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Ainsi jadis dans ces plaines fécondes
Que de l'Euphrate environnent les ondes,
Quand des humains l'orgueil capricieux
Voulut bâtir près des voûtes des cieux a,
Dieu ne voulant d'un pareil voisinage,
En cent jargons transmua leur langage.
Sitôt qu'un d'eux à boire demandait,
Plâtre ou mortier d'abord on lui donnait;
Et cette gent, de qui Dieu se moquait,
Se sépara, laissant là son ouvrage.
On sait bientôt aux remparts d'Orléans
Ce grand combat contre les assiégeants:
La renommée y vole à tire d'aile,
Et va prônant le nom de la Pucelle.
Vous connaissez l'impétueuse ardeur

De nos Français; ces fous sont pleins d'honneur:
Ainsi qu'au bal ils vont tous aux batailles.
Déjà Dunois la gloire des bâtards,

Dunois qu'en Grèce on aurait pris pour Mars,
Et La Trimouille, et La Hire, et Saintrailles,
Et Richemont. sont sortis des murailles,
Croyant déjà chasser les ennemis,

Et criant tous : « Où sont-ils? où sont-ils? >>
Ils n'étaient pas bien loin : car près des portes
Sire Talbot, homme de très grand sens,
Pour s'opposer à l'ardeur de nos gens,
En embuscade avait mis dix cohortes.

Sire Talbot a depuis plus d'un jour
Juré tout haut par saint George et l'Amour
Qu'il entrerait dans la ville assiégée.
Son âme était vivement partagée :
Du gros Louvet la superbe moitié
Avait pour lui plus que de l'amitié;

Et ce héros, qu'un noble espoir enflamme,
Veut conquérir et la ville et sa dame.
Nos chevaliers à peine ont fait cent pas
Que ce Talbot leur tombe sur les bras;
Mais nos Français ne s'étonnèrent pas.
Champs d'Orléans, noble et petit théâtre
De ce combat terrible, opiniâtre,
Le sang humain dont vous fûtes couverts
Vous engraissa pour plus de cent hivers.
Jamais les champs de Zama ↳, de Pharsalec,

a La tour de Babel fut élevée, comme on sait, cent vingt ans après le déluge universel. Flavius-Josèphe croit qu'elle fut bátie par Nemrod ou Nembrod; le judicieux dom Calmet a donné le profil de cette tour élevée jusqu'à onze étages, et il a orné son Dictionnaire de tailles-douces dans ce goût, d'après les monuments; le livre du savant Juif Jaleus donne à la tour de Babel vingt-sept mille pas de hauteur, ce qui est bien vraisemblable; plusieurs voyageurs ont vu les restes de cette tour.

Le saint patriarche Alexandre Eutychius assure, dans ses Annales, que soixante et douze hommes bâtirent cette tour. Ce fut, comme on le sait, l'époque de la confusion des langues: le fameux Bécan prouve admirablement que la langue flamande fut celle qui retint le plus de l'hébraïque.

be Remarquez qu'à la bataille de Zama, entre Publius Scipion et Annibal, il y avait des Français qui servaient dans l'ar

De Malplaquet la campagne fatale,
Célèbres lieux couverts de tant de morts,
N'ont vu tenter de plus hardis efforts.
Vous eussiez vu les lances hérissées,
L'une sur l'autre en cent tronçons cassées;
Les écuyers, les chevaux renversés,
Dessus leurs pieds dans l'instant redressés;
Le feu jaillir des coups de cimeterre,
Et du soleil redoubler la lumière;
De tous côtés voler, tomber à bas,
Épaules, nez, mentons, pieds, jambes, bras.
Du haut des cieux les anges de la guerre,
Le fier Michel et l'exterminateur,
Et des Persans le grand flagellateur a,
Avaient les yeux attachés sur la terre,
Et regardaient ce combat plein d'horreur.
Michel alors prit la vaste balance b
Où dans le ciel on pèse les humains;
D'une main sûre il pesa les destins
Et les héros d'Angleterre et de France.
Nos chevaliers, pesés exactement,
Légers de poids par malheur se trouvèrent :
Du grand Talbot les destins l'emportèrent:
C'était du ciel un secret jugement.

Le Richemont se voit incontinent
Percé d'un trait de la hanche à la fesse;
Le vieux Saintraille au-dessus du genou;

mée carthaginoise, selon Polybe. Ce Polybe, contemporain et amide Scipion, dit que le nombre était égal de part et d'autre; le chevalier de Folard n'en convient pas : il prétend que Scipion attaqua en colonnes. Cependant il paraît que la chose n'est pas possible, puisque Polybe dit que les troupes combattaient toutes de main à main : c'est sur quoi nous nous en rapportons aux doctes.

Nota bene qu'à Pharsale Pompée avait cinquante-cinq mille hommes, et César vingt-deux mille. Le carnage fut grand; les vingt-deux mille césariens, après un combat opiniâtre, vainquirent les cinquante-cinq mille pompéiens. Cette bataille décida du sort de la république, et mit sous la puissance du mignon de Nicomède la Grèce, l'Asie-Mineure, l'Italie, les Gaules, l'Espagne, etc., etc.

Cette bataille eut plus de suites que le petit combat de Jeanne; mais enfin c'est Jeanne, c'est notre Pucelle : sachon gré à notre cher compatriote d'avoir comparé les exploits de cette chère fille à ceux de César, qui n'avait pas son pucelage. Les révérends pères jésuites n'ont-ils pas comparé saint Ignace à César, et saint François-Xavier à Alexandre? Ils leur ressemblaient comme les vingt-quatre vieillards de Pascal ressem. blent aux vingt-quatre vieillards de l'Apocalypse. On compare tous les jours le premier roi venu à César; pardonnons donc au grave chantre de notre héroïne d'avoir comparé un petit choc de bibus aux batailles de Zama et de Pharsale.

a Apparemment que notre profond auteur donne le nom de Persans aux soldats de Sennacherib, qui étaient Assyriens, parce que les Persans furent long-temps dominateurs en Assyrie; mais il est constant que l'ange du Seigneur tua tout seul cent quatre-vingt-cinq mille soldats de l'armée de Sennacherib, qui avait l'insolence de marcher contre Jérusalem; et quand Sennacherib vit tous ces corps morts, il s'en retourna. Ceci arriva l'an du monde 3293, comme on dit; cependant plusieurs doctes prétendent que cette aventure toute simple est de l'an 3295: ncus la croyons de 3296, comme nous le prouverons ci-dessous.

b Cet endroit parait imité d'Homère. Milton fait peser les destins des hommes dans le signe de la Balance.

D

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Très galamment deux jeunes écuyers
Dans le palais par la main les conduisent,
Dans des bains d'or filles les introduisent
Honnêtement; puis lavés, essuyés,
D'un déjeuner amplement festoyés,
Dans de beaux lits brodés ils se couchèrent,
Et jusqu'au soir en héros ils ronflèrent.

Il faut savoir que le maître et seigneur
De ce logis digne d'un empereur
Était le fils de l'un de ces génies
Des vastes cieux habitants éternels,
De qui souvent les grandeurs infinies
S'humanisaient chez les faibles mortels.
Or, cet esprit, mêlant sa chair divine
Avec la chair d'une bénédictine,
En avait eu le noble Hermaphrodix,
Grand nécromant, et le très digne fils
De cet incube et de la mère Alix.

Le jour qu'il eut quatorze ans accomplis,
Son géniteur, descendant de sa sphère,
Lui dit : « Enfant, tu me dois la lumière;
Je viens te voir, tu peux former des vœux;
Souhaite, parle, et je te rends heureux. »
Hermaphrodix, né très voluptueux,
Et digne en tout de sa belle origine,
Dit: « Je me sens de race bien divine,
Car je rassemble en moi tous les désirs,
Et je voudrais avoir tous les plaisirs.

De voluptés rassasiez mon âme;

Je veux aimer comme homme et comme femme,
Être la nuit du sexe féminin,

Et tout le jour du sexe masculin. »
L'incube dit : « Tel sera ton destin; ›
Et dès ce jour la ribaude figure

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Jouit des droits de sa double nature :
Ainsi Platon, le confident des dieux a,
A prétendu que nos premiers aïeux,
D'un pur limon pétri des mains divines,
Nés tous parfaits et nommés androgynes,
Également des deux sexes pourvus,
Se suffisaient par leurs propres vertus.
Hermaphrodix était bien au-dessus :
Car se donner du plaisir à soi-même,
Ce n'est pas là le sort le plus divin;
Il est plus beau d'en donner au prochain,
Et deux à deux est le bonheur suprême.
Ses courtisans disaient que tour à tour
C'était Vénus, c'était le tendre Amour :
De tous côtés ils lui cherchaient des filles,
Des bacheliers ou des veuves gentilles.
Hermaphrodix avait oublié net

De demander un don plus nécessaire,
Un don sans quoi nul plaisir n'est parfait,

a Selon Platon, l'homme fut formé avec les deux sexes. Adam apparut tel à la dévote Bourignon et à son directeur Abbadie.

Un don charmant; eh quoi ? celui de plaire.
Dieu, pour punir cet effréné paillard,
Le fit plus laid que Samuel Bernard;
Jamais ses yeux ne firent de conquêtes :
C'est vainement qu'il prodiguait les fêtes,
Les longs repas, les danses, les concerts;
Quelquefois même il composait des vers.
Mais quand le jour il tenait une belle,
Et quand la nuit sa vanité femelle
Se soumettait à quelque audacieux,
Le ciel alors trahissait tous ses vœux;
Il recevait, pour toutes embrassades,
Mépris, dégoûts, injures, rebuffades :
Le juste ciel lui fesait bien sentir
Que les grandeurs ne sont pas du plaisir.
« Quoi! disait-il, la moindre chambrière
Tient son galant étendu sur son sein,
Un lieutenant trouve une conseillère,
Dans un moutier un moine a sa nonnain :
Et moi génie, et riche, et souverain,
Je suis le seul dans la machine ronde
Privé d'un bien dont jouit tout le monde ! »
Lors il jura, par les quatre éléments,
Qu'il punirait les garçons et les belles
Qui n'auraient pas pour lui des sentiments,
Et qu'il ferait des exemples sanglants
Des cœurs ingrats, et surtout des cruelles.
Il recevait en roi les survenants;
Et de Saba la reine basanée a,

α

Et Thalestris dans la Perse amenée,
Avaient reçu de moins riches présents
Des deux grands rois qui brûlèrent pour elles,
Qu'il n'en fesait aux chevaliers errants,
Aux bacheliers, aux gentes demoiselles.
Mais si quelqu'un d'un esprit trop rétif
Manquait pour lui d'un peu de complaisance,
S'il lui faisait la moindre résistance,
Il était sûr d'être empalé tout vif.

Le soir venu, monseigneur étant femme
Quatre huissiers de la part de madame
Viennent prier notre aimable bâtard
De vouloir bien descendre sur le tard
Dans l'entresol, tandis qu'en compagnie
Jeanne soupait avec cérémonie.
Le beau Dunois tout parfumé descend
Au cabinet où le souper l'attend.
Tel que jadis la sœur de Ptolémée b,
De tout plaisir noblement affamée,
Sut en donner à ces Romains fameux,
A ces héros fiers et voluptueux,
Au grand César, au brave ivrogne Antoine;
Tel que moi-même en ai fait chez un moine

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a La reine de Saba vint voir Salomon, dont elle eut un fils, qui est certainement la tige des rois d'Éthiopie, comme cela est prouvé. On ne sait pas ce que devint la race d'Alexandre et de Thalestris.

↳ Cléopâtre.

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