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3 hl. 38; celle du sucre est passée de 2 kgs. 3 à 18 kgs. I, celle du café de o kg. 25 à 2 kgs. 90; la fortune totale de la France, évaluée à 50 milliards sous Napoléon Ia, était évaluée à 300 milliards à la veille de la dernière guerre. Les indigents, qui formaient 20 pour cent de la population en 1802, n'en formaient plus que 4 pour cent dès 1887. Dans toutes les classes de la société, les costumes sont devenus semblables, signe extérieur du nivellement progressif qui s'est produit en France. Tous ces faits expliquent pourquoi elle répugne aux théories communistes. Depuis longtemps la France a assuré, et elle réalise encore tous les jours, un partage relativement équitable du patrimoine commun, grâce à la sagesse de ses mœurs et à l'ingéniosité de ses lois. Aussi estime-t-elle n'avoir qu'à perfectionner sans les détruire les institutions sociales que lui ont données la Révolution et Napoléon I, et qui ont résisté à l'épreuve d'un siècle et de la grande guerre.

CHAPITRE II

LA FAMILLE

A famille au XVIIIe siècle.-Si on juge la famille française du XVIIIe siècle d'après les romans,

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les gravures et les anecdotes célèbres, elle semble complètement pervertie. L'amour conjugal passe pour ridicule; mari et femme vivent séparés et chacun a ses aventures galantes; les fils sont abandonnés aux soins des laquais et les filles enfermées au couvent. L'homme de l'époque, c'est le roué libertin et méchant, c'est Valmont, le triste héros des Liaisons dangereuses.1 Mais les gens de cour, les traitants et les actrices n'étaient pas plus la France du XVIII° siècle, que le public des champs de courses et des restaurants de nuit n'est la France du XX. Au Musée du Louvre, à côté de "l'Embarquement pour Cythère" de Watteau et des nudités de Boucher, il y a l'œuvre de Chardin: "le Bénédicité" et "la Mère laborieuse" montrent la vraie famille du temps de Louis XV, celle qui a travaillé, prié, vécu simplement et dignement; cette famille-là, n'ayant pas eu d'histoires, n'a pas eu d'historien et encore moins de romancier.

Les enfants étaient alors nombreux, quatre ou cinq par famille, mais la population augmentait peu. Il y avait beaucoup de gens trop pauvres pour se marier et fonder une famille. L'hygiène était mauvaise et la

1 Euvre de Laclos, 1782.

mortalité énorme. Dans certains pays, on laissait les nourrissons emmaillotés jusqu'à deux ans et plus; pour en être moins embarrassé, on les suspendait à un clou planté dans le mur; parfois, afin de les réchauffer, on les mettait dans le four à pain tiède, d'où ils sortaient à demi asphyxiés. Lors des épidémies, c'était une hécatombe de jeunes enfants.

Ce qui perdait la famille, c'était moins le libertinage des parents que le despotisme du père et l'inégalité entre les enfants. Les mêmes vices corrompaient l'État et les particuliers.

1o. Autorité du mari sur la femme.-Chaque province avait ses coutumes locales, mais presque partout les mœurs et les lois faisaient du père un maître absolu. La femme était une mineure sans droits juridiques qui n'était presque jamais autorisée à disposer librement de ses biens, ni à agir en justice; si par sa conduite elle provoquait un scandale, elle pouvait être cloîtrée, sur la demande de son mari, dans un couvent qui devenait une prison. Tantôt le mari obtenait du roi une lettre ¡ de cachet, et la femme disparaissait du monde ; d'autres fois, un jugement du Parlement ordonnait d'arrêter la femme, de lui raser les cheveux et de l'interner pour la vie. Mesdames de Vaubecourt, d'Ormesson, de Stainville furent ainsi emprisonnées; cette dernière, enlevée au milieu d'une répétition pour un bal que donnait le duchesse de Mirepoix, fut mise en carrosse et conduite à Nancy au Couvent des Filles de Sainte-Marie.

2o. Autorité du père sur les enfants.-Les enfants vivaient souvent dans la crainte de leur père, qui pouvait les séquestrer, les jeter à la rue ou les déshériter.

Agé de vingt-cinq ans et marié, Mirabeau fut arrêté sur la demande de son père, et enfermé au Château d'If. Les filles étaient presque toutes mariées ou vouées au cloître sans leur consentement. Épouser une jeune fille malgré ses parents était un acte si grave qu'il faisait hésiter les amoureux les plus hardis. Monsieur de la Roche-Courbon osa pourtant enlever Mademoiselle de Moras: il fut condamné à mort par contumace, et il mourut en exil complètement ruiné; le curé qui avait célébré clandestinement le mariage fut banni et faillit être envoyé aux galères; la femme de chambre complice fut fouettée publiquement, marquée au fer rouge d'une fleur de lys et bannie pour neuf ans.

3°. Inégalité entre les enfants.-L'inégalité entre les enfants rendait encore plus intolérable le despotisme paternel. Il était d'usage presque partout de favoriser le fils aîné, et le chef de famille s'attachait à cet enfant qui était l'héritier désigné de la majeure partie des biens familiaux; les riches faisaient de leurs fils cadets des officiers subalternes ou des gens d'Église; les pauvres leur donnaient quelques écus, leur bénédiction et les envoyaient chercher fortune à travers le monde. Quant aux filles, leur part légitime de fortune était presque toujours diminuée au profit des fils.

Autorité excessive du père, jalousie entre les enfants, tels étaient les vrais défauts de la famille française. Beaucoup souffraient sans se plaindre; parfois, la rigueur des lois était adoucie par la bonté naturelle du chef de famille qui n'exerçait pas ses droits; mais le plus souvent il n'y avait pas d'accommodement. Alors les ménages mal assortis se désagrégeaient; les enfants, muets de terreur devant leur père, l'exécraient

silencieusement ainsi que leur frère aîné, et c'étaient les retentissants scandales que l'histoire a enregistrés.

Le code civil: 1804.—La Révolution libéra la famille comme elle avait libéré les serfs et la terre, et les lois révolutionnaires, résumées dans le Code Civil, n'ont jamais été abrogées.

1o. Destruction du despotisme marital.-Depuis lors, l'antique puissance maritale est brisée. Le mari est obligé de nourrir et de protéger sa femme, qui doit le suivre et lui obéir; tous deux se doivent fidélité; les obligations entre époux sont mutuelles. Les droits de correction et d'internement perpétuel, dont disposait autrefois le mari en cas d'adultère de la femme, sont abolis. Pour permettre la rupture des unions malheureuses, la loi ne considère plus le mariage comme un lien indissoluble, mais comme un contrat qu'on peut réviser. Le Code continue à autoriser la "séparation de corps," imaginée sous l'ancien régime pour permettre aux époux de religion catholique de cesser la vie commune tout en leur interdisant de conclure un autre mariage. Mais il admet également le divorce, qui] rend à chaque conjoint son entière liberté. Le soin d'élever les enfants, s'il y en a, est attribué par le tribunal soit au père, soit à la mère, ou même, s'ils sont l'un et l'autre indignes de cette confiance, à une tierce personne. La femme cesse donc d'être vouée pour toujours à une vie malheureuse, et c'est elle qui demande le plus souvent la dissolution d'une union mal assortie. Aux points de vue juridique et financier, la Révolution et Napoléon n'ont rien changé: la femme est encore considérée comme une mineure qui ne peut ni gérer sa fortune, ni agir en justice sans l'autorisation de son

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