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son peuple? Il l'entassait dans les caves de son palais; il en prenait pour empêcher de mourir de faim quelques philosophes qui lui tenaient lieu de bouffons; il s'en servait pour commander à Berlin de superbes façades qui s'écroulaient quelquefois sous ses yeux; il en employait aussi à payer les dettes ou soulager la misère de ses nobles, poursuivis par des créanciers. Quant aux enfants du peuple, il les parquait dans des casernes, il les fatiguait et les assommait dans ses manœuvres, il les usait sur les champs de bataille, et quand ils n'étaient bons à rien, il les reléguait dans quelque poste obscur dont ils ne pouvaient tirer aucun parti, à cause de leur défaut d'instruction. C'est avec un sceptre de fer qu'il gouvernait tout son peuple; c'est par le moyen de ses espions qu'il connaissait la situation de son peuple. Il le pervertit par les exemples d'incrédulité qu'il lui donna et par la multitude de livres obscènes et impies qu'il lui laissa dévorer. Il le décima et le ruina par ses guerres continuelles. Dans ses Mémoires, il a peint tous les maux qu'elles occasionnèrent. Il montre des terres abreuvées de sang, des pays déserts, des familles détruites, le crédit épuisé, le commerce languissant; partout c'est le désespoir et la détresse. C'est à ce prix qu'il parvint à usurper une place parmi les conquérants et les fléaux de l'humanité. Il faut convenir qu'il en coûta un peu cher à la Prusse pour fournir à son roi l'occasion d'écrire des pages sèches, incorrectes, ennuyeuses.

Quand il était las de tyranniser son peuple, de maltraiter sa famille, de fatiguer son armée, d'égorger et de piller ses ennemis, de se moquer de ses bouffons, de violer la langue française, que faisait-il pour se distraire? Il allait caresser des singes ou des levrettes. Il eut d'abord une compagnie de singes. Quand il en fut dégoûté, il s'attacha à des levrettes. Il en avait toujours une douzaine. Il les laissait courir dans son appartement, déchirer et salir son lit et tout son ameublement. Il en emmenait avec lui dans ses voyages; il les nourrissait bien et pourvoyait à toutes leurs commodités. Étaient-elles malades, elles étaient soignées le jour et la nuit; il voulait qu'un courrier lui en apportât à chaque instant des nouvelles, si par hasard il était éloigné. Si elles périssaient en son absence, dès qu'il était de retour, il les faisait déterrer pour les contempler une dernière fois et gémissait sur leur sort. Vivantes, il les chantait; jetées dans une fosse, il leur élevait un monument. Il chérissait tellement ses levrettes

qu'il finit par partager tous leurs goûts. Il n'accueillait que les personnes que ces levrettes s'empressaient de lécher; il retirait sa confiance aux gens dont la présence avait provoqué l'aboiement de ces levrettes. Aussi c'est au milieu de ces levrettes qu'il désira être enterré.

Laissons-le donc au milieu de ses bêtes; c'est la seule place qui convienne à ce coureur de femmes pourries, à ce mari sans épouse, à ce père de la potsdamie, à ce banqueroutier, à ce faux-monnayeur, à ce bourreau de sa famille, à ce pourceau d'Epicure, à ce contempteur de ses courtisans, à ce fanfaron de malpropreté, à ce fléau de ses ennemis, à cet ennemi de son peuple, à cet assassin de sa langue maternelle, à ce tyran de son armée, à ce protecteur de l'athéisme, à cet Attila de la Pologne, à ce Néron de la Saxe, à ce ricaneur de tous les hommes. Il ne se servit du bon sens qu'il avait reçu de la nature que pour juger ses contemporains avec sévérité. Il fut impitoyable pour les autres, parce qu'il n'est rien qu'il ne se permit. Esclave de toutes les passions, il s'est glorifié d'étouffer en lui tout ce qu'il avait de l'homme pour devenir semblable aux bêtes. Écrivain, il ne semble avoir pris la plume que pour forcer ses lecteurs à le planter sur le dernier échelon de l'échelle sociale..... à un pas de distance de la brute.

Voyez ses vers sont si mauvais qu'ils ne peuvent être lus de personne; mais ils doivent être examinés par l'historien, car ce qui n'est qu'une platitude aux yeux du littérateur devient un crime devant le tribunal de l'historien. Ces mauvais vers que tout le monde dédaigne, c'est cependant tout Frédéric.

Un jour donc il étend sa main décharnée sur son Dictionnaire français; il en extirpe avec soin les solécismes, les trivialités, les inconvenances, les jurons, les grossièretés, les obscénités, les blasphèmes; il les rapproche, les sépare, les aligne de façon à composer un vers, puis un autre vers, puis bien d'autres. Un chant s'achève; un second chant l'accompagne; à la fin, un sixième chant se trouve bâclé. Frédéric tressaille d'allégresse; il croit avoir chanté, il n'a fait que beugler à réveiller toutes les bêtes dans leurs antres; il est fier d'avoir étalé son érudition, et il a démontré qu'il ne connait pas seulement les éléments d'une proposition. Il se vante d'avoir attrapé la plaisanterie, et il n'est que lourd et stupide. Néanmoins c'est à la face de la papauté qu'il lui tarde de jeter ce tas de

chancres et de pustules qu'il a coupés et rangés comme on accouple des forçats.

Néron avait chanté la ruine de Troie pendant qu'il incendiait Rome. Il était réservé à Frédéric de chanter la plus grande iniquité qu'il ait pu commettre. Ce qu'il a voulu tourner en ridicule, c'est la Confédération des Polonais. Dans tous leurs courageux efforts pour recouvrer leur liberté et conserver leur nationalité, il ne voit que des farces; des prêtres ont pris part à cette lutte qui devait décider de l'avenir du catholicisme, il les regarde comme des esprits échappés de l'enfer; la papauté intervient dans cette grave affaire et la recommande aussi éloquemment qu'inutilement à tous les rois de la chrétienté, il méprise cet appel généreux comme une inspiration de la folie; il traite de badauds cette foule de Français qui ont quitté leur famille et leur patrie pour venir combattre et mourir à côté de leurs frères en religion. Il s'applique bassement à flétrir et les nobles sentiments, et les sublimes dévouements, et les admirables sacrifices, et les actions glorieuses qu'enfanta cette cause. Une horde de Russes tombe sur les confédérés, les pille, les disperse, les égorge, il leur décerne la palme de l'héroïsme et magnifie leur férocité.

Il allait beugler pour la septième fois la langue française n'eut plus d'ordures à lui fournir; il les avait épuisées d'un seul trait. Les cordes de sa lyre se détendirent sous ses mains ruisselantes de sang; sa voix se brisa; sa langue épaissie par tant d'infamies s'attacha à son palais; son cœur cessa de battre quand il eut vomi tous les excréments que peut contenir le cœur d'un roi philosophe. Une monstruosité en morale avait engendré une monstruosité en littérature (1). En vérité, cet être appelé Frédéric le Grand ne méritait-il pas d'être jeté à côté de ses bêtes?

(1) Thiébault, tom. I, II et III.

pag. 140 à 238, et tom. II, pag. 232. clopédique, tom. V, pag. 434.

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Viomenil, pag. 135. — Nouvelle Revue encyMémoires du marquis d'Argens, 1807, pag. 61. Mémoires de Mme de Genlis, 1825, tom. V, pag. 9.— Portrait de Frédéric le Grand, par Bourdais, 1788, pag. 51 et 167. Mon voyage en Prusse, par le marquis de Langle, 1807, pag. 92 à 180. Quelques traits de la vie privée de Frédéric Guillaume II, par Dampmartin, 1811, pag. 15 à 278. -- Vie de Frédéric II, par Laveaux, 1788, 4 vol. in-8°.

Autriche.

Charles VI mourut banqueroutier, mandait Frédéric à Voltaire, le 25 octobre 1740. Il n'en fut pas de même de François Ier. La veille de sa mort, il remit à la princesse d'Aversberg, sa maîtresse, une ordonnance de 440,000 livres. Il avait eu un grand nombre de maitresses et n'avait pas été moins généreux avec elles. Cela ne l'empècha pas de laisser à ses héritiers plus de deux millions. Il avait toujours travaillé avec une ardeur infatigable à remplir ses caisses. Il disputa opiniâtrement à la nature ses secrets, et mit ses connaissances en ce genre au service de sa passion pour l'or. Sous sa direction, des chimistes poursuivaient sans cesse la pierre philosophale, et, à l'aide de verres ardents, il cherchait à former de petits diamants dans un caillou. Il ne perdit pas de vue les affaires plus sûres et plus lucratives. « Il se jeta dans celles du négoce, raconte Frédéric dans son Histoire de la guerre de sept ans, chap. 1er. Il ménageait tous les ans de grosses sommes de ses revenus de Toscane, et les faisait valoir dans le commerce. Il établissait des manufactures et prêtait sur gages; il entreprit la livraison des uniformes, des armes, des chevaux et des habits d'ordonnance pour toute l'armée impériale. Associé avec un comte Boltza et un marchand nommé Schimmelmann, il avait pris à ferme les douanes de la Saxe, et, en l'année 1756, il livra même le fourrage et la farine à l'armée du roi, qui était en guerre avec l'impératrice son épouse. Durant la guerre, l'empereur avançait des sommes considérables à cette princesse sur de bons nantissements. Il était, en un mot, le banquier de la cour. » Il était à la fois banquier, marchand et fournisseur. A son instigation, les plus grands seigneurs suivaient ce fâcheux exemple, et les particuliers, faute de capitaux suffisants, n'osaient aborder la concurrence. Pour comprendre ces occupations des nobles, il n'est pas inutile de remarquer qu'ils étaient tous criblés de dettes, et que, dans tous les manoirs de la Bohême et de l'Autriche, on n'aurait peut-être pas trouvé un homme qui mit de l'ordre dans ses affaires et qui ne fût réduit à opprimer et ruiner ses vassaux pour payer les folles dépenses qu'occasionnait le séjour de Vienne.

François Ier avait raison de ne pas se fier à la parole de son épouse.

Marie-Thérèse était ferme, courageuse jusqu'à l'héroïsme dans les moments de danger; mais elle manquait de caractère et d'énergie dans son cabinet. Elle assistait tous les matins à la messe, elle allait tous les soirs au salut, et néanmoins elle laissait commettre tous les crimes. Elle croyait que le remords suffisait pour les justifier. Elle pleurait sur les maux qu'elle occasionnait, et elle ne faisait rien pour les empêcher ou les réparer. Elle avait répugné à se mêler du démembrement de la Pologne, et ce fut elle qui exigea le plus gros lot lorsqu'on partagea les dépouilles de cette nation. Elle n'avait aucun reproche à faire aux Jésuites; elle n'avait personne pour les remplacer, et néanmoins elle n'hésita pas à les détruire et à mettre la main sur les cinquante millions de biens qu'ils possédaient, suivant M. Crétineau-Joly. Elle s'adjugeait aussi les legs faits à des couvents; elle ne diminua le nombre des maisons religieuses que pour s'emparer de leurs richesses. Elle avouait que les officiers étaient las de la guerre, et que son peuple ne pouvait pas payer les impôts dont elle l'avait accablé; cependant elle ne recula devant aucune guerre injuste. Victorieuse, elle abusait de son pouvoir. Ainsi, lorsqu'elle fut maitresse de Gênes, remarque Adam, elle exigea qu'on lui rendit gratuitement les joyaux qu'elle avait remis à la république à titre de gage d'une somme considérable que celle-ci lui avait prêtée. Était-elle défaite, elle augmentait les impôts, et croyait avoir bien mérité de son peuple lorsqu'elle versait des larmes sur l'inutilité de la pureté de ses intentions. Elle reçut des sommes immenses pour protéger l'empire de Constantinople; elle l'abandonna pour soutenir ses ennemis. Malgré les éloges donnés à toutes ses qualités, elle laissa un déficit de trois cent cinquante-deux millions. Quelques victoires, quelques actes de piété ne pourront jamais la laver de la tache hideuse dont son front restera souillé. La confédération polonaise avait compté sur sa protection; la Turquie avait acheté chèrement son alliance; la France l'avait gorgée de millions de subsides et lui avait demandé une reine comme un gage d'inaltérable amitié. MarieThérèse avait à sa disposition son fils le duc de Toscane, et son gendre le roi de Naples. D'un mot, elle aurait pu décider du bonheur de la Pologne, puisqu'elle disposait de forces assez considérables pour tenir tête à la Russie et à la Prusse. Elle abandonna lâchement la Pologne; elle trahit la Turquie; elle cacha ses manœuvres à la France, à la Toscane et au roi de Naples. Par là elle influa le plus

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