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C'est à la lueur de ces deux principes, que les art. 381, 382, 383, 385 et 386 doivent être interprétés les dispositions de ces articles sont, d'ailleurs, claires et précises, et nos observa

tions, qui ont eu surtout pour but de mettre en lumière la pensée qui les a dictées et les règles qui les dominent, nous semblent suffisantes pour leur explication.

CHAPITRE LXI.

DE LA BANQUEROUTE SIMPLE ET FRAUDULEuse.

DÉFINITION ET CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE LA BANQUEROUTE. NUL NE PEUT ÊTRE DÉCLARÉ COUPABLE DE BANQUEROUTE, S'IL N'EST COMMERÇANT. — EXAMEN DES OBJECTIONS ÉLEVÉES CONTRE CETTE RÈGLE: JURISPRUDENCE. QUE FAUT-IL ENTENDRE PAR LE NOM DE COMMERÇANT? - L'ÉTAT DE FAILLITE DU COMMERÇANT EST le deuxième ÉLÉMENT DE LA Banqueroute. CARACTÈRES DE LA FAILLITE. IL N'EST C'EST AU JURY A APPRÉ

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CONCORDAT

PAS NÉCESSAIRE qu'elle ait ÉTÉ DÉCLARÉE PAR le tribunal de COMMERCE.
CIER LES QUALITÉS DU COMMERçant et le FAIT DE LA FAILLITE. QUESTIONS PRÉJUDICIELLES AU JUGEMENT
DE LA BANQUEROUTE. JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE NÉGATIF SUR LA FAILLITE.
HOMOLOGUÉ. DEUX ESPÈCES DE BANQUEROUTES SIMPLE OU FRAUDULEUSE. FAITS CONSTITUTIFS DE
LA BANQUEROUTE SIMPLE. - DEUX CAtégories de FAITS. DISTINCTION RELATIVE A LA POURSUITE QUI
LES SÉPARE. MODIFICATIONS APPORTÉES PAR LA LOI AUX DISPOSITIONS DU CODE DE COMMERCE. —
OPÉRATIONS DE PUR HASARD ET OPÉRATIONS Fictives de bourse.
EFFETS DE COMPLAISANCE. ENGAGEMENTS EXCESSIFS.

DÉPENSES EXCESSIVES.
ET REVENTES A PERTE.

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SOUSTRACTION DES LIVRES.

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EMPRUNTS DEUXIÈME FAILLITE. OMISSION DE DÉCLARATION. NON-REPRÉSENTATION PERSONNELLE. DÉFAUT DE LIVRES OU D'INVENTAIRES. CARACTÈRES GÉNÉRAUX De ces différENTS FAITS. FAITS CONSTITUTIFS DE LA BANQUEROUTE FRAUDULEuse. DÉTOURNEMENT DE L'ACTIF. RECONNAISSANCE FRAUduleuse de CRÉANCES FICTIVES. DE LA COMPLICITÉ DE LA BANQUEROUTE FRAUDULEUSE. PAR RECEL PAR AFFIRMATION DE CRÉANCES SUPPOSÉES. PAR SUPPOSITION De noms. de change et deS COURTIERS PRÉVENUS DE BANQUERoute simple et FRAUDULEUSE. (COMMENTAIRES DES ART. 402, 403 ET 404 DU CODE PÉNAL.)

DE VALEURS.

DES AGENTS

La faillite, qui n'est que la suspension qu'un | commerçant a faite de ses payements, n'est point un délit, car elle ne suppose aucune faute grave imputable à son auteur. La loi n'y a vu qu'une infortune que l'homme le plus probe et le plus prévoyant ne peut pas toujours éviter. Les chances hasardeuses du commerce l'excusent, sa bonne foi le couvre et le protége.

Mais la faillite cesse d'être à l'abri de toute incrimination, dès qu'une faute grave peut être imputée à son auteur. La loi pénale la punit alors sous le nom de banqueroute.

La banqueroute est l'état du commerçant failli auquel on peut imputer soit des actes d'imprudence ou de négligence, soit des actes de fraude.

Elle est simple ou frauduleuse: simple, quand

elle n'est que le résultat de la négligence et de l'imprudence; frauduleuse, quand elle a été préparée par la mauvaise foi et la fraude.

La loi a précisé les faits qui caractérisent l'une et l'autre banqueroute, et nous examinerons plus loin les différences qui les séparent.

Il est nécessaire d'établir, en premier lieu, les deux éléments essentiels de toute banqueroute, qu'elle soit simple ou frauduleuse.

Ces deux éléments sont : 1° la qualité de commerçant du prévenu; 2° le fait de sa faillite.

Nul individu ne peut être déclaré coupable de banqueroute, s'il n'est à la fois déclaré commerçant.

En effet, l'art. 402, C. pén., porte que «< ceux qui, dans les cas prévus par le Code de commerce, seront déclarés coupables de banque

route, seront punis..... etc. » Or, les art. 585, 586 et 591, C. comm., qui énumèrent les cas de banqueroute simple ou frauduleuse, ne s'occupent que des commerçants, et supposent essentiellement cette qualité dans le prévenu: « Sera déclaré banqueroutier tout commerçant failli...» Cette qualité est donc un élément nécessaire du délit. On ne saurait douter, d'ailleurs, que tel est l'esprit de la loi. L'art. 402 portait, dans le projet du Code pénal: « Tout négociant, marchand, commerçant... qui, dans les cas déterminés par la loi, se sera rendu coupable de banqueroute... » M. de Ségur fit remarquer, dans le sein du conseil d'État, que cet article appartenait au Code de commerce. Treilhard répondit qu'il en était littéralement copié. Cambacérès fut d'avis qu'on devait se borner à renvoyer à ce Code, et cet amendement fut adopté [1]. D'ailleurs, comment une personne non commerçante pourrait-elle se rendre coupable de banqueroute? Quels sont les faits constitutifs de ce délit? Serat-elle déclarée coupable pour n'avoir pas tenu de livres et n'avoir pas fait inventaire? Quelle loi l'oblige à tenir des livres et à faire inventaire? Pour avoir fait des achats afin de revendre au dessous du cours? mais n'est-ce pas là un acte essentiellement commercial? Pour avoir détourné ou dissimulé une partie de son actif? mais, dans un particulier non commerçant, la simulation même frauduleuse n'est pas un délit, et le détournement, même des effets d'autrui, ne constitue qu'un simple abus de confiance.

Néanmoins Merlin [2], et, après lui, Legraverend [3], ont soutenu que l'individu non commerçant qui se trouve en déconfiture, soit par suite d'opérations étrangères au commerce, soit par suite d'une ou de plusieurs opérations commerciales, peut être poursuivi comme coupable de banqueroute frauduleuse, s'il a commis les faits de fraude prévus par l'art. 591. Les principaux motifs de cette opinion sont : que, dans l'ancien droit, les ordonnances prescrivent d'informer contre les banqueroutiers et débiteurs, de quelque état, qualité et condition qu'ils soient (éd. mai 1609); que le Code de commerce n'a établi un droit nouveau que relativement aux banqueroutes simples; que les commerçants peuvent seuls être punis à raison de ce délit, parce qu'il porte sur des faits que seuls ils peuvent commettre; mais qu'il n'en est pas de même à l'égard des banqueroutes frauduleuses; que le législateur n'a fait que reprendre sur ce sujet

[1] Procès-verbaux des conseils d'État, séance du 3 décembre 1808.

[2] Rép., vo Faillite, § 2, art. 4.

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les dispositions des anciennes ordonnances, qui ne faisaient aucune distinction entre les personnes qui s'en rendaient coupables; que, d'ailleurs, l'art. 402, C. pén., commence par les termes généraux ceux qui, et non par les expressions limitatives les commerçants; que l'art. 591, C. comm., n'exclut pas les non-commerçants de ses dispositions; que cela résulte enfin de l'article 905, C. proc. civ., qui repousse du bénéfice de cession de biens les banqueroutiers frauduleux, disposition qui ne concerne que les non-commerçants, puisque l'art. 906 déclare qu'elle n'est pas applicable aux commerçants.

Ces différents motifs n'ont aucune solidité. Nous reconnaissons que, dans l'ancienne législation, la distinction qui, en cette matière, sépare les commerçants et les non-commerçants n'était pas clairement établie : l'ordonnance du commerce de mars 1673, la déclaration du 13 juin 1716, celles du 3 mai 1722 et du 13 septembre 1739, se servent généralement de ces expressions: tous négociants, marchands, banquiers et autres..... Toutefois, il y a lieu de penser que ces ordonnances n'entendaient comprendre dans cette dernière expression que ceux qui se livraient habituellement à des actes de commerce. Muyart de Vouglans dit à cet égard : « Ce crime, qui tire son nom des banquiers, parce que c'est contre ceux de cet état qui malversaient dans leurs fonctions qu'ont été rendues les premières lois, a été étendu généralement à tous marchands, négociants, même gens d'affaires, qui, après avoir emprunté de l'argent, ont acheté des marchandises à crédit, ou qui, après avoir dissipé les biens dont l'administration leur était confiée, prennent la fuite et emportent leurs meilleurs effets, en fraude de leurs créanciers [4]. »

Mais si le sens des ordonnances et de l'ancienne jurisprudence est douteux, notre droit nouveau ne peut en subir aucune influence. Il ne s'agit point ici d'une règle doctrinale qui, puisée dans le droit commun, domine la législation; il s'agit d'une disposition spéciale que le législateur a pu modifier, et qui appartient même à une branche du droit qu'il a complétement remaniée. Toute la question est dans les textes du Code de

commerce.

En effet, où chercher les éléments de la banqueroute, si ce n'est dans ces textes? Comment invoquer le droit commun en présence d'un droit spécial? Et quel serait ce droit commun?

[3] Législation crim., t. 1, p. 11. [4] Lois crim., p. 331.

L'art. 402, C. pén., ne punit les coupables de banqueroute, que dans les cas prévus par le Code de commerce; il se réfère donc à ce Code en ce qui concerne les éléments du délit. Or, dans le système du Code de commerce, la banqueroute n'est que la fraude ou l'imprudence qui ont accompagné la faillite d'un commerçant; elle constitue un délit essentiellement commercial; la qualité de commerçant est l'un de ses éléments essentiels : imputer ce délit à un individu non commerçant, ce serait donc punir un délit dénué de l'une de ces conditions légales d'incrimination. Ensuite il faut remarquer que les faits constitutifs de la banqueroute ne sont incriminés dans le cas de banqueroute simple, et ne sont punis d'une peine afflictive ou infamante dans le cas de banqueroute frauduleuse, qu'à raison de la qualité même du prévenu: en effet, les faits de la banqueroute simple ne peuvent être, par leur nature même, imputés qu'à un commerçant; ce sont, pour la plupart, des infractions à des devoirs spéciaux que la loi n'a imposés qu'à ceux qui font métier du commerce; aussi Legraverend est-il forcé d'admettre que cette qualité est une condition nécessaire de la banqueroute simple. Mais, alors, on arrive à cette première conséquence que la qualité de commerçant serait un élément de la banqueroute simple, et non de la banqueroute frauduleuse or, si ces deux faits diffèrent par leur gravité, ne dérivent-ils pas de la même origine, ne sont-ils pas soumis aux mêmes règles? En second lieu, quelques-uns des faits constitutifs de la banqueroute frauduleuse ne peuvent également être commis que par des commerçants, telle est la soustraction des livres de commerce; les autres sont des détournements et des fraudes qui, commis par des non-commerçants, peuvent constituer des abus de confiance ou des escroqueries, mais qui ne prennent le caractère plus grave de la banqueroute frauduleuse, qu'à raison même de cette qualité de commerçant ce délit s'aggrave, en effet, de toute la confiance presque nécessaire que ce titre commande et que la célérité des opérations commerciales entraîne. Enfin, l'argument emprunté à l'art. 905, C. proc. civ., est sans portée. Cet article, qui exclut les banqueroutiers frauduleux du bénéfice de cession, est, à la vérité, textuellement reproduit par l'art. 541, C. comm. Quel est le motif de cette reproduction? C'est que cette disposition, appartenant à la fois aux deux matières, a dû figurer dans les deux Codes. Legraverend a

[1] Cass., 2 déc. 1820. (Sirey, 27, 1, 206.) [2] Cass., 13 nov. 1827. (Sirey, 28, 1, 188.)

pensé, au contraire, que cette double disposition s'appliquait à deux classes de banqueroutiers frauduleux, civils et commerçants; mais aucun texte, aucun expression n'appuie cette supposition; et si l'art. 906 déclare qu'il n'est rien innové par le Code de procédure civile, en ce qui touche le bénéfice de cession, aux usages du commerce, il ne suit point de là que l'article 905 soit étranger aux commerçants; il en résulte seulement que cet article est en parfaite harmonie avec l'art. 541, C. comm.

Cette interprétation, au surplus, a constamment été consacrée par la jurisprudence. Ainsi la cour de cassation a déclaré à diverses reprises : « que la banqueroute frauduleuse ou simple est un crime ou délit spécial qui ne peut être commis que par des personnes commerçantes [1]; » << que nul ne peut commettre le crime de banqueroute, s'il n'est commerçant; qu'ainsi la première chose à rechercher dans une accusation de banqueroute, c'est si l'individu est réellement commerçant [2]; » « que nul ne peut être dé

claré banqueroutier frauduleux et puni comme tel, s'il n'est négociant ou commerçant [3]. »

Cette première règle établie, ici se présente la question: Qu'est-ce qu'un commerçant? L'article 1, C. comm., contient cette définition: « Sont commerçants ceux qui exercent le commerce et qui en font leur profession habituelle. » Deux conditions concourent donc à produire cette qualité : le caractère commercial des actes, et l'habitude de se livrer à des actes de cette nature. Ainsi, un acte ou quelques actes isolés ne suffisent pas pour rendre commerçant, quoiqu'ils puissent être attribués à la juridiction commerciale; c'est la profession habituelle du commerce qui seule peut donner ce titre; et la profession habituelle, suivant Pardessus, c'est un exercice assez fréquent et assez suivi pour constituer en quelque sorte une existence sociale [4]. Les négociants, les marchands, les fabricants, les artisans entrepreneurs d'ouvrages; tous ceux qui ouvrent un établissement de commerce, une boutique, un lieu de débit, rentrent dans la catégorie des commerçants. Quelles que soient les fonctions ou les professions de ceux qui font habituellement des actes de commerce, ils peuvent être déclarés en faillite. Les espèces, toutefois, où des doutes se sont élevés sur l'application de cette qualification sont nombreuses, et nous n'entreprendrons point de les parcourir. Cet examen rentre plus particulièrement dans les études du droit commercial. Il nous suffit de

[3] Cass., 20 sept. 1838. (V. dans le même sens cass., 16 sept. 1850 et 3 fév. 1831.) [4] Droit commercial, no 78.

poser les principes: en droit pénal, son appli- tion ne peut être l'objet de doutes sérieux. L'accation est laissée au jury. La qualité de com- tion publique et l'action civile sont indépention merçant du prévenu de banqueroute est un élé- dantes l'une de l'autre; elles marchent sur une ment du délit ou du crime, et par conséquent ligne parallèle sans s'entraver mutuellement, si une question de fait. ce n'est dans le cas où la loi a formellement prévu leur influence l'une sur l'autre. Or aucune disposition, soit de la loi pénale, soit de la loi commerciale, n'a subordonné l'exercice de l'action publique à l'action civile des créanciers, à la plainte des syndics, à la déclaration de la faillite. Les art. 584 et 587, C. comm., déclarent, au contraire, que la banqueroute peut être poursuivie soit sur la plainte des créanciers ou des syndics, soit d'office par le ministère public. La poursuite du ministère public n'est donc soumise à aucune condition; en cette matière comme en toute autre, il peut agir dès qu'il reconnaît les éléments du délit ou du crime.

Le deuxième élément de la banqueroute est l'état de faillite du prévenu. En effet, il ne peut exister de banqueroute sans une faillite : la banqueroute n'est autre chose que la faillite entachée d'imprudence ou de fraude. Les art. 585, 585 et 591, C. comm., posent en conséquence, comme une condition nécessaire du crime ou du délit, que le banqueroutier simple ou frauduleux est commerçant failli.

La faillite est la cessation des payements du commerçant (art. 437, C. comm.). La loi ne s'informe pas, pour déclarer cet état, si l'insolvabilité est réelle ou fictive; elle le répute insolvable par cela seul qu'il ne paye pas c'est ce fait qui détermine l'état de faillite.

Avant la loi du 28 mai 1838 sur les faillites et banqueroutes, le Code indiquait, comme symptômes de la cessation de payements, certaines circonstances, telles que la retraite du débiteur, la fermeture de ses magasins, les actes constatant le refus de payer ses engagements de commerce. Cette énumération a été supprimée par la loi nouvelle : « Le système de la commission, a dit le rapporteur, a été d'exiger, pour constituer la faillite, ce qu'on appelle la cessation de payements, c'est-à-dire de ne plus s'attacher à un fait isolé, tel qu'un ou deux protêts, tel même que la clôture d'un magasin, qui pourrait tromper sur l'intention et le sens dans lequel cette circonstance aurait eu lieu; mais d'exiger un ensemble de circonstances, une inexécution générale des engagements [1]. » C'est donc l'inexécution des engagements du débiteur, la cessation de ses payements qui constitue la faillite.

Le failli est tenu, dans les trois jours de la cessation de ses payements, d'en faire la déclaration au greffe du tribunal de commerce. La faillite est déclarée par jugement de ce tribunal, qui détermine l'époque à laquelle a eu lieu la cessation des payements (art. 438, 440 et 441, C. comm.). Ces formes sont prescrites pour toute faillite.

Mais si elles n'ont pas été observées, si la faillite n'a pas été dénoncée, si le tribunal de commerce ne l'a pas déclarée, la poursuite en banqueroute peut-elle être exercée? Cette ques

[1] Monit. du 28 mars 1838, p. 705. (V. dans ce sens Brux., 18 mars 1830; 13 janv. et 12 mai 1832; J. de Brux., 1830, 1, 351, et 1831, 1, 127; 1852, 1, 57; Dalloz, t. 15, p. 22 et 41.)

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Si l'on admettait que son action est subordonnée à la déclaration de la faillite, il s'ensuivrait que l'action publique, en ce qui concerne la poursuite de la banqueroute, se trouverait placée entre les mains des créanciers; car le ministère public n'est point partie devant le tribunal de commerce: ce tribunal n'est saisi que par les parties privées, à moins qu'il ne prononce luimême d'office la faillite dont il a connaissance. La répression d'un crime grave serait donc soumise aux hésitations, aux intérêts des parties ou à la négligence d'un tribunal de commerce; un oubli, une transaction l'enchaîneraient; la connivence des créanciers et du débiteur pourraient assurer son impunité il est impossible d'admettre une semblable exception au droit commun, sans qu'elle soit énoncée dans la loi.

Au surplus, il est superflu d'insister sur un point sur lequel la jurisprudence n'a jamais varié. La cour de cassation a reconnu, par un grand nombre d'arrêts intervenus sur cette question « que l'action publique est essentiellement indépendante de l'action privée, hors le cas où la loi peut avoir expressément ordonné une disposition contraire; que la juridiction des tribunaux de commerce ne peut être saisie que par les parties privées; que si l'engagement de ces tribunaux sur le fait de la faillite était un préalable nécessaire à l'exercice de l'action publique sur le fait de la banqueroute, il s'ensuivrait que l'exercice de cette action serait soumis à l'arbitraire des intérêts privés, ce qui serait directement contraire à la loi [2]. »

Cette règle posée, plusieurs conséquences en

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découlent naturellement. Il en résulte évidem- | « Lorsqu'une action criminelle a été poursuivie civilement ou criminellement entre un accusé et une partie civile, sans que la partie publique se soit jointe au procès, cette partie publique est toujours en droit d'agir pour poursuivre la vengeance publique. La raison en est que, par le jugement rendu sur une action civile, on ne satisfait point à la réparation publique, mais seulement à la réparation privée; ce qui fait que la partie publique est alors en droit d'agir pour l'intérêt public [4]. » Julius Clarus pose également en principe que les preuves acquises dans les procès civils, les jugements auxquels ils ont donné lieu, ne peuvent avoir aucune force devant les juges criminels: Si producantur aliqua acta, potest reus dicere quod acta facta in judicio civili non faciunt fidem in criminali, neque etiam sententia super ipso crimine lata [5]. L'aveu même des prévenus, fait dans une instance civile, ne pouvait être produit dans la poursuite criminelle: Confessio facta in judicio civili, non facit in judicio criminali plenam probationem [6].

ment, en premier lieu, que le fait de la faillite ne forme point une question préjudicielle qui doive être renvoyée à la juridiction commerciale. Il n'y a point ici, en effet, d'interprétation d'acte ou de question d'état dont les tribunaux civils puissent seuls connaître la faillite n'est qu'un fait, le fait de la cessation des payements; ce n'est pas le jugement du tribunal de commerce qui constitue le commerçant en faillite, il ne fait que constater qu'il s'y trouve [1]. La juridiction criminelle est donc compétente pour constater ce fait, dès qu'il devient un élément d'un délit ou d'un crime; car elle est compétente pour examiner et apprécier tous les faits, tous les actes constitutifs des délits qu'elle juge. La cour de cassation a déclaré, en confirmant cette doctrine « que la qualité de négociant failli n'est pas une de ces questions préjudicielles dont le jugement est exclusivement dévolu aux tribunaux civils; qu'elle doit être examinée et jugée par les jurés, dans son rapport avec les faits de fraude dont la qualification légale est subordonnée à son existence [2]. »

Or, si le fait de la faillite n'est pas une question préjudicielle, si la déclaration doit en être faite par le juge saisi de la prévention de la banqueroute, il en résulte que ce juge doit statuer sur cette faillite et la constater, non-seulement quand le tribunal de commerce ne l'a pas fait, mais même quand il l'a déjà déclarée [3].

En effet, il est de règle générale que le jugement intervenu dans une instance civile n'aura aucune influence sur l'action publique, lorsque cette instance n'est point préjudiciable à la poursuite. Cette influence ne pourrait résulter que de l'autorité de la chose jugée qui serait attachée à ce jugement. Or comment cette autorité existerait-elle devant la juridiction criminelle? Il n'y a point identité d'objet entre l'action civile et l'action publique celle-là n'a pour but que l'intérêt privé de celui qui l'exerce, celle-ci, l'intérêt général de la société. Il n'y a point identité de parties le ministère public n'est pas partie dans les instances civiles; il n'y procède pas par voie d'action.

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Cette règle était constante dans notre ancien droit criminel; Jousse l'établit en ces termes :

comme banqueroutier frauduleux, il faut qu'au préalable il soit intervenu devant les juges de commerce un jugement déclaratif de la faillite. S'il a été souverainement jugé par les juges compétents qu'il n'y avait pas faillite, cette décision doit obtenir ses effets même envers le ministère public, et le rend non recevable à intenter une poursuite en banqueroute frauduleuse. (Liége, 8 janvier 1828; Jur. du 19e s., 1830, 3, 196; Dalloz, 15, 336.)

La cour de cassation a jugé, conformément à cette doctrine, que le jugement civil qui déclare un individu en faillite ne fait point obstacle à ce que la qualité de commerçant soit de nouveau mise en question devant la chambre d'accusation: « Attendu que les tribunaux de répression sont compétents pour examiner et juger, quant à l'action publique, non-seulement les faits constitutifs du crime de banqueroute, mais encore la qualité de celui à qui on les oppose; que les jugements rendus sur l'action civile des créanciers demeurent sans influence sur l'action criminelle; que le prévenu ne peut pas plus s'en prévaloir qu'on ne peut les lui opposer. »>

C'est encore d'après le même principe que la cour de cassation a jugé que l'homologation du concordat et la déclaration que le failli est excusable, ne sont point des obstacles à l'exercice de l'action publique contre le failli. Les motifs de cet arrêt sont : « que l'action criminelle ne peut être arrêtée dans le cours de son exercice par les actes de la juridiction civile, que dans les cas où la loi l'a expressément ordonné; que les dispositions des art. 588 et 595 du Code de commerce sont générales et absolues; que leur exé

[1] Pardessus, no 1094; Legraverend, t. 1, p. 21. Discussion de la loi du 28 mai 1838. (Monit. du 28 mars 1838.)

[2] Cass., 3 oct. 1859.

[3] V. la note 2, page précédente.
[4] Justice crim., t. 3, p. 22.

[5] Julii Clarii sentent. Quæst. 54, nos 2, 3, 4 et 5.
[6] Ib., loc. cit. suprà.

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