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qu'occupe l'agent pouvait lui donner ce pouvoir | vraison des obligations achetées et du bordereau ou ce crédit, ne saurait être une cause justifica- qui lui donnait quittance, sous prétexte de les tive de l'escroquerie. Ainsi, il importe peu qu'un vérifier, les conserva en les reconnaissant exacts, individu, se prétendant faussement employé paya comme appoint une minime partie de la d'une administration quelconque, exploite un somme, invita le créancier à venir avec lui dans pouvoir imaginaire, ou que, réellement employé une maison de banque où le surplus de cette de cette administration, il se revête d'un pouvoir somme serait acquitté, et disparut dans le trajet. qui appartient à l'administration, mais dont il La cour de cassation a déclaré : « Que ces faits n'est point investi; dans cette dernière hypo- constituent les manoeuvres frauduleuses emthèse, la fraude serait même plus dangereuse, ployées pour faire naître l'espérance d'un évéparce que l'illusion serait plus facile. Le pouvoir nement chimérique, et se procurer la remise et ou le crédit doit être réputé imaginaire, dès que la délivrance de valeurs et quittances, au moyen l'agent ne peut pas tenir ses promesses, et qu'il desquelles le prévenu se serait approprié la totaa su, en les faisant, qu'il ne les pourrait jamais lité ou partie de la fortune d'autrui, ce qui forme tenir. les éléments d'un des délits d'escroquerie prévus par l'art. 405 [2]. »

La dernière catégorie des manœuvres comprend celles qui ont pour but de faire naître l'espérance ou la crainte d'un succès, d'un accident ou de tout autre événement chimérique. Ces expressions vagues renferment les cas les plus fréquents: c'est presque toujours en excitant la cupidité ou les passions par de vaines illusions ou de brillantes promesses, que les auteurs des manœuvres atteignent le but qu'ils se proposent.

Il est à remarquer que, dans ces deux espèces, l'événement dont le prévenu avait fait naître l'espérance n'était point chimérique, dans le sens absolu de ce mot, puisqu'il aurait pu le réaliser. Mais il suffit, pour l'application de la loi, que l'espérance d'un événement quelconque ait été déçue; et cet événement est toujours chimérique, en ce qui concerne la victime des manœuvres frauduleuses, puisqu'elle l'a vainement attendu. Il importe peu ensuite que ce fait soit purement imaginaire ou susceptible de s'accom

s'agissait d'établir la bonne foi de l'agent; mais en admettant la fraude, l'événement doit être considéré comme chimérique, soit qu'il n'ait jamais existé, soit qu'il ait dépendu de l'agent de le produire, soit enfin que son existence soit vraie, mais dans des circonstances et avec des conditions différentes que celles qui ont été annoncées par lui: dans ces diverses hypothèses, les effets sont les mêmes; toute distinction serait évidemment contraire à la disposition de la loi.

La cour de cassation a fait l'application de cette disposition aux faits les plus divers. Un arrêt de la cour de Caen avait jugé : « qu'il ré-plir; cette circonstance serait importante s'il sultait de l'information que le prévenu n'était parvenu à faire écrire par le plaignant la quittance de sa dette, qu'en déposant sur la table une bourse dont l'inspection lui inspira nécessairement l'espoir fondé d'en recevoir le montant; que dans cette confiance il avait remis cette quittance au prévenu qui enleva en même temps subtilement la bourse qu'il avait déposée sur la table; qu'il résultait de ces faits qu'à l'aide de manoeuvres frauduleuses, il était parvenu à inspirer au plaignant l'espérance de recevoir le montant de la quittance qu'il écrivait; événement devenu chimérique par la mauvaise foi du prévenu qui avait retiré la bourse en prenant la quittance.» La cour de cassation à rejeté le pourvoi« attendu que, par l'arrêt dénoncé, Daunau est déclaré coupable d'avoir, à l'aide de manœuvres frauduleuses, inspiré au plaignant l'espérance d'un succès devenu chimérique par sa mauvaise foi, et d'avoir, par ce moyen, tenté d'escroquer une partie de sa fortune; qu'il est donc coupable du délit d'escroquerie déterminé par l'art. 405 [1]. »

Dans une autre espèce, le débiteur devait payer une somme considérable pour opérations de bourse sur l'emprunt d'Espagne. I prit li

Ainsi, les manoeuvres frauduleuses qui ont pour objet de faire naître l'espoir d'une place avantageuse, du gain d'un procès, de l'exemption d'une charge telle que le service militaire, d'une succession, de la réussite d'une opération quelconque, peuvent rentrer dans les termes de la loi, encore bien que chacun de ces événements ne soit pas impossible et puisse arriver; il faut seulement admettre qu'ils n'auraient pu se réaliser par la seule entremise de l'agent, et que dès lors les espérances qu'ils donnaient étaient purement chimériques.

Si l'événement annoncé s'est complétement réalisé, l'auteur des manoeuvres peut-il être poursuivi? Prenons un exemple : Un individu se

[1] Cass., 4 sept. 1824.

[2] Cass., 11 déc. 1824.

par les art. 305 et 436 du Code pénal, avec ordre de déposer une somme d'argent dans un lieu indiqué; l'arrêt décide : « que le fait ainsi déterminé est prévu par l'art. 405, l'accusé ayant, au moyen de cette lettre anonyme, tenté d'escroquer une somme d'argent, en faisant naître la crainte d'accidents, et ainsi employé des manœuvres frauduleuses [2]. »

fait remettre une somme d'argent, en faisant | contenant des menaces autres que celles prévues naître l'espérance d'obtenir l'exemption du service militaire en faveur d'un jeune soldat: l'exemption est accordée; la poursuite pour escroquerie est-elle recevable? Une distinction est nécessaire. Si c'est par les soins et les démarches de cet individu que l'exemption a été obtenue, il n'y a point d'abus de crédulité, et dès lors pas d'escroquerie; la somme délivrée n'est que le prix des services rendus; s'il a employé des moyens illicites pour obtenir l'action, ces moyens peuvent constituer un autre délit, mais non le délit d'escroquerie. Si, au contraire, l'exemption a été obtenue sans le concours de cet individu et par suite de quelque cause, soit légale, soit physique, qu'il connaissait et qu'il n'avait pas révélée, s'il s'est vanté d'un crédit qu'il n'avait pas, s'il a fait naître des espérances dans ce crédit, espérances purement chimériques, la réalisation du fait annoncé, à laquelle il sera resté complétement étranger, ne saurait lui assurer le bénéfice de sa fraude. L'événement promis par lui était chimérique, puisqu'il ne dépendait pas de lui de le faire naître son accomplissement, arrivé par des moyens auxquels il n'a point participé, ne peut changer la nature de son action.

Mais les menaces ne constitueraient plus une manœuvre frauduleuse, si elles n'avaient d'autre objet que d'inspirer la crainte d'une peine légale, à raison d'un fait qualifié délit qui serait imputé au plaignant. Ainsi, une personne est lésée par un délit, elle menace de porter plainte, et obtient, à l'aide de cette menace, des dommages-intérêts : il est évident que cette démarche ne peut être considérée comme une manœuvre frauduleuse, puisqu'en admettant même que cette personne eût abusé de la crainte qu'elle faisait naître, cette crainte n'eût point été chimérique c'est ce que la cour de cassation a reconnu en déclarant, dans une espèce où cette composition avait été considérée comme une escroquerie, « que si le prévenu s'est plaint de ce que l'on avait envahi sa maison ou enlevé son mobilier, ses titres de propriété, les actes obligatoires consentis à son profit, et ses registres, il n'y a point là de dol, puisque le fait est avoué et prouvé au procès; que l'on ne peut pas non plus lui imputer de s'être prévalu de faux noms, de fausses entreprises ou d'un crédit imaginaire pour tromper les parties adverses; qu'il serait d'ailleurs absurde de prétendre qu'il eût leurré ses adversaires par de fausses espérances; qu'il n'a pu finalement inspirer à ces derniers d'autre crainte que celle de subir la peine que les lois pronon

A côté des manoeuvres qui ont pour objet de faire naître l'espoir d'un succès, la loi a inscrit celles qui ont pour objet d'exciter la crainte d'un accident ou d'un événement chimérique. On peut citer, comme exemple d'un cas qui motiverait l'application de cette disposition, un arrêt qui a déclaré coupable d'escroquerie « un individu convaincu d'avoir persuadé à différents particuliers que les ombres des morts apparaissaient aux vivants, qu'elles venaient sur la terre réclamer des prières pour se rédimer des flammes du pur-cent contre les délits de l'espèce de celui sur gatoire, et qu'en cas de refus, elles envoyaient des maladies aux hommes et aux animaux; de s'être fait compter, par ces personnes trop crédules, diverses sommes d'argent qu'il avait promis d'employer à faire dire des messes pour le repos des âmes des morts, et de se les être appropriées [1]. >>

La cour de cassation a considéré comme une manœuvre frauduleuse rentrant dans la même catégorie le fait d'avoir écrit une lettre anonyme

lequel ils ont composé à l'amiable; crainte qui n'était pas chimérique, et sur la nature de laquelle on ne peut pas supposer qu'ils se soient mépris, attendu que tout citoyen est censé instruit des dispositions des lois de son pays [3]. »

La cour de cassation a jugé encore, dans une espèce analogue, que le créancier qui, en menaçant son débiteur, lequel s'est rendu coupable d'extorsions de titres à son égard, de poursuites criminelles, se fait souscrire une nouvelle obli

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gation pour une somme supérieure à celle qui lui est légitimement due, ne commet pas le délit d'escroquerie « Attendu que s'il y a eu de sa part des manœuvres frauduleuses, ces manœeuvres n'avaient point pour objet de faire naître l'espérance ou la crainte d'un succès ou de tout autre événement chimérique [1]. »

est la consommation même du délit; que l'article 405 ne se contente pas de punir celui qui, par l'un des moyens énoncés, a escroqué la totalité ou partie de la fortune d'autrui; mais qu'il étend sa sévérité sur celui qui, par l'emploi de l'un des mêmes moyens, a tenté d'escroquer la totalité ou partie de la fortune d'autrui; d'où il résulte qu'il suffit que l'emploi de l'un des trois moyens soit constaté en fait, pour qu'il y ait tentative de commettre le délit; que déclarer la non-existence de la tentative restée sans exécution, c'est exiger la consommation même du délit, puisque la tentative accompagnée d'exécution

Il résulte évidemment de ces arrêts, que la même solution devrait être appliquée au prévenu qui, ayant découvert qu'un crime ou un délit aurait été commis par une personne, se ferait remettre de l'argent en menaçant de la dénoncer à la justice. La crainte, en effet, que cette menace fait naître n'est point une crainte chimé-est le délit consommé [3]. » rique, et si la manœuvre est frauduleuse, elle se rapporte à un fait existant et certain. Il en serait autrement si le fait n'était pas qualifié délit par la loi, ou si le délit se trouvait couvert par la prescription; car alors la crainte que ferait naître l'agent serait purement chimérique.

Nous n'avons jusqu'à présent examiné que le premier élément du délit. Cet élément consiste dans les moyens employés pour opérer la délivrance des valeurs ou fausses qualités, ou des manœuvres déterminées par la loi : le deuxième élément est la remise même des fonds ou des valeurs, déterminée par ces moyens frauduleux.

L'art. 405 exige positivement, pour l'existence du délit, que le prévenu, à l'aide des moyens qu'il désigne, se soit fait remettre ou délivrer des fonds, des meubles, etc. Cette délivrance est donc l'une des conditions constitutives du délit : elle ne le consomme pas, car sa consommation ne peut résulter que du détournement des fonds délivrés; mais elle le caractérise essentiellement, car l'escroquerie consiste principalement à se faire remettre [2].

La cour de cassation avait confondu, dans sa première jurisprudence, la délivrance des fonds et leur détournement; elle avait, par conséquent, considéré le délit consommé par la seule délivrance, d'où il résultait que la tentative du délit pouvait exister et être punie, avant même que cette délivrance eût lieu. Cette doctrine résulte d'un arrêt portant : « Que la remise des fonds ou obligations représentatives de leurs valeurs

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Cet arrêt ayant renvoyé l'affaire dans laquelle il avait statué devant la cour de Toulouse, et cette cour ayant adopté une opinion contraire, la question fut portée devant les chambres réunies de la cour de cassation, qui posèrent en principe « que l'art. 405, pour constituer le délit soit d'escroquerie, soit de tentative d'escroquerie, exige, avec l'usage de faux noms ou de fausses qualités, ou avec l'emploi des manœuvres qui y sont spécifiées, le concours de la remise ou de la délivrance de fonds, de meubles ou obligations [4]. » Depuis ce dernier arrêt, la chambre criminelle, persistant dans cette jurisprudence, a constamment jugé « que la remise ou délivrance de fonds ou de valeurs est une des circonstances constitutives du délit d'escroquerie; que l'art. 405 ne contient aucune distinction à cet égard entre la tentative et le délit consommé [5]. »

Le principe n'est donc plus contesté; il se fonde d'ailleurs sur de graves considérations. Le législateur a été vivement préoccupé, en rédigeant l'art. 405, de la nécessité d'établir une distinction entre les fraudes légères et les fraudes graves, entre celles qu'il est facile d'éviter et celles qui maîtrisent par une sorte de captation la liberté des citoyens. C'est dans ce but, ainsi qu'on l'a déjà vu, qu'il a exigé que les moyens employés fussent des manoeuvres frauduleuses qu'il a définies et spécifiées. C'est dans le même but qu'il a voulu que ces manœuvres aient été suivies de la remise des fonds ou valeurs. Si cette remise, en effet, n'a pas lieu, les manœu

(Bruxelles, 11 décembre 1831; J. de Brux., 31, 2, 108.)

Il n'y a pas escroquerie dans le fait de celui qui se fait payer le prix de vente d'un objet, en faisant accroire faussement qu'il vient de livrer l'objet vendu. (Gand, 21 nov. 1852; J. de Belg., 1833, p. 55; Dalloz, t. 14, p. 209 et 210.

[3] Cass., 24 fév. 1827.
[4] Cass., 29 nov. 1828.

[5] Cass., 28 juin 1834 et 6 sept. 1859.

vres restent vagues et incertaines; il est presque impossible d'apprécier leur caractère, leur habileté, leur puissance. On doit présumer qu'elles ont été inefficaces. Ce n'est qu'en constatant leurs résultats, qu'on peut constater leur criminalité. La délivrance des fonds ou des valeurs n'est donc point la consommation du délit, mais bien seulement l'un des caractères essentiels sans lesquels toute incrimination est dénuée de base.

Les expressions, obligations, dispositions, promesses ou décharges, embrassent en général tous les actes dont peut résulter un lien de droit, et à l'aide desquels on peut préjudicier à la fortune d'autrui. Toutefois il est nécessaire que l'acte dont la remise a été obtenue rentre dans l'une de ces qualifications.

La déclaration faite en justice par une partie est-elle comprise dans ces termes? On a objecté que cette déclaration ne pouvait être considérée Il résulte de ce príncipe qu'une connexion in- que comme une disposition, et que le mot distime existe entre les moyens employés pour faire position, dans la langue légale, ne peut s'appliopérer la délivrance des valeurs et cette déli- quer qu'aux actes portant transmission d'une vrance elle-même. Ce rapport est celui de la propriété ou d'un droit. La cour de cassation a cause à l'effet. La loi l'indique d'ailleurs formel-jugé que cette expression devait s'appliquer à lement, puisqu'elle porte Quiconque, soit en faisant usage..., soit en employant..., se sera fait remettre. Il faut donc dire que si la délivrance a été déterminée par d'autres causes que par l'usage de faux noms et fausses qualités, ou par l'emploi des manœuvres frauduleuses, le délit cesse d'exister; car c'est seulement lorsqu'elle s'est opérée à l'aide de l'un de ces moyens, qu'elle devient un élément de ce délit. La cour de cassation à formellement reconnu cette règle [1]. Les tribunaux doivent donc avoir soin d'énoncer que la remise des objets détournés a été déterminée par les manoeuvres qu'ils spécifient.

tout acte pouvant compromettre la fortune d'autrui; que la déclaration faite en justice par la partie oblige celui de qui elle émane; que, dès lors, le fait de se faire remettre cet acte à l'aide de l'un des moyens énoncés en l'art. 405 constituait le délit d'escroquerie [3].

La remise d'un acte de vente pourrait également faire la matière du délit; car « la délivrance d'un acte de vente renfermant une obligation de prix rentre dans la remise des valeurs de toute nature énoncées dans l'art. 405 [4]. » Il en est de même de toutes les obligations, de toutes les conventions qui peuvent être préjudiciables aux intérêts de celui à qui on les fait consentir.

La loi prévoit la remise ou la délivrance des fonds, des meubles ou des obligations, disposi- Si l'objet délivré est l'acte même d'une contions, billets, promesses, quittances ou déchar-vention que la partie a été amenée à souscrire à ges. Ces diverses expressions, que le législateur a multipliées pour atteindre tous les actes préjudiciables, indiquent des valeurs de deux espèces les effets mobiliers et les obligations

:

écrites.

En énonçant les fonds et les meubles, la loi a nécessairement exclu les immeubles. L'escroquerie, en effet, de même que le vol, ne peut s'appliquer directement qu'à des choses mobilières, mais il n'en résulte pas qu'elle ne puisse avoir indirectement pour objet des immeubles, en cherchant à se faire remettre, par ses manœuvres, soit les sommes d'argent qui en forment le prix, soit le titre qui en représente la propriété. Ainsi la cour de cassation a pu juger que le propriétaire qui, à l'aide de baux simulés, d'allégations mensongères et de manœuvres frauduleuses, parvient à faire croire qu'un immeuble est d'une valeur supérieure à sa valeur réelle, et à se faire payer un prix double de cette valeur, peut être poursuivi pour escroquerie [2].

l'aide de manoeuvres frauduleuses, l'action correctionnelle est-elle recevable? La preuve testimoniale, que cette action admet essentiellement, pourrait-elle être reçue pour prouver contre le contenu de l'acte? En matière de conventions, le principe général est qu'elles doivent être rédigées par écrit, lorsqu'elles excèdent la somme de 150 fr., et qu'on ne peut admettre aucune preuve testimoniale contre et outre le contenu aux actes qui les renferment (art. 1341, C. civ.). L'art. 405 ne contient point d'exception à ce principe; la preuve de la convention elle-même ou des diverses clauses de cette convention, ne pourrait donc être faite par témoins devant la juridiction correctionnelle. Mais cette preuve serait admissible pour prouver que celui qui a souscrit les actes n'a pas agi avec cette liberté entière, sans laquelle il n'y a pas de consentement; qu'à l'aide de faux noms ou de fausses qualités, ou à l'aide des manoeuvres frauduleuses qui y sont spécifiées, ce signataire a été trompé, sa

[1] Cass., 5 mai 1820.

[2] Cass., 18 vend. n 10. (De Villeneuve, Pasicrisie.)

[3] Cass., 9 nov. 1838.
[4] Cass., 25 mars 1838.

confiance surprise, sa bonne foi abusée. Dès que cette fraude et ces manœuvres constituent un délit, il faut bien que les individus qui sont lésés par ce délit puissent en poursuivre la répression. Leur action est recevable toutes les fois que, sans nier l'existence d'un acte, sans alléguer vaguement qu'il a été fait entre les parties autre chose que ce qu'elles ont écrit, ils articulent des faits de fraude et de dol qui attaquent la substance de l'acte, et prononcent qu'il n'a pas été l'œuvre de la volonté libre et entière de celui qui l'a souscrit. Mais si la plainte en escroquerie n'est appuyée sur aucun des faits de fraude précisés par l'art. 405, ou si le plaignant dénie l'acte même qu'on lui oppose, ou quelques-unes des dispositions de cet acte, les juges correctionnels ne peuvent accueillir cette plainte; car ils ne sont compétents que pour connaître du délit, et le délit n'existe que par des faits extrinsèques à l'acte frauduleux qui a amené sa signature.

La jurisprudence de la cour de cassation est conforme à cette doctrine. C'est ainsi qu'elle a jugé dans une affaire où l'acte dont l'escroquerie avait provoqué la remise était une transaction passée en forme authentique, mais déterminée par des manœuvres frauduleuses: «< que les conventions ne font la loi des parties qu'autant que leur consentement n'est pas vicié par une des causes mentionnées en l'art. 1109, C. civ., au nombre desquelles se trouve le dol, et par conséquent l'escroquerie, qui n'est qu'une espèce particulière de dol; que les manoeuvres constitutives du dol qui a déterminé le contrat peuvent être prouvées par toutes les preuves légales, même par témoins, sans qu'il y ait lieu de distinguer entre les contrats passés devant notaire, et ceux qui ne résultent que d'actes sous seing privé [1]. »

Dans une autre espèce, où l'escroquerie avait eu pour but la délivrance d'un acte de vente contenant stipulation d'un prix et ne transférant qu'un droit illusoire, la même cour a décidé : « que la vente n'est pas plus exceptée qu'aucun autre fait de l'homme des dispositions générales de la loi pénale relatives à l'escroquerie; que le dol et la fraude dont ce contrat peut être entaché donnent lieu, suivant le plus ou moins de gravité des manœuvres qui les constituent, à une action civile en rescision et en dommages-intérêts ou à une poursuite correctionnelle; que, dans l'espèce, les juges du fait ont pu voir dans ces manœuvres, telles qu'elles ont été par eux appré

ciées, soit dans leur nature, soit dans l'intention qu'elles révélaient, soit dans leurs conséquences, les éléments essentiels du délit prévu et puni par l'art. 405, C. pén.; que la délivrance d'un acte de vente renfermant une stipulation de prix rentre dans la remise des valeurs de toute nature énoncées dans cet article [2]. »

Mais la cour de cassation a également jugé que la collusion par laquelle un vendeur et un acquéreur se sont ménagé la faculté de faire rescinder la vente au préjudice d'un tiers sous-acquéreur, à l'aide d'une contre-lettre tenue secrète, ne peut caractériser une escroquerie : <«< Attendu qu'en admettant comme vrais tous les faits articulés, ces faits, quoique très-répréhensibles en eux-mêmes, ne constituaient point le dol susceptible de peines correctionnelles, ou que, dans les diverses relations qui ont eu lieu entre le plaignant et les prévenus, il n'en est aucune où ces derniers eussent employé le dol pour abuser de la crédulité du plaignant [3]. » La même cour a également reconnu que lorsqu'une plainte en escroquerie se rattache à l'exécution d'un acte de vente signé par les parties, qu'elle n'allègue aucun fait de dol ou de manœuvres frauduleuses au moyen duquel la signature aurait été déterminée, mais qu'elle articule seulement l'omission d'une condition qui aurait été convenue entre les parties, la voie correctionnelle est interdite « Attendu que la plainte se rattache à l'exécution d'actes signés par les parties, et qu'elle ne présente aucun fait de dol ou manoeuvres au moyen duquel on aurait abusé de la crédulité du plaignant pour l'engager à donner sa signature à ces actes [4]. »

Ces arrêts achèvent d'éclairer la distinction que nous avons posée. Dans ces deux dernières décisions, le dol résidait dans le contrat même et non dans les moyens employés pour amener sa signature et sa délivrance: il n'y avait donc pas de délit; car il n'y avait pas emploi de manoeuvres frauduleuses pour déterminer la confiance et provoquer la remise de l'acte. Dans les premiers arrêts, au contraire, le contrat n'avait été consenti et délivré que par suite des mancuvres prévues et spécifiées par la loi. Ainsi ce n'est pas la lésion éprouvée par la partie, ce n'est pas même l'intention frauduleuse que la loi punit; ce sont les faits extérieurs à l'acte qui ont eu pour but d'amener sa confection et de faciliter l'abus de cet acte; ce sont les manoeuvres qui ont surpris la confiance et enchaîné la liberté

[1] Cass., 23 nov. 1838. [2] Cass., 23 mars 1838.

[3] Cass., 5 mess. an 11. (De Villeneuve, Pasicrisie, approuve cet arrêt.)

[4] Cass., 31 oct. 1811. (De Villeneuve, Pasicrisie.)

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