Images de page
PDF
ePub
[blocks in formation]

Déjà ils sont informés de cette tromperie, et persuadés de la vérité à mon préjudice : il est bien force qu'entre deux sentiments si contraires et si distincts, celui d'ennemi et celui de père, le sang fasse son devoir. Je vais leur parler tout-à-l'heure : mais non; il vaut mieux que je les observe finement, car il est clair qu'ils dissimulent avec moi, et qu'ils ne se confient qu'à elles; de manière que je vais une seconde fois faire semblant d'avoir sommeil.

Je flotte toujours dans mes incertitudes; mon cœur se partage nécessairement en deux sentiments contraires, celui de père et celui d'ennemi: allons, voyons si la nature se fera connaître. Je viens pour leur parler: mais non; il vaut mieux les épier avec prudence; il est clair qu'ils dissimulent avec moi, et qu'ils ne se confient qu'à des femmes. Il faudra bien enfin que ce songe finisse.

LÉONIDE, SANS voir Phocas.

J'avoue que je me suis senti pour Phocas je ne sais quelle affection secrète; mais je vois à présent que ce sentiment ne venait que de mon orgueil qui aspirait à l'empire. La même tendresse me prend actuellement pour Maurice, et je sens que ce faux amour que je croyais sentir pour Phocas n'était au fond que de la haine, quand j'imagine qu'il est un tyran, et qu'il m'ôte l'empire qui était à moi■.

HÉRACLIUS.

Je vis abhorré de Phocas. Je me vois dans le plus On sent combien ce discours est absurde: comment l'empire était-il à Léonide? Parlerait-il autrement si on lui avait dit qu'il est le fils de Maurice? Chacun d'eux croit-il que c'est à lui que Libia et Cintia ont parlé? Tout cela paraît d'une démence inconcevable.

[blocks in formation]
[blocks in formation]
[blocks in formation]

C'est Léonide qui voulait t'assassiner, et c'est moi évanouissement, un tournement de tête, un spasme, qui te sauve la vie.

PHOCAS.

Ah! malheureux! je ne suis ni endormi ni éveillé ; j'entends crier, Qu'il meure! j'entends crier, Qu'il ne meure pas! je confonds ces deux voix; aucune n'est distincte; ce sont deux métaux fondus ensemble que je ne peux démêler: il m'est impossible de rien décider. Si je m'arrête à l'action et aux paroles, tout est égal de part et d'autre; chacun d'eux a un poignard dans la main.

HÉRACLIUS.

Je me suis armé de ce poignard, quand j'ai vu que Léonide tirait le sien pour te frapper.

PHOCAS.

Prenons garde; je ne peux, il est vrai, porter un jugement assuré sur les voix que j'ai entendues, sur l'action que j'ai vue : mais l'épouvante que j'ai ressentie dans mon cœur me dit par des cris étouffés que c'est toi, Héraclius, qui es le traître. Le fer que j'ai vu briller dans ta main, ce couteau, cet acier, le fil de ce poignard, font hérisser mes cheveux sur ma tête. Défends-moi, Léonide; toute ma valeur tremble encore à l'idée de cette fureur, de cette aveugle hardiesse, de cette sanglante audace; il me semble que je le vois encore escrimer avec cet aspic de métal et ces regards de basilic.

HÉRACLIUS.

Eh, seigneur! quand je mets à vos pieds, non seulement ce poignard, mais aussi ma vie, pourquoi vous fais-je peur ?

PHOCAS.

Lisippo, Cintia, Libia, puisque vous êtes mes amis et mes commensaux, sachez qu'Héraclius me veut faire périr.

HÉRACLIUS.

Ah! si une fois ils en sont persuadés, ils me tueront. Ah, ciel! où m'enfuirai-je dans un si grand péril ?

Il s'en va, et on le laisse aller.

PHOCAS, quand Héraclius est parti. Défendez-moi contre lui.

LÉONIDE.

(A part.)

Moi, seigneur, je vous défendrai. Dieu merci! j'en suis tiré... Oui, seigneur, je le suivrai; son châtiment sera égal à sa trahison; je lui donnerai mille

morts.

PHOCAS.

Cours, Léonide; la fuite du traître est un nouvel indice de son crime.

une frénésie, une angoisse; mes idées sont toutes troublées; je ne sais si c'est un songe, si tout cela est vrai ou faux. C'est un crépuscule de la vie; je ne suis ni mort ni vivant; chacun d'eux prétend qu'il voulait me sauver au lieu de me tuer. Je ne sais quoi me dit au fond du cœur qu'Héraclius est coupable, et que, si Léonide ne m'avait secouru, Héraclius se serait baigné dans mon sang. Je jurerais que cet Héraclius est le fils de Maurice; toute ma colère crève sur lui. Dites-moi ce que vous en pensez, et si je juge bien ou mal.

[blocks in formation]

PHOCAS.

Eh bien! tu t'en vas aussi ?

On entend derrière la scène des cris de chasseurs.

PHOCAS.

De quel palais, de quel édifice parlez-vous? -epuis hier jusqu'à cette heure, j'ai couru après mor

A la forêt, à la montagne, au buisson, au rocher. tigre; les rochers ont été mon lit; aujourd'hui j'ai

Libia et Cintia derrière la scène appellent Phocas.

PHOCAS.

Ils m'ont tous laissé dans la plus grande incertitude; je n'ai pu savoir autre chose d'eux tous, sinon qu'Héraclius m'a voulu secourir, après que je l'ai vu le poignard à la main pour me tuer, et que Léonide est un assassin, quand mon cœur me dit qu'il volait à mon serours. O abîme impénétrable! que de choses tu me dis, et que de choses tu me caches!

On entend derrière le théâtre :

Voilà le tigre que Phocas a lancé qui va vers la montagne.

CINTIA, dans le fond du théâtre. Allons, courons après lui. Sans doute, puisque Phocas n'a point paru depuis hier, le tigre l'a déchiré, et il revient pour chercher quelque nouvelle proie⚫.

Tous les chasseurs appellent ici leurs chiens, et les nomment par leurs noms.

PHOCAS, sur le devant du théâtre. Ainsi donc, afin que la conclusion de cette terrible aventure réponde à son commencement, Voici mon tigre qui revient sur moi, poursuivi par les chiens, sans que j'aie le temps de me mettre en défense.. ai des vassaux, des domestiques, des amis, et aucun d'eux ne vient à mon secours.

Héraclius et Léonide arrivent chacun de leur côté, v , vêtus de peaux de bêtes, comme ils l'étaient à la première journée de cette pièce.

[blocks in formation]

Mais ai-je rêvé ce que j'ai vu?

HÉRACLIUS.

Qu'est devenu ce beau pays? où était-il ?

LÉONIDE.

Qui a emporté cet édifice?

fait ce que j'ai pu pour retrouver le chemin, jusqu'à
ce qu'enfin j'ai entendu les cris des bêtes sauvages,
les aboiements des chiens : j'ai appelé, vous êtes ve
nus; sûrement Cintia et Libia vous auront dit où
j'étais, car elles vous auront trouvés à leur ordinaire
au son de la musique. Soyez les bien venus.
Tous les chasseurs derrière le théâtre.

Allons tous, allons tous; nous les découvrirons ici.

[blocks in formation]

Non, seigneur; quand je vois que la pourpre et l'émail de Tyr ne causent que des peines, et que les pompes royales sont si passagères qu'on ne sait pas si elles sont un mensonge ou une vérité, je vous prie de me rendre à ma première vie. Habitant des monta

Il y a dans l'original hambriento, qui veut dire afamé, gnes, compagnon des bêtes sauvages, citoyen des

de hambre, faim.

précipices, je n'envie point ces grandeurs qui parais

[blocks in formation]

Puisque cette confusion augmente, venons à bout de sortir de ce profond abîme.— Astolphe, j'ai voulu savoir ton secret ; j'ai employé des moyens qui m'ont instruit. On m'a appris qu'être Héraclius, c'est être

D'un témoin irréprochable; c'est Cintia qui me fils de Maurice. l'a dit.

CINTIA.

ASTOLPHE.

Ce serait donc la première vérité que le mensonge

Moi! comment? quand? et de qui aurais-je pu le aurait dite. savoir?

HÉR ACLIUS.

PHOCAS.

Mais afin qu'il ne reste aucun scrupule dans l'es

C'est Astolphe qui vous l'a dit, quand on l'a amené prit de Léonide, explique-toi clairement. devant vous.

ASTOLPHE.

Ils vont me tuer! quel espoir me reste-t-il ? Moi, madame, je vous l'ai dit?

ASTOLPHE.

Seigneur, puisque vous le savez, que puis-je dire?

CINTIA.

Et toi, traître Lisippo, pourquoi viens-tu ici?

[blocks in formation]

C'est plus qu'il ne faut. Mes vassaux, mes sujets, réjouissances; que Léonide vienne à ma cour, que

[blocks in formation]

--

Eh bien! pour vous et pour moi j'accomplirai ma promesse. Allez, vous autres, faites démarer cette barque qui est sur la rive, percez-en le fond. Madame, je le laisserai vivant, puisque je ne lui donne point la mort; il ne sera point prisonnier puisque je l'envoie courir la mer à son aise. Allez, qu'on l'enlève, qu'on le mette dans cette barque. HÉRACLIUS, aux gens de Phocas.

Non, rustres, non, point de violence. J'irai moimême à mon tombeau, puisque mon tombeau est dans ce bateau. Adieu, Cintia, charmant prodige, le premier et le dernier que j'ai vu. Adieu, Astolphe, mon père : je vous laisse au pouvoir de mon ennemi, qui en mentant a dit la vérité, et qui a dit

la vérité en mentanta.

[blocks in formation]

tout le monde le reconnaisse; que tous mes vassaux lui baisent la main; et qu'ils disent à haute voix : Vive Léonide!

HÉRACLIUS.

O cieux, favorisez-moi!

ASTOLPHE.

O cieux, ayez pitié de nous!

La musique chante: Vive Léonide.

LÉONIDE.

Que tout ceci soit une vérité ou un mensonge, que cela soit certain ou faux, que l'enchantement finisse ou qu'il dure, je me vois, en attendant, héritier de l'empire; et quand le destin envieux voudrait reprendre le bien qu'il m'a fait, il ne m'empêchera pas d'avoir goûté une si grande félicité à côté d'un si grand péril.

HÉRACLIUS.

Ciel, favorisez-moi!

ASTOLPHE.

Cieux, ayez pitié de nous!

La musique recommence, et chante : « Vive Léonide! » On entend de l'artillerie, des tambours et des trompettes.

PHOCAS, à Héraclius et à Astolphe.

Je vous crois exaucés. J'entends de loin des trompettes, des tambours, et du canon, qui paraissent vouloir changer nos divertissements en appareil de guerre.

CINTIA, qui apparemment s'en était allée, et

qui revient sur le théâtre.

Je regardais d'une vue de compassion le combat des vents et des flots, et ce gonflement passager des vagues qui se jouent en bouillonnant sur ces vastes champs verts et salés, lorsque j'ai vu de loin dans le golfe une vaste cité de navires, qui ont fait une salve en venant reconnaître le port.

PHOCAS.

C'est apparemment quelque roi voisin, feudataire de l'empire (comme ils le sont tous), qui vient nous payer les tributs.

LISIPPO.

Seigneur, en observant de plus près ces voiles enflées, je penche à croire plutôt...

Quoi?

PHOCAS.

LISIPPO.

Que c'est la flotte du prince de Calabre, dont l'ambassadeur est venu nous menacer.

« PrécédentContinuer »