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de recevoir de leurs consuls respectifs à Beyrouth. Il paraît qu'à l'occasion du désarmement ordonné par Chekib-Effendi, les agents chargés d'exécuter cette mesure inattendue, se sont permis des actes de rigueur et de violence que nul essai de résistance n'a provoqués. Des habitants inoffensifs ont subi de cruels traitements ou n'y ont échappé qu'à prix d'argent. Des villages ont été rançonnés par les troupes. Le clergé et les églises n'ont pas été épargnés. L'inquiétude générale a été augmentée par la conduite du plénipotentiaire ottoman à l'égard des principaux cheiks druses et chrétiens, et spécialement des caïmacans. Ces deux chefs sont arrêtés et gardés à vue au moment où il importait plus que jamais de leur témoigner de la confiance et de relever leur situation morale dans le pays. Leur arrestation ne pouvait que produire un effet contraire aux assurances réitérées de la Sublime Porte, contraire à l'objet même de la mission de ChekibEffendi, telle qu'elle avait été formellement annoncée. On ne saurait s'étonner qu'un parel acte ait suffi pour accréditer les suppositions les plus invraisemblables, celle même d'un projet de détacher du Liban quelques uns de ses districts pour y ses établir des gouvernements turcs.

Je croirais manquer à l'intérêt dont le Gouvernement du Roi est animé pour le bien-être et la tranquillité de cette portion importante des États de Sa Hautesse, si je tardais à appeler l'attention éclairée de la Sublime Porte sur les informations dont je viens de vous donner le résumé; elle n'hésitera certainement pas à s'en expliquer avec une entière franchise, et elle s'empressera de réprouver et de réprimer des excès à jamais

regrettables. Quelles que puissent être ses vues sur l'opportunité d'une mesure aussi grave et hasardeuse que le désarmement, mesure dont l'impartialité aurait dû être une condition indispensable, elle attestera sa ferme volonté de maintenir les franchises et immunités de la Montagne, à l'exclusion de toute arrière-pensée étrangère aux assurances reçues par les cinq puissances.

Vous voudrez bien, Monsieur, donner lecture de cette instruction à Son Excellence Aali-Effendi, et lui en remettre copie.

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Copie d'une lettre vizirielle écrite le 12 zilcade (12 novembre) à S. Ex. Chekib-Effendi.

J'ai pris connaissance des lettres écrites par Votre Excellence et par le muchir de l'armée d'Arabie. Vous nous faites savoir de quelle manière Nous avez commencé le désarmement de la Monta gne, et vous nous annoncez que vous avez retenu ensemble, dans le konak que Votre Excellence habite, les scheiks qui se sont réunis à Deir-elKamar. Le conseil particulier des Ministres a délibéré sur le contenu de ces lettres, et elles ont été soumises à Sa Hautesse.

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Par suite de la décision prise quelque temps avant votre départ à Constantinople, et d'après

les dépêches que je vous ai adressées postérieurement, la question du désarmement était mise au second rang; c'est-à-dire le Gouvernement pensait à délibérer de nouveau sur cette mesure, et à la met tre à exécution après le règlement des points qui faisaient l'objet de votre mission. Mais Votre Excellence écrit que le désarmement lui a paru dans la Montagne être la première mesure à prendre; elle a été convaincue qu'il serait impossible, si on ne la mettait pas à exécution, d'asseoir sur des bases durables et solides le système d'admnistration, dont l'établissement est la base de votre mission. Vous avez jugé impossible de mettre, sans recourir à cette mesure, un terme à l'ancienne inimitié des Druses et des Maronites, d'assurer la paix du Liban, but principal de la Sublime Porte, et, par consé. quent, d'empêcher en aucun temps le renouvellement des collisions intérieures. En votre qualité de commissaire investi de pleins pouvoirs, vous avez commencé le désarmement, et Dieu en soit loué! La plus grande partie des armes a pu être réunie, grâce à des dispositions prudentes, sans qu'une goutte de sang it coulé.

Dans cette question du Liban, Sa Hautesse veut, comme il est inutile de l'expliquer à Votre Excellence, que par une bonne administration dans la Montagne, les contestations et les collisions qui ont eu lieu dans ces derniers temps parmi ses habitants cessent tout-à-fait; elle veut que les Druses et les Maronites, qui tous sont ses sujets, soient traités également, et obtiennent la protection_nécessaire à l'ombre de son autorité équitable. La mission que vous remplissez vous a été confiée dans l'espoir d'atteindre ce but. Tout le monde le sait;

ét, comme pour y parvenir, Votre Excellence n'a pas cru pouvoir faire autre chose que d'opérer tout d'abord le désarmement, et qu'en outre, cette mesure, qui a été antérieurement mise plusieurs fois à exécution dans la Montagne, ne peut être contraire à son privilège, le parti pris par Votre Excellence a été accepté.

Mais il est possible que les habitants de la Montagne, en voyant enlever leurs armes, croient que quelques anciens privilèges que la Sublime Porte leur a accordés relativement à l'administration intérieure, et surtout la forme d'administration arrêtée ici, de concert avec les Représentants des cinq grandes Puissances, et que Votre Excellence est chargée d'établir, seront modifiés et changés, et que cette idée leur inspire de la frayeur. Or, la Sublime Porte n'a aucunement pensé à pareille chose; tous se bornent à vouloir l'application complète de cette forme, et le maintien des privilèges et de la sécurité des habitants; et Votre Excellence l'aura sans doute fait comprendre à tous.

Mais le Ministère a pensé que pour tranquilliser encore plus les esprits dans la Montagne, et en rassurer les habitants, il convient de bien expliquer de nouveau, et de faire comprendre à tous ceux que de droit, les intentions pures et bienveillantes de Sa Hautesse à cet égard. Il a pensé aussi que si, à Dieu ne plaise, pour établir le systéme arrêté, il devenait véritablement nécessaire de recourir à la force, l'exécution des mesures coërcitives ne devrait pas être générale; il faudrait, comme cela a été écrit en détail, et spécialement, il y a peu de temps, qu'elle fût limitée et particulière.

Ces dispositions ont été arrêtées par le Ministère,

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et Sa. Hautesse a ordonné qu'il fût fait en conséquence.

J'adresse donc cette lettre à Votre Excellence, pour la prier de vouloir bien, avec la sagacité, l'expérience et la prudence qu'elle possède, faire, suivant la volonté souveraine, ce que les circonstances exigent.

N° 62.

M. GUIZOT A M. LE BARON DE BOURQUENEY.

Monsieur le Baron,

17 décembre 1845.

J'ai reçu les dépêches que vous m'avezfait l'honneur de m'écrire jusqu'au no 32 et jusqu'à la date du 27 novembre.

J'avais appris par la correspondance de M. Poujade le désarmement de la Montagne, les actes de perfidie et de cruauté qui l'ont accompagné, en un mot, les horribles excès qui, à la honte de l'humanité et de la civilisation, ont signalé la conduite des officiers et des troupes de la Porte. Je n'ai pas besoin de vous dire de quel sentiment de douleur et d'indignation ces atrocités nous ont pénétrés. Je ne vous avais pas dissimulé le peu de confiance qu'après tant d'épreuves illusoires nous mettions dans la mission de Chékib Effendi en Syrie. Les événements ont tristement dépassé nos trop justes appréhensions. Il était naturel que cette situation nouvelle appelât toute l'attention des représentants

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