LE CODE A RÉGLÉES, ET DES MATIÈRES qu'il n'a pas réGLÉES. (COMMENTaire de l'art. 484, C. PÉN.)

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Le Code n'a point embrassé toutes les matières pénales; à côté de ses dispositions se pressent. une foule de dispositions spéciales pour la plupart, dont l'abrogation n'a point été explicitement prononcée; et c'est une grave difficulté que de savoir quelles sont celles de ces lois qui sont encore debout, quelles sont celles qui sont anéanties. Le Code pénal a posé une règle à cet égard; nous allons essayer de l'expliquer.

L'abrogation des lois peut être expresse ou tacite. Elle est expresse, quand elle est explicitement prononcée par la loi nouvelle, soit en termes généraux lorsque cette loi abroge par une seule disposition toutes les lois antérieures qui lui sont contraires, soit en termes particuliers lorsqu'elle abroge des lois qu'elle désigne ou des articles de ces lois. Elle est tacite, quand elle résulte explicitement de la loi nouvelle, sans qu'aucune de ses dispositions l'ait prononcée.

On compte cependant plusieurs espèces d'abrogation tacite : 1° quand une loi a été établie pour des circonstances particulières, et que ces circonstances ont cessé d'exister; 2° quand une loi temporaire a été portée en déterminant à l'avance le terme où elle cessera d'exister; 3° quand la loi nouvelle, sans déclarer qu'elle abroge les lois antérieures, renferme des dispositions qui leur sont contraires. C'est cette dernière espèce d'abrogation qui seule fait naître de sérieuses difficultés; elle est fondée sur la maxime: Posteriora prioribus derogant [1].

En principe général, les lois spéciales ne sont

[1] L. 4, Dig. de const. princip.

point abrogées de plein droit par une loi générale postérieure ; car ces lois sont en dehors du droit commun; elles répondent à des besoins particuliers; elles continuent donc de subsister, à moins qu'une modification expresse ne vienne les altérer. Toutefois elles peuvent se trouver atteintes, bien qu'implicitement, dans deux cas : d'abord quand leurs dispositions sont inconciliables avec la loi générale : posteriores leges ad priores pertinent, nisi contrariæ sint [2]; ensuite quand la loi générale présente sur la matière spéciale un système complet de législation.

Tel est le principe qui a été consacré par l'article 484, C. pén., ainsi conçu : « Dans toutes les matières qui n'ont pas été réglées par le présent Code, et qui sont régies par des lois et règlements particuliers, les cours et les tribunaux continueront de les observer. »

L'orateur du gouvernement motivait en ces termes cette disposition générale :

« Cette disposition était d'absolue nécessité. Elle maintient les dispositions pénales sans lesquelles quelques lois, des codes entiers, des règlements généraux d'une utilité reconnue, resteraient sans exécution. Ainsi elle maintient les lois et règlements actuellement en vigueur, relatifs aux dispositions du Code rural qui ne sont point retracées dans ce Code; aux taxes, contributions directes ou indirectes, droits réunis, de douanes et d'octrois; aux tarifs pour le prix de certaines denrées ou de certains salaires; aux calamités publiques, comme épidémies, épizoo

[2] L. 28, Dig. de legibus.

ties, contagion, disettes, inondations; aux entreprises de services publics, comine coches, messageries, voitures publiques de terre et d'eau, voitures de place, numéros ou indications de noms sur voitures, postes aux lettres et postes aux chevaux; à la formation, entretien et conservation des rues, chemins, voies publiques, ponts et canaux; à la mer, à ses rades, rivages et ports, et aux pêcheries maritimes; à la navigation intérieure, à la police des eaux et aux pêcheries; à la chasse, aux bois, aux forêts; aux matières générales de commerce, affaires et expéditions maritimes, bourses ou rassemblements commerciaux, police des foires et marchés; aux commerces particuliers d'orfévrerie, bijouterie, joaillerie, de serrurerie et des gens de marteau, de pharmacie et apothicairerie, de poudres et salpêtres, des arquebusiers et artificiers, des cafetiers, restaurateurs, marchands et débitants de boissons, de cabaretiers et aubergistes; à la garantie des matières d'or et d'argent; à la police des maisons de débauche et de jeu; à la police des fêtes, cérémonies et spectacles; à la construction, entretien, solidité, alignement des édifices et aux matières de voirie; aux lieux d'inhumation et de sépulture; à l'administration de police et discipline des hospices, maisons sanitaires et lazarets; aux écoles, aux maisons de dépôt, d'arrêt, de justice, et de peines de détention correctionnelle et de police; aux maisons ou lieux de fabrique, manufactures ou ateliers; à l'exploitation des mines et des usines, au port d'armes, au service des gardes nationales, à l'état civil, etc. >>

Tels sont les exemples, donnés par le législateur lui-même, des nombreuses matières sur lesquelles les lois et les règlements spéciaux continuent d'exercer leur empire. Il distingue par là les règles qui forment le droit commun, de celles qui sont établies par des codes et des lois d'exception. Le Code pénal réunit tous les principes généraux sur les peines et les délits, et la sanction des lois qui sont communes à tous; mais il est un ordre de lois qui n'intéressent qu'une classe de citoyens, ou qui se rapportent à un objet particulier, et il fallait que ces lois portassent avec elles leur sanction. C'est d'après cette distinction que l'art. 484 réserve seule ment les matières qui ne sont pas réglées par le present Code or le Code a réglé toutes celles qui appartiennent au droit commun; il ne reste donc que celles qui font exception par ellesmêmes, et qui ont été jugées susceptibles d'ètre régies par des lois et des règlements particuliers.

[1] On peut consulter le Manuel de police de BerriatSaint-Prix fils, procureur du roi à Tours.

La difficulté se réduit donc à savoir quels sont les règlements particuliers et les lois spéciales qui sont restés en vigueur à côté du Code. L'exposé des motifs a cité de nombreux exemples dont quelques-uns même ne sont plus applicables, ainsi qu'il est facile de s'en apercevoir. Nous pourrions, à côté de ces matières spéciales, citer également les délits militaires et maritimes, les attroupements, la détention d'armes et de munitions de guerre, l'exercice de la médecine et de la chirurgie, la vente des médicaments, la police sanitaire, la police de l'enseignement, les délits forestiers et de pêche fluviale, les délits commis par voie de publication, les contraventions aux poids et mesures, etc. [1]; mais toutes les nomenclatures peuvent être incomplètes; il faut donc se reporter à la règle malheureusement trop vague posée par le Code, pour déterminer l'abrogation ou la non-abrogation des lois et règlements en général.

Cette règle, c'est qu'on doit considérer comme abrogés toutes les lois et tous les règlements qui tiennent à des matières que le Code a réglées; ce principe est la conséquence immédiate de l'article 484. En effet cet article maintient les lois et les règlements relatifs aux matières qui n'ont pas été réglées par le Code; il les abroge donc dans les matières qu'il a réglées.

Mais que faut-il entendre par matières réglées par le Code? Il faut entendre les matières sur lesquelles le Code renferme un système complet de législation. S'il ne fait que toucher à ces matières, s'il ne renferme à cet égard que quelques dispositions éparses et détachées, s'il ne les considère que dans un seul de leurs rapports, on ne doit pas les regarder comme réglées dans le sens de l'art. 484, et des lois antérieures peuvent encore être appliquées dans les cas non prévus par le Code: Derogatur legi quùm pars detrahitur [2].

Ces deux points ont été consacrés par un avis du conseil d'État approuvé le 8 février 1812. Cet avis décide : « que l'art. 484, eu ne chargeant les cours et tribunaux de continuer d'observer les lois et règlements particuliers non renouvelés par ce Code, que dans les matières qui n'ont pas été réglées par ce Code même, fait clairement entendre que l'on doit tenir pour abrogés toutes les anciennes lois, tous les anciens règlements qui portent sur des matières que le Code a réglées, quand même ces lois ou règlements prévoiraient des cas qui se rattachent à ces matières, mais sur lesquels le Code

[2] L. 102, Dig. de verb, signif.

est resté muet; qu'à la vérité on ne peut pas regarder comme réglées par le Code pénal, dans le sens attaché à ce mot réglées par l'art. 484, les matières relativement auxquelles ce Code ne renferme que quelques dispositions éparses, détachées et ne formant pas un système complet de législation, et que c'est par cette raison que subsistent encore, quoique non renouvelées par le Code pénal, toutes celles des dispositions des lois et règlements antérieurs à ce Code qui sont relatives à la police rurale et forestière, à l'état civil, aux maisons de jeu, aux loteries, non autorisées par la loi, et autres objets semblables que ce Code ne traite que dans quelques-unes de leurs branches. >>

Le conseil d'État a fait l'application de la première de ces deux règles d'interprétation à la loi du 22 floréal an 9, qui étendait les peines prononcées par le Code pénal de 1791 à « quiconque emploierait, même après l'exécution des actes émanés de l'autorité publique, soit des violences, soit des voies de fait pour interrompre cette exécution ou en faire cesser l'effet. » Il s'agissait de savoir si cette loi doit être considérée comme abrogée par l'art. 484. L'avis du conseil d'Etat déclare : « que la loi du 22 floréal an 9 rentre par son objet sous la rubrique, résistance, désobéissance et autres manquements envers l'autorité publique; que, si elle ne se retrouve pas dans cette section qui règle véritablement et à fond toute la matière comprise dans sa rubrique, et si elle n'est pas remplacée par une disposition correspondante à ce qu'elle avait statué, c'est une preuve que le législateur a voulu l'abroger, et ne faire à l'avenir dériver du fait caractérisé et qualifié de crime qu'une action purement civile [1]. »

délits et contraventions; que tout ce qui concerne les menaces d'attentat contre les personnes, et d'incendie des propriétés, est réglé par les art. 305, 306, 308 et 456 de ce Code; que les menaces ne peuvent donc être aujourd'hui punies qu'autant qu'elles ont les caractères de crime ou de délit déterminés par ledit Code, et sont ainsi susceptibles de l'application des différentes espèces de peines qu'il prononce [2]. »

Nous avons dit, au contraire, que les matiè res sur lesquelles le Code n'avait que des dispo sitions éparses et détachées devaient être considérées comme maintenues dans les dispositions auxquelles il n'a pas touché. Nous allons citer quelques cas d'application de cette seconde règle. En ce qui concerne d'abord les délits ruraux, la cour de cassation a décidé : « que, d'après l'art. 484 et l'interprétation qui en a été donnée par l'avis du conseil d'État des 4-8 fé vrier 1812, les cours et tribunaux sont tenus d'observer les lois anciennes dans les matières non réglées par le Code pénal, et que les matières non réglées par le Code sont celles sur lesquelles il ne renferme que quelques dispositions détachées, qui ne forment pas un système complet de législation; que dans ce même avis du conseil d'Etat, les lois relatives à la police rurale sont rappelées comme un exemple des lois anciennes conservées par l'art. 484; qu'il s'ensuit que, le Code pénal n'ayant point établi un nouveau corps de législation sur la police rurale, la loi du 28 septembre-6 octobre 1791, qui en avait réglé les différentes parties, est nécessairement maintenue pour tous les délits qu'elle a prévus et sur lesquels le Code pénal ne contient pas de dispositions particulières [3]. »

Dans une autre espèce, la cour de cassation a jugé que le n° 5 de l'art. 605 du Code du 8 brumaire an 4, qui punit l'exposition en vente des comestibles gâtés, corrompus ou nuisibles, était resté en vigueur [4]. « Le Code pénal, a dit le réquisitoire adopté par l'arrêt, n'a abrogé que les anciennes lois pénales relatives à des matières sur lesquelles il contient un système complet de législation, et non celles sur les matières desquelles il ne renferme que des dispositions par

L'application de la même règle a été faite par la cour de cassation. Un accusé de menaces d'incendie avait été absous parce que les menaces n'avaient pas les caractères déterminés par le Code pénal; un pourvoi formé par le ministère public fut fondé sur ce que ces menaces, indépendamment des conditions exprimées par le Code, étaient punissables d'après les lois antérieures. La cour de cassation a rejeté ce pourvoi : « attendu que le Code pénal n'ordonne particulières et éparses. Or le Code pénal ne renson art. 484 l'exécution des lois et des règlements en vigueur, qu'en tout ce qui n'a pas été réglé par le présent Code en matière de crimes,

[1] Avis du conseil d'Etat du 8 fév. 1812. (Locré, sur cet article.)

[2] Cass., 9 janv. 1818.

[5] Cass., 19 fév. 1813. Le 26 juillet 1842 (J. de Montpellier, uo 68, du 15), la cour de Montpellier a ap

ferme, relativement aux comestibles, que des dispositions sur la vente ou le débit de boissons falsifiées contenant des mixtions nuisibles à la

pliqué un arrêt du conseil du 12 oct. 1756, relatif au défrichement des garigues communales.

[4] V., sur cette exposition en vente, la loi belge du 19 mai 1829.

santé (art. 318), et sur le commerce des grains que pourraient faire des fonctionnaires publics (art. 176.) Ces dispositions particulières ne peuvent être considérées comme formant un système de législation sur la vente de comestibles; elles n'abrogent pas les lois antérieures sur cette matière [1]. » Il est inutile de faire remarquer que cette décision, parfaitement fondée à l'époque où elle a été rendue, ne le serait plus depuis que la loi du 28 avril 1832 a ajouté au Code pénal le § 14 de l'art. 475.

La cour de cassation a jugé encore, dans une troisième espèce, que le décret du 1er germinal an 13, relatif à la procédure en matière de contributions indirectes, était en vigueur « attendu en principe que des lois ou règlements spéciaux et particuliers pour telle ou telle autre matière ne peuvent être considérés par les tribunaux comme étant abrogés par des lois générales postérieures, qu'autant que ces lois générales contiennent des dispositions formelles et expresses d'abrogation, ou lorsque l'exécution simultanée des unes et des autres est inconciliable; que ce principe a été consacré et maintenu par l'art. 484; qu'il suit de ce principe que le décret du 1" germinal an 13, qui n'a été abrogé par aucune loi postérieure, est maintenu dans toute sa force, et doit être religieusement observé [2]. »

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ture ne sont pas compris dans le livre 4 et dernier du Code pénal; qu'ils rentrent dans les dispositions de l'arrêt de règlement du parlement de Bretagne du 29 juillet 1786; qu'aux termes de l'art. 484, qui, pour tout ce qui n'est pas réglé par ce Code, ordonne l'exécution des lois et des règlements alors en vigueur, ces faits sont punissables d'après ledit arrêt de règlement de 1786, combiné avec les art. 5, tit. 2 de la loi du 16-24 août 1790, 600 et 608 du Code du 3 brumaire an 4. »

D'une part, l'art. 334, C. pén., punit l'excitation à la prostitution; de l'autre, l'art. 479, n° 8, punit les tapages injurieux ou nocturnes. Il est donc impossible d'alléguer que cette matière n'a pas été réglée par le Code. A la vérité, le cas précisément prévu par le règlement n'a pas été reproduit par la loi pénale; mais on doit conclure de ce que le Code s'est occupé de cette matière, que, s'il n'a pas reproduit le règlement qui y touchait, c'est qu'il a cru cette reproduction inutile et a voulu le frapper par là de désuétude. Si on suivait une autre règle d'interprétation, on s'éloignerait des termes du Code; il ne suffirait plus que la matière eût été réglée pour que l'ancien règlement eût été considéré comme abrogé, il faudrait que l'espèce même de chaque disposition réglementaire eût été reproduite dans le Code; or, ce n'est pas Cependant il faut prendre garde qu'à l'aide là ce que l'art. 484 a voulu; il suffit que la made cette règle on ne fasse revivre des disposi-tière du règlement soit complétement traitée tions évidemment anéanties et qui sont étrangères à l'esprit de notre législation moderne. C'est ainsi que la cour de cassation a jugé qu'un arrêt de règlement du parlement de Bretagne du 29 juillet 1786, relatif aux désordres commis dans des maisons de prostitution, était encore en vigueur: «< attendu que les faits de cette na

[1] Cass., 20 fév. 1829.

dans le Code pour que l'abrogation soit certaine; que, si quelques dispositions éparses et détachées de ce règlement n'ont point été reprises, c'est que le législateur n'a pas voulu les reprendre, c'est qu'elles doivent être considérées comme abrogées.

[2] Cass., 7 juin 1821. (V. suprà, p. 300.)

FIN DU TOME QUATRIÈME (HUITIÈME ET DERNIER DE L'ÉDITION DE FRANCE).

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