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pour que l'on puisse utilement combiner deux situations qui s'excluent mutuellement et d'une façon absolue.

On a cru cependant pouvoir formuler en ce sens quelques propositions qui ne sont pas sans présenter de l'intérêt. C'est ainsi qu'à la conférence de Vienne de 1891 M. Wauters, représentant de la Belgique, émit le vœu que l'assemblée se prononçât en faveur de ces deux propositions :

1o Rétablissement du service postal en territoire occupé;

2o Échange libre de cartes-postales entre les places assiégées et les armées assiégeantes, avec transmission au delà des correspondances jugées inoffensives.

Le congrès n'avait pas les pouvoirs nécessaires pour sanctionner des dispositions de cette nature, et il est infiniment probable qu'elles ne seront pas admises de sitôt par les principaux États. En effet, le rôle de l'occupant en territoire ennemi est déjà délicat, difficile et compliqué. Il doit surveiller avec le plus grand soin la région qu'il tient dans son obéissance, afin d'y prévenir toute espèce de désordres et de mouvements hostiles. Il a du reste intérêt à peser dans une certaine mesure sur le pays, pour l'amener à agir sur son gouvernement dans le sens d'une prompte pacification. Enfin il lui est difficile, en de pareilles circonstances, d'assumer la charge de la réorganisation et de la bonne marche d'un service minutieux, complexe, exigeant la présence d'un matériel considérable et d'un personnel nombreux, expérimenté, éprouvé. Or la guerre aura presque toujours pour conséquence immédiate la désorganisation, voire même la destruction du matériel, et la dispersion du personnel. Enfin le rétablissement ou le maintien, même partiel, du service postal, surtout en ce qui concerne les places assiégées, pourrait porter un préjudice considérable à l'occupant, en favorisant la transmission des correspondances secrètes propres à éclairer l'ennemi et à faciliter ses opérations. Il est difficile de croire que les chefs militaires accepteront cet aléa nouveau dans leur pénible mission, et cette aggravation de leur responsabilité, déjà si lourde.

Quant aux pays neutres, il est certain que l'état de guerre peut leur devenir fort pénible, en obstruant les voies de transit postal les plus directes et les plus expéditives, d'une part, de l'autre en supprimant partiellement ou en totalité leurs rapports avec l'un des pays belligérants, et spécialement avec ceux de leurs ressortissants qui sont restés établis sur les territoires de ces pays.

Ainsi, dans le cas fréquent où les communications avec tout ou partie de l'un des pays engagés dans la lutte ne peuvent s'établir qu'en

traversant les lignes de l'adversaire, l'état actuel des choses entraîne la rupture des relations, complète ou à peu près, parce que les belligérants n'admettent point, même en faveur des neutres, un régime capable de compliquer et même de compromettre leurs opérations. Le simple transit à travers le théâtre de la guerre est suspendu pour les mêmes raisons, et d'ailleurs, dans la plupart des cas le transport régulier des correspondances est rendu impossible par la désorganisation des services postaux et par les besoins des armées opérantes. On a proposé cependant un régime propre à remédier au profit des neutres à un tel état de choses. D'abord, a-t-on dit pour justifier ce projet, les traités postaux garantissent explicitement la liberté du transit des correspondances, et par suite les États doivent s'appliquer en toutes circonstances à assurer cette liberté. Ensuite, si les services de poste du pays de transit sont désorganisés par la guerre, il suffira pour y pourvoir d'autoriser les neutres à établir à leurs frais dans ce pays des lignes temporaires de courriers postaux, admis à traverser les lignes des belligérants, à la condition de limiter strictement leur rôle au transport des correspondances originaires ou à destination de leur pays, à l'exclusion des correspondances locales.

En 1877 L'Union postale, organe officiel du Bureau international de Berne, a publié en ce sens un projet détaillé d'arrangement qui se résume ainsi : 1° en cas de guerre, il sera permis aux neutres d'établir à leurs frais un service de courriers admis à traverser librement les territoires des belligérants, même occupés, à l'exception toutefois des places assiégées, et sans préjudice des opérations militaires; 2o les courriers seront commissionnés par un État neutre, sous visa des belligérants, et seront ressortissants d'un gouvernement neutre; 3° le matériel employé par ces courriers pour opérer le transport des correspondances restera neutre, et ne sera en aucun cas soumis aux obligations spéciales issues de l'état de guerre, comme les réquisitions; 4° les dépêches transportées par les courriers neutres seront inviolables, mais il sera interdit à ceux-ci de recevoir des belligérants aucun objet à transmettre, sauf convention contraire; 5o les correspondances neutres ne seront en aucune manière assimilées à la contrebande de guerre, sauf le cas de blocus; 6° les États neutres s'entendront entre eux de gré à gré pour établir ce service à l'usage

commun.

Ce projet ne paraît pas avoir rencontré beaucoup de sympathie chez les divers États membres de l'Union postale, et leur froideur s'explique aisément du reste. En effet, les raisons sur lesquelles on s'appuie pour le motiver sont faibles. Si le traité d'union de 1878 rend obligatoire le libre transit à travers le territoire des États contractants,

il a soin d'autre part de tenir le plus grand compte des cas de force majeure, qui peuvent entraver le service, et il laisse aux membres du syndicat une grande liberté d'action à ce point de vue. Or il est bien évident que parmi les cas de force majeure la guerre peut passer pour l'un des plus urgents, et motiver les plus grandes dérogations aux arrangements de l'Union postale. Quant au système des courriers. neutres, il serait aventureux d'affirmer que les belligérants seraient garantis contre tout risque d'abus par les prescriptions résumées plus haut. Dans la pratique, les chefs militaires n'hésiteraient point à consigner les courriers neutres dans un grand nombre de cas, afin d'assurer le secret de leurs opérations, secret dont le succès dépend dans la plupart des circonstances de la guerre. Le service de ces courriers prendrait dès lors un caractère d'irrégularité extrême et bien propre à lui retirer presque toute son utilité. Il ne faut pas oublier en effet que la régularité et la célérité sont deux éléments essentiels des transports postaux. Enfin, observons à un point de vue plus général que cette organisation d'un service étranger sur un territoire quelconque constituerait, en fait, une atteinte grave au principe absolu de la souveraineté locale, atteinte que bien peu de pays seraient, croyonsnous, disposés à admettre.

La question se présente autrement, quand il s'agit au contraire des rapports que l'on essaie d'établir ou de maintenir entre les habitants de deux pays belligérants, par l'entremise de la poste d'un pays neutre. Celui-ci est effectivement obligé par le traité de 1878 de se prêter au transit de ces correspondances, mais le pays de destination est libre de les refouler à leur arrivée à sa frontière, comme provenant d'un adversaire actuel, c'est-à-dire d'un pays vis-à-vis duquel il a rompu toute espèce de relations. On peut supposer encore que ces correspondances ne lui sont point d'ailleurs destinées, mais qu'on les lui présente seulement pour le transit. Il est de même fondé à refuser de s'en charger, car le transit est un service onéreux qui entraîne des décomptes de frais entre les administrations postales et, par suite, des rapports incompatibles avec l'état de guerre.

Ainsi, en résumé, les effets fâcheux de la guerre se font sentir en cette matière, comme en beaucoup d'autres, avec une grande rigueur même à l'encontre des pays qui restent en dehors de la lutte. On comprend donc cette préoccupation qui pousse des esprits bien intentionnés à chercher les moyens d'améliorer l'état des choses dans le sens du maintien aussi complet que possible des relations générales. Mais cette recherche a le tort de n'être point conforme à la logique

des choses. En effet, la guerre a pour caractère essentiel la rupture des relations de toute nature entre les États qui croient devoir y recourir pour vider un différend. En outre, la lutte armée qui résulte de l'état de guerre exige l'emploi de moyens dont le principal élément de succès est le secret combiné avec la promptitude. Il paraît donc singulier et anormal de demander que l'un des instruments les plus actifs des relations internationales continue à fonctionner en temps de guerre. Il n'est pas moins hasardé de proposer aux belligérants, intéressés au plus haut point à la réussite de leurs opérations, d'introduire dans leurs lignes des témoins dont la discrétion ne saurait être assurée suffisamment pour écarter tout sentiment de défiance. Nous pensons que ces tempéraments, d'ailleurs malaisés à appliquer avec suite et régularité, seraient plus nuisibles encore qu'utiles, par les difficultés nombreuses qu'ils feraient surgir soit entre belligérants, soit entre ceux-ci et les neutres. Mieux vaut peut-être laisser à la guerre son plein caractère de rigueur, qui du moins peut contribuer à en abréger la durée, que d'admettre des demi-mesures propres à adoucir les inconvénients de cette nature de conflits, mais cela au risque d'en rendre l'effet moins prompt, d'en retarder l'issue, et par conséquent d'en prolonger les risques et les ravages.

LÉON POINSARD, ancien Élève de l'École.

DES AUTORITÉS PRÉPOSÉES

A LA VÉRIFICATION ET A L'APUREMENT

DES COMPTES DE L'ÉTAT ET DES LOCALITÉS

EN ANGLETERRE.

(Suite et fin 1.)

VIII

Vérification et apurement des comptes autres que les comptes d'appropriation.

Nous avons étudié jusqu'ici le rôle et l'action des diverses autorités chargées de la vérification et de l'apurement des comptes en ce qui touche seulement les comptes d'appropriation. Il nous reste à examiner leur rôle et leur action dans les comptes autres que les comptes d'appropriation.

Ce sont d'abord, pour employer la langue comptable française, les comptes des comptables ou les comptes de caisse, par opposition aux comptes ministériels d'ordonnateurs que l'on peut comparer aux comptes d'appropriation.

Mais, en Angleterre, les comptes d'ordonnateurs l'emportent de beaucoup sur les comptes de comptables; on peut dire que les seconds sont absorbés par les premiers. Et d'abord, les comptes d'ordonnateurs anglais sont non pas bisannuels, comme en France le compte général de l'administration des finances pour l'année et les comptes des ministres pour l'exercice, mais mensuels ou trimestriels, puis résumés dans le compte annuel d'appropriation. De plus, ces comptes d'ordonnateurs sont appuyés, comme nous l'avons vu,

1. Voir les Annales du 15 juillet 1892.

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