Voyez comme le roi on maître De ce devoir s'est acquitté. Son dauphin, comme vous, appello Auprès de lui les plus beaux arts
De Le Brun, de Lulli, d'Handelle 1, Tout aussi bien que ceux de Mars. Il apprit la langue espagnole; Il entend celle des Césars, Mais des Césars du Capitole. Vous me demanderez comment, Dans le beau printemps de sa vie, Un dauphin peut en savoir tant; Qui fut son maître? Le génie : Ce fut là votre précepteur. Je sais bien qu'un peu de culture Rend encor le terrain meilleur; Mais l'art fait moins que la nature.
J'ai donc vu ce Postdam, et je ne vous vois pas; On dit qu'ainsi que moi vous prenez médecine. Que de conformités m'attachent sur vos pas! Le dicu de la double colline, L'amour de tous les arts, la haine des dévots; Raisonner quelquefois sur l'essence divine;
Peu hanter nosseigneurs les sots;
Au corps comme à l'esprit donner peu de repos; Mettre l'ennui toujours en fuite; Manger trop quelquefois, et me purger ensuite; Savourer les plaisirs, et me moquer des maux; Sentir et réprimer ma vive impatience : Voilà quel est mon lot, voilà ma ressemblance
Avec mon aimable héros.
O vous, maîtres du monde! ô vous, rois que j'atteste, Indolents dans la paix, ou de sang abreuvés...
Ressemblez-lui dans tout le reste....
QUI AVAIT ADRESSÉ DES VERS A L'AUTEUR SUR CES RIMES
Lorsque deux rois 'entendent bien, Que chacun d'eux défend son bien,
'Haendel, célèbre musicien.
Et du bien d'autrui fait ripaille. Quand un des deux, roi très chrétien, L'autre, qui l'est vaille que vaille, Prennent des murs, gagnent bataille,
Et font sur le bord stygien Voler des pandours la canaille; Quand Berlin rit avec Versaille Aux dépens de l'Hanovrien, Que dit monsieur l'Autrichien? Tout honteux, il faut qu'il s'en aille Loin du monarque prussien, Qui le bat, le suit, et s'en raille. Cela pourra gâter la taille De ce gros monsieur Bartenstein, Et rabaisser ce ton hautain Qui toujours contre vous criaille. C'est en vain que l'Anglais travaille A combattre votre destin,
Vous aurez l'huître, et lui l'écaille, Vous aurez le fruit et le grain, Et lui l'écorce avec la paille. Le Saxon voit que c'est en vain Qu'un petit moment il ferraille; Contre un aussi mauvais voisin Que peut-il faire ? Rien qui vaille. Vous seriez empereur romain, Et du pape première ouaille, Si vous en aviez le dessein; Mais votre pouvoir souverain Subsistera, pour le certain, Sans cette belle pretintaille. Soyez l'arbitre du Germain, Soyez toujours vainqueur humain, Et laissez là la rime en aille.
ÉPITRE LXXIV.
AU DUC DE RICHELIEU.
Généreux courtisan d'un roi brillant de gloire, Vous, ministre et témoin de ses vaillants exploits L'emploi d'écrire son histoire
Devient le plus beau des emplois.
Plus il est glorieux, et plus il est facile; Le sujet seul fait tout, et l'art est inutile. Je n'ai pas besoin d'ornement, Je n'ai rien à flatter, et je n'ai rien à taire : Je dois raconter simplement
Les grandes actions, ainsi qu'il les sait faire Je dirai qu'il porte ses pas
Des jeux à la tranchée, et d'un siége aux comvats⚫ Que si Louis-le-Grand renversa des murailles, Le ciel réservait à son fils
L'honneur de gagner des batailles,
A Paris, 21 février 1747.
Enfant du Pinde et de Cythère, Brillant et sage Algarotti, A qui le ciel a départi
L'art d'aimer, d'écrire, et de plaire, Et que, pour comble de bienfaits, Un des meilleurs rois de la terre A fait son conseiller de guerre Dès qu'il a voulu vivre en paix; Dans vos palais de porcelaine, Recevez ces frivoles sons, Enfilés sans art et sans peine Au charmant pays des pompons. O Saxe! que nous vous aimons! O Saxe! que nous vous devons D'amour et de reconnaissance! C'est de votre sein que sortit Le héros qui venge la France Et la nymphe qui l'embellit.
Apprenez que cette dauphine, Par ses grâces, par son esprit, Ici chaque jour accomplit Ce que votre muse divine Dans ses lettres m'avait prédit. Vous penserez que je l'ai vue, Quand je vous en dis tant de bien, Et que je l'ai même entendue : Je vous jure qu'il n'en est rien, Et que ma muse peu connue, En vous répétant dans ces vers Cette vérité toute nue,
N'est que l'écho de l'univers.
Une dauphine est entourée, Et l'étiquette est son tourment. J'ai laissé passer prudemment Des paniers la foule titrée, Qui remplit tout l'appartement De sa bigarrure dorée. Virgile était-il le premier A la toilette de Livie?
Il laissait passer Cornélie, Les ducs et pairs, le chancelier, Et les cordons bleus d'Italie, Et s'amusait sur l'escalier Avec Tibulle et Polymnie.
Mais à la fin j'aurai mon tour: Les dieux ne me refusent guère; Je fais aux Grâces chaque jour Une très dévote prière.
Je leur dis: « Filles de l'Amour, Daignez, à ma muse discrète, Accordant un peu de faveur, Me présenter à votre sœur Quand vous irez à sa toilette. >>
Que vous dirai-je maintenant Du dauphin, et de cette affaire De l'amour et du sacrement? Les dames d'honneur de Cythère En pourraient parler dignement : Mais un profane doit se taire. Sa cour dit qu'il s'occupe à faire Une famille de héros,
Ainsi qu'ont fait très à propos Son aïeul et son digne père. Daignez pour moi remercier Votre ministre magnifique; D'un fade éloge poétique Je pourrais fort bien l'ennuyer: Mais je n'aime pas à louer; Et ces offrandes si chéries Des belles et des potentats, Gens tout nourris de flatteries, Sont un bijou qui n'entre pas Dans son baguier de pierreries. Adieu faites bien au Saxon Goûter les vers de l'Italie Et les vérités de Newton; Et que votre muse polie Parle encor sur un nouveau ton De notre immortelle Émilie.
Vous crurent le plus vieux des rois. Alors, des rives du Cocyte, A Berlin vous rendant visite, Atropos vint avec le Temps, Croyant trouver des cheveux blancs, Front ridé, face décrépite, Et discours de quatre-vingts ans. Que l'inhumaine fut trompée ! Elle aperçut de blonds cheveux,
Un teint fleuri, de grands yeux bleus, Et votre flûte et votre épée; Elle songea, pour mon bonheur, Qu'Orphée autrefois par sa lyre, Et qu'Alcide par sa valeur, La bravèrent dans son empire. Elle trembla quand elle vit Ce grand homme qui réunit
Les dons d'Orphée et ceux d'Alcide; Doublement elle vous craignit, Et, jetant son ciseau perfide, Chez ses sœurs elle s'en alla, Et pour vous le trio fila Une trame toute nouvelle, Brillante, dorée, immortelle, Et la même que pour Louis; Car vous êtes tous deux amis.
Tous deux vous forcez des murailles, Tous deux vous gagnez des batailles Contre les mêmes ennemis ; Vous régnez sur des cœurs soumis, L'un à Berlin, l'autre à Versailles. Tous deux un jour... mais je finis. Il est trop aisé de déplaire
Quand on parle aux rois trop long-temps: Comparer deux héros vivants N'est pas une petite affaire.
A S. S. M LA DUCHESSE DU MAINE,
SUR LA VICTOIRE REMPORTÉE PAR LE ROI, A LAWFELT.
Auguste fille et mère de héros, Vous ranimez ma voix faible et cassée, Et vous voulez que ma muse lassée Comme Louis ignore le repos.
D'un crayon vrai vous m'ordonnez de peindre Son cœur modeste et ses brillants exploits, Et Cumberland, que l'on a vu deux fois Chercher ce roi, l'admirer, et le craindre. Mais des bons vers l'heureux temps est passé : L'art des combats est l'art où l'on excelle. Notre Alexandre en vain cherche un Apelle : Louis s'élève, et le siècle est baissé. De Fontenoy le nom plein d'harmonie Pouvait au moins seconder le génie. Boileau pâlit au seul nom de Voërden. Que dirait-il si, non loin d'Helderen, Il eût fallu suivre entre les deux Nethes Bathiani, si savant en retraites; Avec d'Estrée à Rosmal s'avancer? La Gloire parle, et Louis me réveille; Le nom du roi charme toujours l'oreille; Mais que Lawfelt est rude à prononcer! Et quel besoin de nos panégyriques, Discours en vers, épîtres héroïques, Enregistrés, visés par Crébillon a, Signés Marville b, et jamais Apollon?
De votre fils je connais l'indulgence; Il recevra sans courroux mon encens; Car la Bonté, la sœur de la Vaillance, De vos aïeux passa dans vos enfants. Mais tout lecteur n'est pas si débonnaire, Et si j'avais, peut-être téméraire, Représenté vos fiers carabiniers
Donnant l'exemple aux plus braves guerriers; Si je peignais ce soutien de nos armes, Ce petit-fils, ce rival de Condé ; Du dieu des vers si j'étais secondé, Comme il le fut par le dieu des alarmes, Plus d'un censeur, encore avec dépit, M'accuserait d'en avoir trop peu dit. Très peu de gré, mille traits de satire, Sont le loyer de quiconque ose écrire : Mais pour son prince il faut savoir souffrir;
Il est pourtant des risques à courir:
Et la censure, avec plus d'injustice,
■ M. Crébillon, de l'académie française, examinateur des
écrits en une feuille présentés à la police
b M. Feydeau de Marville, alors lieutenant de police.
Va tous les jours acharner sa malice Sur des héros dont la fidélité L'a mieux servi que je ne l'ai chanté. Allons, parlez. ma noble académie : Sur vos lauriers êtes-vous endormie? Représentez ce conquérant humain Ottrant la paix, le tonnerre à la main. Ne louez point, auteurs, rendez justice; Et, comparant aux siècles reculés
Le siècle heureux, les jours dont vous parlez, Lisez César, vous connaîtrez Maurice a.
Si de l'état vous aimez les vengeurs, Si la patrie est vivante en vos cœurs, Voyez ce chef dont l'active prudence Venge à la fois Gênes, Parme, et la France. Chantez Belle-Isle : élevez dans vos vers Un monument au généreux Boufflers; Il est du sang qui fut l'appui du trône : Il eût pu l'être; et la faux du trépas Tranche ses jours, échappés à Bellone, Au sein des murs délivrés par son bras. Mais quelle voix assez forte, assez tendre, Saura gémir sur l'honorable cendre De ces héros que Mars priva du jour,
Aux yeux d'un roi, leur père et leur amour? O vous surtout, infortuné Bavière, Jeune Froulay, si digne de nos pleurs, Qui chantera votre vertu guerrière? Sur vos tombeaux qui répandra des fleurs? Anges des cieux, puissances immortelles, Qui présidez à nos jours passagers, Sauvez Lautrec au milieu des dangers : Mettez Ségur à l'ombre de vos ailes; Déjà Rocoux vit déchirer son flanc. Ayez pitié de cet âge si tendre; Ne versez pas le reste de ce sang
Que pour Louis il brûle de répandre 1.
De cent guerriers couronnez les beaux jours: Ne frappez pas Bonac et d'Aubeterre, Plus accablés sous de cruels secours Que sous les coups des foudres de la guerre. Mais, me dit-on, faut-il à tout propos Donner en vers des listes de héros? Sachez qu'en vain l'amour de la patrie Dicte vos vers au vrai seul consacrés : On flatte peu ceux qu'on a célébrés; On déplaît fort à tous ceux qu'on oublie. Ainsi toujours le danger suit mes pas; Il faut livrer presque autant de combats Qu'en a causé sur l'onde et sur la terre Cette balance utile à l'Angleterre.
Cessez, cessez, digne sang de Bourbon,
a Maurice, comte de Saxe.
M le marquis de Ségur, ministre de la guerre, en 1780 : Il avait été dangereusement blessé à Rocoux, et perdit un bras à la bataille de Lawfelt. K
De ranimer mon timide Apollon, Et laissez-moi tout entier à l'histoire; C'est là qu'on peut, sans génie et sans art, Suivre Louis de l'Escaut jusqu'au Jart. Je dirai tout, car tout est à sa gloire. Il fait la mienne, et je me garde bien De ressembler à ce grand satirique *, De son héros discret historien, Qui, pour écrire un beau panégyrique, Fut bien payé, mais qui n'écrivit rien.
A M. LE DUC DE RICHELIEU.
Dans vos projets étudiés Joignant la force et l'artifice, Vous devenez donc un Ulysse, D'un Achille que vous étiez. Les intérêts de deux couronnes Sont soutenus par vos exploits, Et des fiers tyrans du Génois On vous a vu prendre à-la-fois Et les postes et les personnes. L'ennemi, par vous déposté, Admire votre habileté.
En pareil cas, quelque Voiture Vous dirait qu'on vous vit toujours Auprès de Mars et des Amours Dans la plus brillante posture. Ainsi jadis on s'exprimait Dans la naissante académie Que votre grand-oncle formait; Mais la vieille dame, endormie Dans le sein d'un triste repos, Semble renoncer aux bons mots, Et peut-être même au génie. Mais quand vous viendrez à Paris, Après plus d'un beau poste pris, Il faudra bien qu'on yous harangue Au nom du corps des beaux-esprits, Et des maîtres de notre langue. Revenez bientôt essuyer Ces fadeurs qu'on nomme éloquence, Et donnez-moi la préférence Quand il faudra vous ennuyer.
ÉPITRE LXXIX.
A M. LE MARECHAL DE SAXE,
En fui envoyant les OEuvres de M. le marquis DE ROCHEMORE, son ancien ami, mort depuis peu. (Ce dernier est supposé lui faire un envoi de l'autre monde. )
Je goûtais dans ma nuit profonde Les froides douceurs du repos, Et m'occupais peu des héros
Qui troublent le repos du monde; Mais dans nos champs élysiens Je vois une troupe en colère De fiers Bretons, d'Autrichiens, Qui vous maudit et vous révère; Je vois des Français éventés
Qui tous se flattent de vous plaire, Et qui sont encore entêtés
De leurs plaisirs et de leur gloire, Car ils sont morts à vos côtés Entre les bras de la Victoire. Enfin dans ces lieux tout m'apprend Que celui que je vis à table Gai, doux, facile, complaisant, Et des humains le plus aimable, Devient aujourd'hui le plus grand. J'allais vous faire un compliment; Mais, parmi les choses étranges Qu'on dit à la cour de Pluton, On prétend que ce fier Saxon S'enfuit au seul brui! des louanges, Comme l'Anglais fuit à son nom.
Lisez seulement mes folies, Mes vers, qui n'ont loué jamais Que les trop dangereux attraits Du dieu du vin et des Sylvies : Ces sujets ont toujours tenté Les héros de l'antiquité
Comme ceux du siècle où nous sommes : Pour qui sera la volupté,
S'il en faut priver les grands hommes?
Est si frivole en tant d'erreurs abonde, Qu'il n'est permis d'en aimer le fracas Qu'à l'étourdi qui ne le connaît pas.
Après dîné, l'indolente Glycère Sort pour sortir, sans avoir rien à faire : On a conduit son insipidité
Au fond d'un char, où, montant de côté,
Son corps pressé gémit sous les barrières
D'un lourd panier qui flotte aux deux portières.
Chez son amie au grand trot elle va, Monte avec joie, et s'en repent déjà, L'embrasse, et bâille; et puis lui dit : « Madame, J'apporte ici tout l'ennui de mon âme : Joignez un peu votre inutilité
A ce fardeau de mon oisiveté. »
Si ce ne sont ses paroles expresses,
C'en est le sens. Quelques feintes caresses, Quelques propos sur le jeu, sur le temps, Sur un sermon, sur le prix des rubans, Ont épuisé leurs âmes excédées : Elles chantaient déjà, faute d'idées; Dans le néant leur cœur est absorbé, Quand dans la chambre entre monsieur l'abbé, Fade plaisant, galant escroc, et prêtre, Et du logis pour quelques mois le maître. Vient à la piste un fat en manteau noir, Qui se rengorge et se lorgne au miroir. Nos deux pédants sont tous deux sûrs de plaire; Un officier arrive, et les fait taire, Prend la parole, et conte longuement Ce qu'à Plaisance eût fait son régiment, Si par malheur on n'eût pas fait retraite. Il vous le mène au col de la Bouquette; A Nice, au Var, à Digne il le conduit; Nul ne l'écoute, et le cruel poursuit. Arrive Isis, dévote au maintien triste, A l'air sournois : un petit janséniste, Tout plein d'orgueil et de saint Augustin, Entre avec elle, en lui serrant la main.
D'autres oiseaux de différent plumage, Divers de goût, d'instinct, et de ramage En sautillant font entendre à-la-fois Le gazouillis de leurs confuses voix; Et dans les cris de la folle cohue La médisance est à peine entendue. Ce chamaillis de cent propos croisés Ressemble aux vents l'un à l'autre opposes. Un profond calme, un stupide silence Succède au bruit de leur impertinence; Chacun redoute un honnête entretien : On veut penser, et l'on ne pense rien. O roi David! ô ressource assurée! Viens ranimer leur langueur désœuvrée;
Il parait que cette petite pièce fut faite immédiatement après la guerre de 1741; guerre funeste, entreprise pour dépouiller l'héritière de la maison d'Autriche de la succession paternelle. K.
« PrécédentContinuer » |