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Les spectacles, les jeux, tous les riens du grand mon

Pour consoler mes derniers jours

Dans ma solitude profonde.

En habit d'amazone, au fond de mes déserts,
Je te vois arriver plus belle et plus brillante
Que la divinité qui naquit sur les mers.

D'un flambeau dans tes mains la flamme étincelante
Apporte un jour nouveau dans mon obscurité;
Ce n'est point de l'amour le flambeau redoutable,
C'est celui de la Vérité :

C'est elle qui t'instruit, et tu la rends aimable.
C'est ainsi qu'auprès de Platon,

Auprès du vieux Anacréon,
Les belles nymphes de la Grèce
Accouraient pour donner leçon
Et de plaisir et de sagesse.

La légende nous a conté

Que l'on vit sainte Thècle, au public exposée,

Suivant partout saint Paul, en homme déguisée,

Braver tous les brocards de la malignité.

Cet exemple de piété

En tout pays fut imité

Chez la révérende prêtrise :
Chacun des pères de l'Église

Eut une femme à son côté.

Il n'est point de François de Sale

Sans une dame de Chantal:

Un dévot peut penser à mal,

Mais ne donne point de scandale.

Bravez donc les discours malins,
Demeurez dans mon ermitage,
Et craignez plus les jeunes saints
Que les fleurettes d'un vieux sage.

ÉPITRE CVIII.

A MADAME DE SAINT-JULIEN.

1768.

Des contraires bel assemblage,
Vous qui, sous l'air d'un papillon,
Cachez les sentiments d'un sage,
Revolez de mon ermitage

A votre brillant tourbillon;
Allez chercher l'Illusion,
Compagne heureuse du bel âge;
Que votre imagination,
Toujours forte, toujours légère,
Entre Boufflers et Voisenon
Répande cent traits de lumière;
Que Diane', que les Amours,
Partagent vos nuits et vos jours.
S'il vous reste en ce train de vie,
Dans un temps si bien employé,
Quelques moments pour l'amitié
Ne m'oubliez pas, je vous prie;
J'aurais encor la fantaisie
D'être au nombre de vos amants :
Je cède ces honneurs charmants
Aux doyens de l'académie.
Mais quand j'aurai quatre-vingts ans
Je prétends de ces jeunes gens
Surpasser la galanterie,

S'ils me passent en beaux talents.

Ces petits vers froids et coulants
Sentent un peu la décadence :
On m'assure qu'en plus d'un sens
Il en est tout de même en France.
Le bon temps reviendra, je pense;
Et j'ai la plus ferme espérance

Dans un de messieurs vos parents".

Madame de Saint-Julien aimait beaucoup la chasse.

2 M. le duc de Choiseul. K.

ÉPITRE CIX.

A MON VAISSEAU,

1768.

O vaisseau qui portes mon nom, Puisses-tu comme moi résister aux orages! L'empire de Neptune a vu moins de naufrages

Que le Permesse d'Apollon.

Tu vogueras peut-être à ces climats sauvages
Que Jean-Jacque a vantés dans son nouveau jargon.
Va débarquer sur ces rivages
Patouillet, Nonnotte, et Fréron;

A moins qu'aux chantiers de Toulon

Ils ne servent le roi noblement et sans gages.
Mais non, ton sort t'appelle aux dunes d'Albion.
Tu verras, dans les champs qu'arrose la Tamise,
La Liberté superbe auprès du trône assise :
Le chapeau qui la couvre est orné de lauriers;
Et, malgré ses partis, sa fougue, et sa licence,
Elle tient dans ses mains la corne d'abondance
Et les étendards des guerriers.

Sois certain que Paris ne s'informera guère

Si tu vogues vers Smyrne où l'on vit naître Homère, Ou si ton breton nautonier

Te conduit près de Naple, en ce séjour fertile Qui fait bien plus de cas du sang de saint Janvier

Que de la cendre de Virgile.

Ne va point sur le Tibre : il n'est plus de talents,
Plus de héros, plus de grand homme;
Chez ce peuple de conquérants

Il est un pape, et plus de Rome.

Va plutôt vers ces monts qu'autrefois sépara
Le redoutable fils d'Alcmène,

Qui dompta les lions, sous qui l'hydre expira,
Et qui des dieux jaloux brava toujours la haine.
Tu verras en Espagne un Alcide nouveaub,

Vainqueur d'une hydre plus fatale,
Des superstitions déchirant le bandeau,
Plongeant dans la nuit du tombeau
De l'Inquisition la puissance infernale.
Dis-lui qu'il est en France un mortel qui l'égale;
Car tu parles, sans doute, ainsi que le vaisseau
Qui transporta dans la Colchide

Les deux jumeaux divins, Jason, Orphée, Alcide.
Baptisé sous mon nom, tu parles hardiment :
Que ne diras-tu point des énormes sottises

Que mes chers Français ont commises

Sur l'un et sur l'autre élément !

Une compagnie de Nantes venait de mettre en mer un beau vaisseau qu'elle a nommé le Vollaire

M. le comte d'Aranda.

Tu brûles de partir: attends, demeure, arrête;
Je prétends m'embarquer, attends-moi, je te joins.
Libre de passions, et d'erreurs, et de soins,
J'ai su de mon asile écarter la tempête :

Mais dans mes prés fleuris, dans mes sombres forêts,
Dans l'abondance, et dans la paix,

Mon âme est encore inquiète;

Des méchants et des sots je suis encor trop près: Les cris des malheureux percent dans ma retraite. Enfin le mauvais goût qui domine aujourd'hui

Déshonore trop ma patrie.

Hier on m'apporta, pour combler mon ennui,
Le Tacite de La Blétrie.

Je n'y tiens point, je pars, et j'ai trop différé.

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Boileau, correct auteur de quelques bons écrits, Zoïle de Quinault, et flatteur de Louis, Mais oracle du goût dans cet art difficile | Où s'égayait Horace, où travaillait Virgile, Dans la cour du Palais je naquis ton voisin : De ton siècle brillant mes yeux virent la fin; Siècle de grands talents bien plus que de lumière, Dont Corneille, en bronchant, sut ouvrir la carrière. Je vis le jardinier de ta maison d'Auteuil, Qui chez toi, pour rimer, planta le chèvre-feuila. Chez ton neveu Dongois je passai mon enfance;

Antoine, gouverneur de mon jardin d'Auteu
Qui diriges chez moi l'if et le chèvre-feuil.

La maison était fort vilaine, et le jardin aussi.

b Boileau a dit quelque part : M. Dongois, mon illustre noveu. C'était un greffier du parlememt, qui demeurait dans la cour du palais avec toute la famille de Boileau.

Bon bourgeois qui se crut un homme d'importance.
Je veux t'écrire un mot sur tes sots ennemis
A l'hôtel Rambouillet a contre toi réunis,
Qui voulaient, pour loyer de tes rimes sincères,
Couronné de lauriers t'envoyer aux galères.
Ces petits beaux-esprits craignaient la vérité,
Et du sel de tes vers la piquante âcreté.
Louis avait du goût, Louis aimait la gloire :
Il voulut que ta muse assurât sa mémoire;
Et, satirique heureux, par ton prince avoué,
Tu pus censurer tout, pourvu qu'il fût loué.

Bientôt les courtisans, ces singes de leur maître,
Surent tes vers par cœur, et crurent s'y connaître.
On admira dans toi jusqu'au style un peu dur
Dont tu défiguras le vainqueur de Namur,
Et sur l'amour de Dieu la triste psalmodie,
Du haineux janséniste en son temps applaudie;
Et l'équivoque même, enfant plus ténébreux,
D'un père sans vigueur avorton malheureux.
Des Muses dans ce temps, au pied du trône assises,
On aimait les talents, on passait les sottises.
Un maudit Écossais, chassé de son pays,
Vint changer tout en France, et gâta nos esprits.
L'espoir trompeur et vain, l'Avarice au teint blême,
Sous l'abbé Terrasson b calculant son système,
Répandaient à grands flots leurs papiers imposteurs,
Vidaient nos coffres-forts, et corrompaient nos mœurs;
Plus de goût, plus d'esprit : la sombre arithmétique
Succéda dans Paris à ton art poétique.

Le duc et le prélat, le guerrier, le docteur,
Lisaient pour tous écrits des billets au porteur.
On passa du Permesse au rivage du Gange,
Et le sacré vallon fut la place du change.

Le ciel nous envoya, dans ces temps corrompus,
Le sage et doux pasteur des brebis de Fréjus,
Économe sensé, renfermé dans lui-même,
Et qui n'affecta rien que le pouvoir suprême.
La France était blessée : il laissa ce grand corps

L'hôtel Rambouillet se déchaîna long-temps contre Boileau, qui avait accablé, dans ses satires, Chapelain, très estimé et recherché dans cette maison, mauvais poëte, à la vérité, mais homme fort savant, et, ce qui est étonnant, bon critique; Cotin, non moins plat poëte, et de plus plat prédicateur, mais homme de lettres et aimable dans la société; d'autres encore, dont aucun ne lui avait donné le moindre sujet de plainte. Il n'en est pas de même de notre auteur: il n'a jamais rendu ridicules que ceux qui l'ont attaqué; et en cela il a très bien fait, et nous l'exhortons à continuer.

b L'abbé Terrasson, traducteur de Diodore de Sicile, philosophe et savant, mais entêté du système de Law. Il fit imprimer, le 21 juin 1720, une brochure dans laquelle il démontrait que les billets de banque étaient fort préférables à l'argent, parce que le billet avait un prix invariable. Les colporteurs qui debitaient sa brochure criaient en même temps un arrêt qui réduisait les billets à moitié. Il fut ruiné par æe système même qu'il avait tant préché. Ce fut lui qui, dans le temps où l'on remboursait en papier toutes les rentes, proposa à Law de rembourser la religion catholique. Law lui répondit que l'Église n'était pas si sotte, et qu'il lui fallait de Purgent comptant

Reprendre un nouveau sang, raffermir ses ressorts,
Se rétablir lui-même en vivant de régime.

Mais si Fleury fut sage, il n'eut rien de sublime;
Il fut loin d'imiter la grandeur des Colberts :
Il négligeait les arts, il aimait peu les vers.
Pardon si contre moi son ombre s'en irrite
Mais il fut en secret jaloux de tout mérite.
Je l'ai vu refuser, poliment inhumain,
Jne place à Racine, à Crébillon du pain.
Tout empira depuis. Deux partis fanatiques,
De la droite raison rivaux évangéliques,
Et des dons de l'esprit dévots persécuteurs,
S'acharnaient à l'envi sur les pauvres auteurs.
Du faubourg Saint-Médard les dogues aboyèrent,
Et les renards d'Ignace avec eux se glissèrent.
J'ai vu ces factions, semblables aux brigands
Rassemblés dans un bois pour voler les passants;
Et, combattant entre eux pour diviser leur proie,
De leur guerre intestine ils m'ont donné la joie.
J'ai vu l'un des partis de mon pays chassé,
Maudit comme les Juifs, et comme eux dispersé;
L'autre, plus méprisé, tombant dans la poussière
Avec Guyon, Fréron, Nonnotte, et Sorinière.

Mais parmi ces faquins l'un sur l'autre expirants,
Au milieu des billets exigés des mourants,
Dans cet amas confus d'opprobre et de misère,
Qui distingue mon siècle et fait son caractère,
Quels chants pouvaient former les enfants des neuf Sœurs?
Sous un ciel orageux, dans ces temps destructeurs,
Des chantres de nos bois les voix sont étouffées :
Au siècle des Midas on ne voit point d'Orphées.
Tel qui dans l'art d'écrire cût pu te défier,
Va compter dix pour cent chez Rabot le banquier:
De dépit et de honte il a brisé sa lyre.

Ce temps est, réponds-tu, très bon pour la satire. Mais quoi! puis-je en mes vers, aiguisant un bon mot, Affliger sans raison l'amour-propre d'un sot; Des Cotins de mon temps poursuivre la racaille, Et railler un Coger dont tout Paris se raille ? Non, ma muse m'appelle à de plus hauts emplois. A chanter la vertu j'ai consacré ma voix. Vainqueur des préjugés que l'imbécile encense, J'ose aux persécuteurs prêcher la tolérance; Je dis au riche avare : « Assiste l'indigent; » Au ministre des lois : « Protége l'innocent; › Au docteur tonsuré : « Sois humble et charitable, Et garde-toi surtout de damner ton semblabie. » Malgré soixante hivers, escortés de seize ans, Je fais au monde encore entendre mes accents. Du fond de mes déserts, aux malheureux propice,

Louis Racine, fils du grand Racine.

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b Guyon, auteur de plusieurs livres, comme de l'Orace des philosophes. Fréron est connu; Nonnotte est, ainsi que Fréron, un ex-jésuite et un folliculaire, Sorinière, nous ne savons quel est cet auteur.

L'auteur aurait dû dire dix-sept, mais apparemment dixsept aurait gâté le vers.

Pour Sirven opprimé je demande justice :
Je l'obtiendrai sans doute; et cette même main,
Qui ranima la veuve et vengea l'orphelin,
Soutiendra jusqu'au bout la famille éplorée
Qu'un vil juge a proscrite, et non déshonorée.
Ainsi je fais trembler, dans mes derniers moments,
Et les pédants jaloux, et les petits tyrans.
J'ose agir sans rien craindre, ainsi que j'ose écrire.
Je fais le bien que j'aime, et voilà ma satire.
Je vous ai confondus, vils calomniateurs,
Détestables cagots, infâmes délateurs;

Je vais mourir content. Le siècle qui doit naître
De vos traits empestés me vengera peut-être.
Oui, déjà Saint-Lambert b, en bravant vos clameurs,
Sur ma tombe qui s'ouvre a répandu des fleurs;
Aux sons harmonieux de son luth noble et tendre,
Mes månes consolés chez les morts vont descendre.
Nous nous verrons, Boileau: tu me présenteras
Chapelain, Scudéri, Perrin, Pradon, Coras.
Je pourrais t'amener enchaînés sur mes traces,
Nos Zoïles honteux, successeurs des Garasses .
Minos entre eux et moi va bientôt prononcer :
Des serpents d'Alecton nous les verrons fesser :
Mais je veux avec toi baiser dans l'Élysée
La main qui nous peignit l'épouse de Thésée.
J'embrasserai Quinault, en dusses-tu crever;
Et si ton goût sévère a pu désapprouver
Du brillant Torquato le séduisant ouvrage,
Entre Homère et Virgile il aura mon hommage.
Tandis que j'ai vécu, l'on m'a vu hautement
Aux badauds effarés dire mon sentiment;

Je veux le dire encor dans ces royaumes sombres :
S'ils ont des préjugés, j'en guérirai les ombres.
A table avec Vendôme, et Chapelle, et Chaulieu,
M'enivrant du nectar qu'on boit en ce beau lieu,
Seconde de Ninon, dont je fus légataire,
J'adoucirai les traits de ton humeur austère.
Partons depèche-toi, curé de mon hameau,
Viens de ton eau bénite asperger mon caveau.

a Sirven est cet homme si innocent et si connu dont Voltaire prit la défense. Les juges l'avaient condamné lui et sa femme au dernier supplice. Le procureur fiscal de cette juridiction, nommé Trinquet, donna les conclusions suivantes : « Je requiers que l'accusé, dùment atteint et convaincu de » parricide, soit banni pour dix ans. » Ce Trinquet était ivre sans doute quand il conclut ainsi; mais les juges! Et c'est de pareils imbéciles barbares que dépend la vie des hommes! A la fin Voure est venu a bout de faire rendre justice a cette fainille.

b M. de Saint-Lambert, dans son excellent poëme des Quatre Saisons.

e Garasse, jésuite fameux par l'excès de ses bêtises et de ses fureurs. Il fut le délateur et le calomniateur de Théophile, auquel il pensa en couter la vie, dans un temps où il y avait beaucoup de juges aussi absurdes que Garasse.

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Insipide écrivain, qui crois à tes lecteurs
Crayonner les portraits de tes Trois Imposteurs,
D'où vient que, sans esprit, tu fais le quatrième?
Pourquoi, pauvre ennemi de l'essence suprême,
Confonds-tu Mahomet avec le Créateur,

Et les œuvres de l'homme avec Dieu, son auteuri...
Corrige le valet, mais respecte le maître.
Dieu ne doit point pâtir des sottises du prêtre :
Reconnaissons ce Dieu, quoique très mal servi.

De lézards et de rats mon logis est rempli;
Mais l'architecte existe, et quiconque le nie
Sous le manteau du sage est atteint de manie.
Consulte Zoroastre, et Minos, et Solon,
Et le martyr Socrate, et le grand Cicéron :
Ils ont adoré tous un maître, un juge, un père.
Ce système sublime à l'homme est nécessaire.
C'est le sacré lien de la société,

Le premier fondement de la sainte équité,
Le frein du scélérat, l'espérance du juste.

Si les cieux, dépouillés de son empreinte auguste,
Pouvaient cesser jamais de le manifester,
Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer.
Que le sage l'annonce, et que les rois le craignent.
Rois, si vous m'opprimez, si vos grandeurs dédaignent
Les pleurs de l'innocent que vous faites couler,
Mon vengeur est au ciel : apprenez à trembler.
Tel est au moins le fruit d'une utile croyance.

Mais toi, raisonneur faux, dont la triste imprudence Dans le chemin du crime ose les rassurer, De tes beaux arguments quel fruit peux-tu tirer? Tes enfants à ta voix seront-ils plus dociles? Tes amis, au besoin, plus sûrs et plus utiles? Ta femme plus honnête? et ton nouveau fermier, Pour ne pas croire en Dieu, va-t-il mieux te payer?... Ah! laissons aux humains la crainte et l'espérance. Tu m'objectes en vain l'hypocrite insolence De ces fiers charlatans aux honneurs élevés, Nourris de nos travaux, de nos pleurs abreuvés; Des Césars avilis la grandeur usurpée; Un prêtre au Capitole où triompha Pompée; Des faquins en sandale, excrément des humains, Trempant dans notre sang leurs détestables mains; Cent villes à leur voix couvertes de ruines, Et de Paris sanglant les horribles matines : Je connais mieux que toi ces affreux monuments; Je les ai sous ma plume exposés cinquante ans.

Ce livre des Trois Imposteurs est un très mauvais ouvrage plein d'un athéisme grossier, sans esprit, et sans philosophie.

Mais de ce fanatisme ennemi formidable,
J'ai fait adorer Dieu quand j'ai vaincu le diable.
Je distinguai toujours de la religion

Les malheurs qu'apporta la superstition.
L'Europe m'en sut gré; vingt têtes couronnées
Daignèrent applaudir mes veilles fortunées,
Tandis
que Patouillet m'injuriait en vain.
J'ai fait plus en mon temps que Luther et Calvin.
On les vit opposer, par une erreur fatale,
Les abus aux abus, le scandale au scandale.
Parmi les factions ardents à se jeter,

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Ils condamnaient le pape, et voulaient l'imiter.
L'Europe par eux tous fut long-temps désolée;
Ils ont troublé la terre, et je l'ai consolée.
J'ai dit aux disputants l'un sur l'autre acharnés :
Cessez, impertinents; cessez, infortunés;
Très sots enfants de Dieu, chérissez-vous en frères,
Et ne vous mordez plus pour d'absurdes chimères. »>
Les
gens de bien m'ont cru: les fripons écrasés
En ont poussé des cris du sage méprisés;
Et dans l'Europe enfin l'heureux tolérantisme
De tout esprit bien fait devient le catéchisme.

Je vois venir de loin ces temps, ces jours sereins,
Où la philosophie, éclairant les humains, [tre;
Doit les conduire en paix aux pieds du commun maî-
Le fanatisme affreux tremblera d'y paraître :
On aura moins de dogme avec plus de vertu.
Si quelqu'un d'un emploi veut être revêtu,

Il n'amènera plus deux témoins à sa suite a
Jurer quelle est sa foi, mais quelle est sa conduite.
A l'attrayante sœur d'un gros bénéficier
Un amant huguenot pourra se marier;
Des trésors de Lorette, amassés pour Marie,
On verra l'indigence habillée et nourrie;

Los enfants de Sara, que nous traitons de chiens,
Mangeront du jambon fumé par des chrétiens.
Le Turc, sans s'informer si l'iman lui pardonne,
Chez l'abbé Tamponet ira boire en Sorbonne b.
Mes neveux souperont sans rancune et gaîment
Avec les héritiers des frères Pompignan ;
Ils pourront pardonner à ce dur La Blétrie ©
D'avoir coupé trop tôt la trame de ma vie.
Entre les beaux-esprits on verra l'union :
Mais qui pourra jamais souper avec Fréron?

с

• En France, pour être reçu procureur, notaire, greffier, il faut deux témoins qui déposent de la catholicité du récipiendaire.

b Tamponet était en effet docteur de Sorbonne.

La Blétrie, à ce qu'on m'a rapporté, a imprimé que j'avais oublié de me faire enterrer.

ÉPITRE CXII.

A M. DE SAINT-LAMBERT.

1769.

Chantre des vrais plaisirs, harmonieux émuk Du pasteur de Mantoue et du tendre Tibulle, Qui peignez la nature, et qui l'embellissez, Que vos Saisons m'ont plu! que mes sent émoussés A votre aimable voix se sentirent renaître! Que j'aime, en vous lisant, ma retraite champêtre! Je fais, depuis quinze ans, tout ce que vous chantez. Dans ces champs malheureux, si long-temps désertés, Sur les pas du Travail j'ai conduit l'Abondance; J'ai fait fleurir la Paix et régner l'Innocence. Ces vignobles, ces bois, ma main les a plantés ; Ces granges, ces hameaux désormais habités, Ces landes, ces marais changés en pâturages, Ces colons rassemblés, ce sont là mes ouvrages: Ouvrages fortunés, dont le succès constant De la mode et du goût n'est jamais dépendant; Ouvrages plus chéris que Mérope et Zaïre, Et que n'atteindront point les traits de la satire!

Heureux qui peut chanter les jardins et les bois, Les charmes de l'amour, l'honneur des grands exEt parcourant des arts la flatteuse carrière, ploits, Aux mortels aveuglés rendre un peu de lumière! Mais encor plus heureux qui peut, loin de la cour, Embellir sagement son champêtre séjour, Entendre autour de lui cent voix qui le bénissent! De ses heureux succès quelques fripons gémissent; Un vil cagot mitré a, tyran des gens de bien, Va l'accuser en cour de n'être pas chrétien : Le sage ministère écoute avec surprise;

Il reconnaît Tartufe, et rit de sa sottise.

Cependant le vieillard achève ses moissons;

Le pauvre en est nourri: ses chanvres, ses toisons, Habillent décemment le berger, la bergère.

Il unit par l'hymen Moris avec Glycère;

Il donne une chasuble au bon curé du lieu,
Qui, buvant avec lui, voit bien qu'il croit en Dieu.
Ainsi dans l'allégresse il achève sa vie.

Ce n'est qu'au successeur du chantre d'Ausonie
De peindre ces tableaux ignorés dans Paris,
D'en ranimer les traits par son beau coloris,

a On ne sait quel est le misérable brouillon dont l'auteur parle ici; dès que nous en serons informés, nous lui rendrons toute la justice qu'il mérite.

Il s'agit ici du nommé Biord, évêque d'Anneci, lequel proposa à M. le duc de Choiseul de faire enlever Voltaire de son château, attendu que sa présence empêchait Biord de faire croire la présence réelle aux Genevois. Le ministre lui répondit avec le mépris que méritaient sa sottise, son insolence, et sa méchanceté. Biord croire que son nom l'emportera sur celui de l'auteur d'Alzire et de Mahomet! un prêtre ordonner, au nom de Dieu, d'arracher un vieillard de son asile! proposer à un ministre de violer les lois de l'humanité et celles de la nation! K.

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