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CHAPITRE LXII.

ANCIENNE LÉGISLATION sur CETTE MATIÈRE.

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CIVIL ET DU DOL CRIMINEL.

QUERIE DANS L'ART. 405.

DE MOYENS FRAUDULEUX.

DE L'ESCROQUERIE.

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EXAMEN DE LA LÉGISLATION DE 1791. — DISTINCTION DU DOL LIMITES OPPOSÉES PAR LE LÉGISLATEUR A L'INCRIMINATION DE L'ESCRORÈGLES POSÉES POUR CET ARTICLE. PREMIER ÉLÉMENT DU DÉLIT: EMPLOI EMPLOI DE FAUX NOMS ET DE FAUSSES QUALITÉS. DISTINCTION DES CAS OU CET USAGE CONSTITUE UN FAUX ou un moyen d'escroquerie. LA LOI N'EXIGE PAS QUE L'USAGE D'UN FAUX NOM OU D'une fausse QUALITÉ AIT EU POUR OBJET de persuader l'exiSTENCE DE FAUSSES entrePRISES OU D'UN CRÉDIT IMAGINAIRE. USURPATION D'UN NOM SOCIAL. RELATION DE L'USURPATION AVEC LA PERPÉTRATION DU DÉLIT. EMPLOI DE MANOEUVRES FRAUDUleuses. QUELLES MANOEUVRES LA LOI A EUES EN VUE. LIMITATION DE L'INCRIMINATION.—IL FAUT, EN PREMIER LIEU, que les faits PUISSENT ÊTRE QUALIFIÉS MANOEUVRES. LES SIMPLES ALLÉGATIONS NE RENTRENT PAS DANS CETTE CLASSE QUAND ELLES NE SONT ACCOMPAGNÉES D'AUCUN ACTE DESTINÉ A LES APPUYER. IL EN EST DE MÊME DES VIOLENCES ET VOIES DE FAIT. IL FAUT, EN DEUXIÈME LIEU, QUE LES MANOEUVRES SOIENT FRAUDULEuses. si l'agent est de bonne foi, elles cessent d'être un Élément du délit. IL FAUT, EN TROISIÈME lieu, que leS MANOEUVRES SOIENT DE NATURE A FAIRE IMPRESSION ET A DÉTERMINER LA CONFIANCE. CETTE RÈGLE, PUISÉE DANS LA JURISPRUDENCE, EST CONFORME A L'ESPRIT DE LA LOI. LIMITES QUI DOIVENT ÊTRE APPORTÉES A SON APPLICATION. IL FAUT, EN QUATRIÈME LIEU, QUE LES MANOEUVRES SE PROPOSENT LE BUT DÉTERMINÉ PAR LA LOI. a quels faits s'appliquent LES EXPRESSIONS DE fausses ENTREPRISES, DE CRÉDIT IMAGINAIRE, D'ESPÉRANCES OU DE CRAINTES CHIMÉRIQUES. EXAMEN DES DIFFÉRENTES CATÉGORIES DE MANOEUVRES DIVISÉES D'APRÈS LE BUT QU'ELLES SE PROPOSENT. DEUXIÈME ÉLÉMENT DU DÉLIT: REMISE DES FONDS OU DES VALEURS. CETTE REMISE CONSTITUE UN DES FAITS ÉLÉMENTAIRES DE L'escroquerie. RELATION NÉCESSAIRE DES MOYENS FRAUDULEUX ET DE SA DÉLIVRANCE. -L L'ESCROQUERIE NE PEUT S'EXERCER QUE SUR DES VALEURS MOBILIÈres. EXPLICATION DE CETTE RÈGLE. cas ou l'escroquerie s'exerce DANS UN CONTRAT, tel qu'une vente, UN BAIL, UNE TRANSACTION. DISTINCTION De la fraude CIVILE ET DE LA FRAUDE CONSTITUTIVE DU DÉlit, en ce QUI CONCERNE LES CONVENTIONS CIVILES. TROISIÈME ÉLÉMENT DU DÉLIT: DÉTOURNEMENT DES VALEURS. DISTINCTION DU DÉLIT CONSOMMÉ ET DE LA TENTATIVE. MOTIFS D'INCRIMINER LES TEntatives d'escroQUERIE. CARACTÈRES LÉGAUX DE CETTE TENTATIVE. RÉSUMÉ DES ÉLÉMENTS DU DÉLIT. TION IMPOSÉE AUX TRIBUNAUX DE LES CONSTATER. VARIATIONS ET PHASES DIVERSES DE LA JURISPRUDENCE SUR CETTE RÈGLE.

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PÉNALITÉS. (COMMentaires des art. 402, 403 ET 404 DU CODE PÉNAL.)

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Notre ancienne jurisprudence appliquait la qualification d'escroquerie à cette classe de lareins qui se commettent, soit par adresse dans les lieux publics, soit dans les maisons particulières par des individus qui s'y sont introduits sous différents prétextes [1]. Cette dénomination avait remplacé les mots de saccularii ou directarii que leur donnait la loi romaine : Saccularii qui

[1] Muyart de Vouglans, Lois crim., p. 292.

vetitas in sacculo artes exercentes subducunt, partem subtrahunt; item qui directarii appellantur, hoc est hi qui in alienâ cœnaculâ se dirigunt furandi animo [2].

La législation de 1791, en conservant cette qualification, a modifié les éléments du délit : elle a compris sous le nom d'escroquerie ces fraudes, ces manoeuvres qui, en se proposant

[2] L. 7 au Dig. de extraord. crim. Damhouderius, ch. 110, no 47, p. 361, adopte aussi cette dénomination.

pour but la soustraction du bien d'autrui, ne cherchent à l'accomplir qu'en provoquant une confiance aveugle dont elles abusent avec perfidie.

Cette incrimination, à raison du nombre infini de ces fraudes, des formes variées qu'elles revêtent, des circonstances diverses qui les accompagnent, présentait un double écueil. Il fallait que ses termes fussent assez étendus pour comprendre toutes celles que le législateur voulait atteindre, et assez précis pour indiquer clairement la limite où il prétendait s'arrêter.

L'art. 35 du titre 2 de la loi des 16-22 juillet 1791 n'avait rempli que la première de ces conditions. Cet article était ainsi conçu: «Ceux qui, par dol, ou à l'aide de faux noms, ou de fausses entreprises, ou d'un crédit imaginaire, ou d'espérances et de craintes chimériques, auraient abusé de la crédulité de quelques personnes, et escroqué la totalité ou partie de leur fortune, seront poursuivis devant les tribunaux de district; et si l'escroquerie est prouvée, le tribunal de district, après avoir prononcé les restitutions et les dommages-intérêts, est autorisé à condamner, par voie de police correctionnelle, à une amende qui ne pourra excéder 5,000 livres, et à un emprisonnement qui ne pourra excéder deux ans, » Cette disposition, en incriminant tous ceux qui, par dol, avaient abusé de la crédulité et escroqué partie de la fortune d'autrui, ouvrait la porte à toutes les plaintes, à tous les griefs. Aucune loi n'a donné lieu à plus de contestations de la part des parties, à plus d'erreurs de la part des juges. Cette expression vague de dol permettait d'atteindre toutes les espèces de fraudes, même celles qui, sans être jamais légitimes, sont trop légères ou trop insaisissables pour que la loi pénale doive chercher à les punir, ou qui ne peuvent être poursuivies sans attaquer la foi due aux conventions. Cette confusion s'augmentait à raison de l'attribution donnée aux tribunaux civils de statuer sur ces fraudes, et de la disposition qui rendait l'action répressive, secondaire et accessoire à l'action civile; de sorte qu'il semblait qu'il s'agissait moins de punir un délit caractérisé, que de réprimer les manoeuvres et les ruses qui sont trop souvent employées dans les transactions civiles, mais qu'il est si difficile de

constater.

La cour de cassation lutta avec persévérance contre ce texte trop vague et contre les interprétations auxquelles il donnait lieu. Elle ne parvint pas sans doute à établir une limite précise, mais du moins elle indiqua les caractères du dol criminel, en distinguant les faits qui caractérisaient ce dol et ceux qui ne pouvaient motiver qu'une poursuite civile. La loi du 7 frimaire

an 2, en attribuant la connaissance de l'escroquerie aux tribunaux correctionnels, contribua à fortifier cette distinction.

Il existe en effet deux espèces de dol, qu'on peut appeler le dol civil et le dol criminel, d'après l'action à laquelle l'un et l'autre peuvent donner lieu.

Le premier comprend en général toutes les ruses et tous les artifices qui, blâmables sans doute en eux-mêmes, sont néanmoins employés moins dans la vue de nuire à autrui, que dans le dessein de servir les intérêts de celui qui en fait usage. C'est dans cette classe qu'il faut ranger les actes simplement mensongers, la simulation dans les contrats, l'exagération du prix ou des qualités de la chose vendue. La loi pénale n'a pas atteint cette espèce de dol, malgré son immoralité, non-seulement parce qu'il est facile de s'en défendre, mais parce que toute tentative de répression nuirait à la sécurité des conventions.

Le dol criminel ne se manifeste pas seulement par la simulation et la ruse; il emploie des manoeuvres coupables; il tend des piéges, il cherche à circonvenir, à tromper; il n'a qu'un but: c'est de nuire aux intérêts d'autrui.

Le législateur de 1810 a supprimé le mot dol, qui s'appliquait également au dol civil et criminel, et il a cherché à préciser les faits caractéristiques du dol criminel.

« On a tâché, dans la nouvelle définition de ce qui constitue le délit d'escroquerie, a dit Faure dans l'exposé des motifs du Code, d'éviter les inconvénients qui étaient résultés des rédactions précédentes. Celle de la loi du 16-22 juillet 1791 était conçue de manière qu'on en a souvent abusé, tantôt pour convertir les procès civils en procès correctionnels, et par là procurer à la partie poursuivante la preuve testimoniale et la contrainte par corps, au mépris de la loi générale, tantôt pour éluder la poursuite de faux en présentant l'affaire comme une simple escroquerie, et par là procurer au coupable une espèce d'impunité, au grand préjudice de l'ordre public. Cet abus cessera sans doute d'après la rédaction du nouveau Code. La suppression du mot dol, qui se trouvait dans les deux premières rédactions, ôtera tout prétexte de supposer qu'un délit d'escroquerie existe par la seule intention de tromper. En approfondissant les termes de la définition, on verra que la loi ne veut pas que la poursuite en escroquerie puisse avoir lieu sans un concours de circonstances et d'actes antécédents qui excluent toute idée d'une affaire purement civile. »

Le dol ne peut donc être incriminé, dans le système du Code pénal, que dans le cas où il se présente accompagné des faits et des circonstan

ces que la loi a prévus et définis. « Le dol, a dit Merlin, ne peut être poursuivi, soit par la voie correctionnelle, soit par la voie criminelle, que dans le cas où il est le résultat de faits qui constituent un délit caractérisé par la loi, et qui ont été la cause productive de l'acte que l'on présente comme l'ouvrage du dol même [1]. »

L'art. 403 est ainsi concu : « Quiconque, soit en faisant usage de faux noms ou de fausses qualités, soit en employant des manoeuvres frauduleuses pour persuader l'existence de fausses entreprises, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire, ou pour faire naître l'espérance ou la crainte d'un succès, d'un accident ou de tout autre événement chimérique, se sera fait remettre ou délivrer des fonds, des meubles ou des obligations, billets, promesses, quittances ou décharges, et aura, par un de ces moyens, escroqué ou tenté d'escroquer la totalité ou partie de la fortune d'autrui, sera puni d'un emprisonnement d'un an au moins et de cinq ans au plus, et d'une amende de 50 francs au moins et de trois mille francs au plus. >>

Il résulte de ce texte que trois faits distincts sont nécessaires pour l'existence du délit : L'emploi de moyens frauduleux;

La remise des valeurs obtenues à l'aide de ces moyens;

Le détournement ou la dissipation de ces valeurs, qui consomme l'escroquerie.

Nous allons successivement développer ces trois éléments dans lesquels se résume toute l'incrimination.

Les moyens frauduleux employés pour amener la remise ou la délivrance des valeurs sont de deux espèces :

L'usage de faux noms ou de fausses qualités; L'emploi de manœuvres frauduleuses destinées à persuader l'existence de fausses entreprises, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire, ou à faire naître l'espérance ou la crainte d'un succès, d'un accident ou de tout autre événement chimérique.

L'usage de faux noms ou de fausses qualités constituait, dans le droit romain et dans l'ancienne jurisprudence, le crime de faux, soit qu'il eût été fait verbalement ou par écrit. La règle posée à l'égard de l'usage de faux noms, par Papinien, est absolue: Falsi nominis aut cognominis adseveratio pæna falsi coercetur [2]. Cette règle avait passé dans la pratique : « Celui

qui prend, dit Jousse, le nom d'une autre personne, et qui se dit faussement étre celui dont il prend le nom, est punissable de la peine du faux [3]. » Le même auteur ajoute : « Ceux qui prennent une qualité qu'ils n'ont point, pour tromper les autres, sont aussi coupables du crime de faux.» Ainsi, suivant Farinacius, celui qui se présentait chez une personne, en se prétendant son créancier, et qui exigeait le payement d'une dette imaginaire; celui qui, prenant la fausse qualité de mandataire d'un tiers, recevait frauduleusement le payement d'une somme due à ce tiers, ces deux agents commettaient le crime de faux [4].

Dans notre législation, cette qualification n'appartient plus à ces faits, si ce n'est dans certain cas qu'il importe de préciser.

L'art. 35 de la loi du 16-22 juillet 1791 rangeait, en général, dans la classe des escroqueries les abus de crédulité commis à l'aide de faux noms. Cette disposition avait eu pour résultat d'éluder la poursuite du faux dans des affaires qui présentaient le caractère de ce crime. La loi du 7 frimaire an 2 eut pour objet de remédier à cet inconvénient. L'art. 35 fut rectifié en ces termes : « Ceux qui, par dol ou à l'aide de faux noms pris verbalement et sans signature, ou de fausses entreprises... etc. » Ainsi la distinction paraissait nette et précise; l'usage de faux noms était un crime de faux ou un délit d'escroquerie, suivant qu'il avait eu lieu verbalement ou par écrit, avec ou sans signature

Le projet du Code pénal avait reproduit cette disposition. L'art. 405 commençait en ces termes : « Quiconque, soit en se donnant verbalement et sans signature, de faux noms ou de fausses qualités... » Cette restriction fut attaquée dans le conseil d'État ; nous reproduisons le texte du procès-verbal :

«Defermon demande pourquoi la disposition est restreinte à ceux qui prennent de fausses qualités verbalement et sans signature. On peut se donner une qualité fausse par sa signature même, à l'effet de commettre une escroquerie; par exemple, un particulier peut se qualifier faussement de négociant dans la souscription d'un effet, qu'il espère négocier par ce moyen avec plus de facilité. Les suppositions faites de cette manière ne doivent pas demeurer plus impunies que celles auxquelles l'article s'applique. Treilhard dit que quiconque prend par écrit une

[1] Rép. de jurisp., vo Escroquerie.
[2] L. 13, Dig. ad leg, comm. de falsis.

[3] Traité des matières crim., t. 3, p. 364; V. aussi Cujas ad leg. 13; Dig. ad leg.com 1. comm. de falsis ; Farinacius,

quæst. 150, num. 86; Menochius, de arb. quæst. cas. 318, Damhouderius, ch. 123, no 1, p. 589. [4] Quæst. 150, num. 89, 90, 91 et 98.

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qualité supposée se rend coupable de faux. Defermon dit qu'on ne pourrait pas punir comme faussaire le prétendu négociant dont il a parlé, attendu que pour faire le négoce il n'est pas besoin de déclaration préalable. Berlier dit que lorsqu'on a employé ces expressions: verbalement et sans signature, ç'a été sans doute dans la vue de laisser la peine du faux applicable aux écrits; mais il résulterait de là que certaines qualifications écrites resteraient impunies, quoique frauduleuses par exemple, pour se procurer un crédit abusif, un homme se dira négociant ou propriétaire d'une terre qu'il désignera, sans qu'il soit ni l'un ni l'autre, cette énonciation, mème écrite, ne constitue pas précisément un faux; c'est une escroquerie. Elle doit néanmoins être punie, et ne le serait pas, si la disposition qu'on discute se réduisait aux fausses qualifications verbales et sans signature. Il y a, au reste, un moyen simple et facile de tout constituer : c'est de retrancher ces expressions restrictives, de rendre la disposition générale, et de réserver formellement la peine du faux pour les espèces auxquelles elle se trouvera applicable. » L'article fut adopté avec cet amendement [1]. Ainsi, d'une part, les mots verbalement et sans signature furent effacés; de l'autre, on ajouta à la fin de l'article: le tout sauf les peines plus graves, s'il y a crime de faux.

Il résulte de cette discussion que la cour de cassation a posé une règle inexacte lorsqu'elle a déclaré : « qu'il y a simple escroquerie lorsque le faux nom a été pris verbalement, et qu'il y a faux lorsque le faux nom a été pris par écrit [2]. » L'usurpation d'un faux nom par écrit peut constituer, ainsi que l'a reconnu le conseil d'Etat, une escroquerie aussi bien qu'un faux; l'allégation mensongère ne change pas de nature parce qu'elle présente les caractères constitutifs du crime de faux.

L'usage d'un faux nom par écrit constitue le crime de faux, lorsque l'acte dans lequel il est pris peut produire une obligation quelconque et causer préjudice à autrui, ou lorsque cet acte est destiné à constater les faits qui s'y trouvent consignés. Cet usage, au contraire, se range parmi les moyens d'escroquerie, lorsque l'acte ne renferme ni obligation, ni décharge, ni convention, ni disposition qui soit de nature à léser des tiers, et qu'il n'a point d'ailleurs caractère pour constater les faits qui y sont énoncés. Nous avons développé cette distinction dans notre chapitre

[1] Procès-verbaux du conseil d'État, séance du 9 sep

tembre 1809.

[2] Cass., 18 fév. 1813. (Pasicrisie.)

du faux [3]. Il en résulte que l'individu qui, pour tromper une personne sur sa fortune et usurper un crédit mensonger, produirait des actes simulés, des actes de prêts par lui consentis, ne pourrait être poursuivi que pour escroquerie, car ces actes ne produisent par eux-mêmes aucune obligation; mais s'il produit, même dans le seul dessein de consommer l'escroquerie, des actes qu'il suppose émanés d'un tiers et qui obligent ce tiers, la fraude puise dans cette circonstance un caractère plus grand, celui du crime de faux.

La même distinction doit être faite à l'égard de l'usurpation d'une fausse qualité. Si cette fausse qualité, usurpée dans un acte quelconque, n'est destinée qu'à tromper un tiers sur la véritable position de l'agent, elle ne constitue qu'une manoeuvre frauduleuse constitutive de l'escroquerie; mais si cette qualité donne ouverture à un droit, si l'acte où elle est prise est destiné à la constater, s'il est fait usage de cet acte pour l'exercice même du droit, cette altération de la vérité n'est plus une simple escroquerie, elle devient un véritable faux. Ainsi l'individu qui prend, par écrit, la fausse qualité de fonctionnaire, d'avocat, de médecin, pour jouir d'un crédit usurpé, n'est coupable que d'une manœuvre frauduleuse; mais s'il prend, par exemple, sur une feuille de route et devant des intendants militaires la fausse qualité d'officier, afin de toucher les émoluments et les frais de route attachés à ce grade, cette usurpation doit être considérée comme un faux criminel [4].

Cette première distinction posée, la rédaction un peu confuse de l'art. 405 donne lieu d'élever une question : c'est de savoir si, lorsque l'escroquerie se commet par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, il est nécessaire, pour la constituer, que cet usage ait eu pour objet de persuader l'existence de fausses entreprises, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire, ou de faire naître l'espérance ou la crainte d'un succès, d'un accident ou de tout autre événement chimérique.

La cour de cassation a résolu cette question négativement: « Attendu que les expressions manœuvres frauduleuses qui ont été substituées, dans l'art. 405, au mot dol placé dans l'art. 55 de la loi du 16-22 juillet 1794, et dont le sens était trop général et trop vague, n'ayant pas elles-mêmes une signification assez précise pour que l'application n'en pût pas devenir ar

[3] V. notre t. 2, p. 86 et 110. [4] . notre t. 2, p. 123.

bitraire, il a été dans la prévoyance du législateur de fixer les cas où cette application devait être faite, en déterminant dans quel objet ces manœuvres auraient dû être employées pour qu'elles pussent être jugées former une circonstance élémentaire du délit d'escroquerie; qu'à l'égard de l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, cet usage portant toujours sur un fait simple qui ne peut être susceptible de différentes interprétations, il n'a dû être caractérisé que par l'effet qui pouvait en être résulté, c'est-àdire par la confiance qu'il aurait inspirée et par l'abus qui aurait été fait de cette confiance, en se faisant remettre frauduleusement, par son moyen, des fonds, des meubles, des obligations, etc.; qu'il s'ensuit que le membre de phrase de l'art. 405, dont les termes sont : « pour persuader l'existence de fausses entreprises, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire, ou pour faire naître l'espérance ou la crainte d'un succès, d'un accident ou de tout autre événement chimérique, » ne se rapporte qu'à l'emploi de manoeuvres frauduleuses, et non à l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité [1].

Nous n'hésitons point à adopter cette interprétation. Elle nous paraît conforme à la construction grammaticale de l'article, puisque aucune particule ne sépare les mots manœuvres frauduleuses de la phrase qui les suit, et que dès lors cette phrase se rapporte exclusivement à ces manœuvres. Elle est surtout conforme à la raison de la loi, puisque si les manœuvres frauduleuses, expression vague et indéfinie, avaient besoin d'être précisées et astreintes, il n'en est pas de même de l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, qui présente un fait précis pour lequel toute explication, toute définition était inutile. Nous ajoutons que les manoeuvres frauduleuses, étant susceptibles en elles-mêmes des appréciations les plus diverses, pouvaient paraître au législateur ne pas suffire pour constituer un élément de l'escroquerie; mais l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité est un fait essentiellement frauduleux, et cet usage,

[1] Cass., 5 mai 1820.,

[2] Le fonctionnaire qui abuse sciemment de sa qualité pour exiger une somme d'argent, afin de s'abstenir de faire un acte, que d'ailleurs il n'avait pas le droit de faire, commet un délit d'escroquerie dans le sens de l'art. 405, C. pén., et non le crime de corruption prévu et puni par l'art. 177 du même Code. Ainsi, il y a délit d'escroquerie de la part d'un garde champêtre qui se fait donner de l'argent pour ne pas dresser procès-verbal à raison d'une contravention aux lois et arrêtés touchant les poids et mesures. (Brux., 9 juin 1831; Jur. de Brux., 1831, 2, 10.)

[3] L'usage d'un faux nom pris pour obtenir la remise

même isolé de l'allégation des fausses entreprises, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire, suffit évidemment pour constituer l'escroquerie [2].

L'usage de faux noms doit être considéré comme un élément de l'escroquerie, soit que nom usurpé appartienne à un tiers, soit qu'il soit purement idéal, car les effets de l'usurpation dans l'un et l'autre cas peuvent être les mêmes. Mais l'agent qui aurait fait usage d'un nom sous lequel il est habituellement connu, quoiqu'il ne soit pas le sien, ou qui, connu sous ce nom d'emprunt, aurait fait usage de son véritable nom, ne pourrait être réputé avoir employé un faux nom, lors même qu'il aurait agi avec une pensée de fraude. Car la pensée frauduleuse ne suffit pas; il faut qu'elle soit accompagnée d'une manœuvre de nature à faire impression sur l'esprit d'un tiers et à surprendre sa confiance: or on ne peut classer parmi des manœuvres coupables l'usage d'un nom qui appartient à celui qui le prend [3].

La même observation s'applique à l'usage d'une fausse qualité. Il est nécessaire que cette usurpation ait été un moyen de perpétration du délit; il faut donc que la qualité usurpée ait eu une relation indirecte avec ce délit, qu'elle en ait provoqué la consommation. Aussi la cour de cassation à dù décider que le fait d'avoir donné des certificats de visites, en percevant des honoraires et en prenant la fausse qualité de chirurgien, constituait le délit d'escroquerie, puisque cette fausse qualité était la cause déterminante de la perception [4]; que le préposé des contributions directes qui, postérieurement à sa révocation, donne des quittances en son ancienne qualité et détourne les sommes qui lui sont payées, se rend coupable du même délit, car dans ce cas encore la qualité est la seule cause de la recette [s]; et les cours de Paris et de Bordeaux ont dú adopter également la même décision à l'égard de l'agent qui se fait remettre des effets en vertu de la fausse qualité du mandataire d'un tiers auquel le détenteur croit les remettre [6].

ou la délivrance de meubles ou d'autres objets, ne présente le caractère constitutif du délit d'escroquerie, que pour autant que ce soit l'emploi du faux nom qui ait déterminé la remise des objets prétendûment escroqués. Les manœuvres frauduleuses prévues par l'art. 405 ne présentent également ce caractère que lorsqu'elles ont fait croire à un crédit imaginaire. (Brux., 10 déc. 1840; J. de Brux., 41, 171.)

[4] Cass., 6 août 1807. (Pasicrisie.)

[5] Cass., 1er mai 1818.

[6] Bordeaux, 3 fév. 1831 ; Paris, 18 sept. 1855.

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