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leur sévérité, il leur donna pour adjoints des frères

mineurs.

Innocent IV, satisfait du zèle des inquisiteurs, voulut en composer un tribunal fixe, dont il réglerait la compétence et les procédures: son dessein était de faire respecter son autorité en France et en Allemagne, comme en Italie. L'affaire mise en délibération, son conseil lui représenta les obstacles que son entreprise aurait à surmonter; il lui fit voir que les évêques ne manqueraient pas de s'opposer à cet établissement; qu'on ne pouvait le faire sans leur ôter le droit de connaître du crime d'hérésie; qu'ils étaient les juges de la foi, et que le saint Siége leur avait fait beaucoup de tort, lorsqu'il avait soustrait à leur juridiction les religieux de Citeaux et les mendians.

Ces obstacles en firent découvrir d'autres plus difficiles encore à vaincre. Le pape avait conçu le dessein de priver les juges laïcs du pouvoir de faire le procès aux hérétiques. L'entreprise était hardie, et devait souffrir des oppositions aussi justes qu'insurmontables de la part des souverains d'un côté ils étaient obligés de maintenir leurs juges dans toute l'autorité qu'ils leur avaient donnée, et de l'autre ils auraient consenti au partage de la juridiction souveraine, en souffrant que les inquisiteurs eussent droit de vie et de mort dans l'Etat, sans pouvoir casser leurs sen

tences.

:

Ces obstacles embarrassèrent le pape; il mit toute son attention à les lever, et s'avisa de quelques expédiens, dont voici le premier. Il consistait à déclarer,

que les évêques seraient juges des hérétiques avec les inquisiteurs, et qu'ils assisteraient à l'instruction des procès et à la prononciation des jugemens, quand ils le trouveraient à propos. Il crut lever le second obstacle, en laissant aux magistrats le droit de choisir les officiers subalternes de l'inquisition, et de nommer un assesseur qui accompagnerait les inquisiteurs dans leurs visites: il fit même entendre qu'on pouvait se relâcher sur d'autres points, et accorder aux magistrats une espèce d'autorité dans le tribunal de l'inquisition.

Mais il y avait une antre difficulté, d'autant plus considérable que l'intérêt Ꭹ avait beaucoup de part; il s'agissait de trouver les moyens de faire subsister l'inquisition. Après en avoir proposé plusieurs, il résolut enfin d'engager les communautés des lieux à se charger de ces frais; ce qu'on leur persuaderait d'autant plus aisément, qu'on leur laisserait la disposition d'une partie des amendes et des confiscations. En France, les baillis qui faisaient la recette du domaine dans leur bailliage furent chargés de payer les honoraires des inquisiteurs, et les autres dépenses dont on ne pouvait se passer dans ce tribunal. Voici comment s'expliquaient ceux qui rendaient compte de ces dépenses: Computus baillivorum pro termino Ascensionis, anno 1248, in bailliva Aurelianensi, fratres inquisitores 10, lib...... In bailliva Turonensi, pro expensis fratrum inquisitorum 30, lib. 14.

Le pape ayant réussi à établir l'inquisition dans quelques villes de France, adressa une bulle aux magistrats, aux recteurs et aux communautés des villes

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où ce tribunal subsistait : elle contenait trente et un articles; le pontife y ajouta ensuite les deux suivans: le premier, que, sans aucun délai, les réglemens seraient enregistrés dans tous les greffes publics, pour être inviolablement observés, nonobstant oppositions quelconques, se réservant à lui seul de juger de la validité de ces oppositions. Le second donnait pouvoir aux inquisiteurs d'interdire les lieux où l'on refuserait de se conformer à ces réglemens, et d'excommunier les opposans les plus opiniâtres, c'està-dire les plus fermes.

En 1259, Alexandre IV apporta des modifications à cette bulle; mais ces adoucissemens, ni les censures qu'on permettait aux inquisiteurs de fulminer contre les opposans, ne purent la faire recevoir dans tout le royaume de France on se plaignit de la rigueur extraordinaire avec laquelle ils exigeaient des baillis les appointemens qu'on leur avait assignés; on leur reprocha l'excessive sévérité dont ils usaient envers les accusés, et même contre ceux qui étaient morts innocens, et dont ils flétrissaient la mémoire.

Le frère Pons de Pouget, inquisiteur à Carcassonne, rendit en 1264 une sentence contre la mémoire de Pierre, vicomte de Fenouilledes. Ce seigneur néanmoins était mort depuis plus de vingt ans dans le sein de l'Eglise, il avait reçu les derniers sacremens pendant sa maladie, on l'avait inhumé dans une chapelle du Mas-Dieu, en Roussillon : mais l'inquisiteur, sous prétexte que le vicomte avait eu quelque commerce avec les hérétiques, le fit exhumer, et con

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damna ses os à être brûlés; ce qui fut exécuté (1). Ces excès et d'autres semblables obligèrent la cour de France de modérer les poursuites des inquisiteurs; ils se conformèrent pendant quelque temps aux ordres ou aux avis qu'ils en reçurent : mais bientôt ils oublièrent les plaintes que l'on avait faites de leur conduite, ils ne connurent plus de tempérament dans leurs sentences, ils confondireut le véritable zèle avec le préjugé; et ce préjugé, ils le portèrent à des excès intolérables. Ils instruisirent les procès sans y appeler les évêques; ceux-ci s'en plaignirent au conseil de Vienne, qui défendit aux inquisiteurs d'agir sans le concert du prélat diocésain: l'inquisiteur faisait les informations à son ordinaire, il les communiquait à l'évêque, qui assemblait un conseil suffisant de docteurs, avec lesquels l'évêque et l'inquisiteur jugeaient les procès (2).

« Ce qui rendait terrible, dit l'abbé Fleury, le tri« bunal de l'inquisition, était l'observance rigoureuse << des constitutions modernes rendues contre les hérétiques suivant ces règles, celui qui était seulement « diffamé d'hérésie par un bruit commun, sans autre << preuve, devait se purger canoniquement, c'est-à-dire «par serment avec plusieurs témoins (3): un homme << suspect d'hérésie devait abjurer (4). On distinguait

(1) Reg. de l'inquis. de Carcass.

(2) Clement. multorum, 1. 5, tit. 3, c. I.
(3) Direct. inquis., p. 3, c. 38.

(4) Cap. excom. 13, de hæret.

<< trois sortes de soupçons : le léger, le véhément et le <<< violent : le soupçon véhément formait une présomp«<tion de droit, contre laquelle la preuve était reçue; <«< celui qui retombait dans l'hérésie, après en avoir « été convaincu, était regardé comme un relaps : le << soupçon violent consistait à fréquenter les héréti«ques, et à soutenir pendant plus d'un an l'excom«<munication en matière de foi (1).

« Ce soupçon produisait la présomption juris de et « jure, contre laquelle la preuve n'était pas admise.... «Celui qui était convaincu d'hérésie par sa propre «< confession, s'il abjurait, était cependant condamné « à une espèce d'amende honorable, et à une prison << perpétuelle, pour y faire pénitence au pain et à <«<l'eau (2): un relaps était livré au juge séculier pour « être brûlé, même après s'être repenti; on lui accor<< dait cependant la grâce de recevoir les sacremens << de pénitence et d'eucharistie: celui qui, étant con«< vaincu d'hérésie, demeurait impénitent, relaps ou « non, était livré au juge laïc, et condamné au feu; <<< on traitait de même celui qui était convaincu par « des preuves suffisantes, quoiqu'il niât qu'il fût hé<«<rétique, et qu'il fît profession de la foi catholi<< que (3). ›

1,

(1) Cap. accusator. 8, de hæret. in sexto.

(2) C. cum contum. 7. Ibid., junctâ glossâ. C. ad abol. 9,5,

de hæret. C. excom. 15, eod. C. super eo 5, de hæret. in sexto. Conc. Bitur. an. 1246, c. g. excom. 13.

(3) Instit, au droit eccl., t. 2, c. 10, 1o édit.

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