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cette galanterie délicate qui inspire du respect pour les femmes, et virent avec peine la liberté qui régna depuis dans le commerce des deux sexes. On n'oseroit parler sans restriction sur cet objet qui tient aux moeurs. Sans doute il seroit à désirer qu'on eût encore avec les femmes ces égards délicats, cette prévenance modeste, et cette espèce de culte qui tenoit au caractère de notre nation. Cependant on ne peut se dissimuler que le ton et les manières de l'hôtel de Rambouillet avoient de grands inconvénients. Cette galanterie raffinée, ce sigisbéisme, ces sentiments romanesques qui dominoient dans tous les rapports avec les femmes, cette mode de ne les voir que dans leurs alcoves, devoient, malgré la spiritualité qu'on affectoit, enflammer les sens d'une jeunesse ardente, et produire souvent des écarts. Boileau ne l'a pas dissimulé dans sa dixième satire :

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Recevant ses amants sous le doux nom d'amis,

S'en tenir avec eux aux petits soins permis;

Puis bientôt en grande eau, sur le fleuve de Tendre,

Naviguer à souhait, tout dire et tout entendre.

Et ne présume pas que Vénus, ou Satan,

Souffre qu'elle en demeure aux termes du roman.

Julie d'Angennes, devenue duchesse de Montausier, étoit morte un an avant la première représentation des Femmes savantes. Elle avoit abandonné la galanterie et le bel esprit pour se livrer au soin d'avancer sa famille. On l'avoit vue paroître à la cour avec éclat; et Louis XIV lui avoit témoigné la plus grande considération. Madame de Montausier fut dame d'honneur de la reine Marie-Thérèse, et gouvernante des enfants de France : son mari partagea avec Bossuet la surveillance de l'éducation du dauphin.

D'après ce tableau bien imparfait de l'état de la société pendant le dix-septième siècle, on peut apprécier le talent de Molière, et juger de l'influence qu'il parvint à obtenir sur ses contemporains. La société et la littérature lui durent des réformes fondées sur la raison la plus éclairée, et sur le sentiment le plus exquis des convenances. Aucune classe n'échappa à ses observations: toutes contribuèrent à ses peintures, aussi piquantes que variées. En présentant les ridicules communs aux hommes de tous les temps,

il attaqua plusieurs vices; et s'il ne put corriger ces derniers, c'est qu'il ne sont pas du ressort de la comédie, et qu'il est tout au plus possible de les faire changer de forme. Enfin, depuis les travers grossiers du peuple jusqu'aux prétentions en quelque sorte respectables de la haute société, tout ce qui choquoit la raison, la nature et la bienséance, fournit matière à ses vastes conceptions. Jamais Aristophane, Plaute et Térence, quoique ayant vécu à des époques où la liberté d'écrire pouvoit dégénérer en licence, n'ont acquis un semblable ascendant, et n'ont sondé aussi profondément tous les replis du cœur humain. Plus on étudie Molière, plus on partage l'opinion de Boileau, qui le présentoit à Louis XIV comme le plus grand génie de son siècle.

FIN DU DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

VIE

DE MOLIÈRE.

JEAN-BAPTISTE POQUELIN, qui prit depuis le nom de MOLIÈRE, naquit à Paris en 1620. Sa famille, fort ancienne, possédoit une charge de tapissier du roi, à laquelle il fut destiné dès son enfance. Elevé sous les piliers des Halles, où il étoit né, n'ayant de rapports qu'avec les enfants des frippiers et tapissiers du voisinage, il passa ses premières années dans l'ignorance et l'inaction; mais peutêtre ce temps ne fut-il pas entièrement perdu pour lui. Doué d'un génie observateur, il put étudier les mœurs grossières et naïves du peuple au milieu duquel il vécut pendant une partie de sa jeunesse : ce génie se seroit probablement développé de lui-même; mais une heureuse circonstance contribua beaucoup à lui faire prendre son essor.

Le grand-père du jeune Poquelin étoit du petit nombre de ces bourgeois que les succès de Corneille avoient frappés, et qui, sans instruction, sans goût formé, guidés seulement par un instinct naturel, prenoient un grand intérêt au perfectionnement du théâtre françois, et suivoient avec assiduité le spectacle de l'hôtel de Bourgogne. Le vieillard y conduisit son petit-fils : il n'en falloit pas plus pour l'éclairer sur sa vocation, et lui faire sentir le

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prix des études qui mènent à la culture d'un art alors d'autant plus difficile, qu'on ne pouvoit trouver de modèles que chez les anciens.

Poquelin obtint avec beaucoup de peine la permission d'étudier à cette époque, les petits bourgeois et les marchands ne croyoient pas que la science du latin fût nécessaire à leurs enfants. Dépourvus d'ambition, n'ayant d'autre vœu que de leur laisser leur état et leurs moyens d'existence, ils ne les envoyoient au collégé que si, par des dispositions certaines et par une conduite irréprochable, ils se montroient dignes d'aspirer à l'état ecclésiastique. Le jeune homme, cachant avec soin son penchant pour le théâtre, prétendit qu'il avoit le projet de suivre la carrière du barreau; et, quoique ce parti parât un peu ambitieux à ses parents, ils consentirent à le laisser étudier.

Il avoit alors quinze ans, âge auquel il est assez difficile de surmonter les premières difficultés; mais son bonheur voulut qu'il tombât entre les mains d'excellents maîtres, et qu'il trouvât non-seulement des condisciples capables de lui donner de l'émulation, mais un protecteur puissant, dont par la suite il eut beaucoup à se louer. Poquelin entra au collège de Clermont, où il suivit les cours du prince de Conti, qui figura quelques années après dans la guerre de la Fronde. Il eut pour camarades et pour amis, Bernier, qui se rendit célèbre par ses voyages; Chapelle, si connu par son aimable insouciance et par son talent naturel pour les vers; enfin Cyrano de Bergerac, esprit bizarre, mais original, auteur de quelques bonnes scènes de comédie

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