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seurs, également exagérés dans leurs opí nions. Les uns ne voient dans le ministre d'un roi qu'un aveugle serviteur de l'autorité, et ils lui demandent le sacrifice de toute espèce d'idée libérale. Les autres ne voient, dans ce même ministre, qu'un simple particulier, l'agent momentané de la Nation, et ils lui demandent une obéissance servile à toutes les idées populaires. C'est entre ces deux extrêmes que le devoir d'un ministre est placé. Il ne délaissera jamais auprès du prince les principes d'honneur et les sentimens de générosité qui seuls rendent digne d'une grande place, et il n'oubliera jamais non plus les devoirs que lui impose la confiance de son maître. J'ai parlé sans cesse à Louis XVI des malheurs et des besoins du peuple ; j'ai parlé sans cesse au peuple des vertus et des intentions bienfaisantes de son roi, et j'ai défendu de tous mes efforts la monarchie, sans dissimuler au monarque l'utilité d'une balance dans la constitution d'un gouvernement. J'ai mérité, peut-être, d'avoir. quelques amis parmi les hommes sages et modérés, et leur protection fait ma confiance, dans un moment où, essayant de tracer la marche progressive d'une grande révolution, je ne puis empêcher que les premiers signaux ne rappellent la mémoire de mon administration.

Je trouvai les finances et le crédit dans un état déplorable, et j'apperçus les avantcoureurs d'une disette, dont les symptômes devinrent terribles en peu de tems. Je soutins les paiemens pendant deux ans, sans aucun secours de la part des parlemens et des états-généraux: et avec des précau> tions inouies, je sauvai Paris et la France des horreurs de la famine. Je crois avoir fait davantage encore pour garantir la France des malheurs politiques dont elle étoit menacée; mais je n'ai pu obtenir, en ce point, une justice universelle. Trop de gens ont eu besoin de se servir de moi pour voiler leurs fautes; et la foule des spectateurs, en me regardant de la plaine, a dû me voir sans cesse autour d'un char qui descendoit, rouloit avec vitesse du haut d'un mont élevé ; et elle a pu croire que je le poussois, que j'accélérois du moins son mou vement, tandis qu'au contraire je retenois les roues de toutes mes forces, et j'appelois continuellement au secours.

Que l'on retienne cette comparaison, et l'on jugera, par les développemens consécutifs que je donnerai, si elle n'est pas exacte et conforme à la vérité.

Les états-généraux étoient promis; ils l'étoient de la manière la plus solemnelle : et les parlemens, devenus les gardiens d'un Tome I.

C

engagement que le monarque leur avoit adressé, ne pouvoient se dispenser de veiller à son exécution. Deux circonstances d'ailleurs le rendoient presque indestructible. L'une,, cette nouvelle profession de foi des cours souveraines, sur les longs abus de leur autorité, et sur l'impuissance où elles étoient et vouloient être de concourir dorénavant à aucune imposition. L'autre, cette déclaration du roi, parfaitement analogue au même systême, et par laquelle il reconnoissoit l'illégalité des contributions ordonnées sans l'acquiescement des représentans de la nation. Enfin, les vœux, et les vœux prononcés de tous les ordres de l'état, environnoient, pour ainsi dire, un engagement que l'on considéroit comme un rappel aux anciennes maximes de la monarchie, et comme un présage de la félicité publique.

Concevra-t-on facilement que des hommes, aveuglés par leurs passions, et revenant sur les tems, passés, me reprochent aujourd'hui de n'avoir pas détourné le monarque de la convocation des états-géné raux ? Il ne les avoit promis, dit-on, que dans l'embarras de ses finances, et puisque vous aviez plus de moyens qu'un autre pour l'en affranchir, puisque vous avez entretenu pendant un an l'action du trésor

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royal sans aucun secours ni des parlemens ni des états-généraux, ce tems auroit suffi pour refroidir les esprits, pour faire oublier la promesse du roi, et pour donner aux parlemens le loisir d'appercevoir qu'en invoquant une assemblée de la nation, ils alloient directement contre leurs propres intérêts.

Fort bien. Mais d'abord on demande ici à un ministre appelé par l'opinion publique, à un ministre assisté de cette opinion dans la conduite des Finances; on lui demande en même tems le caractère le plus propre à repousser les sentimens de confiance qui composoient ses moyens et sa principale force. On veut qu'il soit lui, pour obtenir l'estime de la nation, et Mazarin, pour s'en rire et pour en abuser. Cet amagalme est impossible. Et parmi les signes multipliés de l'attachement du monarque à la parola qu'il avoit donnée, c'en étoit un peut-être de m'avoir rapproché de sa personne. Je le déclare d'ailleurs, à l'honneur de ce prince, et en hommage à la vérité, jamais, ni dans son conseil, ni dans aucun des entretiens particuliers que j'ai eus avec lui, il ne mit en question s'il devoit ou non garder la foi qu'il avoit donnée; et cependant il appercevoit bien qu'une assemblée d'états-généraux, au milieu de l'agitation des esprits,

étoit un grand évènement. De quel op→ probre ne se seroient pas couverts ses ministres, s'ils avoient essayé de combattre un sentiment si moral, et s'ils s'étoient permis de fouiller dans les pensées secrètes du monarque, pour découvrir par quelles séductions on parviendroit à le détourner d'une inclination généreuse?

Il est tant de hasards attachés aux changemens politiques, et l'on peut si difficilement en déterminer le cercle, en régler la progression, que si les états n'avoient pas été promis, j'aurois borné mes soins à tirer un grand parti des assemblées provinciales, et je me serois servi de leur assistance pour améliorer les diverses branches de l'administration, et pour lier plus étroitement ensemble le prince et ses sujets. Enfin, j'aurois cherché pour la seconde fois, à faire le bien de la France sans rumeur et sans convulsion,' et en employant néanmoins avec activité tous les moyens qui sont dans la dépendance d'une administration éclairée. Mais lorsque l'engagement du prince étoit donné, lorsqu'il avoit été reçu, lorsqu'il avoit été enregistré dans la forme la plus solemnelle, et lorsque la nation attachoit à son accomplissement tous les genres d'espérances, quel homme eût osé présenter, en échange de

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