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aff. Busche, etc.; 21 mai 1840, ch. corr., M. Silvestre, pr., aff. Andrey; 27 mai 1840, ch. corr., M. Silvestre, pr., aff. Rovigo).

sultats du meurtre, de l'assassinat et des blessures ordinaires, que la qualification de ces crimes ou delits ne puisse pas lui être appliquée, et d'en faire, par sa constitution propre, un acte spécial qui, pour trouver place dans la catégorie des lois penales, a besoin d'une disposition expresse et particuliere; Que l'influence de cette convention, considérée

comme fait et non comme contrat, sur le caractère des actes résultant du duel, est tellement inévitable, qu'elle est admise même par les jurisconsultes qui soutiennent applicables au duel les lois pénales actuelles ; Que, seulement, au lieu de lui laisser sa portée tout entière, ils la modifent, la restreignent et ne l'acceptent que partiellement; Qu'ainsi, pour determiner le degré d'incrimination applicable à de simples blessures faites en duel, on s'est autorisé de la convention qui avait précédé le combat, et on a décidé qu'elles ne constituaient qu'un simple délit, parce que, avant l'agression, il avait été convenu qu'elle cesserait au premier sang; que, cependant, la convention de ne se faire que de simples blessures n'est pas plus valable, sous le rapport de la légalité, que celle de se faire des blessures mortelles;

>> Qu'ainsi encore on a concédé, bien qu'avec une sorte de réserve, que l'effet de la convention pourra constituer, soit une excuse légale, soit une circonstance atténuante; Mais que cette restriction des effets de la convention est évidemment inadmissible, parce qu'elle est tout à la fois arbitraire, illégale et irrationnelle: Arbitraire, parce que la loi, dans aucune de ses dispositions, n'en a fixé ni le degré ni les limites;-Illégale, parce que les faits d'excuse ont été spécifiés d'une manière exclusive par la législateur, et que la convention préalable du duel n'ayant pas été comprise dans leur nombre, ne saurait y trouver place;-Irrationnelle enfin, parce que le pouvoir atténuant étant une création nouvelle et de longtemps postérieure à la promulgation du code pénal, on ne s'explique pas Comment juges ou jurés auraient pu faire droit à l'atténuation résultant de la convention, durant toute la période de temps qui a précédé la promulgation de la loi du 28 avr. 1832; Mais que ce système encourt un autre reproche d'illégalité bien plus grave encore, en ce qu'il aurait pour resultat de créer une catégorie de crimes et de délits inconnus dans la législation française, c'est-à-dire des crimes et des délits atténuables de pein droit et par leur propre nature; Que la convention étant un élément inséparable du duel, si, par sa propre vertu, elle devait constituer une circonstance atténuante, il s'ensuivrait que tous les actes résultant du duel porteraient en eux-mêmes, toujours et dans tous les cas, une cause nécessaire d'atténuation, et que les peines que la loi y attache nominalement seraient aussi toujours comminatoires, puisqu'elles devraient chaque fois être remplacées par une peine d'un ou de plusieurs degrés inferieurs ;

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» Que cependant il est dans la nature des causes d'atténuation d'être accidentelles, de faire l'exception et non la règle, d'avoir leur principe dans des circonstances variables et placées en dehors des éléments constitutifs des faits incriminés; Que notre système pénal n'en reconnaît pas qui soient acquises de plein droit, d'une manière permanente et irrevocable, à tels crimes ou délits; — Que le législateur, lorsqu'il décerne des pénalités, les proportionne à la gravité des faits qu'il incrimine, considérés dans leur état normal; Que, si ces faits portent avec eux, et dans leur propre nature, des causes d'atténuation, c'est lui-même qui en tient compte, en modifiant proportionnellement la peine ou la qualification; qu'il se manquerait a lui-même et cesserait d'être juste si, pour faire droit à une atténuation dont le principe est invariable et certain, il s'en remettait aux hasards du jugement des hommes; - Que, du reste, l'effet de ces concessions, plutót indiquées qu'offertes, ne pouvait servir qu'à pallier, et non à surmonter les obstacles que la nature du duel oppose à l'application du droit commun; mais que leur illégalité devait, tôt ou tard, en entraîner la rétractation; - Que la nécessité s'en est fait sentir promptement, et que tout recemment elles viennent d'être retirees; Que déja il en avait été de même d'une autre modification qu'on espérait aussi apporter aux rigueurs du droit commun en ce qui concerne les duels non suivis d'homicide, de coups ni de blessures; - Qu'à leur égard et à l'exemple du ministre de la justice de l'an 9, l'organe du ministère public avait déclaré, devant la cour de cassation, qu'ils ne donneraient lieu à aucunes poursuites, ni, par conséquent, à l'application d'aucune peine, parce que la nouvelle législation De voulait s'attacher qu'au résultat matériel; Que cependant six mois plus tard, et jour pour jour, la cour de cassation jugeait déjà qu'un duel où personne n'avait été tué ni blessé n'en constituait pas moins un crime entraînant la peine capitale; - Que ces contradictions prouvent mieux que tout ce qu'on pourrait dire combien, en matière criminelle, il est dangereux de soumettre au droit commun des matières qui n'y sont pas naturellement appropriées; car le droit commun puise dans l'inflexibilité de ses principes et dans l'inexorabilité de leurs conséquences une force d'entrainenient irrésistible qui ne comporte aucun ménagement, et que nul n'a le pouvoir de modérer au gré des circonstances; - Qu'enfin les mécomptes auxquels on s'expose, quand, forcé de reconnaître l'influence irrésistible de la convention sur le caractère des actes résultant du duel, on veut lui assigner des limites et lui imposer des restrictions arbitraires, démontrent

-La même solution résulte implicitement d'un arrêt de la même cour, du 1er juin 1842, aff. Granier de Cassagnac (V. infri

suffisamment qu'à son égard il n'y a que deux partis à prendre, ou la ner et refuser d'en tenir aucun compte, ce qui est moralement et juridiquement impossible, ou bien lui laisser toute sa portée et reconnaître qu'au lieu d'une simple atténuation elle imprime aux faits auxquels elle s'applique des modifications tellement essentielles qu'elles exigent une incrimination spéciale;

» Considérant que c'est mal à propos qu'on voudrait se prévaloir de ce que les faits résultant du duel n'ont pas été rangés par la loi au nombre de ceux qu'elle déclare légitimes ou excusables; Que l'excuse et la dé claration de légitimité ne sont que des correctifs de l'incrimination; Qu'un fait n'a donc besoin d'être qualité excusable ou légitime qu'autant qu'il a été préalablement rangé dans la classe des crimes ou des délits; Qu'ainsi l'objection repose sur une pétition de principes; · Considérant que, s'il est de maxime en droit public que nul ne doit se faire juslice à soi-même, il faut reconnaître aussi que l'infraction de cette maxime ne peut, en aucun cas, se transformer d'elle-même en crime ou délit, sans le secours d'une loi positive qui lui imprime cette qualification ;- Qu'une telle infraction peut être incriminable en droit, mais qu'elle ne peut être incriminée de fait que par une déclaration expresse du législateur; - Que l'aptitude à l'incrimination et l'incrimination effective sont deux choses fort différentes qui demandent à n'être pas confondues; Que, relativement au duel, pas plus que relativement à tout autre fait, on ne saurait induire celle-ci de celle-là, parce qu'on ne peut rien conclure de la faculté à l'action; - Considerant que les principes ci-dessus exposés sont applicables aux blessures, tout comme à l'homicide résultant du duel; - Condérant, enfin, que la vérité de ces principes est si peu contestable, qu'elle vient d'être sanctionnée tout récemment dans une autre matière, par un arrêt solennel de la cour de cassation, dont le dispositif est fondé sua ce que les tribunaux ne peuvent étendre les dispositions pénales des lois, des cas qu'elles expriment à d'autres cas qu'elles n'expriment pas, et sur ce qu'il n'appartient qu'au législateur d'ajouter à ces dispositions où d'en combler les lacunes; Par ces motifs, rejette l'appel interjeté par le procureur du roi de Strasbourg, du jugement rendu par le tribunal correctionnel de ladite ville, le 10 mai 1858. » Pourvoi. Arrêt.

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LA COUR; Vu les art. 2, 295, 302, 309, 310 et 311 c. pén.; Vu aussi les art. 59 et 60 du même code; — Attendu, en droit, que, si les lois de l'assemblée constituante ont aboli la législation spéciale sur les duels, il n'en faut pas conclure que le meurtre commis et les blessures faites par suite d'un duel ne sont prévus par aucune loi pénale; — Qu'il faul, au contraire, en tirer la conséquence que ces faits sont tombés sous l'empire du droit commun; - Qu'en effet, les dispositions du code des délits et des peines de 1791 et celles du code du 3 brum. an 4 sur l'homicide et les blessures volontaires étaient générales et absolues, et que celles des art. 295 et suiv., 369 et suiv. c. pén., sur la même matière, ne le sont pas moins; - Qu'il n'y a d'exception légale à ces deux dispositions que dans deux cas, celui où l'homicide et les blessures sont ordonnées par la loi ou par l'autorité légitime, et celui où ils sont commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d'autrui; Qu'on ne saurait établir aucune assimilation entre ces deux cas, prévus par les art. 327 et 328 c. pén., et celui d'une convention par laquelle les parties s'arrogent le droit de se faire, par les armes, justice à elles-mêmes. Que, si la législation actuelle ne punit pas une telle convention, elle n'enlève pas aux faits qui en sont la suite le caractère cri minel que peut leur imprimer la législation générale, et que ces faits, étant soumis aux dispositions du droit commun, doivent être appréciés non-seulement relativement aux articles du code pénal ci-dessus cités, mais encore relativement aux autres dispositions de ce code;

Attendu, en fait, que l'arrêt attaqué constate que le 27 fév. 1838, dans un bal qui se donnait à Strasbourg, il est survenu entre Pingenot et Michel Levy une altercation à la suite de laquelle le premier a provoqué l'autre en duel; -Que le lendemain Pingenot et Levy se sont rendus sur le glacis de la ville avec leurs témoins Guillaume Bernède, Henri Mathern et Abraham Lippmann, en présence desquels ils se sont battus au sabre, arme choisie par Pingenot; - Que, dans ce combat, ce dernier a reçu dans la poitrine une blessure qui lui a été faite par Levy, et qui a occasionné une incapacité de travail de moins de vingt jours;

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Attendu que ces faits présentent non-seulement à l'égard de Levy la prévention du délit de blessures volontaires prévu par l'art. 311 c. pen., mais encore, à l'égard de Guillaume Bernède, Henri Mathern et Abrahani Lippmann, la prévention de complicité du même délit: Que cependant la cour royale de Nancy, par l'arrêt attaqué, a rejeté l'appel interjeté par le procureur du roi de Strasbourg du jugement rendu par ce tribunal le 10 mai 1838, par le motif que les blessures faites dans un duel ne pouvaient tomber sous l'application d'aucune ioi pénale, en quoi ledit arrêt a formellement violé les articles ci-dessus cités; Casse et annule l'arrêt rendu par la cour royale de Nancy, le 27 fév. 1839.

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Du 11 déc. 1839.-C. C., ch. réun. -MM. Portalis, 1er pr.-Hervé, rap.Dupin, pr. gén., c. conf.

n° 120). Mais elle a jugé, en sens contraire, d'abord par un arrêt du 10 août 1838, aff. Gilbert, cassé par arrêt du 2 fév. 1839, puis par deux autres arrêts (aff. Servient, D. P. 45. 1. 60, aff. Beauvallon, eod., 4. 169).

111. Malgré ces dissidences, on peut regarder la jurisprudence française comme définitivement et irrévocablement fixée, sur cette question, dans le sens des derniers arrêts de la cour de cassation, puisque la loi du 1er avr. 1837 donne à cette cour le pouvoir d'imposer ses doctrines aux juridictions placées audessous d'elle dans la hiérarchie judiciaire,

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112. Du reste, elle avait été devancée dans cette voie par la jurisprudence belge. Un premier arrêt de la cour d'appel de Bruxelles, 3 ch., du 20 fév. 1834, aff. Kolmann, avait jugé que les blessures, quoique faites dans un duel, constituent le délit prévu par les art. 309 et 311 c. pén. Bientôt après, la cour de cassation belge, par un arrêt longuement et soigneusement motivé, confirma cette jurisprudence et jugea que l'homicide ou les blessures qui sont la suite d'un duel ne tombent sous aucune des exceptions apportées par le code pénal à la règle générale qui qualifie crime ou délit ces divers actes; et que, par cela même, ils rentrent sous l'application de cette règle générale (C. cass. belge 12 fév. 1835, MM. de Sauvage, pr., Plaisant, av. gén., c. conf., aff. min. pub. C. Paz...). Depuis, il est vrai, quelques cours d'appel ont jugé, en sens contraire, que l'homicide commis et les blessures faites e. uel ne constituent ni crime ni délit punissable d'après le code énal (Gand, 13 déc. 1836, aff. Michaels).— Cette question ne peut plus aujourd'hui se présenter en Belgique, le duel y étant régi, comme nous Pavons vu, par une loi spéciale, la loi du 8 janv. 1841.

118. Revenons à la dernière jurisprudence de la cour de cassation; voici quelques corollaires qui résultent de ses arrêts: 1o Dans les colonies comme en France, l'homicide et les blessures qui sont la suite d'un duel, doivent être poursuivis comme rentrant dans le cas de l'homicide et des blessuras volontaires prévues par le code pénal (Crim. cass. 4 janv. 1839, MM. Bastard, pr., Vincens, rap., int. de la loi, aff. Louisy-Lefrère) ;– 2° L'homicide et les blessures qui sont la suite d'un duel doivent être punis comme l'homicide commis et les blessures faites dans toute autre circonstance (Crim. cass. 6 juin 1839, MM. Bastard, pr., Dehaussy, rap., int. de la loi, aff. Lafage);-3° L'homicide est les blessures qui sont le résultat d'un duel constituent les crimes d'homicide et de blessures volontaires prévus par les art. 295, 296, 297, 302 et 304 c. pén. (Crim. cass. 2 août 1839, MM. Bastard,pr., Dupin, pr. gén., c. conf., int. de la loi, aff. Denys; Ch. réun. cass. 11 déc. 1839, aff. Levy, V. no 109; Crim. cass., 10 sept. 1840, M. Dehaussy, rap., aff. min. pub. C. Champglen, etc.; 12 nov. 1840, M. Dehaussy, rap., aff. min. pub. C. Dunoday, etc.; 4 janv. 1845 aff. Servient, D. P. 45. 1.60; Ch. réun. cass. 25 mars 1845, même aff., D. P. 45. 1. 135; 14 août 1845, aff. Talhouarn et aff. Beauvalion, D. P. 45. 4. 168); -4° Les coups ou blessures ou le meurtre résultant d'un duel ne peuvent être excusés comme commandés par la nécessité actuelle de la défense de soi-même (Crim. cass. 4 janv. 1845, aff. Servient, D. P. 45. 1. 60; ch. réun. cass. 25 mars 1845, même aff., D. P. 45. 1. 135);-5° Le duel ne peut perdre le caractère ae délit, ni être soustrait à la vindicte publique, sous prétexte que les coups, blessures ou le meurtre qui en résultent, sont l'effet de l'accord mutuel des combattants et de leur renonciation réciproque à recourir à l'action répressive de la loi (Crim. cass. 4 janv. 1845, aff. Servient, D. P. 43. 1. 60).

114. Enfin la cour de cassation a depuis jugé par plusieurs arrêts, et conformément à sa jurisprudence, que les blessures ou l'homicide commis en duel constituent un crime ou un délit tombant sous la répression de la loi pénale; que ces blessures ou cel homicide ne peuvent être excusés comme commandés par la nécessité d'une légitime défense, ni perdre leur caractère de criminalité à raison de l'accord mutuel des combattants (Crim. cass. 12 avr. 1850, aff. Vallein et cons., M. Quénault, rap.; 19 avr. 1850, aff. Anthoine et cons., M. Barennes, rap.; 11 juill. 1850, atf. Chabrol, M. de Glos, rap.; 20 déc. 1850, aff. Crouzat el cons., M. Grandet, rap.; 20 déc. 1850, aff. Léonardon, M. Grandet, rap.).

115. Parmi les jurisconsultes qui se sont occupés de cette

question, quelques-uns se sont prononcés pour la doctrine à la. quelle la cour de cassation s'est ralliée depuis 1837.- Ce sont notamment MM. Rauter, Traité de dr. crim., t. 2, p. 15, n°444; Bourguignon, Jurisp. des c. crim., sous l'art. 295 c. pén., no et 5, auxquels il faut ajouter trois magistrats éminents: MM. Bellart, Courvoisier et Dupin, qui se sont exprimés en ce sens, le premier dans un réquisitoire prononcé devant la cour des pairs, dans l'affaire de Saint-Morys, jugée par arrêt du 15 mai 1818; le second dans un réquisitoire du 18 mai 1824; le dernier, enfin, dans plusieurs réquisitoires, et notamment dans celui du 22 juin 1837 sur lequel fut rendu l'arrêt qui a en quelque sorte inauguré la nouvelle jurisprudence de la cour de cassation. — D'autres, au contraire, se sont prononcés dans le sens de la première jurisprudence de cette cour, suivant laquelle le duel ni ses suites ne sont prévus ni punis par le code pénal: ce sont notamment MM. Merlin, Rép. et Quest., v° Duel; Carnot, code pén., sous l'art. 295, no 26; Chauveau et Hélie, Théor. du code pén., 2o édit., l. 3, p. 505 et suiv., et même M. Dupin, dans un écrit publié en 1821, sous ce titre Observations sur plusieurs points importants de notre législation criminelle, p. 294. A ces autorités il faut joindre celle de M. le procureur général Mourre, sur les conclusions conformes duquel avait été rendu l'arrêt du 8 avril 1819. Mais il paraît que, dans ses derniers jours, Merlin a rétracté l'opinion qu'il avait soutenue dans ses ouvrages. En effet, M. le procureur général Dupin, dans le réquisitoire à la suite duquel fut rendu l'arrêt du 15 déc. 1837, aff. Pesson (V. suprà, no 108), annonça avoir reçu de l'illustre jurisconsulte une lettre dans laquelle il disait : « Votre réquisitoire du 22 juin m'a convaincu, j'adhère à la doctrine de l'arrêt. » Quant à M. Cauchy, il ne s'explique pas d'une manière bien catégorique sur la question; il s'attache plutôt à montrer comment et sous l'influence de quelles circonstances la cour de cassation a dû être amenée à changer sa jurispru dence; quant à la question en elle-même, on peut induire des termes dans lesquels il s'exprime sur ce sujet, que l'interprétation consacrée par les arrêts de 1837 et suiv. lui paraît for! douteuse.

116. Jusqu'à présent nous nous sommes bornés au rôle da simples rapporteurs; nous avons exposé les solutions qu'a reçues la grave question qui nous occupe, exposé la marche qu'a suivie la jurisprudence, et fait connaître les autorités qui peuvent être invoquées de part et d'autre. Nous devons maintenant examiner la question en elle-même, peser la force des arguments qui ont ele produits dans l'un ou l'autre sens, dire, enfin, quelle est, entre l'ancienne et la nouvelle jurisprudence de la cour de cassation, celle qui nous paraft contenir l'interprétation la plus saine et la plus exacte de la loi pénale. C'est surtout dans les réquisi toires de M. Dupin, et notamment dans celui du 22 juin 1857, que nous chercherons les arguments par lesquels peut être défendu le système qu'il a fait prévaloir devant la cour de cassation.

Et d'abord que faut-il conclure du silence gardé sur le duel par le code de 1791? On pourrait presque dire que toute la quest ou est là, puisque, le même silence ayant été continué par les codes qui lui ont succédé, et notamment par les codes du 3 brumaire an 4 et de 1810, on est autorisé à penser que ce qu'a voulu, à cet égard, le législateur de 1791, les législateurs de l'an 4 et de 1810 l'ont voulu également. Suivant M. Dupin et suivant l'arrêt du 22 juin 1837, les anciens édits sur les duels constituaiet une législation exceptionnelle, privilégiée, applicable aux nobles seuls; quant aux duels entre roturiers, ils étaient soumis aux rè gles du droit commun sur l'homicide, les blessures et les coups, Or le code de 1791, en abolissant les anciens édits et déclara tions, n'a point entendu conférer au duel le bénéfice de l'imp nité il a seulement détruit l'exception, et par là replacé les duels des nobles, comme ceux des roturiers s'y trouvaient déja. sous l'empire du droit commun. Le duel a donc cessé d'être par lui-même un fait punissable, et ses suites sont devenues passibles des peines ordinaires applicables au meurtre, aux blessures et aux coups. - Pour répondre à cet argument, on a justement fail observer que le fait sur lequel il repose, à savoir que les an ciens édits sur les duels auraient été applicables aux nobles seuis, se trouve contredit par les termes mêmes de ces édits. En effe si nous nous reportons au premier acte législatif qui ait probil et puni les duels, à l'ordonnance rendue à Moulins en 1566 (V.

rd, no 28), nous y lisons: « Le roy.... prohibe et défend très-pin au code de 1791, ce n'étaient pas les provocations, mais expressémeut à tous gentilshommes et autres que, sous couleur d'injures et torts qu'ils pourraient prétendre leur ètre ou avoir été faits, ils ayent à faire aucune assemblée de personnes et ports d'armes, ne pareillement essayer de vuider leurs dites querelles par armes ou combats : lesquelles voyes de fait ledit seigneur défend à toutes personnes, de quelque qualité ou condition qu'elles soient, sur peine de la vie. » De même l'arrêt de règlement du 26 juin 1599 (V. suprà, no 31) porte : « La cour a fait et fait inhibition et défenses à tous sujets du roy, de quelque qualité et condition qu'ils soient, de prendre, de leur autorité privée, par duels, la réparation des injures et outrages, etc., sur peine de lèse-majesté... » L'édit de 1609 (V. suprà, no 33), dans l'énumération qu'il fait des peines applicables à ceux qui se seront battus sans y être autorisés, porte, à l'égard de celui qui aura succombé dans la lutte, que ses biens, s'il en a, seront confisqués jusqu'à concurrence du tiers; que, s'il n'en a pas, ses enfants seront taillables pour dix ans; qu'enfin, s'ils sont déjà en roture, ils seront réputés indignes de devenir jamais nobles et de tenir aucune charge ou office royal. Nous pourrions multiplier les citations: celles qui précèdent suffisent pour montrer que la législation répressive des duels ne faisait aucune distinction entre les nobles et les roturiers. A la vérité, il est beaucoup plus question, dans ces édits, des gentilshommes que de ceux qui ne le sont pas; mais c'est que les duels étaient plus fréquents parmi les premiers; il n'en faut pas tirer d'autres conclusions. Ce qui était spécial aux gentilshommes, c'était la juridiction des tribunaux d'honneur institués pour prévenir les duels; mais dès que le combat avait eu lieu, quelle que fût la qualité des personnes, les peines encourues, ainsi que les juges chargés de les appliquer, étaient les mêmes. Il n'est donc pas exact de prétendre que, dans l'ancien droit, les duels des roturiers fussent passibles des peines applicables aux meurtres et aux blessures ordinaires, et qu'ainsi les édits et déclarations constituassent une législation exceptionnelle seulement quant aux personnes, et par aggravation des pénalités ordinaires. Ce qui est vrai, ce qui résulte de l'étude altentive et comparée des documents historiques, c'est que, depuis l'époque où le duel a commencé à être prohibé jusqu'à la chute de l'ancien régime, il a toujours été considéré comme un crime spécial, distinct par sa nature de l'homicide et des blessures ordinaires, et régi par des lois particulières. Or ces lois, abrogées par le code de 1791, n'ont point été remplacées par d'autres dispositions spéciales; et, d'un autre côté, rien n'indique que le législateur ait alors eu la volonté de faire rentrer le duel et ses suites sous l'empire du droit commun. Il semble qu'on puisse conclure de là, avec une certaine apparence de vérité, que le duel est resté en dehors de toute disposition répressive. Et cette conclusion serait encore corroborée par l'idée assez généralement répandue à cette époque, que c'était à la raison et à la philosophie, bien plus qu'à la rigueur des lois, qu'il appartenait de faire disparaître de nos mœurs le barbare préjugé du point d'honneur. - Mais ne nous hâtons pas de conclure: cherchons dans les actes postérieurs au code de 1791 si nous n'y trouverons pas quelque indice de la pensée du législateur.

seulement les suites du duel consommé qui pouvaient donner lieu à des poursuites criminelles. Si donc ce décret prouvait quelque chose en faveur du système qui a prévalu, il prouverait trop, Mais de plus il suffit d'examiner dans quelles circonstances a été rendu ce décret pour se convaincre qu'on n'en peut rien conclure quant à la question de doctrine. Une querelle avait éclaté entre deux membres de l'assemblée, les citoyens Grangeneuve et Jouneau; ce dernier, injurié par son adversaire, l'avait provoqué en duel, et s'était même porté contre lui à des voies de fait. L'assemblée, saisie de cette affaire, avait, par une sorte de mesure de ❘ discipline, infligé à Jouneau quelques jours d'emprisonnement, sans préjudice du droit qui pouvait appartenir à Grangeneuve de le poursuivre devant les tribunaux ordinaires. En conséquence, celui-ci intenta des poursuites comme s'il eût été l'objet d'une tentative d'assassinat, et une procédure fut commencée; mais lorsque l'assemblée fut appelée à prononcer sur l'autorisation qui lui avait été demandée de faire comparaître Jouneau devant le jury pour mettre fin à cet affligeant débat, elle rendit, sur la proposition d'un de ses membres, et sans s'occuper en rien de la question de savoir si le duel était ou non punissable d'après le code de 1791, le décret d'amnistie dont nous avons donné la teneur (V. suprà, no 94). Ce décret, provoqué par des circonstances particulières, ne peut donc, en aucune manière, être invoqué à l'appui de la thèse soutenue par M. Dupin.

Le premier que nous rencontrions, c'est le décret du 17 sept. 1792, par lequel l'assemblée nationale abolit tous procès et jugements contre des citoyens, depuis le 14 juillet 1789, sous prétexte de provocation en duel, décret dont nous avons donné le texte ci-dessus, no 94. « Or, dit M. Dupin, si les duels étaient, comme on le prétend, abolis depuis 1791, par cela seul qu'ils n'étaient pas réprimés nominativement par ce code, une amnistie était superflue, car on ne peut poursuivre que ce qui est crime, et puni comme tel au jour où le jugement doit avoir lieu. Cependant ici l'amnistie était nécessaire, et pourquoi? Pour deux motifs le premier parce qu'on la faisait remonter jusqu'au 14 Juillet 1789, époque où la législation exceptionnelle était encore censée en vigueur; le second parce que, depuis la loi de 1791, si l'on n'avait pas pu poursuivre en vertu des anciens édits, on 'aurait pu poursuivre en vertu du droit commun, si le duel avait entraîné quelques suites. » — Si telle eût été la pensée de l'assemblée nationale, il y aurait lieu de s'étonner qu'elle se fut exprimée ainsi :« sous prétexte de provocation en duel, »> puisque, en admettant comme vraie l'interprétation donnée par M. DuTOME XIX.

....

Un autre acte dont nous devons apprécier la valeur, c'est le décret du 29 messidor an 2, relaté ci-dessus (no 94). Suivant M. Dupin, ce décret, dans lequel il ne s'agissait que d'un point de discipline militaire, est tout à fait étranger à la question qui nous occupe. Il est bien vrai que ce décret avait pour objet principal de répondre aux doutes qui s'étaient élevés sur l'interprétation d'un article du code pénal militaire; mais après avoir résolu cette difficulté, la Convention ajoute: « Renvoie à la commission du recensement et de la rédaction complète des lois, pour examiner et proposer les moyens d'empêcher les duels, et les peines à infliger à ceux qui s'en rendraient coupables ou qui les provoqueraient. » Il est bien évident qu'il ne s'agit plus, dans cette disposition, de la discipline militaire, mais bien des duels en général, soit entre les militaires, soit entre les citoyens. Or quelle est la portée de ce renvoi? Faut-il y voir l'aveu d'une lacune dans la loi pénale? Ou bien la Convention a-t-elle entendu seulement proclamer l'insuffisance du droit commun pour une répression efficace du duel? C'est ce qu'il est impossible de décider avec certitude; nous devons dire cependant que, quoique l'une et l'autre de ces hypothèses conduisent également à la négation d'une loi pénale applicable, la première nous paraît cependant la plus vraisemblable, et la plus conforme à l'interprétation naturelle du décret.

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Il semble donc que tout concoure à établir que l'assemblée constituante n'avait point eu la pensée d'appliquer au duel ou à ses suites les peines portées contre l'homicide et les blessures volontaires. Et, comme le silence gardé par le code de 1791 a été imité par les codes qui l'ont successivement remplacé, la conclusion serait que ni les art. 295 et suiv., ni les art. 309 et suiv. c. pén. de 1810 ne pourraient être invoqués contre les duellistes. La question, toutefois, se trouve ici compliquée de quelques éléments nouveaux dont nous devons apprécier la valeur. Ces éléments nouveaux sont d'abord les lettres et circulaires ministérielles dont nous avons parlé ci-dessus (n° 97), puis le passage du rapport de M. Monseignat que nous avons également fait connaître (suprà, no 96). Quant aux lettres et circulaires, le grand juge qui les adressait n'avait point fait la loi; il indiquail à ses subordonnés comment, à son avis, elle devait être entendue et appliquée; on ne doit donc voir dans ces actes que l'expression d'une opinion individuelle, mais nullement une révélation de la pensée intime du législateur. - Le rapport de M. Monseignat a plus d'importance, puisque, présenté au nom de la commission de législation du corps législatif, il fut immédiatement suivi du vote par lequel le projet fut adopté. Il est nécessaire ici de rappeler en peu de mots comment, à cette époque, les lois étaient élaborées. Lorsque les projets avaient été préparés au consek d'Etat, ils étaient communiqués à la commission de législation du conseil d'État, qui les examinait. Si les vues de cette commission

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Et d'abord il est évident qu'il ne rentre pas dans l'homicide on les blessures commis par maladresse, imprudence, inattention, etc., prévus et punis par les art. 319 et 320 c. pén. Il ne tombe pas non plus sous l'application de l'art. 321, qui suppose que l'homicide ou les blessures, provoqués par des coups ou violences graves, ont été commis sans une entière liberté d'esprit dans le premier mouvement de la colère. Nous ne pensons même pas qu'il puisse être assimilé à l'homicide et aux blessures commis dans le cas de légitime défense, comme l'ont décidé quelquesuns des arrêts que nous avons cités; car, si, le combat une fois engagé, l'auteur de l'homicide ou des blessures s'était trouvé placé, pour conserver sa vie, dans la nécessité de se défendre, il s'y était volontairement exposé par le consentement préalable qu'il avait donné au duel. Enfin, il ne constitue pas un meurtre simple déterminé par une circonstance fortuite, par l'explosion soudaine d'une passion. Si donc il fallait nécessairement y voir un des crimes qualifiés par le code pénal, ce ne pourrait être qu'un assassinat ou des blessures faites avec préméditation, crimes prévus et punis par les art. 296 et 310 c. pén.; en effet, la convention qui le précède donne évidemment au fait ultérieurement consommé le caractère de la préméditation.

Mais serait-il vrai que le duelliste qui a tué son adversaire dat être assimilé à un assassin ordinaire? Il nous est impossible de le penser jamais, quoi qu'on fasse, la conscience publique ne mettra sur la même ligne celui qui, dominé par la haine, la cupidité, ou par toute autre passion mauvaise, attend paisiblement sa victime et la tue, şans courir lui-même aucun danger, et l'hon

n'étaient pas en parfaite harmonie avec le texte du projet, elle devait se réunir avec la section du conseil d'Etat qui l'avait rédigé pour procéder à un nouvel examen. Si elle adoptait le projet, le corps législatif, après avoir entendu successivement l'exposé des motifs présenté par l'orateur du conseil d'Etat, puis le rapport du président de la commission de législation, votait silencieusement l'adoption ou le rejet de la loi. Il résulte de là que, pour qu'une proposition pût être convertie en loi, la première condition C'était qu'elle émanât du conseil d'État. Si la commission de législation trouvait dans le projet des lacunes à combler, des modifications à faire, elle devait s'entendre à ce sujet avec le conseil d'État, mais elle ne pouvait, de sa propre autorité, combler ces lacunes, faire ces modifications; leur adoption même par le conseil d'État n'eût pas eu la puissance de leur donner force de loi, parce qu'il leur eût manqué la première condition de vie. Or, sur le point qui nous occupe, l'exposé des motifs présenté par l'orateur du conseil d'État garde comme la loi elle-même un silence absolu. Ce silence ne serait-il pas bien étrange si le conseil d'État avait eu la pensée d'appliquer au duel les dispositions relatives à l'homicide et aux blessures volontaires? « Tout ce qu'on peut conclure du rapport, écrivait Merlin, en 1812, au magistrat qui l'avait consulté sur cette question (V. Quest. de droit, vo Duel, § 1), c'est que la commission dont M. Monseignat était l'organe pensait comme lui. Mais de ce qu'ils ont cru trouver dans la loi des dispositions qu'elle ne renferme pas, il ne s'ensuit nullement qu'ils aient, par leur opinion officiellement manifestée, rempli les lacunes que la loi offre réellement. Il y a eu, après la présentation du projet du code pénal au corps législatif, plusieurs confé-nête homme qui, pour conserver son honneur, bien ou mal comrences entre le comité de législation du conseil d'État et la commission du corps législatif, et je puis assurer, pour avoir assisté à toutes, qu'il n'a été question de duel dans aucune. Ce que la commission du corps législatif a dit du duel, elle l'a donc dit d'ellemême; et ce qu'elle en a dit est précisément le contraire de ce qui avait été arrêté verbalement entre les membres du comité do législation du conseil d'État, car ils avaient bien, comme elle, pensé au duel, mais en y pensant ils avaient cru devoir imiter à cet égard le silence de l'assemblée constituante. » Ajoutons, avec les auteurs de la Théorie du code pénal, que la rétractation de M. Merlin sur la question de droit n'infirme en rien la valeur de son témoignage sur des faits auxquels il a pris part et dont, par conséquent, il a eu une connaissance personnelle. En admettant donc que le corps législatif ait entendu adopter, avec les articles du projet, le commentaire qui leur était donné au nom de la commission de législation, ce qui peut être contesté, on n'en pourrait pas moins prétendre que ce vote n'a pu donner force de Joi à une pensée qui n'était point émanée du conseil d'État et que, par conséquent, il n'avait pas qualité pour adopter ou rejeter. · Mais, dit-on, le rapport de M. Monseignat a été lu au corps législatif en présence de l'orateur du conseil d'État, qui n'a pas contredit; donc ce rapport exprimait fidèlement, non pas seulement les raisons qui avaient déterminé la commission de législation à adopter le projet, mais encore l'esprit, les motifs, la pensée in< time qui avaient dirigé le conseil d'État dans la préparation de ce projet. Nous ne nions pas que le silence gardé par l'orateur du gouvernement n'ait l'apparence d'une adhésion. Il ne faut pas, toutefois, en exagérer la portée. « Comment aurait-il protesté, disent MM. Chauveau et Hélie (2o édit., t. 3, p. 529), puisque le vote de cette partie du code suivit immédiatemedt le rapport? Et puis quel eût été l'intérêt d'une telle protestation? L'opinion du rapporteur avait-elle assez de poids pour qu'il fût nécessaire de la combattre? Et qu'importait au gouvernement impérial qu'il s'élevât quelques doutes sur le sens de la loi pénale, lorsque ces doutes n'avaient pas pour objet d'en restreindre la portée? L'interprétation proposée n'était point dans la pensée de la loi; mais quand la discussion la fit surgir, le gouvernement ne dut point s'en préoccuper, parce qu'elle ne lui apportait aucun péril, et surtout parce que le texte de la loi ne lui parut autoriser aucun doute sérieux. »

117. Après avoir cherché dans l'histoire de nos lois criminelles quelques indices révélateurs de la pensée du législateur, examinons le duel en lui-même, dans sa nature, dans ses caractères distinctifs, et voyons s'il rentre dans quelqu'une des catégories d'homicide ou de blessures que le code pénal a spécifiées.

pris, s'expose aux périls d'une lutte loyale dont les chances ont été préalablement égalisées, autant que possible, par la convention. Ce qu'il y a de commun entre les deux espèces, c'est d'abord la matérialité du fait, puis la préméditation; mais le mobile, le mode d'accomplissement diffèrent profondément. Ajoutons que le péril social n'est pas le même à beaucoup près; en effet, dans l'assassinat, la victime est surprise par une attaque qu'elle n'a pu prévoir ni prévenir; dans le duel, au contraire, celui qui succombe avait d'avance prévu et accepté la possibilité de cet événement; en sorte qu'on peut, jusqu'à un certain point, regarder sa mort comme volontaire. La cour de cassation, dans son arrêt du 8 avr. 1819, avait fort bien saisi les différences caractéristiques du duel et de l'assassinat. « Ce que le code qualifie assassinat, porte cet arrêt, suppose une agression préméditée, non concertée auparavant avec celui sur lequel elle a été exercée, accompagnée du dessein de donner la mort, et dans laquelle, s'il y a eu résistance, la défense n'est née que de l'attaque; dans le duel, au contraire, il y a eu toujours convention antérieure, intention commune, réciprocité et simultanéité d'attaque et de défense. »

A cela il a été répondu par M. Dupin, dans son réquisitoire da 22 juin 1837, par M. Bérenger, dans le rapport à la suite duquel a été rendu l'arrêt du 15 déc. 1837, enfin par la cour de cassation, que la convention qui précède le duel, étant contraireaux bonnes mœurs et à l'ordre public, est nulle, et que, par conséquent, elle ne peut produire aucun effet, conformément à l'art. 6 c. civ. Ce raisonnement serait juste si, cette convention étant posée comme un contrat susceptible de produire des effets civils, d'engendrer des obligations réciproques, il s'agissait d'apprécier quelle peut être, aux yeux de la loi, la force de ces obligations, et notamment si les parties ont pu valablement se faire réciproquement remise de la peine qu'elles allaient encourir en attentant à la vie l'une de l'autre. Mais il n'en est point ainsi, et ce n'est pas à ce point de vue que nous nous plaçons. La convention dont il s'agit, quelle que soit d'ailleurs sa valeur légale, est un fait, une circonstance accessoire de l'homicide ou des blessures incriminées; dès lors nous soutenons, et cela ne nous paraft pas susceptible de contestation sérieuse, qu'elle doit être prise en considération lorsqu'il s'agit de caractériser le fait principal auquel elle se rattache. Or, cette circonstance nous paraft établir entre le duel loyalement accompli et l'assassinat une différence essentielle. Est-il possible de nommer du même nom, de punir de la même peine, de ranger enfin dans la même catégorie celui qui, dans un duel régulier, dont les chances étaient égales, donne la mort à son adversaire, et celui, par exemple, qui pendant que cet adversaire se rend sans méfiance au lieu convenu pour le

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combat se jetterait sur lui et le tuerait à l'improviste? Peut-on supposer que le législateur ait voulu confondre deux faits si profondément distincts ? Et n'est-ce pas le cas d'appliquer cette maxime empruntée à d'Argentrée, que M. Dupin invoquait dans son réquisitoire du 22 juin 1837 : vitanda est interpretatio quæ infames faceret legislatores?— En vain, on répondrait que le système des circonstances atténuantes permet d'établir une différence, une équitable inégalité dans la peine applicable à ces deux faits. Nous répondrons d'abord qu'une simple déclaration de circonstances atténuantes, qui, du reste, aux termes de l'art. 463 c. pén., n'est que facultative pour le jury, ne nous paraît pas suffisante pour marquer la différence profonde qui sépare le duel loyalement accompli de l'assassinat, que cette différence nécessite, à notre avis, une incrimination distincte, une disposition spéciale. Nous ajouterons que cette raison est sans valeur lorsqu'il s'agit d'examiner quelle a été la volonté du législateur de 1810, puisque le système des circonstances atténuantes n'a été introduit dans notre législation criminelle que lors de la réforme du code pénal accomplie en 1832.

Combien de temps se prolongera cette lutte? Le jury finira-til par céder? C'est ce qu'il est impossible de prévoir; ce qui est certain c'est que, dans les nombreuses affaires de ce genre qui lui ont été soumises depuis que la cour de cassation a changé sa jurisprudence, il a constamment acquitté les prévenus. — Acquitté ! qu'est-ce à dire ? C'est que le fait est trouvé, par les jurys français, innocent des incriminations dont il est l'objet ; et s'il doit échapper nécessairement à toute répression, de quel droit poursuivez-vous le duel loyal, régulier, celui qui a eu lieu dans les conditions que la coutume ou la conscience publique a réglées ? Pourquoi tout cet appareil judiciaire qui ne peut qu'aboutir à un acquittement, c'est-à-dire au discrédit des organes de la poursuite et de la répression judiciaire, à la constatation de l'imprévoyance, de l'inertie ou de l'impuissance du législateur?

porté réciproquement des coups d'épée et fait volontairement des blessures avec préméditation, la chambre d'accusation, sans admettre ni méconnaître les faits énoncés dans l'ordonnance de la chambre du conseil, ou, en cas d'évocation, dans la réquisition du ministère public, se borne à dire dans son arrêt «< qu'il ne résulte pas de la procédure des charges ou indices suffisants pour accuser ou pour mettre en prévention les inculpés, pour les crimes ou délits qui leur sont imputés,» son arrêt doit être cassé comme insuffisamment motivé, attendu qu'une telle déclaration est vague et équivoque; qu'elle laisse incertain si la cour d'appel a entendu nier le fait même du duel et des blessures qui en ont été la suite, ou voulu dénier à ce fait le caractère d'un délit prévu par la loi; qu'elle éluderait ainsi le droit qui appartient à la cour de cassation d'apprécier si les faits ont été bien ou mal qualifiés (Crim. cass. 20 oct. 1838) (1).

118. Au reste, et dans le système qui punit le duel, il est nécessaire, pour que la cour de cassation puisse exercer le contrôle qui lui appartient sur la qualification légale des faits de duel qui ont donné lieu à des poursuites criminelles, que les chambres d'accusation, dans leurs arrêts, distinguent avec soin la question Toutes ces raisons nous déterminent à penser, non pas que le de fait de la question de droit. Ainsi, lorsque, sur des pourduel, considéré en lui-même, soit un fait innocent et irrépréhen-suites dirigées contre deux duellistes comme prévenus de s'être sible aux yeux de la morale, ceci est une autre question, mais qu'il ne tombe sous l'application d'aucune des dispositions de nos lois criminelles, qu'il ne rentre dans aucune des catégories dans lesquelles le code pénal de 1810 a rangé les crimes ou délits qui peuvent être commis contre les personnes. Nous croyons donc que la première jurisprudence de la cour de cassation était plus conforme que celle qui a prévalu en 1837 au véritable sens de la loi, qu'elle contenait une interprétation plus vraie de la pensée du législateur. -Quoi qu'il en soit, l'abandon de cette première jurisprudence paraît être maintenant un fait définitif et irrévocable. Aussi, toutes les fois qu'une chambre des mises en accusation déclare my avoir lieu à suivre contre le prévenu d'un homicide commis en duel, en se fondant sur ce que, d'après notre législation, le duel ne constitue ni crime ni délit, son arrêt est immanquablement annulé par la cour de cassation, et, comme la loi du 1er avr.1837 donne à cette cour le pouvoir de faire prévaloir ses décisions, il en résulte que toujours, en définitive, les auteurs d'homicides commis en duel sont renvoyés devant le jury; mais là expire le pouvoir de la cour suprême : sa nouvelle jurisprudence y a rencontré une résistance dont jusqu'à ce jour l'autorité morale de ses arrêts n'a pu triompher; toujours, en effet, lorsqu'il était établi que les choses s'étaient passées légalement, le jury a protesté, par l'acquittement des accusés, contre l'assimilation qu'on prétendait établir entre le duel et l'assassinat. Et il n'en pouvait guère être autrement. Aux yeux d'hommes sensés qui ne sont pas légistes, les variations de la jurisprudence, la lutte qui aujourd'hui même existe encore sur ce point entre la cour de cassation et un certain nombre de cours d'appel, font de la question du duel l'une des plus douteuses, l'une des plus difficiles que puisse agiter la science de l'interprétation des lois; comment donc n'hésiteraient-ils point à la trancher dans le sens le plus rigoureux ? Comment ne reculeraient-ils pas, eux les interprètes du sentiment public, devant un système qui établit, entre deux faits profondément distincts, une confusion que repousse le sentiment public?

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(1) (Min. pub. C. Lorois et de Sivry.) LA COUR; Vu l'art. 7 de la loi du 20 avr. 1810, les art. 128, 229 et 231 c. inst. crim.; - Attendu que, lorsque les faits résultant d'une instruction sont énoncés, soit dans une ordonnance de la chambre du conseil, soit, comme dans l'espèce, au cas d'évocation, dans le réquisitoire du ministère public, et présentés comme constituant un crime ou un délit, il est du devoir des chambres d'accusation de s'expliquer clairement, d'une part sur l'existence ou la non-existence des faits, de l'autre sur la qualification qui leur est attribuée; Attendu que le procureur général près la cour royale de Rennes, à la suite de la procédure instruite en vertu de l'arrêt d'évocation rendu par cette cour, le 3 septembre dernier, avait, dans son réquisitoire devant la chambre d'accusation réunie à la chambre des appels de police Correctionnelle, articulé contre Édouard-Louis Lorois, préfet du Morbihan, et Alphonse-Joseph-Constant Bourelle de Sivry, membre de la chambre des députés et du conseil général du même département, le fait de s'être réciproquement porté des coups et fait des blessures dans un combat à l'épée, par eux convenu et concerté à l'avance, ce qui constituait, suivant ce magistrat, le délit prévu par le § 2 de l'art. 311 c. pen., et qu'il avait requis le renvoi des deux inculpés devant la première

119. Il a été jugé que, dans une accusation d'homicide volontaire commis en duel, la question ainsi posée: « Est-il constant que l'accusé ait, dans un duel où tout s'est passé avec loyauté et conformément aux conventions des parties, tiré volontairement avec préméditation un coup de fusil sur son adversaire, lequel coup de fusil a donné la mort à celui-ci?» est irrégulière et nulle. D'un côté, en effet, au moyen de l'addition des mots : «Dans un duel où tout s'est passé avec loyauté, et conformément aux conventions des parties, » le duel se trouve présenté dans la question comme excuse du meurtre, bien que nul article de la loi ne lui ait conféré ce caractère. D'un autre côté, la question n'est pas posée conformément à la formule prescrite par l'art. 337 c. inst. crim. « L'accusé est-il coupable d'avoir commis tel meurtre, etc.? » On n'y retrouve pas notamment le mot coupable, expression complexe, qui exprime tout à la fois le fait matériel et l'intention qui le rend criminel, et qui, par conséquent, est en quelque sorte sacramentelle dans la position des questions et dans la réponse (Crim. cass. 4 janv. 1839, MM. Bastard, pr., Vincens, rap., Dupin, pr. gén., c. conf., int. de la loi, aff. Louisy-Lefrère,

chambre civile de la cour royale de Rennes, comme prévenus de s'être l'un à l'autre porté des coups d'épée et fait volontairement des blessures avec préméditation; - Attendu que ces faits, qui, suivant le réquisitoire du ministère public, étaient établis par les déclarations unanimes des témoins, par la vérification médico-légale opérée sur la personne des inculpés, par l'aveu formel de ceux-ci, n'ont été précisément ni admis ni méconnus par l'arrêt attaqué, lequel se borne à dire « qu'il ne résulte pas de la procédure des charges ou indices suffisants pour accuser ou pour mettre en prévention les sieurs Lorois et de Sivry, pour les crimes ou délits qui leur sont imputés; » - - Attendu qu'une telle déclaration est vaguo et équivoque; qu'elle laisse incertain si la cour royale a entendu nier le fait même du duel et des blessures qui en ont été la suite, ou voulu dénior à ce fait le caractère d'un délit prévu par la loi; Qu'elle éluder ait ains le droit qui appartient à la cour de cassation, de juger si la qualification donnée ou refusée aux faits l'a été conformément à la loi; qu'elle confond le fait et le droit, et ne peut conséquemment être attribuée ni à l'un ni à l'autre;-D'où il suit que l'arrêt de la cour de Rennes est sans motifs, qu'il est nul et doit être cassé d'après l'art. 7 de la loi du 20 avr. 1810;-Casse.

Du 20 oct. 1838.-C. C., ch. crim.-MM. de Bastard, pr.-Gartempe, rap,

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