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INTRODUCTION.

Sujet de l'ouvrage.

XVIIIe siècle.

On n'est rien sans les mœurs.

(VOLTAIRE, les Pélopides, acte II, scène 11.)

Comment les rationalistes et les catholiques jugent le Pourquoi les incrédules et les catholiques ont demandé une enquête sur la moralité des philosophes. Coup d'œil sur les mœurs des rois, maîtresses, philosophes, favoris, ministres, courtisans, généraux et magistrats du XVIIIe siècle en France et en Europe. Comment doit être fait un ouvrage sur Voltaire.

Pourquoi ce nouveau volume sur Voltaire? - En voici la raison. J'avais dit, à la page 294 de mes Études sur les grands hommes . « A Potsdam, Voltaire se fait assurer deux bougies par jour et tant de livres de sucre, de café, thé et chocolat. Il faisait vendre les douze livres de bougies qu'on lui donnait par mois; et, pour s'éclairer chez lui, il avait soin tous les soirs de revenir plusieurs fois dans son appartement, sous différents prétextes, et de s'armer chaque fois de l'une des bougies allumées dans les salles de l'appartement du roi, bougies qu'il ne rapportait pas. Ayant un deuil de cour à porter, et ne voulant point faire la dépense d'un habit noir, il emprunta celui d'un négociant, qui n'osa le lui refuser. L'habit était bien pour la longueur, mais il était trop large. Voltaire le fit retrécir, et, après s'en être servi, le renvoya au négociant, qui ne s'aperçut de la manœuvre que quand il voulut remettre son habit noir. »

Ces lignes, qui décèlent chez Voltaire des habitudes de lésine et de friponnerie, ont blessé la susceptibilité de deux journalistes, qui ont daigné consacrer un article à mes Études sur les grands hommes. Il a semblé à l'un que j'avais regardé comme une autorité une Vie de Voltaire qu'il n'abandonne qu'aux sots et aux malveillants. L'autre n'a pas été moins sévère. Parce que les anecdotes précitées lui parais

sent invraisemblables et un conte de portière, il m'a traité d'esprit léger et crédule. Si ces jugements n'étaient qu'individuels, je ne m'y serais pas arrêté. Il serait ridicule de répondre à des personnalités. Qui s'occuperait de si peu de chose?

Mais ce qu'ont écrit deux journalistes qui ne sont pas sans connaissances, beaucoup d'esprits le pensent encore et répèteraient volontiers que rien n'est moins vraisemblable et ne ressemble plus à un conte de portière que les anecdotes précitées et d'autres analogues, et qu'il n'appartient qu'aux sots et aux malveillants de s'en prévaloir pour noircir celui qui a fait, défait et refait tant de réputations pendant soixante-dix ans. Est-ce à dire que Voltaire a été injustement accusé ou suffisamment justifié? non, puisque la critique ne m'oppose aucun ouvrage où la question ait été tranchée au nom de la science. Le caractère de Voltaire reste donc encore inconnu. Il n'est pas sans exemple qu'un homme célèbre se soit enrichi par des voies ridicules, invraisemblables ou illicites. De toutes les passions, l'avarice n'est certes pas la moins ingénieuse. Il ne serait par conséquent point impossible que Voltaire, malgré ses immenses talents, n'eût été qu'un avare et un fripon.

Mais il répugne d'admettre qu'un homme avare et fripon ait exercé un empire absolu sur toute son époque. Le XVIIIe siècle a-t-il été assez vertueux et assez généreux pour qu'il soit téméraire de juger qu'il n'aurait pas refusé de se laisser conduire aveuglément par un caractère vil et bas? Doit-on regarder comme le modèle de la probité et de la délicatesse un siècle qui ne laissa que des ruines, qui finit par voter la destruction de toute propriété, l'anéantissement de toute distinction, et ne remit ses pouvoirs qu'entre les mains de la Terreur fièrement assise sur une guillotine déjà arrosée du sang d'un roi, d'une reine et d'une myriade de princes, de prélats, de magistrats, de généraux et d'individus de tout àge, de tout sexe, de toute condition?

Les historiens ont évité jusqu'à présent de sonder cette plaie. De là la diversité des opinions sur le caractère du XVIIe siècle. Aux yeux des catholiques, c'est l'époque la plus honteuse. Les rationalistes au contraire la célèbrent comme l'ère du progrès et la perfection de la civilisation. Aussi, dans la dernière leçon de son cours sur l'Histoire générale de la civilisation en Europe, M. Guizot n'a-t-il pas hésité de déclarer que, s'il avait à opter entre tous les siècles chrétiens qu'il

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