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ÉPITRES.

ÉPITRE I.

A MONSEIGNEUR,

FILS UNIQUE DE LOUIS XIV'.

1706 ou 1707.

Noble sang du plus grand des rois,
Son amour et notre espérance,
Vous qui, sans régner sur la France,
Régnez sur le cœur des François 2,
Pourrez-vous souffrir que ma veine,
Par un effort ambitieux,

Ose vous donner une étrenne,

Vous qui n'en recevez que de la main des dieux ?
La nature en vous fesant naître

Vous étrenna de ses plus doux attraits,
Et fit voir dans vos premiers traits

Que le fils de Louis était digne de l'être.
Tous les dieux à l'envi vous firent leurs présents:
Mars vous donna la force et le courage;
Minerve, dès vos jeunes ans,
Ajouta la sagesse au feu bouillant de l'âge ;
L'immortel Apollon vous donna la beauté :
Mais un dieu plus puissant, que j'implore en mes pei-
Voulut aussi me donner mes étrennes,
En vous donnant la libéralité.

ÉPITRE II.

[nes,

A MME LA COMTESSE DE FONTAINES,

SUR SON ROMAN DE LA COMTESSE DE SAVOIE.

1713.

La Fayette et Segrais, couple sublime et tendre,
Le modèle, avant vous, de nos galants écrits,
Des champs élysiens, sur les ailes des Ris,

Ces vers furent présentés à ce prince par un soldat des Invalides l'auteur avait environ douze ans lorsqu'il les fit.

K.

⚫ On rimait alors pour les yeux Voltaire suivait en cela l'exemple des poêtes du siècle de Louis XIV; mais il ne tarda pas à s'apercevoir que la rime était faite pour l'oreille : il entreprit le premier d'accorder l'orthographe avec la prononciation, et fit voir le ridicule d'écrire le peuple français, commme saint François. Plusieurs écrivains ont senti la justesse de ses observations, et ont adopté son système. K.

Vinrent depuis peu dans Paris :

D'où ne viendrait-on pas, Sapho, pour vous entendre?
A vos genoux tous deux humiliés,

Tous deux vaincus, et pourtant pleins de joie,
Ils mirent leur Zaide aux pieds

De la Comtesse de Savoie.

Ils avaient bien raison : quel dieu, charmant auteur,
Quel dieu vous a donné ce langage enchanteur,
La force et la délicatesse,

La simplicité, la noblesse,

Que Fénelon seul avait joint;

Ce naturel aisé dont l'art n'approche point? Sapho, qui ne croirait que l'Amour vous inspire? Mais vous vous contentez de vanter son empire; De Mendoce amoureux vous peignez le beau feu, Et la vertueuse faiblesse

D'une maîtresse

Qui lui fait, en fuyant, un si charmant aveu.
Ah! pouvez-vous donner ces leçons de tendresse,
Vous qui les pratiquez si peu?

C'est ainsi que Marot, sur sa lyre incrédule,
Du dieu qu'il méconnut prôna la sainteté :
Vous avez pour l'amour aussi peu de scrupule;
Vous ne le servez point, et vous l'avez chanté.

Adieu; malgré mes épilogues,
Paissiez-vous pourtant, tous les ans,
Me lire deux ou trois romans,
Et taxer quatre synagogues i!

ÉPITRE III.

A M. L'ABBÉ SERVIEN',

PRISONNIER AU CHATEAU DE VINCENNES.

1714.

Aimable abbé, dans Paris autrefois
La Volupté de toi reçut des lois;
Les Ris badins, les Grâces enjouées,

I Madame la comtesse de Fontaines était fille du marquis de Givry, commandant de Metz, qui avait favorisé l'établissement des Juifs dans cette ville; ceux-ci, par reconnaissance, lui avaient fait une pension considérable qui était passée à ses enfants. K.

L'abbé Servien ne fut jamais mêlé dans aucune affaire

A te servir dès long-temps dévouées,
Et dès long-temps fuyant les yeux du roi,
Marchaient souvent entre Philippe et toi,
Te prodiguaient leurs faveurs libérales,

Et de leurs mains marquaient dans leurs annales,
En lettres d'or, mots et contes joyeux,
De ton esprit enfants capricieux.

O doux plaisirs, amis de l'innocence,
Plaisirs goûtés au sein de l'indolence,
Et cependant des dévots inconnus!
O jours heureux! qu'êtes-vous devenus?
Hélas! j'ai vu les Grâces éplorées,
Le sein meurtri, pâles, désespérées;
J'ai vu les Ris tristes et consternés,
Jeter les fleurs dont ils étaient ornés;

Les yeux en pleurs, et soupirant leurs peines,
Ils suivaient tous le chemin de Vincennes,
Et, regardant ce château malheureux,
Aux beaux-esprits, hélas! si dangereux,
Redemandaient au destin en colère
Le tendre abbé qui leur servait de père.
N'imite point leur sombre désespoir;
Et, puisqu'enfin tu ne peux plus revoir
Le prince aimable à qui tu plais, qui t'aime,
Ose aujourd'hui te suffire à toi-même.
On ne vit pas au donjon comme ici :
Le destin change, il faut changer aussi.
Au sel attique, au riant badinage,
Il faut mêler la force et le courage;
A son état mesurant ses desirs,
Selon les temps se faire des plaisirs,
Et suivre enfin, conduit par la nature,
Tantôt Socrate, et tantôt Épicure.
Tel dans son art un pilote assuré,
Maître des flots dont il est entouré,
Sous un ciel pur où brillent les étoiles,
Au vent propice abandonne ses voiles,
Et, quand la mer a soulevé ses flots,
Dans la tempête il trouve le repos :
D'une ancre sûre il fend la molle arène,
Trompe des vents l'impétueuse haleine;
Et, du trident bravant les rudes coups,
Tranquille et fier, rit des dieux en courroux.

d'état ou d'église : c'était un homme de plaisir; et vraisemblablement quelque aventure un peu trop bruyante avait été la cause de sa prison. La fin du règne de Louis XIV est une des époques où la licence des mœurs s'est montrée avec le plus de liberté. Le mépris et l'indignation qu'excitaient l'hypocrisie de la cour fesaient presque regarder cette licence comme une marque de noblesse d'âme et de courage.

Cette épitre est précieuse : on y voit que, dès l'âge de vingt ans, Voltaire avait déjà une philosophie douce, vraie, et sans exagération, telle qu'on la retrouve dans tous ses ouvrages. On y voit aussi que l'on parlait encore de Fouquet avec éloge: Ja haine pour son persécuteur Colbert n'était pas éteinte; ce ne fut que sous le gouvernement du cardinal de Fleury qu'on s'avisa de le croire un grand homme.

L'abbé Servien mourut en 1716. K.

Tu peux,
abbé, du sort jadis propice
Par ta vertu corriger l'injustice;
Tu peux changer ce donjon détesté
En un palais par Minerve habité.
Le froid Ennui, la sombre Inquiétude,
Monstres affreux, nés dans la solitude,
De ta prison vont bientôt s'exiler.
Vois dans tes bras de toutes parts voler
L'oubli des maux, le Sommeil désirable;
L'Indifférence, au cœur inaltérable,
Qui, dédaignant les outrages du sort,
Voit d'un même œil et la vie et la mort;
La Paix tranquille, et la Constance altière,
Au front d'airain, à la démarche fière,
A qui jamais ni les rois ni les dieux,

La foudre en main, n'ont fait baisser les yeux.
Divinités des sages adorées,

Que chez les grands vous êtes ignorées!
Le fol Amour, l'Orgueil présomptueux,
Des vains Plaisirs l'essaim tumultueux,
Troupe volage à l'erreur consacrée,
De leurs palais vous défendent l'entrée.
Mais la retraite a pour vous des appas :
Dans nos malheurs vous nous tendez les bras;
Des Passions la troupe confondue

A votre aspect disparaît éperdue.
Par vous, heureux au milieu des revers,
Le philosophe est libre dans les fers.
Ainsi Fouquet, dont Thémis fut le guide,
Du vrai mérite appui ferme et solide,
Tant regretté, tant pleuré des neuf Sœurs,
Le grand Fouquet, au comble des malheurs,
Frappé des coups d'une main rigoureuse,
Fut plus content dans sa demeure affreuse,
Environné de sa seule vertu,

Que quand jadis, de splendeur revêtu,
D'adulateurs une cour importune
Venait en foule adorer sa fortune.

Suis donc, abbé, ce héros malheureux;
Mais ne va pas, tristement vertueux,
Sous le beau nom de la philosophie,
Sacrifier à la mélancolie,

Et par chagrin, plus que par fermeté,
T'accoutumer à la calamité.

Ne passons point les bornes raisonnables.
Dans tes beaux jours, quand les dieux favorables
Prenaient plaisir à combler tes souhaits,
Nous t'avons vu, méritant leurs bienfaits,
Voluptueux avec délicatesse,

Dans tes plaisirs respecter la sagesse.
Par les destins aujourd'hui maltraité,
Dans ta sagesse aime la volupté.

D'un esprit sain, d'un cœur toujours tranquille,
Attends qu'un jour, de ton noir domicile,
On te rappelle au séjour bienheureux.
Que les Plaisirs, les Grâces, et les Jeux,

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Quand dans Paris ils te verront paraître,
Puissent sans peine encor te reconnaître.
Sois tel alors que tu fus autrefois :
Et cependant que Sully quelquefois
Dans ton château vienne, par sa présence,
Contre le sort affermir ta constance.
Rien n'est plus doux, après la liberté,
Qu'un tel ami dans la captivité.

Il est connu chez le dieu du Permesse :

Grand sans fierté, simple et doux sans bassesse,
Peu courtisan, partant homme de foi,
Et digne enfin d'un oncle tel que toi.

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Montbrun, par l'Amour adoptée,
Digne du cœur d'un demi-dieu,

Et, pour dire encor plus, digne d'être chantée
Ou par Ferrand, ou par Chaulieu;
Minerve et l'enfant de Cythère

Vous ornent à l'envi d'un charme séducteur;
Je vois briller en vous l'esprit de votre mère
Et la beauté de votre sœur :
C'est beaucoup pour une mortelle.
Je n'en dirai pas plus: songez bien seulement
A vivre, s'il se peut, heureuse autant que
Libre des préjugés que la raison dément,
Aux plaisirs où le monde en foule vous appelle,
Abandonnez-vous prudemment.

belle;

Vous aurez des amants, vous aimerez sans doute:
Je vous verrai, soumise à la commune loi,
Des beautés de la cour suivre l'aimable route,
Donner, reprendre votre foi.

Pour moi, je vous louerai; ce sera mon emploi.
Je sais que c'est souvent un partage stérile,
Et que La Fontaine et Virgile
Recueillaient rarement le fruit de leurs chansons.
D'un inutile dieu malheureux nourrissons,
Nous semons pour autrui. J'ose bien vous le dire,
Mon cœur de La Duclos fut quelque temps charmé;
L'amour en sa faveur avait monté ma lyre :
Je chantais La Duclos; d'Uzès en fut aimé :
C'était bien la peine d'écrire!

Je vous louerai pourtant; il me sera trop doux
De vous chanter, et même sans vous plaire;
Mes chansons seront mon salaire :
N'est-ce rien de parler de vous ?

ÉPITRE V

A M. LE PRINCE DE VENDOME,

GRAND-PRIEUR DE FRANCE.

1715.

Je voulais par quelque huitain,
Sonnet, ou lettre familière,
Réveiller l'enjouement badin
De votre altesse chansonnière;
Mais ce n'est pas petite affaire
A qui n'a plus l'abbé Courtin
Pour directeur et pour confrère.

Tout simplement donc je vous dis
Que dans ces jours, de Dieu bénis,
Où tout moine et tout cagot mange
Harengs saurets et salsifis,

Ma muse, qui toujours se range
Dans les bons et sages partis,
Fait avec faisans et perdrix
Son carême au château Saint-Ange.

Au reste, ce château divin,
Ce n'est pas celui du saint-père,
Mais bien celui de Caumartin,
Homme sage, esprit juste et fin,
Que de tout mon cœur je préfère
Au plus grand pontife romain,
Malgré son pouvoir souverain
Et son indulgence plénière.

Caumartin porte en son cerveau
De son temps l'histoire vivante;
Caumartin est toujours nouveau
A mon oreille qu'il enchante;
Car dans sa tête sont écrits

Et tous les faits et tous les dits
Des grands hommes, des beaux-esprits;
Mille charmantes bagatelles,

Des chansons vieilles et nouvelles,

Et les annales immortelles
Des ridicules de Paris.

Château Saint-Ange, aimable asile,
Heureux qui dans ton sein tranquille
D'un carême passe le cours!
Château que jadis les Amours
Bâtirent d'une main habile
Pour un prince qui fut toujours.
A leur voix un peu trop docile,
Et dont ils filèrent les jours!
Des courtisans fuyant la presse,
C'est chez toi que François premier
Entendait quelquefois la messe,
Et quelquefois par le grenier
Rendait visite à sa maîtresse.

De ce pays les citadins
Disent tous que dans les jardins

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