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prévue et qui lui soit étrangère, l'acte même irrégulier et privé de sa force pourrait être considéré comme une tentative du crime d'extorsion qui n'aurait manqué son effet que par une circonstance indépendante de la volonté de son au

teur.

Une deuxième condition de l'extorsion est la violence qui accompagne son exécution. Cette violence est une circonstance aggravante du vol que renferme ce crime; mais elle est constitutive du crime lui-même, puisque dès qu'elle est écartée, il dégénère en un simple vol. L'art. 400 exige que l'extorsion soit effectuée par force, violence ou contrainte. En énumérant ces trois modes d'exécution, le législateur a voulu atteindre toutes les espèces de violence la violence physique et la contrainte morale. Nous avons expliqué, dans notre chapitre 14, les caractères différents de ces deux sortes de violence [1]; mais nos observations admettent ici une restriction il ne s'agit pas de la contrainte qui peut constituer une cause de justification des crimes et des délits, et qui doit, pour produire cet effet, être telle qu'il n'ait pas été possible d'y résister; il suffit, suivant l'art. 1112, C. civ., qu'elle ait été de nature à faire impression sur une personne raisonnable, et qu'elle ait pu lui inspirer la crainte d'exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent.

Les trois modes d'extorsion ont chacun leur caractère particulier, et peuvent concourir à la formation du crime, indépendamment l'un de l'autre : il suffit donc que l'un de ces moyens existe pour l'existence de l'extorsion; et par conséquent ce crime serait constaté, s'il était reconnu qu'il a été accompli à l'aide de la contrainte, lors même qu'il n'aurait été employé ni force ni violence. Telle est aussi la décision d'un arrêt de la cour de cassation portant : « que l'art. 400 a précisé trois modes distincts au moyen desquels peut se commettre l'extorsion de signature ou de remise d'actes ou titres mentionnés audit article, et que ces trois modes sont la force, la violence et la contrainte; qu'ainsi les jurés, d'après leur conviction, ont pu et dû répondre négativement à deux de ces questions, et affirmativement sur la troisième, et qu'il ne résulte de ces déclarations aucune contradiction entre elles [2]. »

§ VII. Du vol commis à l'aide d'un faux titre, d'un faux costume, ou en alléguant un faux ordre.

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avaient prévu et puni les vols commis avec des masques et des déguisements. Il ne faut point voir dans le 4° § de l'art. 381 une reproduction de ces dispositions.

Cet article, en effet, se borne à considérer comme plus grave le vol commis dans une maison, appartement, chambre ou logement habités ou servant à l'habitation, ou leurs dépendances, soit en prenant le titre d'un fonctionnaire public ou d'un officier civil ou militaire, ou après s'être revêtu de l'uniforme ou du costume du fonctionnaire ou de l'officier, ou en alléguant un faux ordre de l'autorité civile ou militaire. Ce que la loi punit dans ces divers cas, c'est le moyen frauduleux d'introduction dans la maison pour consommer le vol. Voilà pourquoi la loi a mis sur la même ligne l'usurpation du titre ou du costume du fonctionnaire ou de l'officier, et l'allégation d'un faux ordre; voilà pourquoi cette espèce de faux est assimilée à l'escalade, à l'effraction, à l'usage de fausses clefs : c'est que ces différentes circonstances produisent le même effet, c'est qu'elles servent également à la consommation du vol, en fournissant un moyen d'introduction dans le lieu de sa perpétration.

La première condition pour que l'usurpation de titre, d'ordre ou de costume, constitue une circonstance aggravante du vol, est donc que cette usurpation ait été employée comme moyen d'introduction dans une maison habitée ou dans ses dépendances. La combinaison de ces deux circonstances est formellement exigée par le texte du § 4 de l'art. 381; et l'orateur du corps législatif l'expliquait en ces termes : « Il s'agit ici d'un vol commis dans une maison habitée, soit en prenant le titre d'un fonctionnaire ou officier civil ou militaire, soit après s'être revêtu de son costume ou uniforme, ou alléguant un faux ordre de l'autorité. »

La deuxième condition consiste dans le fait même de cette usurpation ou de cette allégation. Carnot se demande, à ce sujet, si l'aggravation serait applicable dans le cas où l'agent n'aurait pris qu'un titre ou qu'un costume qu'il avait droit de prendre. « L'art. 381, ajoute cet auteur, ne dit point que les accusés auront pris une fausse qualité, qu'ils se seront revêtus d'un uniforme, d'un faux costume; d'où l'on doit conclure qu'il suffit que, pour se procurer l'entrée d'une maison, ils s'y soient présentés sous le titre d'un fonctionnaire public ou d'un officier civil ou militaire, ou qu'ils aient été revêtus d'un costume ou uniforme, lors même qu'ils auraient

Les ordonnances de 1539 et du 22 juill. 1692 eu le droit de le porter, pour que les conditions

[1]. notre t. 1, p. 222.

[2] Cass., 15 janv. 1825.

de la loi aient été remplies [1]. » Cette opinion nous paraît une fausse interprétation de la loi. L'art. 381 n'a point prévu que le fonctionnaire ou l'officier se servirait lui-même de son costume ou de son titre, pour commettre un vol; ce n'est point là l'espèce qu'il a voulu ériger en circonstance aggravante; si le fonctionnaire abuse de son autorité pour faciliter l'exécution d'un vol, il devient passible des dispositions de l'art. 198, C. pén. L'art. 381 a eu pour objet spécial de prévoir l'usurpation d'un faux titre ou d'un faux costume, de même que l'allégation de faux ordres. Cela résulte du texte même; car prendre le titre ou revêtir les insignes d'un fonctionnaire public, ce n'est pas prendre son propre titre ou revêtir ses propre insignes. Cela résulte encore de l'exposé des motifs du Code, dans lequel on lit : « Il faudra donc, pour emporter la peine de mort, que le vol avec violence ait été en même temps commis la nuit, par deux ou plusieurs personnes, avec armes apparentes ou cachées, et de plus, à l'aide d'effraction extérieure, ou d'escalade, ou de fausses clefs, ou en prenant un faux titre, ou un faux costume, ou en alléguant un faux ordre. »

§ VIII. Réunion de plusieurs circonstances

aggravantes.

Nous avons successivement examiné les diverses circonstances dans lesquelles le vol puise une aggravation. Nous avons vu que cette aggravation résulte, tantôt de la qualité de l'agent, tantôt du temps ou du lieu de la perpétration du délit, tantôt enfin des faits qui accompagnent son exécution; nous avons assigné à chacun de ces éléments son caractère légal et recherché les conséquences que la loi y a attachées.

Ces circonstances ne sont pas toujours isolées les unes des autres; elles se rapprochent, elles se combinent; dans certains cas, même, elles sont nécessairement liées entre elles. C'est ainsi que la nuit n'est une circonstance du vol que lorsqu'elle se réunit à la complicité; c'est ainsi que l'escalade, l'effraction, l'usage des fausses clefs, l'usurpation d'un faux costume ou d'un faux titre, ne produisent le même effet que lorsque ces circonstances sont mises en jeu pour pénétrer dans une maison habitée ou dans les dépendances de cette maison. Dans ces diverses hypothèses, le vol ne change de caractère et ne prend la qualification de crime, que lorsqu'il est accompagné de deux circonstances aggravantes. Le Code a prévu, dans trois cas distincts, le

concours de trois circonstances aggravantes. L'art. 382 punit de la peine des travaux forcés à temps le vol commis à l'aide de violence, et de plus, avec deux des quatre premières circonstances prévues par l'art. 381. L'art. 383 punit de la peine des travaux forcés à perpétuité le vol commis sur les chemins publics, avec deux des circonstances prévues par le même art. 381. Enfin, l'art. 385 punit des travaux forcés à temps le vol commis la nuit, par deux ou plusieurs personnes, avec port d'armes apparentes ou cachées. Dans ces trois hypothèses, la présence d'une quatrième circonstance, quelle qu'elle fût, n'aurait point pour effet d'aggraver le crime; elle pourrait seulement déterminer le choix entre la peine motivée par les trois premières circonstances et celle qu'entraînerait la quatrième réunie à deux des premières, si la loi a prévu cette réunion et établi la peine qu'elle comporte.

Le Code n'a pas porté sa prévoyance au delà de la reunion de cinq circonstances. Ces circonstances sont déterminées par l'art. 381, ainsi conçu «Seront punis des travaux forcés à perpétuité les individus coupables de vol commis avec la réunion des cinq circonstances suivantes: 1° s'il a été commis la nuit; 2o s'il a été commis par deux ou plusieurs personnes; 3° si les coupables ou l'un d'eux étaient porteurs d'armes apparentes ou cachées; 4° s'ils ont commis le crime, soit à l'aide d'effraction extérieure ou d'escalade, ou de fausses clefs, dans une maison, chambre ou logement habité ou servant à l'habitation, ou leurs dépendances, soit en prenant le titre d'un fonctionnaire public ou d'un officier civil ou militaire, ou après s'être revêtus de l'uniforme ou du costume du fonctionnaire ou de l'officier, ou en alléguant un faux ordre de l'autorité civile ou militaire; 5° s'ils ont commis le crime avec violence ou menace de faire usage de leurs armes. >>

Le Code de 1791 avait établi une sorte de tarif pour la répression des circonstances aggravantes du vol: la durée de la peine était augmentée de deux années par chacune de ces circonstances qui se trouvait réunie au crime. Le concours des cinq circonstances mentionnées dans l'art. 381, Č. pén., entraînait une peine de dix-huit ans de fers [2]. Cette peine parut insuffisante à une époque où, par suite des troubles civils, les brigandages et les violences s'étaient multipliés. La loi du 26 floréal an 5, fondée sur ce que « le moyen le plus efficace d'arrêter les brigandages qui se commettent dans différentes

[1] Comment. du C. pén., t. 2, p. 267.

[2]. les art. 2, 5, 6 et 7 de la sect. 2 du liv. 4 de la 2e partie du Code de 1791.

parties des territoires de la république, est d'appliquer à des délits aussi graves les peines les plus sévères, déclare que les vols commis dans les maisons habitées seront punis de mort: 1° si les coupables s'étaient introduits dans la maison par la force des armes ; 2° s'ils avaient fait usage de leurs armes dans l'intérieur de la maison contre ceux qui s'y trouvaient; 3° si les violences avaient laissé des traces, telles que blessures, brûlures ou contusions. >>

En présence de ces dispositions sévères, le législateur de 1810 crut devoir inscrire dans l'art. 381 la peine de mort : « Suivant le nouveau Code, disait l'exposé des motifs, le vol avec violence n'emportera la peine de mort que lorsqu'il aura été commis avec une réunion de circonstances dont l'ensemble présente un caractère si alarmant que ce crime doit être mis au même rang que l'assassinat. » La loi du 28 avril 1852 a remplacé cette peine par celle des travaux forcés perpétuels. L'exposé des motifs de cette loi n'a donné qu'une seule raison de cette modification. « La loi qui punit de mort le vol accompagné de la réunion de plusieurs circonstances aggravantes de meurtre, fait courir un danger de plus à celui dont la propriété seule est attaquée le coupable, n'ayant pas une plus grande peine à redouter, pourra donner la mort pour se débarrasser d'un témoin. Cette raison, déjà alléguée par Montesquieu et par Beccaria, pour ne pas punir de la peine de mort les attentats contre la propriété, n'est pas la plus puissante; si la peine de mort peut être maintenue, c'est en l'appliquant dans les cas seulement où la vie des personnes est l'objet de l'attentat. Mais lorsque le crime n'est dirigé que contre les propriétés, la peine de mort est hors de proportion avec sa gravité, à moins que l'assassinat n'ait été employé comme moyen d'exécution.

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rait été de plus exécuté avec escalade et dans une maison habitée. Il ne suffit pas, en effet, que la loi pénale ait reconnu dans un fait un principe d'aggravation, pour que la peine doive subir immédiatement son influence: il faut qu'elle tire elle-même la conséquence de son principe, et qu'elle spécifie la gradation que la constatation de ce fait, dans telles ou telles circonstances, peut imprimer à la peine. Il est donc des cas où une circonstance aggravante, quand elle est réunie à certaines circonstances, devient indifférente, soit parce que la criminalité qui y est attachée se confond dans une criminalité plus forte, soit parce que cette criminalité s'efface dans l'espèce particulière du crime. La règle la plus sûre est de suivre la lettre même de la loi : aucune peine ne peut être prononcée qu'elle ne soit prévue pour le cas même auquel elle est appliquée. Il faut donc se garder, en groupant des circonstances, de chercher à atteindre un degré plus élevé de la peine, si le Code n'a pas positivement prévu la réunion même des circonstances constatées.

La deuxième règle est que chaque circonstance, lorsqu'elle est réunie à d'autres circonstances aggravantes, comme lorsqu'elle est isolée, doit conserver son caractère propre et les conditions de son incrimination. Cette règle est évidente, car la réunion de ces faits ne modifie nullement leur caractère. Il est donc nécessaire d'examiner successivement dans le vol qui fait l'objet de l'art. 381, si chacun de ses éléments réunit les conditions exigées par la loi. La cour de cassation a consacré expressément cette doctrine, en annulant un arrêt qui avait fait l'application de l'art. 381 sans constater par quelle voie l'introduction avait eu lieu dans la maison habitée où le vol avait été commis. Cette cour déclare : « qu'aux termes de l'art. 381, le fait que le vol aurait eu lieu dans une maison habitée ne suffit pas pour constituer l'une des cinq circonstances aggravantes dont la réunion entraîne la peine des travaux forcés à perpétuité; La première est que la présence d'une circon- que cet article exige, en outre, l'introduction stance, même reconnue aggravante par la loi, par l'une de ces voies, ou l'effraction extérieure, ne peut motiver une aggravation de la peine, l'escalade, l'usage de fausses clefs, ou l'usurpaqu'autant que cette aggravation est formellement tion d'une qualité ou d'un costume appartenant prononcée et formulée par le Code. Ainsi, le à un officier public, ou enfin l'allégation menvol commis à l'aide de violence, pendant la songère d'un ordre de l'autorité civile ou milinuit, par deux personnes, ne sera puni, aux taire; que, dans l'espèce, la circonstance de la termes de l'art. 382, que des travaux forcés à maison habitée, dont la solution affirmative a temps, lors même que l'un des agents aurait en déterminé l'application de la peine, n'est accommême temps la qualité de domestique de la vic-pagnée d'aucun de ces moyens d'introduction time. Ainsi, le vol commis la nuit, par plusieurs qui caractérisent au plus haut degré la violation personnes, avec port d'armes, ne sera passible du domicile [1]. » également, aux termes de l'art. 385, que des travaux forcés à temps, lors même que ce vol au

Deux règles doivent présider à la distribution des peines, lorsque le vol est accompagné de plusieurs circonstances aggravantes.

[1] Cass., 4 fév. 1836.

l'extorsion, soit de la signature, soit de la remise d'un écrit, suppose que le signataire ou le détenteur a été amené lui-même à signer ou à remettre l'écrit. Il est difficile sans doute d'admettre que ce résultat puisse être obtenu contre la volonté de ce signataire ou de ce détenteur, sans l'emploi de la contrainte ou de la violence; mais, en admettant que cette circonstance soit écartée, ce n'est point à l'aide de la soustraction que s'opère l'extorsion, c'est en portant la personne, victime du délit, soit par surprise, soit par des moyens autres que ceux prévus par l'article, à signer ou à remettre l'écrit. Le vol consiste dans cette signature ou cette remise surprise ou contrainte, dans l'action de cette signature ou de cette remise de la part du signataire ou du détenteur, contre sa volonté; c'est donc, même en écartant la violence, un délit particulier qui renferme un vol en soi, mais en conservant son caractère spécial et distinct.

L'extorsion étant un vol, c'est-à-dire un attentat contre la propriété, il s'ensuit que le délit n'existe qu'autant que l'écrit signé ou remis contient ou opère obligation, disposition ou décharge. C'est là une condition restrictive et essentielle du crime: le législateur n'a pas voulu incriminer et punir la seule intention de nuire; il faut encore que le titre extorqué puisse porter un véritable préjudice. Tous les actes, toutes les pièces qui tendent à compromettre la fortune du signataire ou du détenteur, à créer contre lui ou contre un tiers un droit, ou à enlever la preuve d'un droit, doivent rentrer dans ces termes généraux. Carnot a trouvé que le mot disposition avait quelque chose de vague, et qu'il était difficile de s'en faire une juste idée, si l'on veut lui donner une autre signification que celle d'obligation ou de décharge [1]. Il est évident que cette expression doit prendre dans l'art. 400 la même signification que dans l'art. 147, et qu'elle comprend en général tous les actes qui, sans contenir précisément une obligation où une décharge, peuvent intéresser cependant la fortune du signataire ou du propriétaire; nous n'en citerons qu'un seul exemple, les testaments et les actes qui ont pour objet de les révoquer. Mais faut-il comprendre, avec le même auteur, dans cette expression, les écrits qui peuvent intéresser, non la fortune de celui qui les a souscrits, mais son honneur ou sa réputation? Il nous semble que cette question ne peut être sérieusement élevée devant les termes restrictifs de la loi, L'extorsion n'est un délit que lorsque l'écrit ex

[1] Comment, du C. pén., t. 2, p. 346. [2] Cass., 6 fév. 1812.

torqué opère obligation, disposition ou décharge. Il résulte assurément de ces termes, que la loi a mis comme une condition de l'incrimination la possibilité d'un préjudice matériel, d'une lésion portant sur les biens. Supposons que la pièce extorquée soit une lettre où le signataire avoue ou reconnaît un fait préjudiciable à son honneur; comment comprendre une telle déclaration sous les termes d'obligation, de disposition ou de décharge? La loi a circonscrit sa disposition à une seule classe d'écrits; il ne faut pas l'étendre; peut-être eût-il été imprudent de le faire. L'extorsion consiste dans la remise forcée d'un titre ou d'un acte; tout le délit est dans l'absence de la volonté du signataire ou du détenteur, or cette absence de la volonté est difficile à prouver. Elle se présume, lorsqu'il s'agit d'une obligation qui n'a point de cause, de la décharge d'une dette, de l'enlèvement d'un titre utile au spoliateur; mais lorsque l'écrit ne met en jeu que des intérêts moraux, comment discerner et apprécier les différents mobiles qui ont pu porter à le signer, à le remettre? Le législateur a pu croire prudent de poser des limites à la poursuite de l'extorsion d'écrits: ces limites doivent être respectées par l'interprétation.

Si le titre extorqué ne peut pas atteindre le but de l'agent, s'il se trouve nul pour irrégularité de forme, s'il ne peut produire aucun effet, l'extorsion conserve-t-elle son caractère de crime? La cour de cassation a jugé : « que les formes irrégulières que peuvent avoir les billets qui sont l'objet de l'extorsion ne changent rien au caractère du crime, puisque l'intention des accusés ayant été d'en tirer un bénéfice illégitime, les nullités de forme de ces billets ne peuvent couvrir leur culpabilité [2]. » Cette solution semblait peut-être contestable à cette cour ellemême, puisqu'elle se hâtait d'ajouter « que d'ailleurs lesdits billets étaient, malgré l'état imparfait de leur rédaction, susceptibles d'obligation. » La loi ne se borne pas à exiger l'intention criminelle jointe au fait de l'extorsion; elle veut que l'écrit extorqué puisse contenir ou opérer obligation, disposition ou décharge. Si donc l'acte ne produit aucun de ces effets, s'il est atteint d'un vice radical, il faut décider, comme nous l'avons proposé en matière de faux [3], qu'il n'existe pas de crime, parce qu'il n'existe pas de préjudice possible. Cependant, si la nullité est indépendante de la volonté de l'agent, si elle est une circonstance qu'il n'a pas

[3] V. notre t. 2, p. 100.

prévue et qui lui soit étrangère, l'acte même irrégulier et privé de sa force pourrait être considéré comme une tentative du crime d'extorsion qui n'aurait manqué son effet que par une circonstance indépendante de la volonté de son au

teur.

Une deuxième condition de l'extorsion est la violence qui accompagne son exécution. Cette violence est une circonstance aggravante du vol que renferme ce crime; mais elle est constitutive du crime lui-même, puisque dès qu'elle est écartée, il dégénère en un simple vol. L'art. 400 | exige que l'extorsion soit effectuée par force, violence ou contrainte. En énumérant ces trois modes d'exécution, le législateur a voulu atteindre toutes les espèces de violence: la violence physique et la contrainte morale. Nous avons expliqué, dans notre chapitre 14, les caractères différents de ces deux sortes de violence [1]; mais nos observations admettent ici une restriction il ne s'agit pas de la contrainte qui peut constituer une cause de justification des crimes et des délits, et qui doit, pour produire cet effet, être telle qu'il n'ait pas été possible d'y résister; il suffit, suivant l'art. 1112, C. civ., qu'elle ait été de nature à faire impression sur une personne raisonnable, et qu'elle ait pu lui inspirer la crainte d'exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent.

Les trois modes d'extorsion ont chacun leur caractère particulier, et peuvent concourir à la formation du crime, indépendamment l'un de l'autre : il suffit donc que l'un de ces moyens existe pour l'existence de l'extorsion; et par conséquent ce crime serait constaté, s'il était reconnu qu'il a été accompli à l'aide de la contrainte, lors même qu'il n'aurait été employé ni force ni violence. Telle est aussi la décision d'un arrêt de la cour de cassation portant : « que l'art. 400 a précisé trois modes distincts au moyen desquels peut se commettre l'extorsion de signature ou de remise d'actes ou titres mentionnés audit article, et que ces trois modes sont la force, la violence et la contrainte; qu'ainsi les jurés, d'après leur conviction, ont pu et dû répondre négativement à deux de ces questions, et affirmativement sur la troisième, et qu'il ne résulte de ces déclarations aucune contradiction entre elles [2]. »

§ VII. Du vol commis à l'aide d'un faux titre, d'un faux costume, ou en alléguant un faux ordre.

Les ordonnances de 1539 et du 22 juill. 1692

[1]. notre t. 1, p. 222.

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avaient prévu et puni les vols commis avec des masques et des déguisements. Il ne faut point voir dans le 4 § de l'art. 381 une reproduction de ces dispositions.

Cet article, en effet, se borne à considérer comme plus grave le vol commis dans une maison, appartement, chambre ou logement habités ou servant à l'habitation, ou leurs dépendances, soit en prenant le titre d'un fonctionnaire public ou d'un officier civil ou militaire, ou après s'être revêtu de l'uniforme ou du costume du fonctionnaire ou de l'officier, ou en alléguant un faux ordre de l'autorité civile ou militaire. Ce que la loi punit dans ces divers cas, c'est le moyen frauduleux d'introduction dans la maison pour consommer le vol. Voilà pourquoi la loi a mis sur la même ligne l'usurpation du titre ou du costume du fonctionnaire ou de l'officier, et l'allégation d'un faux ordre; voilà pourquoi cette espèce de faux est assimilée à l'escalade, à l'effraction, à l'usage de fausses clefs : c'est que ces différentes circonstances produisent le même effet, c'est qu'elles servent également à la consommation du vol, en fournissant un moyen d'introduction dans le lieu de sa perpétration.

La première condition pour que l'usurpation de titre, d'ordre ou de costume, constitue une circonstance aggravante du vol, est donc que cette usurpation ait été employée comme moyen d'introduction dans une maison habitée ou dans ses dépendances. La combinaison de ces deux circonstances est formellement exigée par le texte du § 4 de l'art. 381; et l'orateur du corps législatif l'expliquait en ces termes : « Il s'agit ici d'un vol commis dans une maison habitée, soit en prenant le titre d'un fonctionnaire ou officier civil ou militaire, soit après s'être revêtu de son costume ou uniforme, ou alléguant un faux ordre de l'autorité. »

La deuxième condition consiste dans le fait même de cette usurpation ou de cette allégation. Carnot se demande, à ce sujet, si l'aggravation serait applicable dans le cas où l'agent n'aurait pris qu'un titre ou qu'un costume qu'il avait droit de prendre. « L'art. 381, ajoute cet auteur, ne dit point que les accusés auront pris une fausse qualité, qu'ils se seront revêtus d'un uniforme, d'un faux costume; d'où l'on doit conclure qu'il suffit que, pour se procurer l'entrée d'une maison, ils s'y soient présentés sous le titre d'un fonctionnaire public ou d'un officier civil ou militaire, ou qu'ils aient été revêtus d'un costume ou uniforme, lors même qu'ils auraient eu le droit de le porter, pour que les conditions

[2] Cass., 15 janv. 1825.

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