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<< blables que désire l'ordonnance d'Orléans. » Il est à espérer que satisfaction, plus ou moins complète, aura été donnée à cet ordre de M Jean Gonnet.

La chevauchée de 1633 fit découvrir des faits bien plus graves. Elle avait pour but principal de rechercher les meurtres commis mais demeurés impunis grâce à la faiblesse des autorités locales. « Le roi seul peut << donner et octroyer à ses subjects des lettres de ré«mission et de pardon... Les officiers des justices su<< balternes commettent des attentats notables sur la << justice royale en renvoyant les homicidiars absoulz << par des moyens obliques... Ils sont dignes de puni<«<tion rigoureuse et exemplaire. »

D'après les indications qui lui avaient été données, c'est d'abord à Miraumont que se rendit M⚫ Jean Gonnet. Il y obtint quelques confessions; peut être grâce à l'appareil qu'il déploya. Il s'était fait accompagner de son propre fils, François Gonnet, déjà reçu avocat en parlement, de son greffier, Claude Le Dossu, de Jean Levasseur, notaire royal, de Vincent Varet, archer criminel, et de six sergents.

Le lieutenant (maire) et les notables de Miraumont lui déclarèrent « qu'ils n'avoient cognoissance d'aulcun << homicide commis sur le territoire dudit Miraulmont << que des six » dont Me Jean Gonnet leur avoit parlé,

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qui ont été commis depuis seize à dix-huit ans en « çà.» Rien que six. Et il est à remarquer que s'il y en a qui remontent à seize ans, ils sont antérieurs à la visite que le lieutenant criminel avait faite à Miraumont quatorze ans auparavant, en 1619. On ne lui en avait rien dit à cette époque; on lui avait soigneusement dissimulé la vérité.

On la lui dissimulait encore: il le sut cinq jours après. Il était revenu à Encre, où il logeait à l'hôtellerie Saint-Georges. Il avait interrogé M. d'Ainval, capitaine et bailli au Marquisat, qui avait succédé à Philippe de Morlancourt, le maïeur François Gossart, des notables, entr'autres Philippe Carette, dont il sera parlé plus loin, des notaires et des procureurs. Probablement à la suite de leurs révélations, Me Antoine Cuisset, greffier de la justice de Miraumont, vint le trouver à son hôtellerie et lui avoua qu'on lui avait caché deux meurtres commis à Miraumont, l'un remontant à huit ou dix ans, l'autre beaucoup plus récent, de décembre 1631. Cuisset devait bien le connaître, ce dernier, puisque c'était lui-même qui avait rédigé, le 3 avril 1632, la transaction entre le meurtrier et la veuve de la victime. Le lieutenant criminel avait manifestement bien de la peine à obtenir la vérité on sent que les aveux de Cuisset lui sont arrachés à force d'insistance, et probablement sont encore incomplets.

M Jean Gonnet continua son enquête, soit par luimême, soit, quand il était trop tourmenté par la goutte, au moyen de ses auxiliaires. Il découvrit ainsi de nombreux meurtres commis à Aizecourt-le-Bas, Bazentin-le-Petit, Bernes, Cappy, Contalmaison, Dernancourt, Etinehem, Fricourt, Longueval, Morlancourt, Auchonvillers et Pozières. Au total, y compris les huit de Miraumont, vingt-huit homicides. Quatorze remontaient à moins de deux ans. Il n'est guère probable que dans les dix ou douze années antérieures il n'y en ait eu que quatorze. On n'aura pas encore tout dit.

Sur ces vingt-huit meurtres, deux ont fait l'objet

d'un pardon royal, notamment celui commis par le seigneur de Contalmaison, Sébastien de Hangre, qui a obtenu des lettres de rémission. Les vingt-six autres sont demeurés purement et simplement impunis. Pour trois, il y a eu transaction avec les parents de la victime. Ce qui n'empêchait nullement, en droit, la poursuite criminelle,

Plusieurs de ces crimes ont été commis publiquement. L'un «< un dimanche, à l'issue de la messe; » un autre << en présence d'un grand nombre de personnes ; »> un troisième « sur le marché de Miraumont. >>

Certaines des victimes étaient dans une situation qui appelait l'attention publique, leur mort a certainement fait évènement; c'est par exemple le «< joueur << d'instruments » (le ménétrier) de Puiseaumont, connu dans tous les villages à la ronde : c'est le receveur de Maricourt et de Montauban : c'est le clerc séculier (maître d'école) de Miraumont : c'est le fils de Jean Drouart, sergent royal à Albert: c'est M° Louis Pelletier, le curé de Miraumont. Un curé ne disparaît pas sans qu'on s'en aperçoive.

Les meurtriers sont parfaitement connus; il n'y a pas le moindre doute sur leur identité ni sur leur culpabilité. Quelques-uns, Philippe Arrachart à Miraumont, Jacques d'Ignaucourt à Auchonvillers, ont commis plusieurs meurtres. Ils n'ont pas même été inquiétés. Le greffier Cuisset avoue qu'il n'y a eu aucune poursuite contre Philippe Arrachart. Il ne se cache pas, il est chez lui, fort de la terreur qu'il inspire. M Jean Gonnet ordonne son arrestation : il résiste à l'archer et aux sergents enfin on parvient à s'emparer de lui et à le conduire en prison.

Tant de meurtres révèlent une grande violence de

mœurs. La plupart peuvent s'expliquer par des rixes de cabaret, quelques uns par la vengeance, comme celui du receveur de Maricourt, un seul par jalousie d'amour, celui d'une fille Jourdois, à Auchonvillers on ne voit point apparaître le vol comme mobile. Il y a de véritables assassinats, par exemple celui d'un sieur Denetz, qui a été tué d'un coup de carabine par un nommé Paige le jour de l'Ascension, 5 mai 1633, entre dix et onze heures du soir.

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En présence de l'impunité de tant de méfaits on s'étonne de nos jours. Me Jean Gonnet n'avait que trop sujet de s'indigner «< contre les baillis et gardes de justice lesquels, désirant gratiffier les homicidiars « aux dépens de leurs consciences, de leur honneur et << des droictz appartenans au roy privativement à tous aultres, font souvent de tels eslargissements quous« que encore bien qu'il y ait preuve suffisante contre «<eux, affin d'essayer, par ce moyen du tout vicieux. «<et grandement blasmable, de leur faire esviter la << potence et les relever de la peine et des fraiz de «<l'obtention d'une rémission, pardon ou aultres «<lettres de grâce. »

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On appelait élargissement quousque (en français jusque) celui qui était accordé jusqu'à preuve plus ample de culpabilité. C'était à peu près l'ordonnance de « non-lieu quant à présent » de notre procédure actuelle. Les justices seigneuriales usaient, comme on le voit, beaucoup trop fréquemment pour le bien public, de ce moyen « oblique » suivant l'expression de Jean Gonnet.

Ces défaillances déplorables des petites justices locales ne s'expliquent que trop bien. Juge unique, le

bailli se faisait, par une tendance très naturelle, juge suprême. Ayant le pouvoir de condamner un homme à mort s'il était coupable, et de l'acquitter s'il était innocent, il s'arrogeait le droit de lui faire grâce. Il subissait d'ailleurs les influences locales, les sollicitations; il cédait aux prières des lieutenants de village qui cherchaient a étouffer une affaire, souvent par la crainte d'un scélérat déterminé qui se serait vengé d'une dénonciation en incendiant leur maison. Il prêtait l'oreille aux curés qui intercédaient pour leur paroissien et imploraient son pardon. En un mot ce juge unique, ce petit potentat, était sujet à toutes les faiblesses.

Il convient de reconnaître d'ailleurs que l'opinion publique d'alors tolérait facilement l'impunité de crimes dont la plupart étaient imputables à des violences de caractère. On a vu plus haut à propos de la Prévôté que les rixes ne donnaient jamais lieu à poursuite s'il n'y avait plainte de la victime. Ces idées, suivant lesquelles l'affaire n'intéresse que la partie lésée sont celles des peuples encore grossiers; on les retrouve dans le droit originaire des Romains, qui ne connaissait que la pœna privata; elles forment la base du « wehrgeld» ou composition des lois Barbares. Aussi quand il y avait eu désintéressement de la victime ou de ses parents, quand personne ne se plaignait, l'opinion publique gardait le silence, même quand il s'agissait d'un crime. Elle se tournait plutôt en faveur du coupable et contre la justice, dont les sévérités et les frais inspiraient une terreur, une répugnance qu'attestent les réticences des habitants de Miraumont. On faisait tout pour entraver l'action de la loi : on organisait la conspiration du silence: tous

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