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L'entreprise était certainement louable et glorieuse pour l'humanité; mais elle n'a pas réussi. En matière de faits, les raisonnemens ne peuvent rien contre les autorités. Les différentes sciences ont chacune leur façon de procéder à la recherche des vérités qui sont de leur ressort, et l'histoire, comme les autres, a ses démonstrations. Les témoignages unanimes d'auteurs graves, contemporains, désintéressés, en un mot, dont on ne peut contester ni les lumières, ni la bonne foi, constituent la certitude historique; et ce serait une injustice d'exiger d'elle des espèce différente.

preuves d'une

La coutume d'immoler des victimes humaines est un de ces usages barbares et révoltans, dont la certitude est trop bien établie pour qu'on pour qu'on en puisse douter; et ce qui paraît encore plus étrange, c'est qu'on trouve chez les nations les plus policées des exemples de ces cruels sacrifices.

Qu'on ouvre Manéthon, Sanchoniaton, Hérodote, Pausanias, Josephe, Philon, Diodore de Sicile, Denis-d'Halicarnasse, Strabon, Cicéron, Jules-César, Macrobe, Pline, Tite - Live, Lucain (1), la plupart

(1) Lucain, l. 1, p. 450, s'exprime ainsi :

Et vos barbaricos ritus moremque sinistrum
Sacrorum druida positis repetistis ab armis.

L'auteur de la Religion des Gaulois prétend (1. 1, p. 239) que ces mots, moremque sinistrum sacrorum, désignent la coutume singulière de se tourner du côté gauche dans l'exercice de

des poètes grecs et latins; qu'on parcoure le Lévitique, le Deutéronome, le Livre des Juges, le quatrième Livre des Rois, les Paralipomènes, le Pseaume 105, Isaïe, Jérémie et Ezéchiel; qu'on fouille dans une partie des Pères de l'Eglise : de toutes ces dispositions jointes ensemble, il résulte que les Phéniciens, les Egyptiens, les Arabes, les Cananéens, les habitans de Tyr et de Carthage, ceux d'Athènes et de Lacédémone, les Ioniens, tous les Grecs du continent des îles, les Romains, les Scythes, les Albanais, les Allemands, les Anglais, les Espagnols et les Gaulois, étaient également plongés dans cette cruelle superstition, dont on peut dire ce que Pline disait autrefois de la magie, qu'elle avait parcouru toute la terre, et que ses habitans, tout inconnus qu'ils étaient les uns aux autres, et si différens d'ailleurs d'idées et de sentimens, s'étaient réunis dans cette pratique malheureuse: Ista toto mundo consensére quanquam discordi et sibi ignoto.

On pratiquait à Rome ces affreux sacrifices dans des occasions extraordinaires. Entre plusieurs exemples que l'histoire romaine en fournit, un des plus frappans arriva dans le cours de la seconde guerre pu

la religion. Il me semble que pour tout homme qui entend le latin, c'est évidemment le barbare et sinistre usage d'immoler des victimes humaines. Les Romains l'avaient interdit avec beaucoup de raison; mais, selon les apparences, ils ne s'embarrassaient guère que les Gaulois se tournassent à droite ou à gauche en faisant leurs prières.

nique. Rome consternée par la défaite de Cannes, regarda ce rêvers comme un signe manifeste de la colère des dieux, et ne crut pouvoir les apaiser que par un sacrifice humain. Après avoir consulté, dit Tite-Live (1), les livres sacrés, on immola les victimes prescrites en pareils cas; un Gaulois et une Gauloise, un Grec et une Grecque furent enterrés vifs dans une des places publiques, destinée depuis long-temps à ce genre de sacrifices, si contraires à la religion de Numa. Ils furent défendus par un sénatusconsulte, l'an 657 de Rome, sous le consulat de CN. Cornelius-Lentulus et P. 'Lucinius-Crassus (2); mais malgré cette défense, la superstition les avait tellement autorisés, et même rendus si communs, que les particuliers immolaient des victimes humaines à Bellone. Pour les abolir, il fallut que les lois s'armassent de toute leur autorité.

On ne peut douter que cette coutume sanguinaire ne fût établie chez les Phéniciens. Ceux-ci ne se contentaient pas de sacrifier des hommes souvent coupables, quelquefois innocens, mais toujours étrangers à ceux qui les immolaient : ils voulaient de plus que les victimes immolées fussent ce qu'ils avaient de plus cher au monde, leurs propres enfans, leurfils aîné, leur fils ou leur fille unique. Les Livres d'Eusèbe de Césarée (3), ceux de Philon le Juif e

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(3) Apud veteres mos fuit in magnis periculis ut reges urbium

de Porphyre sont pleins de témoignages formels sur cet usage commun à toutes les colonies phéniciennes : je produis le témoignage de ces trois auteurs, parce qu'ils ont été tous trois de religions différentes.

d'en

Carthage, colonie phénicienne, avait adopté le même usage, qu'elle conserva long-temps. Platon, Sophocle et Diodore de Sicile ne permettent pas douter. Plutarque assure (1) que ceux qui n'avaient point d'enfans à immoler, en achetaient des pauvres: qu'alors les mères étaient obligées de les présenter elles-mêmes, et d'assister au sacrifice avec un visage serein: le moindre gémissement de leur part, sans sauver la victime, leur aurait fait perdre le prix qu'elles avaient reçu. Gélon de Syracuse, après la défaite des Carthaginois en Sicile, ne leur accorda la paix qu'à condition qu'ils renonceraient à ces sacrifices odieux. Mais cet article du traité ne pouvait reles Carthaginois établis dans l'île, et maî

garder que

aut populorum, filium maximè dilectum pro calamitate publicá in jugulationem darent, pro solutionis pretio, ultoribus et vindicibus diis; qui sic devoti sunt, ceremoniá mysticâ jugulantur. (Philo, de Phenic., Hist., 1. 1, apud Euseb., de præpar., Evang., 1. 4, c. 16.) Ces mots, pro solutionis pretio, ultoribus et vindicibus diis, présentent expressément la doctrine des Celtes: Pro vitá hominis nisi vita hominis reddatur, non posse aliter deorum..... numen placari. On a vu dans le passage de Varron déjà cité, que ce savant homme attribuait sur ce point le même principe aux Gaulois et aux Carthaginois. (1) De Superstit., vers. fin.

tres de la partie occidentale du pays; car les sacrifices humains subsistaient toujours à Carthage. Comme ils faisaient partie de la religion phénicienne, les lois romaines, qui les proscrivirent long-temps après, ne purent les abolir entièrement. En vain Tibère fit périr dans les supplices les ministres inhumains de ces barbares cérémonies, Saturne continua d'avoir des adorateurs en Afrique; et tant qu'il en eut, le sang des hommes coula secrètement sur ses autels (1).

Enfin les témoignages positifs de César, de Pline, de Tacite et de plusieurs autres écrivains, ne laissent aucun doute que les Germains et les Gaulois n'aient immolé des victimes humaines, non seulement dans des sacrifices publics, mais encore dans ceux qui s'offraient pour la guérison des particuliers. C'est inutilement que nous voudrions laver nos ancêtres d'un crime dont trop de monumens s'accordent à les charger. Les dévouemens usités chez les Gaulois, et dont l'histoire des Romains et des autres nations fournit aussi des exemples, suffiraient seuls pour nous autoriser à conclure, par une induction raisonnable, que les sacrifices humains n'étaient point inconnus dans l'antiquité, quand le fait ne serait pas démontré par des preuves formelles.

(1) Scytharum Dianam, aut Gallorum Mercurium, aut Afrorum Saturnum hominum victima placari apud sæculum licuit. Et latio in hodiernum Jovi media in urbe humanus sanguis ingustatur. (Tert.; Scorp., advers., Gnost.) Sed et nunc in occulto perseverat hoc sacrum facinus. (Tert., Apolog., c. 9.)

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