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L'hérétique occulte, c'est-à-dire celui qui n'était public ni de fait ni de droit, encourait l'irrégularité avant la sentence qui le condamnait; il encourait aussi la confiscation de ses biens: néanmoins il en jouissait jusqu'à la sentence; et même, après le jugement prononcé, il n'était pas obligé de les déférer au fisc; il suffisait qu'il en souffrît la privation par le fisc, lorsqu'on faisait exécuter la sentence.

rons,

Philippe-le-Bel, par son ordonnance de l'an 1298, défendit d'appeler des jugemens rendus par les inquisiteurs. Tout appel, dit ce prince, est interdit aux hérétiques et à ceux qui prennent leur défense, ou qui les reçoivent dans leurs maisons (1). Philippe-le-Bel y conjure les ducs, les comtes, les bales baillis, les sénéchaux, etc., de prouver l'intégrité de leur foi, en faisant arrêter les hérétiques, en les livrant aux inquisiteurs, et de s'armer de zèle pour faire exécuter leurs sentences; de là ce zèle aveugle du maréchal de Mirepoix, qui réclamait comme une des plus belles prérogatives de sa baronnie, le droit de brûler tous les hérétiques du Languedoc.

Les Français ne pouvant s'accommoder au joug de l'inquisition, continuèrent de se plaindre des inqui

(1) Cette ordonnance est dans le Recueil des ordonnances, t. 1, p. 330, donné par de Lauriere, qui l'a tirée du registre olim, vol. 2, fol. 116. Il assure qu'elle est prise mot pour mot du chapitre ut inquisitionis 18, de hæreticis in sexto, qui est de Boniface VIII.

siteurs; ils taxèrent leur conduite de tyrannie dans les jugemens qu'ils prononçaient, et déclarèrent qu'ils ne voulaient plus contribuer aux frais de l'inquisition. Le pape, informé de cette résolution, usa de condescendance; il consentit qu'à l'avenir les provinces et les villes ne seraient plus obligées à ces sortes de frais; et que pour faire cesser les plaintes faites contre les exactions des inquisiteurs, il pourvoierait à la conservation de ce tribunal d'une manière qui ne serait plus à charge au public.

Mais la complaisance de la cour de Rome ne put tranquilliser les Français sur les rigueurs de l'inquisition; des soulèvemens populaires la chassèrent de plusieurs villes; les inquisiteurs, faute d'occupation, en abandonnèrent d'autres; enfin, devenus l'objet de la haine publique, ils réfugièrent leur tribunal à Avignon et dans le Comtat-Venaissin, qui, quoiqu'il fasse partie de la Provence, appartenait au pape.

Après la retraite des inquisiteurs, les dominicains de Carcassonne, de Toulouse et de Montpellier, qui ont toujours occupé les maisons où l'inquisition était établie, ont prétendu que si de nouveaux hérétiques paraissaient, ils seraient en droit de procéder contre eux; mais on ne voit guère sur quoi cette prétention est fondée, puisque les evêques sont dans une possession incontestable de juger les hérétiques, et les magistrats de les condamner comme perturbateurs du repos public.

De toutes ces inquisitions, il n'y eut que celle de Toulouse qui se soutint après la décadence des Albi

geois ce tribunal, tout inutile et odieux qu'il était, fut encore protégé par quelques rois de France. En 1331, il fut déclaré Cour royale; en 1442, Charles VII accorda à l'inquisiteur de Toulouse le titre de conseiller du roi, et la faculté de jouir dans le royaume des honneurs, prérogatives, priviléges et émolumens dont les autres conseillers du roi jouissaient. En conséquence, l'inquisiteur de Toulouse prit le titre d'inquisiteur en tout le royaume de France, spécialement député par le saint Siege apostolique et par l'autorité royale (1).

Un siècle après, et pendant les grands jours tenus à Evreux en 1540, François Ier rendit un arrêt qui déclarait frère Thomas Laurenti, inquisiteur-général de Normandie. Telle est l'époque du tribunal de l'inquisition établie dans cette province, dont les dominicains d'Evreux eurent la direction. On voit encore dans leur couvent les prisons de l'inquisition, et le sceau qu'on employait pour sceller les sentences de ce tribunal c'est un morceau de cuivre ovale avec une poignée, sur lequel sont gravées les images de saint Dominique et de saint Pierre martyr. Cette juridiction, bien loin de contribuer à la conversion des calvinistes, ne servit qu'à les aigrir contre le gouvernement. Les Normands n'en portèrent pas long-temps le joug au mois d'août 1552, les Parlemens de Rouen et de Paris, par leurs arrêts, défendirent d'ob

(1) Hist. de la ville de Toulouse, par Raynal.

server le chapitre inquisitionis in sexto. Ce chapitre excommuniait un juge laïc qui refusait ou différait d'exécuter les lois qui portent peine de mort contre les hérétiques. Les autres parlemens ordonnèrent que dans les villes où il y avait des inquisitions, ils communiqueraient leurs procédures aux juges royaux, et

que

les procureurs du roi seraient chargés de la сарture des accusés.

Cependant le cardinal de Tournon, archevêque de Lyon, ennemi déclaré des religionnaires, entreprit de faire établir dans toute la France l'inquisition : il craignit pour son diocèse, voisin de Genève; il fit venir de Rome Mathieu Orry, avec la commission d'inquisiteur-général au royaume de France et dans toutes les Gaules.

Orry établit son tribunal à Lyon; il se transporta à Vienne pour y faire le procès à Servet, arrêté dans la prison du palais Delphinal. Servet eut l'adresse de se sauver; Orry continua d'instruire son procès avec le vi-bailli; celui-ci prononça une sentence qui condamnait Servet à être brûlé avec ses ouvrages, ce qui fut exécuté en effigie.

Servet s'était réfugié dans le royaume de Naples; il en sortit pour venir à Genève, où il séjourna quelque temps. Calvin le fit arrêter; les juges des causes criminelles instruisirent son procès, et le condamnèrent à être brûlé vif. Servet expira au milieu des flammes, sans avoir prononcé une seule parole, ce qui arriva en 1555.

Orry, malgré les règles sévères de son emploi, était

de bonne composition lorsqu'on lui faisait des présens: il traita avec modération ceux de Sancerre, qui lui avaient envoyé du meilleur vin de leur crû.

pour

Le tribunal d'Orry avait passé pour très-modéré, en comparaison de celui que le cardinal de Lorraine voulait établir à Paris. Ce prélat, alarmé du progrès des calvinistes, proposa son dessein à Henri II; et le lui faire agréer, il se plaignit de la négligence de plusieurs évêques à rechercher et à punir les religionnaires: mais le roi, tout irrité qu'il était contre eux, ne jugea pas à propos d'introduire l'inquisition dans la ville capitale, ni même dans d'autres provinil craignit que cette juridiction ne nuisît à celle des évêques, et que les inquisiteurs ne prissent trop à la lettre les lois pénales, ce qui rendrait les catholiques odieux, et augmenterait les maux de la France.

ces;

Cependant le cardinal de Lorraine parvint, par ses importunités, à déterminer le Parlement à enjoindre à quelques évêques de donner des lettres de vicariat à des conseillers clercs, pour faire le procès aux novateurs. Henri II leur donna pour adjoints quelques docteurs : Demochares ou de Mouchi, de la faculté de théologie, exerça sa commission avec tant de rigueur, qu'on le nomma l'inquisiteur; ses espions furent appelés, de son nom, les mouchars d'eux sont venues les mouches de la police.

Mais ces mesures ne parurent pas suffisantes au cardinal de Lorraine pour réprimer les calvinistes; il voulait établir en France une inquisition sur le modèle de celle de Rome, ou de celle qui était érigée

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