Les spectacles, les jeux, tous les riens du grand mon Pour consoler mes derniers jours Dans ma solitude profonde. En habit d'amazone, au fond de mes déserts, D'un flambeau dans tes mains la flamme étincelante C'est elle qui t'instruit, et tu la rends aimable. Auprès du vieux Anacréon, La légende nous a conté Que l'on vit sainte Thècle, au public exposée, Suivant partout saint Paul, en homme déguisée, Braver tous les brocards de la malignité. Cet exemple de piété En tout pays fut imité Chez la révérende prêtrise : Eut une femme à son côté. Il n'est point de François de Sale Sans une dame de Chantal: Un dévot peut penser à mal, Mais ne donne point de scandale. Bravez donc les discours malins, ÉPITRE CVIII. A MADAME DE SAINT-JULIEN. 1768. Des contraires bel assemblage, A votre brillant tourbillon; S'ils me passent en beaux talents. Ces petits vers froids et coulants Dans un de messieurs vos parents". Madame de Saint-Julien aimait beaucoup la chasse. 2 M. le duc de Choiseul. K. ÉPITRE CIX. A MON VAISSEAU, 1768. O vaisseau qui portes mon nom, Puisses-tu comme moi résister aux orages! L'empire de Neptune a vu moins de naufrages Que le Permesse d'Apollon. Tu vogueras peut-être à ces climats sauvages A moins qu'aux chantiers de Toulon Ils ne servent le roi noblement et sans gages. Sois certain que Paris ne s'informera guère Si tu vogues vers Smyrne où l'on vit naître Homère, Ou si ton breton nautonier Te conduit près de Naple, en ce séjour fertile Qui fait bien plus de cas du sang de saint Janvier Que de la cendre de Virgile. Ne va point sur le Tibre : il n'est plus de talents, Il est un pape, et plus de Rome. Va plutôt vers ces monts qu'autrefois sépara Qui dompta les lions, sous qui l'hydre expira, Vainqueur d'une hydre plus fatale, Les deux jumeaux divins, Jason, Orphée, Alcide. Que mes chers Français ont commises Sur l'un et sur l'autre élément ! Une compagnie de Nantes venait de mettre en mer un beau vaisseau qu'elle a nommé le Vollaire M. le comte d'Aranda. Tu brûles de partir: attends, demeure, arrête; Mais dans mes prés fleuris, dans mes sombres forêts, Mon âme est encore inquiète; Des méchants et des sots je suis encor trop près: Les cris des malheureux percent dans ma retraite. Enfin le mauvais goût qui domine aujourd'hui Déshonore trop ma patrie. Hier on m'apporta, pour combler mon ennui, Je n'y tiens point, je pars, et j'ai trop différé. Boileau, correct auteur de quelques bons écrits, Zoïle de Quinault, et flatteur de Louis, Mais oracle du goût dans cet art difficile | Où s'égayait Horace, où travaillait Virgile, Dans la cour du Palais je naquis ton voisin : De ton siècle brillant mes yeux virent la fin; Siècle de grands talents bien plus que de lumière, Dont Corneille, en bronchant, sut ouvrir la carrière. Je vis le jardinier de ta maison d'Auteuil, Qui chez toi, pour rimer, planta le chèvre-feuila. Chez ton neveu Dongois je passai mon enfance; Antoine, gouverneur de mon jardin d'Auteu La maison était fort vilaine, et le jardin aussi. b Boileau a dit quelque part : M. Dongois, mon illustre noveu. C'était un greffier du parlememt, qui demeurait dans la cour du palais avec toute la famille de Boileau. Bon bourgeois qui se crut un homme d'importance. Bientôt les courtisans, ces singes de leur maître, Le duc et le prélat, le guerrier, le docteur, Le ciel nous envoya, dans ces temps corrompus, L'hôtel Rambouillet se déchaîna long-temps contre Boileau, qui avait accablé, dans ses satires, Chapelain, très estimé et recherché dans cette maison, mauvais poëte, à la vérité, mais homme fort savant, et, ce qui est étonnant, bon critique; Cotin, non moins plat poëte, et de plus plat prédicateur, mais homme de lettres et aimable dans la société; d'autres encore, dont aucun ne lui avait donné le moindre sujet de plainte. Il n'en est pas de même de notre auteur: il n'a jamais rendu ridicules que ceux qui l'ont attaqué; et en cela il a très bien fait, et nous l'exhortons à continuer. b L'abbé Terrasson, traducteur de Diodore de Sicile, philosophe et savant, mais entêté du système de Law. Il fit imprimer, le 21 juin 1720, une brochure dans laquelle il démontrait que les billets de banque étaient fort préférables à l'argent, parce que le billet avait un prix invariable. Les colporteurs qui debitaient sa brochure criaient en même temps un arrêt qui réduisait les billets à moitié. Il fut ruiné par æe système même qu'il avait tant préché. Ce fut lui qui, dans le temps où l'on remboursait en papier toutes les rentes, proposa à Law de rembourser la religion catholique. Law lui répondit que l'Église n'était pas si sotte, et qu'il lui fallait de Purgent comptant Reprendre un nouveau sang, raffermir ses ressorts, Mais si Fleury fut sage, il n'eut rien de sublime; Mais parmi ces faquins l'un sur l'autre expirants, Ce temps est, réponds-tu, très bon pour la satire. Mais quoi! puis-je en mes vers, aiguisant un bon mot, Affliger sans raison l'amour-propre d'un sot; Des Cotins de mon temps poursuivre la racaille, Et railler un Coger dont tout Paris se raille ? Non, ma muse m'appelle à de plus hauts emplois. A chanter la vertu j'ai consacré ma voix. Vainqueur des préjugés que l'imbécile encense, J'ose aux persécuteurs prêcher la tolérance; Je dis au riche avare : « Assiste l'indigent; » Au ministre des lois : « Protége l'innocent; › Au docteur tonsuré : « Sois humble et charitable, Et garde-toi surtout de damner ton semblabie. » Malgré soixante hivers, escortés de seize ans, Je fais au monde encore entendre mes accents. Du fond de mes déserts, aux malheureux propice, ་ Louis Racine, fils du grand Racine. ע b Guyon, auteur de plusieurs livres, comme de l'Orace des philosophes. Fréron est connu; Nonnotte est, ainsi que Fréron, un ex-jésuite et un folliculaire, Sorinière, nous ne savons quel est cet auteur. L'auteur aurait dû dire dix-sept, mais apparemment dixsept aurait gâté le vers. Pour Sirven opprimé je demande justice : Je vais mourir content. Le siècle qui doit naître Je veux le dire encor dans ces royaumes sombres : a Sirven est cet homme si innocent et si connu dont Voltaire prit la défense. Les juges l'avaient condamné lui et sa femme au dernier supplice. Le procureur fiscal de cette juridiction, nommé Trinquet, donna les conclusions suivantes : « Je requiers que l'accusé, dùment atteint et convaincu de » parricide, soit banni pour dix ans. » Ce Trinquet était ivre sans doute quand il conclut ainsi; mais les juges! Et c'est de pareils imbéciles barbares que dépend la vie des hommes! A la fin Voure est venu a bout de faire rendre justice a cette fainille. b M. de Saint-Lambert, dans son excellent poëme des Quatre Saisons. e Garasse, jésuite fameux par l'excès de ses bêtises et de ses fureurs. Il fut le délateur et le calomniateur de Théophile, auquel il pensa en couter la vie, dans un temps où il y avait beaucoup de juges aussi absurdes que Garasse. Insipide écrivain, qui crois à tes lecteurs Et les œuvres de l'homme avec Dieu, son auteuri... De lézards et de rats mon logis est rempli; Le premier fondement de la sainte équité, Si les cieux, dépouillés de son empreinte auguste, Mais toi, raisonneur faux, dont la triste imprudence Dans le chemin du crime ose les rassurer, De tes beaux arguments quel fruit peux-tu tirer? Tes enfants à ta voix seront-ils plus dociles? Tes amis, au besoin, plus sûrs et plus utiles? Ta femme plus honnête? et ton nouveau fermier, Pour ne pas croire en Dieu, va-t-il mieux te payer?... Ah! laissons aux humains la crainte et l'espérance. Tu m'objectes en vain l'hypocrite insolence De ces fiers charlatans aux honneurs élevés, Nourris de nos travaux, de nos pleurs abreuvés; Des Césars avilis la grandeur usurpée; Un prêtre au Capitole où triompha Pompée; Des faquins en sandale, excrément des humains, Trempant dans notre sang leurs détestables mains; Cent villes à leur voix couvertes de ruines, Et de Paris sanglant les horribles matines : Je connais mieux que toi ces affreux monuments; Je les ai sous ma plume exposés cinquante ans. Ce livre des Trois Imposteurs est un très mauvais ouvrage plein d'un athéisme grossier, sans esprit, et sans philosophie. Mais de ce fanatisme ennemi formidable, Les malheurs qu'apporta la superstition. Ils condamnaient le pape, et voulaient l'imiter. Je vois venir de loin ces temps, ces jours sereins, Il n'amènera plus deux témoins à sa suite a Los enfants de Sara, que nous traitons de chiens, с • En France, pour être reçu procureur, notaire, greffier, il faut deux témoins qui déposent de la catholicité du récipiendaire. b Tamponet était en effet docteur de Sorbonne. La Blétrie, à ce qu'on m'a rapporté, a imprimé que j'avais oublié de me faire enterrer. ÉPITRE CXII. A M. DE SAINT-LAMBERT. 1769. Chantre des vrais plaisirs, harmonieux émuk Du pasteur de Mantoue et du tendre Tibulle, Qui peignez la nature, et qui l'embellissez, Que vos Saisons m'ont plu! que mes sent émoussés A votre aimable voix se sentirent renaître! Que j'aime, en vous lisant, ma retraite champêtre! Je fais, depuis quinze ans, tout ce que vous chantez. Dans ces champs malheureux, si long-temps désertés, Sur les pas du Travail j'ai conduit l'Abondance; J'ai fait fleurir la Paix et régner l'Innocence. Ces vignobles, ces bois, ma main les a plantés ; Ces granges, ces hameaux désormais habités, Ces landes, ces marais changés en pâturages, Ces colons rassemblés, ce sont là mes ouvrages: Ouvrages fortunés, dont le succès constant De la mode et du goût n'est jamais dépendant; Ouvrages plus chéris que Mérope et Zaïre, Et que n'atteindront point les traits de la satire! Heureux qui peut chanter les jardins et les bois, Les charmes de l'amour, l'honneur des grands exEt parcourant des arts la flatteuse carrière, ploits, Aux mortels aveuglés rendre un peu de lumière! Mais encor plus heureux qui peut, loin de la cour, Embellir sagement son champêtre séjour, Entendre autour de lui cent voix qui le bénissent! De ses heureux succès quelques fripons gémissent; Un vil cagot mitré a, tyran des gens de bien, Va l'accuser en cour de n'être pas chrétien : Le sage ministère écoute avec surprise; Il reconnaît Tartufe, et rit de sa sottise. Cependant le vieillard achève ses moissons; Le pauvre en est nourri: ses chanvres, ses toisons, Habillent décemment le berger, la bergère. Il unit par l'hymen Moris avec Glycère; Il donne une chasuble au bon curé du lieu, Ce n'est qu'au successeur du chantre d'Ausonie a On ne sait quel est le misérable brouillon dont l'auteur parle ici; dès que nous en serons informés, nous lui rendrons toute la justice qu'il mérite. Il s'agit ici du nommé Biord, évêque d'Anneci, lequel proposa à M. le duc de Choiseul de faire enlever Voltaire de son château, attendu que sa présence empêchait Biord de faire croire la présence réelle aux Genevois. Le ministre lui répondit avec le mépris que méritaient sa sottise, son insolence, et sa méchanceté. Biord croire que son nom l'emportera sur celui de l'auteur d'Alzire et de Mahomet! un prêtre ordonner, au nom de Dieu, d'arracher un vieillard de son asile! proposer à un ministre de violer les lois de l'humanité et celles de la nation! K. |