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Aussi nous avons toujours vécu les armes à la main, montrant au monde que nous n'estimons que le courage et l'honneur...

Comme vous le voyez, pourtant, frères, si braves, si intelligents que nous puissions être, jamais tant que nous n'embrasserons pas la civilisation et que nous n'aurons pas de langue nationale, jamais nous n'arriverons à rien. La nation albanaise s'en ira de plus en plus à la dérive jusqu'à la disparition totale d'elle-même et de son nom, si nous ne sortons enfin de l'indifférence et de l'engourdissement où nous végétons. Déjà maintenant, à peine la moitié de ce qui fut nous, survit encore. Le reste est tombé dans les filets du slavisme et de l'hellénisme, nos ennemis mortels, qui ne pouvant nous tuer par l'épée nous ont tués par la croix, en se disant toujours nos Frères en Christ. Et nous, enfants, nous nous laissons tromper! Le temps est venu de nous réveiller, frères, de travailler, d'apprendre la douce langue de nos Pères, mère des langues classiques, de l'écrire, de la lire, de la désenterrer de ses ruines, de l'introduire dans l'École, l'Église, la Famille, et partout où passe encore un souffle albanais...

Ce n'est qu'ainsi que nous sortirons de l'obscurité dans laquelle nous languissons. Ces ténèbres nous ont tellement aveuglés que nous ne savons plus nous reconnaître nous-mêmes, ni surtout reconnaître nos ennemis. Regardez-les nous accusant journellement devant l'Europe civilisée de sauvagerie et de barbarie, nous proclamant indignes de vivre, infàmes calomniateurs qui trompent l'Européen pour nous tuer tout à leur aise comme un troupeau d'abattoir! Et pourquoi en est-il ainsi? Confessons notre honte. C'est qu'il ne s'est jamais levé une foi albanaise de nos millions de poitrines, pour protester contre les accusations et les complots de nos ennemis...

Vous connaissez, frères, ces calomniateurs. Ce sont ces caressants orthodoxes, nos bons frères en Jésus-Christ... Il faut détourner le monde civilisé de son erreur, lui prouver que la majorité de l'Albano-Macédoine est albanaise et roumaine, non grecque ou slave, comme il plaît à beaucoup de le croire. Quant à ces frères en Jésus-Christ, ces implacables ennemis qui menacent notre existence, c'est de nous qu'ils ont reçu la vie, de nous qu'ils reçoivent encore aujourd'hui biens, fortune et subsistance. Hier encore, ils avaient quitté le nom de leurs ancêtres et s'appelaient Romii, les Romains. Les voilà ces nobles descendants de Cadmos et de Cécrops, ces exilés d'Egypto-Phénicie que nos ancêtres les Pélasges surnommèrent les Grerrs (guêpes), un nom bien mérité! Grerrs ou Grecs suivant leur prononciation et celle des Européens : c'est ainsi qu'ils s'appelaient eux-mêmes jusqu'au jour tout récent où ils se travestirent et, prenant la peau du lion, s'affublèrent du titre d'Hellènes; mais leurs actions sont restées grecques.

Dans la langue albanaise, encore aujourd'hui, lâche et grec sout synonymes: «Gare: c'est un Grec », est un de nos proverbes; ou, comme les Latins disaient Græca fides, nulla fides... Oh! ce sont bien les qualités de nos Grerrs!

Ah! Nos bons frères hellènes venus de leur Égypto-Phénicie furent reconnaissants de notre hospitalité, et de l'accueil fraternel que leur offrait notre Pélasgie. Ils nous ont prouvé cette reconnaissance par les machinations de

leurs prêtres, par la tyrannie qu'ils exercent, par leurs complots pour entraver le développement de notre langue et de notre nationalité...

Ne vous découragez pas devant les intrigues et les obstacles. Pas un Albanais ne voudrait la ruine de l'antique nation. Seuls, les bâtards, les lâches, les traitres y pourraient consentir. Vous, frères, méfiez-vous seulement des pièges grecs, du clergé grec, notre premier ennemi. Souvenez-vous que la première école albanaise à Gortcha fut anathématisée et blasphémée par l'archiprêtre grec, au lieu d'être saluée et bénite, comme si nous avions alors commis un sacrilege. Ils croyaient par de telles infamies nous crever les yeux. Nos yeux ouverts ne leur plaisent pas! Nous saurons nous passer de leur amour, nous saurons désormais ce que vaut leur amitié, comme euxmêmes savent pourquoi ils nous envoient ces vols de corbeaux noirs qui nous pillent au nom du Seigneur, nous volent le fruit de nos travaux, pour le bien et la prétendue félicité de notre race et de l'orthodoxie. Non, non, ce n'est pas par amour de notre fidélité au Christ et de notre progrès qu'ils fomentent des troubles parmi nous, ces magnanimes voisins! c'est pour l'amour des millions qui chaque année sortent de nos poches! par la peur que notre nation reconstituée n'abaisse leur orgueil! Les chiffres prouvent assez tout cela, les chiffres vous donneront une idée de nos cadeaux annuels, et montreront à tous d'où le royaume hellénique a puisé et puise encore sa vitalité.

Entretien de 3,000 professeurs en Albano-Macédoine, à 100 napo-
léons par an.

Napoléons.

I.

300,000

II.

En Grèce, entretien de 300 étudiants à l'Université d'Athènes,
destinés à répandre l'hellénisme et à opprimer plus tard tant
les Valaques que les Albanais, à 100 napoleons...

30,000

III.

IV.

2 à 300 pères de famille visitant leurs fils, étudiants en Grèce,
à 100 napoléons..........

30,000

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100,000

V.

25,000

VI.

300,000

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1,000 étrangers s'en allant de Macédoine en Grèce comme au
sanctuaire de la patrie, et laissant annuellement au moins..
Livres, matériel, fournitures classiques, achetés en Grèce.....
Fondations et legs aux écoles grecques d'Épire et de Macédoine.
En tout.......

napoléons, soit plus de 15 millions de francs.

785,000

D'autres bénéfices que nous laissons de côté s'en vont encore de la Macédoine vers Athènes. Il faudrait évaluer la somme totale à 100 millions de francs pour le moins, fruits de notre sueur ou de notre sang. Comptez en outre, qu'en temps de guerre, plusieurs millions de livres turques (23 francs) vont en Grèce, et que les hommes, par centaines de mille, meurent pour eux. La Roumanie a plus de droits à notre aide: ne serait-il pas plus juste de regarder vers elle? Frères, le moment est venu...

Mais notre plus grand mal ne vient pas tant encore de la Grèce et des Grecs que du nid satanique du Patriarcat. Là, on forme tous les plans diaboliques pour nous tuer moralement et matériellement. Là, on se sert du Christ et l'on en fait un assassin. Le système peut n'être pas mauvais. Mais le Christ est toujours le Christ et tant que le monde existera, le Christ sera

toujours le sauveur des hommes et non de leurs bourreaux. A cette heure où, sur le bord de la tombe, nous voyons, nous sentons les injustices révoltantes, les pièges infernaux tendus sous nos pas, et les infamies du clergé grec, peut-il exister un homme avec un nom humain, une conscience humaine qui ne proteste tant d'actes monstrueux, et commis par des hommes qui se prétendent les représentants du Christ! O honte! mille fois honte! vous, nos pères spirituels, vous vous êtes faits nos bourreaux!

Arrière les discussions oiseuses! tout moment perdu peut nous être fatal à nous qui voulons vivre et qui devons vivre! Veuille et tu pourras, éclairetoi et tu verras. La lumière, nous la voulons, elle nous est aussi nécessaire que le pain, et la lumière est plus facile à se procurer et meilleur marché. Un A B C coûte dix centimes et tous les autres livres autant. Or en Roumanie nous sommes aujourd'hui vingt mille qui donnerons un franc par mois, et dans six mois nous aurons éclairé toute l'Albano-Macédoine, où maintenant on ne trouve pas un Albanais. Un franc n'est rien: on peut donner un franc, riche ou pauvre : un franc donné n'amène pas de trouble dans une maison de commerce ni dans les affaires. Et par ce franc, la nation éclairée sort de son tombeau. Combien de nous sacrifient les francs par centaines et milliers pour l'inutile! Pourquoi ne pas les donner à cette cause humaine et sainte, afin que les générations futures en soient éternellement reconnaissantes! Frères Albanais, la résurrection dépend de nous seuls et de la Roumanie, soyons à la hauteur de notre tâche...

En dehors de la Roumanie, croyez bien que des secours nous viendront d'Égypte et des autres pays peuplés de nos compatriotes. Espérons que les Albanais de race, qui, de leurs millions travaillent aujourd'hui contre leur race, Constantin Javas de Brosteni, Zographos Effendi de Paris et d'autres encore, voyant notre progrès, reviendront de leurs erreurs et nous tendront une main secourable. Sinon, l'histoire les inscrirait dans ses pages noires et les générations futures les stigmatiseraient comme fratricides. Voyez la Roumanie. Elle aussi fut opprimée par le clergé et la langue grecs. Ce ne fut qu'après une secousse et le nettoyage de toutes ces vermines qu'elle commença à refleurir et à marcher vers le progrès. Et pourtant, si les Roumains se sont débarrassés du clergé grec, en sont-ils moins chrétiens pour cela? Dieu n'accepte-t-il pas leurs prières dans leur langue comme dans la langue étrangère? Quand Dieu lui-même serait Grec, n'est-il pas écrit dans les Actes des Apôtres : « Marchez et versez la foi,... et les apôtres enseignèrent et prêchèrent chacun des peuples selon sa langue »? C'est ainsi que les apôtres propageaient la religion du Christ. Tant que nous n'aurous pas, nous, notre religion écrite dans la langue de nos pères, nous ne serons pas chrétiens car nous ne pourrons pas connaître notre foi. Jugez en conséquence de l'oppression du clergé grec! Il a fait de l'orthodoxie sa proie, il aurait la prétention de persuader à l'Europe que toute l'Albano-Macédoine est grecque, que nous, Albanais, nous sommes non des hommes, mais des Grecs, des corps déjà sans pensée, sans vie, des cadavres. Nulle part notre nom n'est prononcé, si bien que Bulgares, Serbes et Monténégrins s'arro

gent des droits sur notre peuple. Oublions nos différences de rite, défendonsnous contre l'ennemi commun de l'existence nationale.

Ecoutez. Voici quatre cent cinquante ans que le Turc nous gouverne. Étranger à notre race, maitre de nous, il ne nous a jamais enlevé la parole, la langue, la nationalité, pas plus que les armes que fièrement nous portons aujourd'hui encore à notre ceinture. Si quelquefois nous avons fauté par quelque révolte contre notre souverain, ce fut toujours à l'instigation du clergé grec, l'éternel ennemi de l'islam, qu'il ruine depuis des siècles, et contre lequel il use de nous en de criminels desseins. Mais n'oubliez pas, frères Albanais, que Dieu créa les nations avant les religions. Pour sauver notre peuple de l'orthodoxie, péril caché, ennemi du Christ, de l'humanité et des nationalités, attachons-nous corps et âme à l'Empire ottoman. L'Empire ottoman est notre vrai, notre plus grand protecteur, notre espoir, notre appui. Sûr de notre dévouement, croyez bien qu'il ne nous abandonnera pas à nos ennemis qui sont aussi les siens.

Albanais, nous en sommes au même point que les Roumains il y a un siècle. Ils avaient honte de s'avouer Roumains. Seul le bas peuple revendiquait ce titre, tant les Phanariotes avaient abusé de leur esprit! Aujourd'hui les Roumains sont Roumains et valent certes bien mieux que les Grecs. Ils sont fiers de leur nationalité: soyons-le de la nôtre; le monde nous respectera. Poignée d'Albanais décidés à tout, nous avons écrit sur notre drapeau Nationalité, Lumière. Nous jurons que jusqu'au dernier nous travaillerons à ce réveil. Nous ne ferons pas de politique, nous n'envahirons les droits de personne. Nous ne tyranniserons personne.

Nous lutterons pour la vie, il nous faut la lumière, la lumière désir de tout Albanais.

Nous avons demandé au Patriarche l'usage de l'albanais dans la liturgie : si nous n'arrivons pas au gain de nos droits, ne perdons pas l'espoir : La justice est avec nous, elle triomphera.

Voilà ce fameux Thirje mi Kombin Skipetar. Je l'abrège un peu, retranchant les répétitions et les déclamations inutiles; mais j'ai tâché de lui conserver son allure un peu étrange, son beau souffle de patriotisme, sa violence haineuse et ses arguties pédantesques. En deux lignes, il pourrait se résumer :

1o Les Grecs sont des étrangers, des exilés d'Egypte-Phénicie, des intrus.

Nous, Albanais et Valaques, descendants de l'ancêtre Pelasgos, nous sommes frères.

2o Les Grecs sont des voleurs et des parasites.

Nous, Albanais et Valaques, nous sommes leurs victimes: le clergé et le royaume grecs vivent à nos dépens.

Conclusion: Nos ancêtres et nos intérêts sont communs; nous devons nous unir.

Ce simple raisonnement, illustré par l'exemple d'Homère, par Cadmos et Cécrops et par des calembours sur le nom de Grecs (les guèpes), fortifié par un compte très ingénieux de l'argent macédonien qui coule annuellement sur Athènes, ce simple raisonnement pourrait servir à légitimer, à « systématiser » une alliance déjà faite : c'est proprement un pamphlet diplomatique; mais un appel au peuple... Homère et Pelasgos sont des souvenirs bien lointains pour un cœur albanais. Il fallait découvrir quelque autre chemin pour atteindre l'amitié albanaise.

<«< Dieu créa les nations avant les religions », dit la proclamation aux Albanais. En Turquie cette théorie ne semble pas encore communément admise. La religion apparaît toujours, aux cervelles raisonnantes, comme le premier, le plus rationnel, le plus étroit des liens entre deux peuples ou deux individus. Or, parmi les Albanais, les uns (Toskes d'Epire) étaient orthodoxes, d'autres (Toskes et Guègues du centre) musulmans, et le reste (Guègues du nord) catholiques : trois religions ennemies, la haine entre Orthodoxes et Catholiques étant plus violente que de Chrétien à Musulman. Les Valaques, en retour, n'avaient qu'une religion à offrir à leurs amis : l'orthodoxie.

Entre Valaques et Albanais orthodoxes, l'intimité pouvait naître rapide. Mais les Albanais, vraiment orthodoxes, étaient conquis à l'hellénisme par leur obéissance au Patriarche : ceux que le patriotisme ou l'intérêt détacheraient du Patriarcat, se prêteraient aussi à d'autres changements.

Dans l'Albanie musulmane, nous avons vu les deux castes en présence au sommet, une aristocratie de beys que l'amour des richesses et de la puissance attache à l'I-lam; au bas, un peuple de tenanciers que la tyrannie des beys retient malgré eux. Partout, d'ailleurs, une réelle indifférence. Tous admettraient sans peine que « Dieu créa les nations avant les religions ». « Où est le sabre, là est la foi. »>

Restaient les Albanais catholiques, fermement dévoués à leur religion, ceux-là, par conviction et par haine de leur voisins orthodoxes. Depuis la domination de Venise, ces Guègues demeuraient fidèles à la Papauté. Rome les avait confiés aux Jésuites (province de Padoue), et les Jésuites savent mêler en un tout compact les intérêts spirituels et temporels de leurs ouailles. Le catholicisme n'était pas seulement la vraie foi, c'était aussi l'intermédiaire auprès des puissances européennes, Autriche et France, et le défenseur contre le Serbe et le Monténégrin. Très nombreux et très répandus (car de l'Adriatique ils courent jusqu'aux frontières de Serbie, et leurs limites, au sud et au nord, sont le Skumbi, le Schar Dagh, et les frontières bosniaque et

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