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prudence et de conservation du fleuve, dont les bras ne sont que les membres; nourris par le fleuve même, ils doivent participer de sa nature, sous peine de voir des intérêts opposés s'efforcer de détruiré insensiblement la rivière elle-même, ou, au moins, de l'amoindrir à un tel point qu'elle perdrait bientôt son caractère. Toutefois, si le bras non navigable ni flottable d'une rivière portait ses eaux dans une autre région, et ne se réunissait plus au corps de la rivière, il cesserait, dès son point de séparation, de faire partie de la grande rivière, et n'appartiendrait plus à la classe de celles qui sont navigables et flottables (Proudhon, no 760).— Alors la rivière n'aurait plus de bras.- Du moment où les eaux du bras ne retournent pas au fleuve ou au cours d'eau navigable, ces eaux deviennent indépendantes et constituent une rivière non navigable qui est privée des caractères du domaine public.

53. Lors de la discussion de la loi de 1829, sur la pêche fluviale, le gouvernement avait proposé de soumettre à la domanialité les fossés où l'on peut pénétrer en bateaux dans les moyennes eaux; mais le projet a été amendé par la chambre des pairs, et la domanialité restreinte aux fossés où il est possible de pénétrer en tous temps en bateaux de pêcheur (L. 1829, art. 1). Ces fossés, par conséquent, sont soumis aux mêmes régimes que les fleuves. On ne peut y pratiquer des dérivations ni y faire aucun barrage, et les riverains n'ont pas droit à la pêche. — Il a été jugé en ce sens : 1° que les noues ou boires commu. niquant avec une rivière navigable ou flottable par un chenal qui, au moment même des plus basses eaux, ne s'est jamais trouvé à sec, font partie du domaine public, alors même qu'elles ne seraient pas en tout temps navigables; et, par suite, les terres que les eaux couvrent ne peuvent être considérées comme appartenant, à titre d'alluvion, aux riverains (Bourges, 3 juin 1845, aff. Decray, D. P. 49. 2. 68); — 2° Que les noues ou boires alimentées par les eaux d'une rivière navigable ou flottable, et qui sont en tous temps accessibles en bateau pêcheur, sont censées dépendre du domaine public, même dans les parties de ces noues où le bateau n'arriverait pas en tout temps..... Et par suite, c'est au profit de l'Etat que le droit de pêche doit être exercé (Bordeaux, 16 juin 1849, aff. Espitalier, D. P. 50. 2. 119). 54. Le gouvernement a, sans doute, en lui-même, le droit de constater et de reconnaître qu'une rivière est navigable. — Mais il ne pourrait créer, de sa propre autorité, une rivière navigable qui n'existait jusqu'alors que comme ruisseau ou petit cours d'eau, lors même que ce serait à l'aide de travaux d'art qu'il serait parvenu à la rendre navigable. En effet, dans le premier cas, il déclare qu'une rivière déjà existante a acquis la navigabilité; il ne fait que constater un fait préexistant. - Mais lorsqu'il n'y avait que des petits cours d'eau, des ruisseaux insignifiants, dont il parvient à constituer une rivière navigable par d'habiles travaux, il ne peut pas faire cette rivière sans une loi. - En effet, l'administration se trouve alors placée dans le cas prévu par la loi de 1833; il y a nécessité d'expropriation pour cause d'utilité publique, et l'art. 3 dit formellement que tous grands travaux publics ne peuvent être exécutés qu'en vertu d'une loi. Conf. M. Cormenin, Droit admin.

55. D'après l'art. 44, tit. 27, de l'ord. de 1669, on ne peut se permettre de détourner l'eau des rivières navigables ou flottables. Mais comme l'eau est une chose commune, cette défense ne fait pas obstacle à ce que toute personne puise de l'eau dans la rivière, y abreuve les bestiaux, etc. Toutefois ces facultés ne pourraient pas s'étendre jusqu'à pouvoir passer sur l'héritage d'autrui, à moins d'une permission du riverain.

Nous avons dit que pour la jouissance des eaux, le jus privatum était toujours subordonné au jus publicum; mais le gouvernement est le seul juge, le seul arbitre de l'intérêt public. De sorte que lorsqu'il n'y voit aucun inconvénient, il

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(1) Espèce: (D'Harville C. comp, des canaux, etc.) Le pourvoi contre un arrêt de la cour de Paris, du 17 mars 1828, était fondé sur la fausse application de la loi du 30 juill. 1793 et sur la violation de l'ord. de 1669 qui, suivant les demandeurs, n'a pas cessé de nous régir. La raison seule prouve, ont-ils dit, que cette ordonnance est encore applicable, puisqu'il résulterait de son inapplicabilité que la pêche appartiendrait au gouvernement dans tout canal, tous les canaux étant navigables. Enfin on argumentait de ce que l'arrêt reconnaissant que la ville de Paris avait la propriété du canal, il n'était domanial. pas

Arrêt.

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peut lever la prohibition de détourner les eaux d'une rivière pour le service des usines ou l'arrosement des prairies; mais l'autorisation qu'il donne, même lorsqu'il ne s'en expliquerait pas formellement, suppose que la navigation n'aura pas à souffrir de la concession, autrement, il aurait le droit de retirer immédiatement son autorisation. Henrys, t. 2, liv. 3, quest. 49, rapporte plusieurs décisions qui ont attribué aux seigneurs, à titre de fermage, la jouissance de quelques rivières; il pourrait en être de même aujourd'hui envers les particuliers, si, par exemple, la navigation et la pêche n'indemnisaient pas l'État des frais que l'entretien de ces cours d'eau nécessite. M. Garnier dit que ce fait s'est rencontré plusieurs fois. Nous n'en connnaissons pas d'exemple.

56. L'ordonnance de 1669, qui ne plaçait dans le domaine public que les rivières navigables de leur fond, et non celles qui n'étaient devenues navigables que par l'ouvrage de l'homme, ayant été abrogée par l'art. 538 c. civ., qui ne fait aucune distinction entre ces deux espèces de rivières, le propriétaire riverain d'un canal, autrefois rivière non navigable, mais qui depuis a été déclaré navigable, ne peut aujourd'hui réclamer le droit de pêche sur ce canal (Req. 29 juill. 1828) (1).

57. Les rivières navigables et flottables faisant partie du domaine public, il s'ensuit qu'il n'est permis à personne, sans l'autorisation du gouvernement, de fouiller dans le lit de ces rivières pour en tirer du sable et des pierres (Denisart, vo Rivière Loys, Tr. des seigneuries, ch. 12, n° 120; Chardin, no 48).— M. Cotelle pense au contraire, t. 3, p. 544, que l'on peut librement extraire du lit des rivières navigables des sables, graviers et autres matériaux, pourvu qu'on se conforme à l'arrêt du conseil du 27 juin 1777, qui interdit de faire ces extractions près des bords.

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SECT. 2. Des rivières flottables en train ou à bâches perdues. 58. Les rivières flottables sont celles sur lesquelles le bois, sans être chargé sur des bateaux, dérive d'un lieu vers un autre, par la seule impulsion du courant. - Le flottage des bois remonte à une époque peu reculée. C'est un nommé Rouvet, bourgeois de Paris, qui, en 1549, imagina ce précieux moyen de transport (Encycl., t. 2, p. 305, édit. 1751). On distingue deux sortes de flottage, l'un à bois réunis en trains ou radeaux, l'autre à pièce de bois isolées ou à bûches perdues. De là deux espèces bien distinctes de rivières flottables. Le flottage par trains ou radeaux s'exerce lorsque des groupes de bois coupés en bouts de diverse grandeur sont assujettis les uns aux autres par des perches et des liens, et sont lancés à flot dans la rivière comme ne formant qu'un seul corps (Proudhon, no 857). Le flottage s'exerce à búches perdues, lorsqu'on lance en rivière, bûche à bûche, des morceaux de bois destinés au chauffage, pour les faire descendre jusqu'aux ports où l'on a construit des arrêts pour retenir la flotte, tandis qu'on la retire de l'eau. On donne le nom de flot à la réunion des bois jetés ainsi sur les rivières ou ruisseaux. Lorsque le bois a ainsi franchi l'intervalle qui sépare la forêt en exploitation des ports navigables, il est quelquefois assemblé en train et confié aux cours d'eaux du domaine public qui en achèvent le transport. Nous disons quelquefois assemblé en train, car arrivé à un port navigable, le bois peut aussi être vendu sur les lieux ou transporté en bateaux; ces trois cas doivent nécessairement se présenter suivant les besoins de la localité et de l'industrie.-V. Bois et charbons, no 8.

59. Les rivières flottables en trains ou radeaux sont comme les fleuves, et ainsi qu'on l'a dit plus haut, une dépendance du domaine public. Cependant il a été soutenu devant le conseil d'État que les rivières flottables n'avaient jamais fait partie du domaine public. On se fondait sur ce que l'art. 41 de l'or

LA COUR; Attendu que l'art. 538 c. civ. ne fait aucune distinction entre les rivières navigables de leur propre fond et celles qui le deviennent par des œuvres de l'homme, que les unes et les autres sont considérées comme les dépendances du domaine public; que, s'il en était autrement, P'État ne deviendrait pas propriétaire des rivières qu'il rendrait navigabies, ce qui préjudicierait à la navigation; Attendu que la ville de Paris étant substitués temporairement au domaine de l'État, les mêmes principes lui sont applicables; Rejette.

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Du 29 juill. 1828.-C. C., ch. req.-MM. Favart, pr.-De Ménerville, rap.

donnance de 1669 ne parle que des rivières navigables, ainsi que l'édit de 1683, et même la loi de 1790; mais on opposait : 1 l'art. 3, tit. 1, de l'ordon. de 1669, qui attribue aux maîtrises Juridiction sur les rivières navigables et flottables; 2° l'art. 23, tit. 3, où se trouvent les mots : « nos rivières navigables et fiottables; » 3° les art. 42, 43 et 44 du tit. 27, qui défendent, à l'égard des unes et des autres, d'en détourner ou altérer le cours, et d'y faire aucune entreprise sans autorisation; 4° l'arrêté du 19 ventôse an 6, qui ordonne aux administrations départementales de démolir toutes les constructions sur les rivières navigables et flottables. Et c'est en ce dernier sens que le conseil d'État s'est prononcé (ord. c. d'Ét. 30 mai 1821, aff. Caumia-Bailleux, V. Pêche).

60. Il est inutile aussi de rappeler ce qui a été dit sur le lit des rivières flottables et sur les questions de navigabilité relativement aux bras des fleuves ou rivières qui sont au-dessus ou au-des-❘ sous du point où la navigabilité commence, les mêmes règles existent à cet égard pour les rivières flottables comme pour les rivières navigables; aucune difficulté ne s'élève sur cette doctrine.-V. Merlin, vo Rivières, § 1, n° 5; Favard, vo Servitude, sect. 1; MM. Duranton, t. 3, no 203; Garnier, t. 1, p. 14 et 18; Daviel, t. 1, p. 28.

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61. Les rivières simplement flottables à bûches perdues ne sont pas considérées comme faisant partie du domaine public; c'est l'opinion de tous les auteurs (MM. Cormenin, p. 38; Favard, vo Vicinalité, § 2; Garnier, t. 1, p. 22; Daviel, p. 144; Chardon, p. 75), et cela est conforme aux décisions du conseil d'État et de la cour de cassation (avis cons. d'Ét. 21 fév. 1822 ci-après; Crim. rej. 22 août 1823, aff. Gombert, V. Pêche). - Et la loi du 15 avr. 1829 sur la pêche fluviale confirme ces décisions en n'établissant le droit de pêche au profit de l'État que dans les cours d'eau navigables ou flottables avec bateaux, trains ou radeaux. Il est vrai que le code civil n'a établi aucune distinction entre les deux sortes de flottage; ila même gardé un silence absolu à cet égard, mais la distinction se retrouve dans toutes les anciennes lois, comme dans tous les monuments de la jurisprudence (arr. du cons. 9 nov 1694, relatif à la Garonne; M. Dubreuil, p. 150).

Cependant l'administration du domaine public, toujours disposée à étendre les droits de l'État, avait obtenu, le 6 nov. 1820, une ordonnance qui assimilait les deux modes de flottage, et, en conséquence, interdisait la pêche, même dans les petites rivières (circ. min. 20 sept. 1820 dans le même sens); mais le conseil d'État s'est chargé de réfuter le système du gouvernement par un avis dont voici les termes :

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<< Considérant, dit le conseil d'État, que, dans l'acception commune, on confond, sous la dénomination de rivières flottables, deux espèces de cours d'eau très-distincts, savoir: 1° les rivières flottables sur trains et radeaux, au bord desquelles les propriétaires riverains sont tenus de livrer le marchepied déterminé par l'art. 650 c. civ., et dont l'entretien et le curage sont à la charge de l'État; 2o les rivières et ruisseaux flottables à bûches perdues, sur le bord desquels les propriétaires riverains ne sont assujettis qu'à livrer passage, dans le temps du flot, aux ouvriers du commerce des bois, chargés de diriger les bûches flottantes et de repêcher les bûches submergées; - Considérant que les rivières flottables sur trains et radeaux sont, de leur nature, navigables pour toute embarcation du même tirant d'eau que le train ou radeau flottant; Que les rivières flottables de cette espèce ont été considérées comme rivières navigables, soit par l'ordonnance de 1669, soit par les premières instructions données pour l'exécution de la loi du 14 flor. an 10; · Que, dès lors, les rivières flottables sur trains et radeaux, dont l'entretien est à l'État, se trouvent comprises parmi les rivières navigables dont la pêche peut, aux termes de ladite loi, être affermée au profit de l'État; Qu'il est impossible, au contraire, d'appliquer les dispositions de ladite loi aux cours d'eau qui ne sont nottables qu'à bûches perdues, etc.» (avis c. d'Ét. 21 fév. 1822). Suivant M. Dubreuil, t. 2, p. 154, « les rivières sont soumises à tel ou tel domaine, selon la nature des besoins qu'elles peuvent satisfaire. Leur caractère de voies de communication les a fait assimiler aux routes sur terre. Elles peuvent donc se diviser comme celles-ci en trois catégories: grands cours d'eaux navi

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Les

gables ou flottables destinés à de longs transports; cours d'eaux qui ne servent qu'à des communications de commune à commune, ou à une utilité communale; enfin, cours d'eaux qui n'ont aucun caractère d'intérêt public. Les premiers font partie du domaine public; les seconds appartiennent aux communes ; les derniers enfin sont exclusivement dans le domaine privé. conséquences de cette classification sont importantes, quant à tout ce qui concerne les servitudes imposées aux riverains, par le chemin de halage ou le marchepied; par les conditions auxquelles ils sont assujettis pour la pêche; par la nécessité d'obtenir ou non l'autorisation du gouvernement pour faire des ouvrages quelconques sur les rivières.» —Il y a là des erreurs : les cours d'eaux, même ne servant de communications que de commune à commune ne sont pas leur propriété; ils ne sont à personne (V. n° 213); et le maire n'exerce sur eux une surveillance que comme représentant de l'État et non de la commune.

62. Suivant M. Proudhon (no 1198 et suiv.), la faculté de flotter à bûches perdues existe de plein droit sur toutes les rivières où il y a possibilité de l'exercer: il n'est besoin ni de consécration spéciale préalablement faite par l'administration, ni d'indemnité au profit des riverains, ni de s'inquiéter si le flottage a été déjà pratiqué sur un cours d'eau, à moins qu'il n'y eût prohibition formelle antérieurement faite par l'administration. M. Proudhon fonde cette opinion sur ce principe, « que l'eau courante est un bien commun à tous, une voie ouverte naturellement au commerce, à l'industrie, à tous les besoins. II s'appuie encore sur l'art. 52, tit. 15, de l'ord. de 1669, et sur l'ord. de 1672. En effet, d'après l'ord. de 1672, le flottage à buches perdues n'appartient pas seulement aux adjudicataires de coupes de forêts domaniales, il appartient aussi à ceux qui exploitent des bois particuliers. Cette faculté n'a pas été créée, par conséquent, dans l'intérêt spécial du domaine, pour parvenir à élever le prix des adjudications par les facilités procurées à l'exploitation des bois de l'État, mais dans l'intérêt général des consommateurs, les prix devant nécessairement diminuer en raison de la diminution du prix dans les transports.-M. Daviel ne partage pas cette opinion. « L'ordonnance de 1669 dit seulement que les seigneurs ne peuvent porter obstacle au flottage des bois, sous prétexte de droits de barrage, pontonnage ou autres droits féodaux partout où le flottage est légalement établi. Cette défense faite aux seigneurs devra subsister, mais ce n'est pas dire que le flottage peut être établi partout. L'ordonnance de 1672 ne s'applique qu'à l'approvisionnement de Paris, elle ne s'applique qu'aux affluents de la haute Seine; » et il a fallu, ajoute M. Daviel, un acte spécial (ord. 24 oct. 1724) pour qu'elle ait pu être mise à exécution dans la basse Seine et dans le ressort du parlement de Rouen. Ensuite le flottage à bûches perdues aggrave la position des riverains, surtout pour l'établissement des marchepieds nécessaires pour le service des flotteurs. Partout où il n'existe pas de règlements administratifs ou de conventions particulières qui l'établissent, le flottage ne peut donc être pratiqué qu'en vertu d'une déclaration d'utilité publique et moyennant indemnité préalable. Enfin M. Daviel objecte contre la liberté illimitée du flottage, que si l'eau courante est un bien offert à tous, c'est pour satisfaire aux besoins naturels, « et nous établirons ailleurs, dit-il, que, bors ces besoins naturels, l'emploi des eaux courantes n'appartient qu'aux riverains. Les petits cours d'eau ne peuvent donc être considérés comme des voies ouvertes à la circulation des denrées et marchandises. Cette destination ne peut leur être donnée que par exception. >>

Sur cette controverse, dont l'issue dépend beaucoup de la solution qui sera donnée à la question relative à la propriété des petites rivières, que M. Daviel décide en faveur des riverains, nous sommes disposés à nous ranger à la doctrine de M. Proudhon. En effet, sans insister autrement sur cette proposition au moins trop absolue de M. Daviel, que «les petits cours d'eau ne peuvent être considérés comme des voies ouvertes à la circulation des denrées et marchandises, » nous ne saurions regarder avec lui comme une voie exceptionnelle le flottage à bûches perdues, lequel fournit aux trois quarts de la France, et surtout à la capitale, le bois, c'est-à-dire un objet de première né

cessité.

M. Daviel s'est attaché aussi à réfuter les arguments que A. Proudhon a puisés dans les ordon. de 1669 et 1672; mais, en admettant la justesse des observations de M. Daviel à cet égard, on ne peut s'empêcher de reconnaître que des ordonnances qui datent de 1669 et de 1672, et qui, à cette époque déjà, consacraient comme une nécessité le flottage à bûches perdues pour la haute et basse Seine, prêtent une grande force au système de ceux qui viennent aujourd'hui soutenir que la liberté des eaux est un principe incontestable aussi bien que l'égalité des droits et l'uniformité de législation pour tous les Français, et que ce serait singulièrement rétrograder que de soutenir et de faire admettre que le flottage à bûches perdues sera légal sur la haute et la basse Seine, à Paris et à Rouen, et ne le sera pas sur la haute et la basse Loire, à Nevers et à Orléans. La loi, objecte M. Daviel, le veut ainsi; mais n'a-t-il pas oublié la loi des 25-28 août 1792, art. 9, qui après avoir supprimé tous les droits exclusifs sur les eaux, ajoute ces mots de manière qu'il sera libre à tout citoyen de tenir sur les rivières et canaux des bacs, coches ou voitures d'eau, etc.?- Ainsi le législateur proclame la liberté des eaux en 1792, comme en 1791 il avait proclamé la liberté du sol et de l'agriculture, et il étend cette liberté même aux canaux; à plus forte raison doit-on l'étendre, par analogie et dans le silence de la loi, aux eaux qui ont un cours naturel. D'ailleurs les termes qu'emploie le législateur ne suffisent-ils pas pour apprécier quelle a été sa pensée de liberté pour le sol comme pour l'industrie? Voitures d'eau, dit l'art. 9. Or le flottage à bûches perdues est certainement un voiturage par eau,

(1) Espèce : (Marchal et consorts C. Michel Champy et veuve Champy.) Un cours d'eau appelé la Schirgoute prend sa source dans la propriété de la veuve Champy. Ce ruisseau, depuis une époque bien antérieure à 1616, a servi au flottage à bûches perdues des bois coupés dans les forêts voisines. La famille Champy, propriétaire depuis 1816 d'une grande partie de ces forêts, faisait flotter ses bois sur la Schirgoute. Pour faciliter l'opération du flottage, la veuve Champy, qui avait réuni sur sa tête les biens de la famille, fait construire un barrage sur le ruisseau de la Shirgoute, dans un endroit de son cours où les deux rives lui appartiennent, et, en amont de ce barrage, elle fait creuser un bassin destiné à contenir un volume d'eau considérable. Au moment du flottage, les eaux retenues dans ce bassin s'échappaient avec violence au moyen d'écluses levées, et le bois se trouvait ainsi entraîné sur le cours de la Schirgoute. Le flottage ainsi exercé par la dame Champy causait annuellement des dommages aux propriétés riveraines, et l'indemnité due en raison de ces dommages était réglée de gré à gré entre les parties.

En 1837, le sieur Marchal et d'autres propriétaires riverains, voulant faire cesser les dégradations annuelles de leurs propriétés, actionnèrent le sieur Champy, qu'ils croyaient propriétaire de la forêt, pour qu'il ait à cesser d'exercer sur le cours de la Schirgoute le flottage de ses bois, et à détruire le barrage établi sur ce cours d'eau. - Le 22 sept. 1837, le sieur Champy déclare aux demandeurs que la propriété de la forêt appartient à la dame veuve Champy, sa mère. Sur cette notification, Marchal et autres forment leur demande contre la veuve Champy, et persistent néanmoins dans celle qu'ils ont formée contre Champy.

28 août 1838, jugement du tribunal de Schlestadt qui déclare les demandeurs non recevables à l'égard de Champy, et les déboute de leur demande envers la dame veuve Champy.-Le jugement est ainsi motivé: «Considérant qu'il ne s'agit point dans la cause de la question de savoir à qui appartient le lit du ruisseau non navigable ni flottable appelé Schirgoute; que la discussion qui s'est élevée sur cette question et les doctrines contradictoires des auteurs pour déterminer à qui, des riverains ou de l'État, appartient cette propriété, est entièrement étrangère au procès; que la véritable question est de savoir si la dame Champy, propriétaire du sol qui donne naissance à ce cours d'eau, et riveraine de ses bords sur une partie de son cours, a le droit de se servir de cette voie pour y flotter à bûches perdues le bois provenant de l'exploitation de ses forêts, et le transporter même au delà des limites de sa propriété ; Que l'eau affluant dans un courant ou canal naturel est indépendant du fonds de ce canal, et, par sa nature et sa mobilité même, échappe à toute espèce de mainmise et de propriété qui en résulte; que, de même que l'air, elle se Soustrait à toute idée de possession et d'occupation actuelle, et doit être rangée au nombre de ces choses qui n'appartiennent à personne, res nullius; que le législateur, pénétré lui-même de l'incompatibilité d'un droit de propriété avec une pareille nature d'objets, s'est borné à en régler l'usage dans l'intérêt général; que les art. 642, 643, 644, 645 et suiv. c. civ. n'ont point d'autre but que cet usage, et se refusent même à toute idée d'une propriété reconnue aux riverains, puisque, s'ils étaient propriétaires, il eût été inutile de les autoriser à se servir de leur propre chose, ce droit étant inséparable de celui de propriétaire; que ces choses, considérées comme agents de l'industrie, peuvent être appliquées au besoin TOME XIX,

et le plus simple qu'on puisse imaginer. Enfin, M. Daviel remarque que le flottage à bûches perdues aggrave singulièrement la condition des riverains, en raison des marchepieds nécessaires pour le service des flotteurs. Mais il a oublié que les riverains jouissent dans ces rivières du droit de pêche, et que c'est en raison de cet avantage que la loi du 15 avril 1829 leur a imposé l'entretien des petits cours d'eaux, c'est-à-dire le curage; donc, s'ils ont les avantages de la pêche, c'est-à-dire le produit d'une chose dont cependant ils ne sont pas propriétaires, il est juste qu'ils en supportent les charges, et une de ces charges consiste à se soumettre aux inconvénients du flottage. En résumé, pour qu'on puisse exercer le flottage à bûches perdues sur une rivière ou un ruisseau, il n'est pas nécessaire que le cours d'eau ait été reconnu ou déclaré par l'autorité publique asservi à ce genre de flottabilité. L'eau courante, en effet, n'est dans le domaine de personne d'où il résulte que l'usage doit en appartenir à tous. Or, c'est cette qualité d'eau courante qui constitue précisément le moyen de transport.

63. Cependant nous devons dire que la jurisprudence tend à adopter l'opinion de M. Daviel.-C'est ainsi qu'il a été jugé : 1o que la faculté du flottage à bûches perdues ne peut s'exercer sur les cours d'eau non dépendant du domaine public, qu'autant que l'autorité administrative a concédé le droit et en a réglé les conditions le flottage n'est pas de droit commun, et ne peut être exercé sur un ruisseau, par cela seul que ce cours d'eau est susceptible d'y être assujetti (Colmar, 6 fév. 1839) (1); — 2o Que la faculté de flottage à bûches perdues ne peut s'acquérir par de tous ceux auxquels elles peuvent être utiles, et sous la réserve et prohibition expresse de la loi et des droits des tiers; Considérant que le droit d'appliquer à son usage et à son utilité les choses de cette nature ne saurait surtout être contesté à celui dans la propriété duquel elles prennent leur origine; · Considérant que c'est dans ce sens que l'art. 538 déclare dépendance du domaine public les fleuves et rivières navigables ou flottables, les ports, les havres, les rades, et généralement toutes les portions de territoire non susceptibles d'une propriété privée; que ces objets, quoique réunis au domaine public, n'en peuvent pas moins être appliqués au besoin de tous et chacun, sous la seule modification de l'observation des lois de police et de surveillance indispensables à l'intérêt général;

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>> Considérant qu'il n'est point contesté que le ruisseau de la Schirgoute est un cours d'eau continu et non purement accidentel; que, dès lors, et d'après ce qui précède, les riverains Champy ont pu avec droit se servir de cet agent pour la vidange de leurs coupes, comme les demandeurs riverains pourraient le faire eux-mêmes; Que les demandeurs se plaignent de ce que, par le procédé mis en usage par la dame Champy, pour favoriser le flottage, ils éprouvent un dommage par les détériorations que l'emploi de ce procédé entraîne pour leurs propriétés riveraines ; >> Considérant que le principe du droit étant reconnu, il faut nécessairement admettre que la défenderesse a pu, au moyen d'appareils mécaniques ou de constructions d'art, communiquer à l'agent qu'elle avait sous sa main une plus grande énergie; que les bassins ou retenues d'eau sont au nombre des combinaisons les plus usuelles pour obtenir soit un volume, soit une force motrice plus considerable; que l'emploi d'un pareil procédé, loin de dénaturer le droit, ne fait au contraire que l'exercer dans tout son développement; — Qu'aucune loi ne prohibe le flottage à búches perdues, ni ne le soumet à une autorisation préalable de la part de l'administration; - Considérant, néanmoins, que les droits des tiers doivent toujours être saufs, dans l'exercice même du droit le plus incontestable; qu'au cas particulier, le droit de flotter à bûches perdues sur la Schirgoute ne peut et ne pourra jamais engendrer pour la dame Champy le droit de causer du dommage aux propriétés riveraines, soit que ce dommage provienne de l'emploi du mode ordinaire de flottage, soit qu'il découle de l'emploi des procédés d'art pour augmenter le volume de l'eau ou la force du courant; Que la dame Champy sera toujours et nécessairement tenue de le réparer, en vertu de l'obligation que l'art. 1832 impose à l'auteur de tout fait dommageable; que la dame Champy, loin de décliner cette obligation, la reconnaît en fait et en droit, puisque les demandeurs ont formellement avoué avoir chacun individuellement reçu et accepté pour les derniers flottages une indemnité réglée de gré à gré avec elle;

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Que de ce qui précède il résulte, d'une part, que les demandeurs ne peuvent contester à la défenderesse le fond du droit de flottage à bûches perdues sur la Schirgoute; que, d'une autre part, ils sont payés de l'indemnité à eux due de tous les préjudices qu'a entraînés pour eux jusqu'à ce jour l'exercice de ce droit. »

Appel par Marchal et autres. Plusieurs autres propriétaires riverains interviennent et adhèrent à leurs conclusions.- Les appelants offrent de prouver le fait qu'ils ont articulé en première instance, savoir: les dégradations annuelles que causent à leurs propriétés l'irruption des eaux du

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prescription, quel que soit le laps de temps pendant lequel on l'ait exercé, et lors même que, depuis un temps très-long, des

bassin et les inconvénients du flottage et du repêchage des bois.-De leur côté, les intimés demandaient à prouver: 1° que, depuis plus de trente années avant la demande, les anciens propriétaires des forêts dont s'agit avaient flotté leur bois à bûches perdues sur la Schirgoute, et qu'il existe encore des vestiges d'anciens étangs dans lesquels on amassait l'eau pour faciliter le flottage; 2° que le sieur Champy avait fait établir, il y a environ vingt ans, sur une prairie à lui appartenant, un réservoir nouveau qui servait depuis au même usage que les anciens étangs; 3° que, depuis, la famille Champy avait fait flotter du bois toutes les années, et que chaque fois l'indemnité pour le dommage que le flottage avait pu occasionner avait été réglée de gré à gré avec les propriétaires riverains...; 4° que le flottage à buches perdues était possible sur la Schirgoute naturellement et sans l'emploi d'aucun moyen d'art; 5° que les étangs et bassins de retenue n'avaient été établis que dans le double intérêt des riverains et du flotteur, pour activer la chasse des eaux, empêcher ainsi les arrêts de bois et son amoncellement dans la rivière, et rendre moins longue la durée du flottage.-Arrêt.

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barrages et d'autres ouvrages auraient été établis sur les cours d'eau, pour faciliter l'exercice du flottage (même arrêt); · flottage possible, soit seulement pour le faciliter, a établi sur le ruisseau dit Schirgoute, à une assez grande distance de l'endroit où il prend sa source, un barrage qui en occupe toute la largeur, et dont l'effet est da retenir les eaux en les réunissant en un volume assez considérable dans un vaste bassin creusé en amont dudit barrage ; — Que ces eaux, auxquelles au moment du flot, on donne issue par une vanne pratiquee ad hoc, s'e chappent alors avec violence, en entrainant, avec une force irresistible, les bois amoncelés dans le bassin, inondent à une assez grande distance les propriétés, et occasionnent, dans leur cours prolongé, les autres dégâts dont se plaignent les parties de Pennarun et d'Ernst;

Attendu que ces conséquences, inséparables du flottage tel qu'il est exercé sur le ruisseau dit Schirgoute, constituent autant d'attaques directs contre les droits des tiers, faites par celui qui, de sa seule autorite, ser attribue l'exercice, et ne peuvent être tolérées sans méconnaître et for et aux pieds le principe de notre pacte constitutionnel, qui prociame l'égalité de tous les Français devant la loi ;-Que ce principe ne saurait recevoir d'atteinte que dans les seuls cas où l'autorité supérieure, recornaissant que des motifs graves, puissants, fondés sur d'intérêt et l'utilité publics, l'exigent, le prescrit pour l'avantage du plus grand nombre;

Attendu que, d'après ce qui vient d'être dit, il est impossible d admeltre cette proposition articulée par la dame intimée, à savoir que la faculté de flotter à bûches perdues est de droit commun et peut s'exercer sur toutes les petites rivières ou ruisseaux qui en sont susceptibles; — Qu'il faut, au contraire, reconnaître et tenir pour certain, et c'est ce que de nombreux documents législatifs attestent, qu'à l'exception des fleuves ou des grandes rivières dont les propriétaires riverains de leurs cours sont assujettis par la loi à subir la servitude qu'entraîne l'exercice du flottage, ce droit ne peut appartenir qu'a ceux-là seuls en faveur desquels l'autorité compétente, après vérification préalable, l'a autorisé, à charge toutefois de se conformer strictement aux clauses et conditions qu'elle juge convenable de leur imposer; - Attendu que l'intimée, qui ne peut produire aucune autorisation de ce genre, essaye vainement, pour y suppléer, de se prévaloir de divers moyens de droit dont elle induit des conséquences erronées; c'est ainsi qu'en argumentant de ce principe incontestable que l'eau des rivières, aqua profluens, étant commune, res nullius, ou res communis, comme le dit la loi romaine, n'appartenant des lors privativement à personne, chacun a le droit d'en jouir; - Que le flottage n'étant qu'un mode de jouir de cette chose commune, il est permis à chacun de l'employer; Qu'il est facile de reconnaître que ce principe, que notre code civil a rappelé d'une manière générale par son art. 714, be comporte pas, dans son application, l'extension que l'intimée lui prête; mais est, au contraire, inséparable de certaines restrictions consacrées par les notions les plus élémentaires du droit et de la raison: ainsi, l'asage d'une chose laissée dans le domaine de tous, ou, pour parler plus énergiquement, dans la communauté négative de la grande association humaine, ne peut avoir lieu qu'à la condition impérative de ne porter ancune atteinte au droit d'autrui;

LA COUR; Attendu que, par leurs conclusions principales, les appelants et les intervenants, parties de Pennarun et d'Ernst, demandent, à l'encontre des intimés représentés par Comerson, qu'il soit déclaré par la cour qu'il ne leur compète pas le droit de flotter à bûches perdues dans le ruisseau dit Schirgoute, en tant qu'il borde les propriétés desdits appelanis et intervenants, et au moyen d'un barrage créé par eux; qu'en conséquence, ce barrage soit supprimé et lesdits intimés condamnés à 2,000 fr. de dommages-intérêts; Que, pour justifier ces conclusions, ils ont présenté et discuté deux propositions principales: par la première, ils ont cherché à établir que le flottage sur un cours d'eau naturel qui ne fait pas partie du domaine public, emportant avec lui des conséquences attentatoires aux droits de propriété des riverains, ceux-ci ne peuvent être contraints à en faire le sacrifice, à moins que, dans un but et par des motifs d'utilité publique, l'autorité compétente ne l'ait ordonné, en autorisant et en régularisant l'exercice de ce flottage; · La seconde proposition tend à démontrer qu'étant, eux appelants et intervenants, propriétaires, chacun en droit soi, du lit de la petite rivière ou ruisseau.dit Schirgoute, pour autant qu'il longe, dans une partie de son cours, leurs héritages respectifs, les intimés ne peuvent aucunement, même en admettant qu'il y ait en leur faveur parité de position, donner à ce cours d'eau, au moyen de travaux artificiels, upe destination incompatible avec le maintien et l'exercice des droits de propriété qui leur appartiennent sur icelui; Attendu qu'avant de se livrer à l'examen et à l'appréciation de ces deux propositions, ainsi que des autres moyens qui ont été présentés. il importe de déterminer d'une manière précise la position des parties en cause, contre lesquelles elles sont dirigées; Attendu qu'il résulte des pièces produites au procès que le sieur Bernard-Michel Champy, l'un des intimės, a transmis, dès le mois de sept. 1839, à la dame sa mère, aussi intimée, tous les droits de propriété qui lui appartiennent dans la forêt dont l'exploitation par la voie du flottage a donné lieu au litige actuel; d'où la conséquence qu'il est sans intérêt et sans droit dans la contestation; Attendu, néanmoins, que ce n'est qu'à la date du 6 fév. 1838, et seulement après que l'instance se trouvait liée devant les premiers juges, que le sieur Champy a fait connaître régulièrement sa position aux appelants; Qu'il n'a pas non plus offert de payer les dépens faits à son encontre jusque-là, lesquels, au contraire, ont été mis à leur charge;-Quetion, l'eau courante etant essentiellement une de ces choses communes à ces derniers, dès lors, ont été fondés à émettre un appel vis-à-vis de lui; Attendu que, si le flottage à bûches perdues, considéré sous le rapport de l'utilité et des avantages qu'il peut présenter, mérite de fixer l'atLention et la sollicitude de l'autorité, il faut reconnaître aussi que ce mode de transport du bois, imposant aux personnes qui possèdent des propriétés riveraines des cours d'eau sur lesquels il doit s'exercer le sacrifice de droits qui leur appartiennent, on ne saurait admettre qu'il puisse avoir lieu de plano et pour la convenance et le profit du premier venu; - Que, ces personnes se trouvant en effet astreintes à laisser aux ouvriers chargés de la direction et de la conduite de la flotte un passage libre d'une largeur plus ou moins grande sur leurs terrains, il en résulte d'abord pour elles une sorte d'interdiction du droit de se clore, indépendamment des autres préjudices que leur occasionnent ces passages réitérés, toujours précédés, accompagnés ou suivis de circonstances plus ou moins dommageables, telles que la dégradation ou la destruction des bords de leurs propriétés, la perte ou l'enlèvement des arbres qui y sont plantés, le gisement et le séjour sur les rives des bois repêchés ou déposés par les eaux, sans parler des avaries que peuvent éprouver les établissements existant sur ce cours d'eau; — Attendu que consacrer en faveur de tout propriétaire de forêts avoisinant un ruisseau ou une petite rivière non dépendant du domaine public, le droit de l'employer pour le flottage de ses bois sans contrôle ni surveillance, ce serait donner naissance à des conflits d'inté rêts, à des collisions qui pourraient amener les conséquences les plus facheuses pour le maintien de l'ordre et de l'harmonie sociale; Que ces considérations reçoivent une nouvelle force du fait, acquis au procès et non contesté, que, depuis 1815 ou 1816, l'intimée, soit pour rendre le

Attendu, en ce qui concerne les cours d'eau naturels, particulièrement ceux qui ne font pas partie du domaine public ou n'appartiennent pas privativement à quelques individus, qu'il est certain qu'à l'exception des droits d'usage concédés aux riverains par les articles du code civil, au titre des Servitudes, personne n'a le pouvoir de s'en arroger la disposi

tous, desquelles l'art. 714 précité dit que les lois de police règlent la ma-
nière d'en jouir, or ces lois existent depuis longtemps; l'application se
fait journellement; elles étaient nécessaires pour arrêter les prétentions
quelques-uns et régler les droits de tous; les principales sont, entre
autres, celle sous forme d'instruction du 24 août 1770, celle du 6 oct.
1791 et celle du 14 flor. an 11; toutes ont mis à la charge de l'adminis
tration l'obligation de rechercher et d'indiquer les moyens de procurer le
libre cours des eaux, d'empêcher que les prairies ne soient submergées
par la trop grande élévation des écluses des moulins et par les autres
ouvrages établis sur les rivières, de diriger enfin, autant qu'il est pos
sible, toutes les eaux de chaque territoire vers un but d'utilité générale,
d'après les principes de l'irrigation; de déterminer en conséquence la
bauteur des déversoirs des moulins et autres semblables établissements,
de manière que les eaux ne nuisent à personne; en un mot, de prendre
toutes les mesures réglementaires pour que l'exercice de la liberté natu
relle, quant à l'usage de l'eau, ne s'étende pas jusqu'à l'abus, jusqu'au
droit de causer un dommage réel à autrui;
Attendu que la veuve
Champy n'est pas mieux fondée à prétendre que le ruisseau dont s'agi
ayant sa source dans ses forêts, c'est à elle qu'il doit appartenir exclusi-
vement, si la propriété en peut être attribuée à quelqu'un, et non aux
appelants et aux intervenants, qui la revendiquent sans aucune espèce do
titre ni de droit; Que cette prétention ne saurait être accueillie au re-
gard d'aucune des parties plaidantes; relativement à l'intimée, le fait que
la source du ruisseau dit Schirgoute surgit uniquement dans son fonds,
en en admettant l'exactitude, ne peut avoir d'autres conséquences légales
pour elle que de l'autoriser à retenir les eaux de cette source dans sa

3° Que le droit de déterminer, par un barrage, la hauteur de l'eau sur une rivière navigable et flottable ou non, est placé par la loi dans les attributions de l'administration, et ne peut dès lors s'acquérir par une possession, quelque longue qu'elle puisse être (même arrêt).

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64. Police du flottage. Diverses obligations sont imposées aux marchands qui veulent livrer leur bois au flottage. La première est d'annoncer aux propriétaires intéressés l'époque où le flot doit partir, au moyen des publications que l'autorité municipale avertie par eux doit faire dix jours au moins avant le jour d'ouverture. C'est la disposition de l'art. 6, chap. 2 de l'ord. de 1672.-Comme la réunion considérable de morceaux de bois qui descendent le courant en toute liberté, pourrait occasionner des accidents, l'ord. de 1672 pour les prévenir, autant que possible, a exigé des marchands qu'avant de jeter leur flot ils fissent dresser contradictoirement avec les propriétaires d'usines et d'écluses, ou eux dûment appelés, procès-verbal de l'état extérieur de ces usines et écluses, et après le flot passé, d'en faire faire le

propriété, si bon lui semble, et si des tiers n'ont pas acquis, à titre de prescription ou autrement, le droit d'exiger que le cours qu'elles ont soit maintenu; mais il est incontestable que du moment que ces eaux sortent de cette propriété et coulent sur un sol étranger, elles cessent de lui appartenir, et dès lors ladite intimée n'y peut pas plus prétendre que toute autre personne à laquelle elles pourraient devenir utiles de tout quoi il suit que le moyen invoqué par la dame Champy ne peut être accueilli; Attendu que les parties de Pennarun et d'Ernst, en l'absence d'aucun texte de loi qui attribue la propriété du lit des petites rivières aux riverains, ont inutilement recours à l'interprétation de quelques articles du code pour faire résoudre cette question en leur faveur; Que ceux invoqués par eux, sainement entendus, ne permettent pas d'en tirer une telle conclusion; Qu'en effet, de ce que l'art. 538 ne comprend au nombre des propriétés qui composent le domaine public, en fait de cours d'eau, que les fleuves, rivières navigables ou flottables, et en exclut, par conséquent, les petites rivières ou ruisseaux, il ne s'ensuit pas que ceux-ci appartiennent à la propriété privée, et l'argument fondé sur ce que ce meme article dit que tout ce qui n'est pas susceptible d'une propriété privée fait partie du domaine public n'est pas concluant : car il ne peut ètre révoqué en doute qu'il est des espèces de biens qui ne sauraient être classées ni dans l'une ni dans l'autre de ces deux catégories; l'art. 714 du même code le prouve jusqu'à l'évidence, et il est manifeste que c'est dans le nombre de ces derniers biens qu'il faut ranger les petites rivières ou cours d'eau naturels, puisque, d'une part, l'État se les est attribués, et que, de l'autre, rien ne prouve qu'il ait voulu en gratifier les propriétaires de leurs rives; Attendu que si, par l'art. 561, le code décide que la propriété des îles qui se forment dans le lit des petites rivières advient aux propriétaires riverains, les discussions qui ont eu lieu dans le sein du conseil d'État sur cette partie du code, et les discours des orateurs du gouvernement enseignent que le seul et unique motif qui a déterminé cette disposition a été que cet objet présentait trop peu d'importance pour que l'État le dispute aux particuliers; Qu'il est très-remarquable que, lors de ces discussions, pas un mot n'a été prononcé duquel on puisse conelure que cette attribution en faveur des riverains avait son origine et trouvait sa justification dans le droit de propriété des bords du lit de ces rivières ou ruisseaux, ce qui prouve suffisamment que les conséquences que les appelants et intervenants veulent induire de cet art. 571 sont juridiquement inadmissibles;

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Attendu que, s'il était vrai que ce droit de propriété du lit des petites. rivières a été reconnu, consacré en faveur des propriétaires de leurs bords, on ne saurait comprendre comment le législateur, après une telle reconnaissance, aurait pu disposer de cette même propriété, ainsi qu'il l'a fait par l'art. 563, en décidant que si un fleuve, une rivière navigable, flottable ou non, se forme un nouveau cours, les propriétaires des fonds nouvellement occupés prennent, à titre d'indemnité, l'ancien lit abandonné, d'autant moins qu'il venait de consacrer, par son art. 545, le principe sacramentel que nul ne peut être contraint de faire le sacrifice de sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique et moyennant une juste indemnité; Qu'il est donc rationnel de conclure de ces observations que la propriété du lit des petites rivières, si l'État ne se l'est pas réservée, n'a pas non plus été départie aux riverains, mais qu'elle est demeurée dans la communauté négative, sauf le droit appartenant toujours au gouvernement d'en disposer, le cas échéant, pour le bien et l'avantage du public, comme, par exemple, alors qu'il juge utile de consacrer ces cours d'eau à la navigation, au flottage ou à tout autre emploi profitable à la navigation; - Qu'il ne faut d'ailleurs pas oublier que les auteurs du code civil, en s'occupant de cette partie de notre législation moderne, ont apporté de notables changements aux règles établies par le droit romain: ainsi, au lieu d'attribuer aux riverains des fleuves, rivières navigables ou flottables, ou non, car tous appartenaient au domaine public,

récolement également contradictoire. Lorsqu'au moment de la visite il apparaît qu'il existe des réparations à faire aux pertuis, on doit y procéder immédiatement, sinon les agents du commerce des bois, après mise en demeure des propriétaires, peuvent y faire procéder aux frais de ceux-ci (ord. 1672, chap. 17, art. 11 et 12). Si les marchands de bois ne remplissent pas ces formalités préalables, les propriétaires peuvent refuser le passage, ou bien s'ils croient devoir laisser passer le flot pour ne pas entraver les opérations du commerce, les marchands sont alors tenus de payer toutes les réparations, et ne sont point admis à soutenir que les dégradations existaient avant le passage du flot (lettre du directeur général des ponts et chaussées au préfet de la Nièvre, du 29 oct. 1807).-V. M. Dupin, Code des bois et charbons, p. 758.

65. Il n'est dû aucune indemnité aux propriétaires riverains d'un cours d'eau pour le fait du flottage, considéré en lui-même, c'est une charge qu'ils doivent supporter, comme celle des chemins de halage, servitudes qui trouvent leur compensation dans

alors la propriété des îles qui naissent dans leurs lits, comme le déci daient les lois 7 et 29 au Digeste De acquirendo rerum dominio, ces auteurs se sont bornés à leur concéder, à raison de leur peu d'importance, celles qui se forment dans le lit des petites rivières seulement; ainsi encore, contrairement à ce que prescrivait le § 23 aux Institutes, au même titre De acquirendo rerum dominio, le lit délaissé par un fleuve ou une rivière navigable, flottable ou non, qui, s'il se crée un nouveau cours, devait advenir aux propriétaires riverains de ce lit abandonné, a été attribué par le législateur moderne, à titre d'indemnité, à ceux-là dont la propriété a été envahie par le fleuve; - Qu'il faut induire de là que, sous l'empire de l'ancien comme du nouveau droit, ces répartitions ont été faites arbitrairement et par des motifs que l'équité, dont les règles se modifient et changent même quelquefois selon les temps et les lieux, peut sanctionner sans doute, mais qui n'en sont pas moins entièrement étrangers et ne se rattachent aucunement à des droits de propriété préexistants, que l'on voudrait faire résulter du fait unique de la détention, à titre de propriétaire, des bords des petites rivières, et comme conséquences légales el nécessaires de ces mêmes droits;

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En ce qui touche l'exception de prescription invoquée par la dame intimée: Attendu qu'il est constant, en fait, que ladite dame intimée a fait établir sur le ruisseau dit Schirgoute, sans en avoir obtenu l'autorisation de qui de droit, le barrage dont la suppression est demandée, et que ce barrage, dont l'effet est de retenir et d'élever les eaux à une certaine hauteur, détermine aux époques de flottage des inondations dommageables aux propriétés des appelants et intervenants ; — Attendu que l'on ne peut acquérir par la prescription que les choses qui sont dans le commerce;Que le droit de déterminer la hauteur de l'eau sur un fleuve, rivière navigable et flottable ou non, est placé par la loi exclusivement dans les attributions de l'administration, et ne peut dès lors s'acquérir par une possession quelque longue qu'elle puisse être ;-Attendu qu'on ne peut également prescrire contre les lois répressives le droit de commettre des délits ou des contraventions;

En ce qui touche les dommages-intérêts: - Attendu qu'il est reconnu par les demandeurs que ceux de ces dommages-intérêts qui pouvaient être dus à raison du préjudice occasionné par les flottages antérieurs au mois de novembre 1838, ont été réglés à l'amiable entre les parties;-Attendu qu'il est suffisamment justifié par les procès-verbaux dressés par les autorités compétentes que, lors du dernier flottage, opéré en novembre 1838, les demandeurs ont essuyé des préjudices dans leurs propriétés par l'effet d'icelui; mais que la cour manque de renseignements suffisants pour déterminer dès à présent l'importance et le taux des indemnités qui doivent être allouées à titre de réparations civiles; Attendu enfin que, d'après tout ce qui précède, il serait superflu de s'occuper de l'appréciation de faits articulés et offerts en preuve de la part de chacune des parties plaidantes;

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Par ces motifs, reçoit les parties d'Ernst intervenantes dans la cause; ayant égard à leur instance, et y faisant droit, leur donne acte de co qu'elles déclarent adhérer aux conclusions des appelants, parties de Pennarun; ce faisant, et sans s'arrêter aux faits passés par lesdites parties d'Ernst et de Pennarun et celles de Commerson, non plus qu'aux offres d'en faire la preuve, prononçant sur l'appel du jugement rendu entre les parties au tribunal de première instance de Schelestadt, le 23 août 1838;

Met l'appellation et ce dont est appel au néant; Émendant, dit qu'il ne compete pas à la dame Champy le droit de flotter à bûches perdues sur le ruisseau dit Schirgoute, et ce au moyen d'un barrage créé sans en avoir obtenu l'autorisation; - Qu'en conséquence ledit barrage sera supprimé par elle ou à ses frais dans le mois à partir de la signification du présent arrêt;Condamne ladite intimée aux dommages-interêls

à donner par déclaration, etc.

Du 6 fév. 1859.-C. de Colmar, 1 ch.-MM. Rossée, 1o dr.

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