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ment neutre. Tous les ennemis, qui cherchent à déguiser la nationalité de leurs navires, ont recours à des ventes simulées, faites à des sujets neutres; car il est bien évident qu'un prince voulant garder la neutralité ne délivrerait jamais d'expéditions régulières à un bâtiment qu'on ne lui présenterait pas comme appartenant à un de ses sujets. Tout bâtiment neutre, d'origine ennemie, ou ayant appartenu à des ennemis, est donc suspect au législateur. Aussi a-t-il exigé, dans notre article 7, que la preuve de la vente de ce navire fût authentique et que cette vente ait eu lieu avant les hostilités, pour qu'il ne puisse y avoir de doute sur la neutralité du navire.

Mais, pourrait-on dire: Qu'importe que les navires ennemis aient été vendus à des neutres, avant ou après les hostilités, s'il est constant qu'ils ont été neutralisés, et ont perdu leur caractère de choses ennemies, en devenant la propriété de citoyens neutres. C'est que les belligérants, cherchant à s'emparer, dans les guerres maritimes, des navires de leurs ennemis, ne veulent pas que ceux-ci puissent, pour éviter la capture et la confiscation, réaliser le capital que représentent leurs bâtiments. Ces bâtiments sont une proie, un butin que l'on laisserait échapper, si on permettait de les vendre pendant les hostilités. Tous les navires ennemis, poursuivis par des croiseurs, et menacés d'être capturés, se réfugieraient dans des ports neutres, et là, pour qu'ils ne fussent pas pris, leurs propriétaires les vendraient à des citoyens neutres. Nous avons vu, au commencement de la présente guerre, que les Russes ont vendu ceux de leurs navires qui se trouvaient dans des mers éloignées, et qu'ils n'espéraient pas pouvoir faire rentrer dans leurs ports. C'est pour empêcher de pareils calculs et leur réalisation qu'a été édicté notre art. 7.

Quant aux navires russes, vendus cette année depuis la déclaration de l'état de guerre, il est certain que s'ils étaient arrêtés par les croiseurs français, ils seraient de bonne prise, quoique portant pavillon neutre; c'est ce qui résulte du texte précis du même article du règlement de 1778.

CONSEIL DES PRISES.

30 prairial an XIII.

Tout navire de construction ennemie doit prouver, par des pièces en bonne forme, qu'il est devenu neutre avant la guerre.

LE HAABET Contre L'HEUREUX.

(Voyez cette décision plus haut, tit. V, chap. 1er, tome Ier, p. 239.)

CONSEIL DES PRISES. 6 thermidor an VIII.

La disposition du règlement de 1778, qui dit que les changements de propriété des navires devront être prouvés par actes authentiques, ne s'applique qu'aux navires originairement ennemis, et non pas aux navires qui ont toujours été neutres.

Le passe-port, suivi d'une affirmation qui n'est signée ni par l'officier qui a reçu ni par la personne qui a prété le serment, est nul. Un rôle d'équipage ne peut servir que pour un voyage.

LE RÉPUBLICAIN contre LE SPARTIATE.

Conclusions du commissaire du gouvernement.

La prise du Républicain par le corsaire le Spartiate a été déclarée valide par le vice-cousul français à la Corogne, le 8 pluviôse an VII, et par le tribunal civil du département de la Loire-Inférieure, le 23 pluviose an VIII.

L'affaire était pendante au tribunal de cassation, lorsqu'elle a été renvoyée au Conseil,

Le capteur a proposé quatre moyens de confiscation :

< 1° Il a prétendu que le navire le Républicain ayant autrefois appartenu à des propriétaires autres que ceux auxquels il appartient aujourd'hui, le capturé aurait dû être porteur d'actes authentiques, par lesquels la propriété en eût été transmise aux propriétaires actuels;

2o 11 a soutenu que le Républicain est en contravention à l'art. 25 du traité du 6 février 1778, entre la France et les Etats-Unis d'Amérique, parce que le nom des propriétaires du navire indiqué par le registre n'est pas rappelé par le passe-port et l'acte de serment dont ce passeport est suivi;

3° Il s'est prévalu de ce que l'origine des marchandises et de la cargaison n'était pas constatée, et de ce qu'il avait été déclaré par le capturé qu'une partie de sucres en boucauts provient de l'ile espagnole de la Trinité, tombée dans la possession des Anglais, en 1797.

40 On a reproché au navire le Républicain d'avoir appliqué au présent voyage un rôle d'équipage qui avait déjà servi pour un voyage précédent.

« Le capturé a répondu, et il répond encore :

« 1° Que, d'après les règlements, on n'est tenu de justifier du changement de propriété du navire que lorsque ce navire est originairement de fabrique ennemie ou qu'il a appartenu à un ennemi; mais que toutes ces précautions sont inutiles quand le navire est originairement neutre; a 2o Que le traité de 1778 ne soumet point les Américains à désigner

dans le passe-port le nom du propriétaire ou des propriétaires du navire, et qu'il suffit que le navire soit indéfiniment déclaré propriété américaine;

« 3° Qu'on n'a pas besoin de remonter à l'origine des marchandises pour en prouver la neutralité; que cela n'avait été exigé que par la loi du 29 nivôse, et que, d'ailleurs, on ne pouvait abuser de l'aveu fait qu'une partie de sucre en boucauts provenait de l'île de la Trinité, tombée dans la possession des Anglais, attendu qu'on ne pourrait regarder comme possession anglaise une île occupée accidentellement, en vertu du droit de la guerre, et de laquelle les sucres auraient pu être extraits avant cette occupation;

« 4o Qu'il est dit, dans les règlements, qu'un passe-port ne peut servir que pour un voyage; mais qu'il n'est dit nulle part qu'on ne puisse se servir pour plusieurs voyages d'un même rôle d'équipage.

Telles sont les défenses respectives des parties.

Il est de principe que la propriété neutre du navire et de la cargaison doit être prouvée, et que cette preuve est à la charge du capturé. « C'est une autre vérité que la preuve de la propriété neutre a été déterminée par les règlements.

<Dans l'hypothèse présente, la neutralité du navire le Républicain et de sa cargaison est-elle constatée ?

« Je ne m'arrête point à l'objection déduite de ce que le changement de propriété du navire, qui, dit-on, appartenait autrefois à des propriétaires autres que les propriétaires actuels, n'est point prouvé par des acles authentiques. Je conviens, d'après le règlement de 1778, qu'une telle précaution ne serait nécessaire que dans le cas du navire originairement de construction ou de propriété ennemie.

Je ne m'arrêterai pas non plus à la circonstance que le nom du propriétaire ou des propriétaires du navire n'est point spécifiquement désigné dans le passe-port. Le traité de 1778, passé entre la France et les Etats-Unis d'Amérique, exige seulement que le navire soit reconnu propriété américaine, sans une désignation particulière du nom du propriétaire. Mais je découvre dans le passe-port un vice qui m'a paru essentiel.

« Le capturé avoue, dans le mémoire manuscrit qui m'a été remis, que le capitaine, avant son départ, doit prêter serment entre les mains des officiers de marine, que le navire appartient à un ou plusieurs sujets des Etats-Unis, sans autre désignation: il avoue encore que, par la formule annexée au traité de 1778, cette affirmation assermentée doit être à la suite du passe-port.

« Or, j'ai vérifié qu'à la suite du passe-port dont le capturé était porteur, il n'existe qu'une déclaration d'affirmation sans aucune signature, ni de l'officier public devant lequel l'affirmation assermentée a dû être faite, ni de la partie même qui est censée avoir prêté le serment. On ne s'est donc point conformé au traité de 1778.

« Un acte n'est rien, s'il n'est signé.

C'est la signature qui fait tout. Jusque-là, je vois moins un acte qu'un simple projet, c'est-à-dire une rédaction qui n'a été ni précédée ni suivie d'aucun effet réel. Je suis donc autorisé à conclure que l'affirmation assermentée, prescrite par le traité de 1778, n'a point été faite.

« Le traité de 1778, dit-on, n'a point prescrit les formalités du passeport à peine de nullité, mais seulement dans l'objet d'arrêter et de prévenir de part ou d'autre toutes dissensions et querelles.

« Le vice que j'ai découvert dans le passe-port du navire le Républieain ne tient pas uniquement à la forme de l'acte, il tient à sa substance; car un acte non signé n'existe pas. Dans un cas pareil, la nullité n'a pas besoin d'être prononcée par la loi à titre de peine, elle est inhérente à la chose même.

< Vainement objecterait-on qu'un acte nul prouve toujours la bonne foi de celui qui en est porteur, puisqu'il prouve au moins le désir que l'on avait de se le procurer.

Cela est vrai quand l'acte n'est qu'irrégulier. Mais la thèse change, s'il s'agit d'un acte imparfait et non consommé. Un tel acte, n'ayant aucune existence, ne peut produire aucun effet.

« On prétend que la seule nullité du passe-port ne peut entraîner la confiscation, si d'ailleurs la propriété neutre est constatée par les autres pièces.

Je conviens du principe général; mais je crois que ce principe doit être expliqué avec discernement.

« Il n'est exactement et rigoureusement vrai que lorsqu'il n'est question que d'une nullité extrinsèque à l'acte, c'est-à-dire d'une nullité qui ne peut faire suspecter la foi de la personne. Dans la cause actuelle, le défaut de signature de l'officier public et de la partie est de nature à faire présumer qu'on n'a osé affirmer à serment la neutralité du navire. Ce défaut n'influe pas seulement sur le plus ou sur le moins de solennité de l'acte i emporte l'acte même, et il fait suspecter la bonne volonté de celui qui était tenu de le rapporter.

Du reste, le passe-port n'est pas la seule pièce que l'on soit en droit de censurer. On n'a trouvé sur le navire le Républicain d'autre rôle d'équipage que celui qui avait déjà servi pour un voyage précédent.

« Je sais que, s'il faut en croire le capturé, on ne doit pas raisonner sur le rôle d'équipage comme l'on est fondé à raisonner sur le passeport. Par les règlements, dit-on, un passe-port ne peut servir que pour un voyage. Mais nous ne voyons pas que le rôle d'équipage ait été soumis à la même règle.

Je réponds que l'art. 9 du règlement du 26 juillet 1778 porte : «Seront de bonne prise, tous bâtiments étrangers... qui n'auront pas à « bord un rôle d'équipage arrêté par les officiers des lieux neutres d'où « les bâtiments seront partis. » Il est impossible de ne pas voir dans cette disposition la nécessité d'avoir, pour chaque voyage, un rôle d'équipage arrêté par les officiers publics du lieu du départ.

On allègue que le lieu du départ a été le même dans le premier et dans le deuxième voyage, et qu'il n'y a point eu de changement dans les hommes de l'équipage.

« Je réponds que, si le lieu du départ a été le même dans les deux voyages, il aurait pu être différent. Donc, quand les règlements ont voulu qu'il y eût à bord des bâtiments étrangers un rôle d'équipage arrêté par les officiers publics des lieux neutres d'où ces bâtiments sont partis, ils ont nécessairement supposé qu'à chaque voyage il faut un rôle d'équipage arrêté par les officiers publics du lieu d'où l'on est parti. Car les mots des lieux neutres d'où les bâtiments seront partis ne peuvent s'entendre que des lieux du départ où commence le voyage auquel on a appliqué le rôle d'équipage que l'on est tenu d'avoir à bord.

« On peut partir deux fois du même lieu pour deux voyages différents. Mais chaque voyage suppose un départ à des époques différentes; chaque voyage suppose encore un nouvel engagement de la part des

hommes qui composent l'équipage. Donc, à chaque voyage, il faut un rôle arrêté par les officiers publics du lieu du départ telle est la lettre et l'esprit des règlements.

«S'il en était autrement, quelle certitude aurait-on que les hommes de l'équipage sont les mêmes?

« Dira-t-on qu'il faudrait prouver que ce sont d'autres hommes ? Mais la preuve de la neutralité est à la charge du capturé, et non à la charge du capteur. La preuve que l'équipage est neutre doit résulter du rôle d'équipage. Tout peut avoir été neutre dans un voyage et ne l'être pas dans un autre. Dans chaque voyage, on doit justifier de la neutralité. Il faut donc, à chaque voyage, se munir des pièces de bord indiquées par les règlements pour la constater. Donc, un rôle d'équipage arrêté pour un premier voyage ne peut servir que pour ce voyage, et ne saurait être utilement appliqué à un autre. Faire une telle application, c'est se rendre suspect de fraude, c'est annoncer qu'on avait quelque intérêt à ne pas représenter les hommes que l'on prenait à bord. Un simple défaut de forme dans un rôle d'équipage n'en prouverait que l'irrégularité. Mais l'application insolite et insidieuse d'un ancien rôle d'équipage à un voyage nouveau fait justement suspecter la foi de celui qui se sert d'une telle pièce.

«Allons plus loin; voici ce que nous lisons à la tête du rôle d'équipage : Rôle d'équipage du navire le Républicain, de Baltimore, dont James Simpson est capitaine, destiné à un voyage du port de Baltimore en Maryland à Rotterdam. Le rôle d'équipage avait donc son application limitée à un voyage de Baltimore à Rotterdam. Le capturé était donc averti, par la pièce même dont il était porteur, qu'il devait se munir d'un nouveau rôle d'équipage, s'il entreprenait un nouveau voyage.

« Il était averti qu'un rôle d'équipage destiné à un voyage de Baltimore à Rotterdam ne pouvait lui servir pour un second voyage de Baltimore à Falmouth.

« Il ne doit point y avoir de contradiction entre les pièces de bord, surtout sur un point aussi important que celui de la destination du navire. Or, le rôle d'équipage dont il s'agit, et qui avait été fait pour un voyage de Baltimore à Rotterdam, ne s'accorde plus avec le passe-port du deuxième voyage de Baltimore à Falmouth.

« Ce n'est pas tout, en confrontant les pièces des deux voyages, on découvre de nouvelles raisons de suspecter le capturé. Dans le passe-port du premier voyage, pour lequel le rôle d'équipage avait été expédié, on trouve l'énonciation du nombre des hommes mentionnés sur ce rôle. On ne retrouve plus la même énonciation dans le passe-port du deuxième voyage, pour lequel on veut se servir du même rôle d'équipage. Pourquoi cette différence dans la rédaction des deux passe-ports? Dans le premier, on s'était conformé sur ce point au traité de 1778. Pourquoi ne s'y conforme-t-on pas dans le deuxième?

Je pourrais me dispenser, après cette discussion, d'entrer dans d'autres détails. Mais je dois faire observer au Conseil que le navire et la cargaison étaient destinés pour Falmouth, c'est-à-dire pour un port anglais; et que, de l'aveu du capitaine lui-même, partie des sucres en boucauts étaient du cru de l'île de la Trinité, tombée sous la domination anglaise.

Sans doute un neutre peut aller dans un port ennemi non bloqué. Mais la destination pour port ennemi est une circonstance extrêmement grave, quand le prétendu neutre manque, d'ailleurs, des principales

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