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cution n'est point subordonnée par la loi à ce qui peut être ordonné par le tribunal de commerce, d'après l'art. 526 du même Code; que l'homologation du concordat et la déclaration d'excusabilité du failli, prononcées, d'après cet article, par le tribunal de commerce, ne sauraient donc être un obstacle à l'exercice de l'action publique contre le failli, sur la prévention de banqueroute simple ou de banqueroute frauduleuse; que ces actes du tribunal de commerce se réfèrent, en effet, au cas de faillite simple, et conséquemment à un état de cause essentiellement différent de celui que les art. 588 et 595 ont eu pour objet de constater et de punir; que d'ailleurs il ne peut jamais y avoir de contrariété légale entre un jugement civil et un jugement criminel, puisqu'il ne peut y avoir jamais identité de parties; que le ministère public n'est, dans un aucun cas, partie devant les tribunaux de commerce; que son action ne peut donc jamais être atteinte par des jugements de ces tribunaux, dont l'effet est essentiellement borné entre les parties civiles entre lesquelles ils sont rendus [1]. »

Nous avons établi jusqu'ici les deux éléments sans lesquels il n'existe point de banqueroute, à savoir la qualité de commerçant de l'agent, et le fait de sa faillite. Nous avons vu que ces deux circonstances sont la base nécessaire de toute poursuite en banqueroute; qu'elles doivent être déclarées par les juges du fait, comme éléments du délit ou du crime, et qu'à défaut d'une déclaration précise sur ces deux points, la banqueroute cesserait d'être punissable.

Nous allons rechercher maintenant les faits caractéristiques de la banqueroute simple et de la banqueroute frauduleuse.

La loi, en flétrissant du nom de banqueroute toutes les fautes par lesquelles un commerçant se met dans l'impuissance de remplir ses engagements, a cependant distingué ces fautes en deux catégories distinctes, suivant qu'elles prennent leur source dans l'imprudence ou dans la fraude, dans la négligence et l'inconduite ou dans le crime. La faute, quelque grave qu'elle soit, lorsqu'elle est pure d'un calcul coupable, ne peut constituer qu'un délit de banqueroute simple; mais lorsque le commerçant a préparé par de criminelles manoeuvres la spoliation de ses créanciers, sa banqueroute est qualifiée frauduleuse, et revêt le caractère d'un crime.

Les faits de banqueroute simple sont divisés par le Code de commerce en deux séries.

[1] Cass., 9 mars 1811; Pardessus, no 1,300; Carré, Lois de la procédure civile, troisième édition, no 943.

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Avant la loi française du 28 mai 1838, le Code soumettait les faits de la première classe à une poursuite nécessaire : Sera poursuivi comme banqueroutier simple tout commerçant failli, etc.; et les faits de la seconde classe à une poursuite facultative: Pourra être poursuivi comme banqueroutier simple (art. 585 et 586 du Code de commerce). La loi du 28 mai 1838 a rectifié ces deux expressions, qui semblaient enchaîner l'action du ministère public dans le premier cas, et dans le second le constituer juge de la poursuite. Il est évident que c'est aux tribunaux et non au ministère public qu'une telle appréciation des faits pouvait appartenir; tel a été aussi le sens de la modification introduite dans les articles 585 et 586, et qui a consisté à placer dans le premier ces mots : Sera déclaré banqueroutier simple, etc., et dans le second ceux-ci : pourra être déclaré, etc. Le rapporteur de la commission de la chambre des députés a dit : « Cette distinction est plus conforme aux principes du droit pénal; elle sépare les cas où la banqueroute simple doit être déclarée de ceux où elle peut l'être. »

Une telle distinction n'est-elle pas quelque peu puérile, et dans tous les cas complétement sans objet? Quel est son but? C'est d'astreindre les tribunaux à prononcer une condamnation toutes les fois que l'un des faits prévus par l'art. 585 est reconnu constant; c'est de laisser, au contraire, cette condamnation facultative dans les cas prévus par l'art. 586, et lors même que les faits énumérés par cet article seraient établis or, lorsqu'il s'agit de reconnaître un fait et de le qualifier pour le punir, les tribunaux peuvent-ils être servilement enchaînés, comme s'il s'agissait d'accomplir une formalité matérielle? ne conservent-ils pas le pouvoir, même dans les diverses hypothèses de l'art. 585, de ne pas déclarer l'existence du délit? Il est à remarquer que l'art. 586, qui attribue aux juges la faculté de ne prononcer aucune peine, même en présence du délit constaté, ne prévoit que des faits déterminés et précis, tandis que l'art. 585, qui semble astreindre les juges à condamner, ne prévoit que des faits vagues et qui doivent être appréciés : or, cette appréciation nécessaire, et qui doit se puiser dans la moralité de ces faits, ne renferme-t-elle pas implicitement la faculté énoncée dans l'art. 586? Cette distinction inusitée est donc illusoire, puisqu'elle ne peut lier les juges, puisqu'elle ne leur retire aucune de leurs attributions, puisqu'ils restent les maîtres, en face du fait constaté, de ne pas déclarer le délit de banqueroute simple, s'ils ne reconnaissent pas, à côté du fait matériel, le fait moral, qui est l'un des éléments du délit. Il eût donc

été préférable d'effacer, à l'égard de la banque- | l'appréciation, soit de l'existence, soit de la gravité du tort ainsi caractérisé par la loi, et susceptible d'être considéré, suivant les cas, comme méritant punition ou comme excusable. »

route simple, une distinction qui n'est que dans les termes et que la loi nouvelle avait le soin de faire disparaître en même temps en matière de banqueroute frauduleuse.

Nous venons de dire que la seule constatation du fait matériel ne suffisait pas, même en matière de banqueroute simple, pour que les juges fussent obligés d'appliquer les peines de la loi. En effet, la banqueroute simple n'est pas seulement une contravention matérielle; elle est rangée parmi les délits; or la criminalité d'un fait que la loi qualifie délit ne se puise pas seulement dans la matérialité, mais aussi dans la moralité. Il ne suffit pas que le commerçant failli ait commis quelqu'un des faits répréhensibles qui peuvent constituer la banqueroute simple; il faut qu'il ait agi volontairement, avec l'intention que la loi a voulu incriminer. Il ne peut exister aucun doute sur cette règle générale. Mais la difficulté naît quand il s'agit de préciser cette intention, cette volonté, en un mot la moralité du délit. La loi a-t-elle voulu atteindre une pensée de fraude ou la simple négligence, la mauvaise foi ou seulement quelque faute grave?

:

Nous pensons que la fraude n'est pas essentielle à l'existence du délit, mais qu'une faute grave est du moins nécessaire pour le constituer. Les différents faits énumérés par les art. 585 et 586 du C. de comm. ne supposent pas la fraude l'excès des dépenses, la participation à des jeux de bourse, les emprunts ruineux, les engagements téméraires, attestent l'imprudence du commerçant, mais non sa mauvaise foi; il a mal dirigé ses affaires, il n'a pas conçu la pensée de spolier ses créanciers; son inconduite l'a conduit à la ruine, mais il n'est coupable que d'inconduite. C'est ainsi que, lors de la rédaction du Code pénal, le rapporteur du corps législatif ne voyait, dans la banqueroute simple, « qu'un fait que la négligence, l'imprévoyance, l'inconsidé ration dans les démarches ont, il est vrai, toujours plus ou moins occasionné, mais auquel du moins la perversité, l'esprit de rapine, les calculs coupables ont été étrangers. » Et c'est d'après cette doctrine que la cour de cassation a décidé « que l'art. 587 (aujourd'hui 586) du Code de commerce n'admettant aucunes circonstances élémentaires de la banqueroute simple, en ce qui touche la tenue des livres, que les irrégularités ou omissions exemptes de fraude, il s'ensuit nécessairement qu'aux termes de cet article, la simple négligence peut suffire pour entraîner ou la poursuite ou la condamnation; qu'il présente l'une ou l'autre comme également facultative; que la limite de cette faculté est dans

Mais il est nécessaire que ce tort, cette faute soient constatés. Il ne suffit pas que les faits matériels, constitutifs de la banqueroute simple, soient constants; car, par exemple, les dépenses personnelles du failli peuvent être jugées excessives d'après le résultat des événements et l'état actuel de sa fortune, et cependant n'être pas considérées comme une faute au moment où elles ont été faites. Les emprunts onéreux, les ventes au-dessous du cours, ne sont pas toujours des actes imprudents et ruineux; car un emprunt, même onéreux, peut avoir un résultat utile; une vente précipitée peut être une mesure de prudence. Il faut donc qu'à côté de chaque fait soit constatée la faute de son auteur; que chaque acte soit apprécié à son point de vue moral, qu'il soit déclaré non-seulement que le prévenu a commis cet acte, mais qu'en le commettant il s'est rendu coupable de témérité, de mauvaise gestion ou d'imprudence. C'est là le fait moral que la loi a voulu atteindre, le délit qu'elle a puni.

Mais les faits constitutifs de la banqueroute simple changeraient-ils de caractère, s'ils étaient le résultat, non point seulement d'une imprudence, mais d'une fraude criminelle? cesseraient-ils de constituer un simple délit, si, par exemple, le failli avait dessein de celer sa véritable situation en ne tenant pas de livres, de spolier ses créanciers en faisant des achats ou des ventes au-dessous du cours? Il est évident que l'intention de l'agent, quelle qu'elle soit, ne suffit pas pour imprimer à un fait matériel un nouveau caractère. Tous les actes constitutifs de la banqueroute simple restent les mêmes, soit qu'ils soient le résultat de la fraude ou de l'imprudence; leur péril social, le préjudice qu'ils causent, ne sont nullement altérés; la criminalité de l'agent s'aggrave sans doute, mais l'acte matériel n'acquiert aucune gravité nouvelle; le délit ne change donc pas de caractère. Ce délit, d'ailleurs, ne pourrait se modifier que pour revêtir la qualification de banqueroute frauduleuse; or toute espèce de fraude ne constitue pas ce crime: il faut qu'à cette fraude se réunissent les faits énoncés par l'art. 591 du Code de commerce; et ces faits sont tout à fait distincts de ceux que les art. 585 et 586 ont prévus. A la vérité, le dernier § de l'art. 586, après avoir déclaré passible des peines de la banqueroute simple le commerçant failli dont les livres sont irrégulièrement tenus, ajoute : Sans néanmoins qu'il y ait fraude. Mais ces expressions

se réfèrent évidemment au cas où l'irrégularité des livres aurait pour cause un détournement ou une dissimulation d'une partie de l'actif, cas qui, aux termes de l'art. 591, constitue la banqueroute frauduleuse.

de banqueroute au défaut d'accomplissement de cette obligation, et dès lors cette énonciation, purement comminatoire, était superflue.

L'emploi de fortes sommes à des opérations de pur hasard a été considéré par la loi comme L'art. 585 du Code de commerce énumère un acte d'imprudence assez grave pour devenir quatre cas de banqueroute simple : « Sera dé- l'élément du délit de banqueroute. Deux condiclaré banqueroutier simple, tout banqueroutier tions sont néanmoins exigées: il faut que les failli qui se trouvera dans un des cas suivants : sommes absorbées par ces opérations soient 1° Si ses dépenses personnelles ou les dépenses fortes, ce qui doit être arbitré eu égard aux resde sa maison sont jugées excessives; 2° s'il a sources du commerçant; il faut ensuite que les consumé de fortes sommes soit à des opéra- opérations soient de pur hasard, ce qui exclut tions de pur hasard, soit à des opérations ficti- toute spéculation qui serait en partie fondée sur ves de bourse ou sur marchandises; 3° si, dans des données positives et sur des faits aléatoires. l'intention de retarder la faillite, il a fait des Le Code de commerce s'était borné à dénommer achats pour revendre au-dessous du cours, si, les opérations de pur hasard; la loi du 28 mai dans la même intention, il s'est livré à des em- 1838 a ajouté les opérations fictives de bourse prunts, circulation d'effets, ou autres moyens ou sur marchandises. Le rapporteur de la chamruineux de se procurer des fonds; 4° si après bre des députés a motivé cette condition en ces cessation de ses payements, il a payé un créan- termes : « On pourrait s'en tenir à la dénominacier au préjudice de la masse.» L'art. 506 tion générale et n'énoncer aucun de ces cas parajoute Pourra être déclaré banqueroutier ticuliers qu'elle renferme, tels que les jeux fusimple tout commerçant failli qui se trouvera nestes et immoraux de la bourse, et l'agiotage, dans un des cas suivants : 1° S'il a contracté, non moins répréhensible, qui joue sur les marpour le compte d'autrui, sans recevoir des va-chandises. Mais on a pensé, avec raison, qu'il leurs en échange, des engagements jugés trop considérables, eu égard à sa situation lorsqu'il les a contractés; 2° s'il est de nouveau déclaré en faillite sans avoir satisfait aux obligations d'un précédent concordat; 3° si, étant marié sous le régime dotal, ou séparé de biens, il ne s'est pas conformé aux art. 69 et 70; 4° si, dans les trois jours de la cessation de ses payements, il n'a pas fait au greffe la déclaration exigée par les art. 438 et 459, ou si cette déclaration ne contient pas les noms de tous les associés solidaires; 5 si, sans empêchement légitime, il ne s'est pas présenté en personne aux syndics, dans les délais fixés, ou si, après avoir obtenu un sauf-conduit, il ne s'est pas représenté à justice; 6° s'il n'a pas tenu de livres et fait exactement inventaire, si ses livres ou inventaires sont incomplets ou irrégulièrement tenus, ou s'ils n'offrent pas sa véritable situation active ou passive, sans néanmoins qu'il y ait fraude. »

Nous allons reprendre quelques-unes de ces dispositions. La loi du 28 mai 1838 a ajouté les dépenses personnelles, dans le § 1er de l'art. 585, aux dépenses de la maison, que le Code de commerce s'était borné à prévoir. Ces deux sortes de dépenses diffèrent en effet les premières comprennent les pertes de jeu et toutes les dépenses qui sont étrangères à l'entretien de la maison. Le Code rappelait l'obligation d'inscrire ces dépenses, mois par mois, sur le livre-journal. Cette disposition a été effacée avec raison; car la loi n'avait point attaché la qualification ÉD. FRANC. T. VII.

CHAUVEAU. T. IV.

convient à la morale publique que la loi sur les banqueroutes impose à ces opérations une flétrissure de plus, en les rappelant par une mention expresse. Quant aux pertes au jeu, que prévoyait cet article, elles rentrent dans les dépenses personnelles [1]. »

Les emprunts, les reventes à perte étaient des faits de banqueroute, d'après le Code de commerce, lorsqu'il résultait du dernier inventaire que l'actif était de 50 pour 100 au-dessous du passif; il en était de même des signatures de crédit ou de circulation, lorsqu'elles étaient données pour une somme triple de l'actif selon l'inventaire. « Ces limites fixes, a dit le rapporteur, cette nécessité de s'en référer aux évaluations du dernier inventaire, sans prévision de ce qui adviendrait si les inventaires n'avaient point eu lieu, ont été remplacées par des dispositions générales : il y aura banqueroute simple lorsque ce sera dans l'intention de retarder la faillite que l'on aura recours à ces moyens ruineux de se procurer des fonds. »

On fit l'observation, lors de la discussion de la loi, qu'il y avait peut-être quelque danger à admettre comme caractère de la banqueroute simple des emprunts faits par le failli, puisque la plupart des commerçants se servent pour leurs spéculations de capitaux étrangers. Il fut ré

[1] Rapport de Renouard, Monit. du 51 janvier 1855,

p. 220.

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pondu par le rapporteur, que cette observation | cette disposition. Mais, avant ce dessaisissement

serait juste s'il s'agissait d'un commerçant qui, lorsqu'il est au-dessus de ses affaires, se procure des fonds par des emprunts; mais qu'il s'agit d'un homme qui est à la veille de sa faillite, qui devrait la déclarer, et qui, par des emprunts onéreux, trouve le moyen de prolonger son agonie.

Il ne suffit donc pas que le commerçant failli ait fait des achats pour revendre au-dessous du cours, et qu'il se soit livré à des emprunts, circulations d'effets et autres moyens ruineux de se procurer des fonds; la loi n'incrimine ces différents actes, quelque désastreux que puissent être leurs résultats, qu'autant qu'ils ont été commis dans l'intention de retarder la faillite, car ce n'est que dans ce cas qu'ils nuisent visiblement à des tiers, aux créanciers. Ces faits ne peuvent devenir la base d'une poursuite en banqueroute simple, que lorsqu'ils se sont consommés à la veille de la faillite, lorsque leur auteur connaissait sa situation, et qu'il ne pouvait puiser dans l'emploi de ces moyens onéreux l'espoir fondé de rétablir ses affaires.

Le quatrième paragraphe de l'art. 585 place au nombre des éléments de la banqueroute simple le payement fait à un créancier, au préjudice de la masse et après la cessation des payements. Ce cas nouveau de banqueroute, introduit par la loi du 28 mai 1856, a cela de remarquable qu'il résulte d'un fait postérieur à la faillite. Ce fait, qui peut avoir lieu même après le contrat d'union, ou le concordat, n'inculpe ni l'administration du commerçant ni sa bonne foi; sa gestion est mise hors de cause; c'est un fait distinct de la faillite. Si cet acte peut être incriminé, c'est parce qu'il constitue un acte de faiblesse ou de fraude préjudiciable à la masse des créanciers, une sorte d'abus de confiance au profit d'un tiers. Le failli dispose, en effet, d'un bien dont il n'a plus la libre disposition et qui est, comme tous ses biens, le gage commun de ses créanciers. Cette disposition irrégulière aurait donc dû être punie comme un abus de confiance, mais non comme un cas de banqueroute, car elle ne peut rétroagir sur les actes qui ont préparé la faillite. Ensuite, il eût fallu distinguer peut-être le payement fait antérieurement ou postérieurement au jugement déclaratif de la faillite ce jugement emporte dessaisissement pour le failli de l'administration de tous ses biens; le payement consommé après ce jugement rentre donc, par une analogie évidente, dans les termes du deuxième paragraphe de l'art. 400 du Code pénal, qui prévoit l'enlèvement par le saisi des effets saisis; et le législateur eût pu employer à cette nouvelle espèce

légal, le failli peut concevoir quelques doutes sur ses droits, et son action est plus excusable. Les cas de banqueroute simple, prévus par l'art. 587, reposent en général sur des faits plus déterminés et plus précis. Cependant le fait du failli d'avoir contracté des engagements trop considérables, eu égard à sa position, qui fait l'objet du paragraphe premier de cet article, est un fait d'imprudence qui appelle nécessairement une appréciation morale. Le deuxième paragraphe donna lieu à quelques observations, au sein de la chambre des députés : M. Réalier-Dumas proposa de scinder ce paragraphe, et de déclarer passible des peines de la banqueroute simple tout commerçant failli qui serait de nouveau déclaré en faillite, lors même qu'il aurait satisfait aux conditions du concordat. Le rapporteur répondit que ce serait confondre le malheur et la mauvaise foi : « L'inexécution du concordat, ajouta-t-il, est au rang des scandales dont le commerce est le plus fondé à se plaindre. La loi doit prévoir ce cas, sur lequel le Code de commerce se taisait entièrement; mais elle doit admettre les motifs d'excuse que des circonstances de force majeure peuvent quelquefois apporter [1]. »

Les art. 69 et 594 du Code de commerce faisaient l'application des peines de la banqueroute frauduleuse au commerçant failli qui, marié sous le régime dotal ou séparé de biens, n'avait pas fait le dépôt de son contrat de mariage au greffe du tribunal de commerce, ou qui n'avait pas tenu de livres, ou dont les livres ne présentaient pas la véritable situation active et passive; ou qui, après avoir obtenu un sauf-conduit, ne s'était pas représenté à justice. Ces peines étaient excessives. La loi du 28 mai 1858 s'est bornée à ranger ces cas parmi ceux de la banqueroute simple excusable : « L'excès dans les peines, a dit M. Renouard, conduit à l'impunité. Sans doute, un commerçant tombe dans une faute grave lorsqu'il ne tient pas de livres; mais l'expérience de tous les jours démontre que le commerce est souvent exercé par des personnes illettrées, et qu'il y a trop de rigueur à punir cette négligence ou cette faute comme un crime, lorsqu'il ne s'y mêle aucune intention de fraude. Le Code de commerce avait d'ailleurs manqué de prévoyance, lorsque, pour tous les cas, il ne laissait à opter qu'entre une déclaration de la banqueroute frauduleuse ou un acquittement. »

La cour de cassation avait décidé, sous l'em

[1] Monit, du 6 avril 1838,

pire du Code de commerce: 1° que les art. 69 et 70 de ce Code, en assujettissant tout époux séparé de biens ou marié sous le régime dotal, qui embrasserait la profession de commerçant, à la publication de son contrat de mariage, n'ont eu pour objet que les séparations contractuelles ou exclusions de communauté, et non les séparations judiciaires, sujettes à des formalités particulières qui en assurent par elles-mêmes la publicité [1]; 2° qu'en ce qui touche les irrégularités ou omissions dans la tenue des livres, la simple négligence peut suffire pour entraîner la poursuite et la condamnation; mais qu'il appartient aux juges d'apprécier si cette négligence est excusable ou si elle constitue un tort assez grave pour qu'elle puisse être qualifiée délit [2]. » La loi nouvelle n'a nullement modifié les règles qui ont dicté ces deux décisions.

Les cas de banqueroute frauduleuse sont prévus par l'art. 591 du Code de commerce, ainsi conçu: « Sera déclaré banqueroutier frauduleux et puni des peines portées au Code pénal tout commerçant failli qui aura soustrait ses livres, détourné ou dissimulé une partie de son actif, ou qui, soit dans ses écritures, soit par ses actes publics ou des engagements sous signature privée, soit par son bilan, se sera frauduleusement reconnu débiteur de sommes qu'il ne devait pas. >>

Le premier élément du crime, ainsi que l'indique sa qualification même, est la fraude: il ne suffit donc plus ici que le failli ait commis l'un des faits prévus par cet article, par l'effet d'une faute quelconque; il faut qu'il ait agi avec l'intention de spolier ses créanciers; ce n'est plus l'imprudence, la témérité, que la loi punit, c'est l'escroquerie et le vol. Ainsi, la cour de cassation a déclaré, à différentes reprises, qu'il ne suffit pas que le jury soit interrogé sur la question de savoir si les faits constitutifs de la banqueroute sont constants; « mais que l'existence de ces faits ne constitue la banqueroute frauduleuse qu'autant que le failli s'en est rendu coupable, c'est-à-dire qu'il les a commis de mauvaise foi [3]. »>

Quelques arrêts ont toutefois admis une distinction entre les faits qui supposent nécessairement la mauvaise foi et ceux dont la perpétration n'emporte pas absolument une pensée frauduleuse. Dans le premier cas, il ne serait pas besoin que le jury déclarât que l'accusé est coupable; il suffirait que les faits fussent déclarés

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constants [4]. Il nous semble impossible d'adopter cette distinction. Comment admettre, en effet, qu'un fait matériel puisse nécessairement entraîner la culpabilité de celui qui l'a commis, qu'il soit inutile de vérifier son intention? Toutes les actions n'ont-elles pas leurs nuances, né peuvent-elles pas avoir leurs excuses? N'est-il pas possible que l'agent, tout en se livrant à des actes qui semblent supposer la fraude, n'ait fait que subir un entraînement excusable, ou l'empire de sa propre ignorance? Et puis quand, par voie de conséquence, on induirait de la seule existence du fait matériel une intention criminelle, est-il certain que les jurés auront fait cette induction? qu'ils auront vu autre chose qu'un fait matériel dans la déclaration de ce fait? qu'en déclarant le fait constant, ils auront voulu déclarer l'accusé coupable? En général, les déclarations du jury ne doivent être interprétées que par le jury lui-même; toutes les expressions ambigues, vagues, incomplètes qu'elles renferment, ne peuvent servir de base à l'application d'une peine. Ce principe doit surtout être maintenu, lorsque le doute porte sur la valeur morale d'un fait, sur la criminalité de l'agent; cette criminalité doit être nettement déclarée : il n'est point d'interprétation qui puisse remplacer cette constatation. Ainsi, en matière de banqueroute frauduleuse, la fraude ou, en d'autres termes, la culpabilité de l'agent, doit être expressément déclarée : elle ne peut implicitement résulter d'aucun fait, parce que ce fait, quoi qu'il soit, ne la suppose pas nécessairement, parce que la peine ne peut avoir pour base une induction tirée d'un fait; il faut que la culpabilité soit complétement établie par le jury.

Le Code de commerce énumérant, dans les art. 69, 593 et 594, de nombreux cas de banqueroute frauduleuse, la loi du 28 mai 1838 a substitué à cette énumération une définition générale qui comprend tous les cas de dissimulation et de fraude, soit sur l'actif soit sur le passif de la faillite. La soustraction des livres, qui fait naître une grave présomption de fraude, a seule été ajoutée à ces cas.

Les faits constitutifs de la banqueroute frauduleuse sont donc, sous la législation actuelle : 1° la soustraction des livres, cas qu'avait également prévu le § 7 de l'art. 593 du C. de comm.; 2° le détournement d'une partie de l'actif, qui doit comprendre, comme le n° 2 de l'art. 593 l'expliquait avant la loi nouvelle, le détourne

[1] Cass., 9 sept. 1813. [2] Cass., 24 nov. 1836.

[3] Cass., 14 avril 1827; et dans le même sens, cass., 13 mai 1826 et 19 sept. 1828.

[4] Cass., 13 mai 1826 et 14 avril 1827.

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