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omniaque quæ vivis cordi fuisse arbitrantur, in ignem inferunt, etiam animalia; ac paulò suprà hanc memoriam, servi et clientes, quos ab iis dilectos esse constabat, justis funebribus confectis unà cremabantur. M. l'abbé Fenel pense que ces mots, non interire animas, sed ab aliis post mortem transire ad alios, montrent que la transmigration se faisait dans d'autres hommes. Cependant le texte de César ne permet pas de suppléer le mot homines, et il paraît plus naturel de lui substituer celui de locos.

En effet, c'est par les pratiques que les Gaulois observaient dans les funérailles que nous devons juger de leur opinion touchant l'état des âmes après la mort. Or ces pratiques nous montrent qu'elle ne pouvait être celle des pythagoriciens, mais qu'elle était semblable à celle qu'ont aujourd'hui les sauvages de l'Amérique et du nord de l'Asie, qui supposent un pays des âmes, où elles mènent une nouvelle vie, et où elles font usage des choses qui ont été ensevelies avec le corps qu'elles ont quitté. Les Gaulois brûlaient le corps du défunt, et jetaient dans le feu tout ce qu'ils croyaient lui avoir été le plus cher, même jusqu'aux animaux : ac cremant, cum mortuis defodiunt apta viventibus olim (1). Peu de temps avant César, les esclaves et les cliens que le défunt avait le plus aimés, étaient, après les obsèques, brûlés avec lui (2). On jetait aussi dans le bûcher des lettres qu'on croyait fermement être rendues aux pa

(1) Mela, lib. 3, c. 2.

(2) Cæsar., lib. 6, p. 255.

rens et aux amis morts de ceux qui les envoyaient (1). Qui ne voit que ceux qui pensaient et agissaient ainsi ne pouvaient s'imaginer que les âmes passassent dans d'autres corps? D'ailleurs, tous ceux qui ont exposé le système de la métempsycose ont employé les mots de @ux et de corpus, et non celui d'homo. Ils ont tous dit que l'âme, après être sortie d'un corps, rentrait dans un autre corps, et jamais que l'âme, au sortir d'un homme, rentrait dans un autre homme; ce qui serait absurde, parce que l'homme est toujours composé de corps et d'âme. Je ne citerai que deux exemples, du temps même de César. Diodore dit : Es τepov oμa. Nous lisons aussi dans Virgile : Ut incipiant in corpora velle reverti. Il faudrait donc, pour prétendre que César a attribué aux Gaulois l'opinion pythagoricienne, pouvoir suppléer le mot corpora après ceux ab aliis ad alios; mais quand les pratiques rapportées par Jules-César lui-même ne s'y opposeraient pas, la phrase latine suffirait seule pour écarter ce sens.

On m'opposera sans doute cette expression de Lucain, qui paraît si bien convenir à la métempsycose : Et ignavum reditura parcere vitæ. Mais le poëte dit seulement que dans le système des druides, les hommes ne perdent la vie que pour un instant; expression qui peut s'entendre également du système de la métempsycose et de celui d'une autre vie que les âmes vont mener dans un monde nouveau, en sortant de

(1) Diod., lib. 5, p. 3.

celui-ci. Ce n'est point par des mots détachés qu'il faut juger du sens que l'auteur a voulu leur donner, surtout dans l'exposition d'un système philosophique. En effet, Lucain exclut absolument, par d'autres expressions, le dogme égyptien ou pythagoricien, dans lequel les âmes reviennent, sur notre terre et dans notre monde, animer des corps semblables à celui qu'elles ont quitté. Le poète dit formellement que, selon les druides, la mort ne fait que séparer en deux portions la durée d'une longue vie, et que l'âme passe après la mort dans un monde nouveau, pour y continuer de vivre :

Vobis autoribus umbrœ.

Non tacitas Erebi sedes, Ditisque profundi

Pallida regna petunt. Regit idem spiritus artus
Orbe alio longa (canitis si cognita) vitæ
Mors media est.

Les druides imaginaient donc un pays différent du nôtre, que les âmes allaient habiter après la mort. C'est ce que Lucain témoigne par ces mots, orbe alio. Mela l'avait dit avant lui: æternas esse animas vitamque ALTERAM ad manes. Plusieurs nations sauvages supposent encore aujourd'hui la réalité de ce pays des ames.

Les druides prenaient un soin particulier d'instruire le peuple du dogme de l'immortalité de l'âme, afin de lui inspirer le courage de se donner la mort ou de la souffrir avec joie. Tous les anciens avouent que cette doctrine fut un des principes de cette valeur déterminée qui rendait les Gaulois si redoutables à tous leurs voi

sins: Ut forent ad bella meliores, dit Mela. Lucain dit la même chose en ces termes :

Certè populi, quos despicit arctos

Felices errore suo, quos ille timorum

Maximus haud urget lethi metus! Inde ruendi
In ferrum mens prona viris, animæque capaces
Mortis, et ignavum reditura parcere vitæ.

La doctrine de l'immortalité de l'âme faisait tant d'impression sur l'esprit des habitans des Gaules, qu'ils se prêtaient volontiers de l'argent dans ce monde, sans autre condition que de se le rendre dans l'autre (1). De là sans doute cette joie que faisaient paraître les Marseillais, à qui la même doctrine était passée, lorsqu'ils inhumaient leurs parens ou leurs amis. Bien loin d'accompagner leurs funérailles de pleurs, ou de quelqu'autre marque de deuil, ils les faisaient suivre d'un festin de réjouissance qu'ils donnaient aux principales personnes qui y assistaient (2). De là encore ce dévouement aveugle des soldats dont parle César, en racontant les guerres de Gascogne : « Ce sont des braves qui s'attachent au service d'un grand, pour avoir « part à sa bonne ou mauvaise fortune. S'il arrive « qu'il périsse, ils meurent tous avec lui, ou se tuent « après sa défaite, sans que, de mémoire d'homme, << il s'en soit trouvé un seul qui ait manqué à ce point « d'honneur (3). »

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(1) Valer. Maxim., lib. 2, cap. 6, num. 10. (2) Ibid., num. 7, 10.

(3) Bell. Gall., lib. 3, p. 112; lib. 6, p. 228.

La morale fait une partie essentielle de toute religion. On en trouve toujours des traces bien marquées, même dans celles qui sont les plus absurdes et les plus barbares. Il ne faut donc pas que les Gaulois, très-attachés à leur religion (1), n'aient regardé l'étude et la pratique de la morale comme très-importantes.

douter

Les druides enseignaient la morale dans leurs écoles; c'était un de leurs principaux emplois, une des premières fonctions de leur état. Ils avaient des règles pour juger de la bonté morale des actions (2); ils tâchaient d'inspirer à toute la nation le plus profond respect pour les dieux dont ils enseignaient l'existence. Diogène Laerce (3) réduit à trois articles capitaux toute la morale des druides:

1° Deos colendos, σbe Ocoús, honorer les dieux; 2° Nihil agendum mali, undèv xaxòv dpav, ne faire aucun mal;

3° Fortitudinem exercendam, ávôpeíav άoxeïv, s'exer

(1) Natio est omnis Gallorum admodum dedita religionibus. (Cæsar, de Bell. Gall., lib. 6, cap. 16.)

(2) Habent... magistros... sapientiae druidas. Hi... quid Dii velint, scire profitentur. ( Mela, 1. 3, cap. 2.)

(3) Cet historien est le seul de l'antiquité qui ait donné aux druides le nom de Semnothées, pour faire comprendre qu'ils faisaient du culte divin leur occupation principale. Le mot de semnothées vient de deux mots grecs, σeμvos vénérable, et Oɛ05 Dieu. Cependant les carmes ont prétendu que le nom de semnothées fut donné aux druides à cause du culte qu'ils rendaient à la vierge Marie, qui devait être la mère de Dieu. (Voy. la note de la page 20.)

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