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ment dans le cœur de tous les hommes, qu'elle a subsisté dans toutes les religions, et qu'elle a triomphé des erreurs des peuples qui, ne pouvant bien la distinguer, ont regardé comme inconnu l'Étre que cette idée formait dans leur esprit. Ils avaient des autels sur lesquels était écrit : AU DIEU INCONNU (1); ils lui sacrifiaient sous cette dénomination vague. Les Samaritains eux-mêmes, qui adoraient le même Dieu que les Juifs, ne lui donnaient que le nom d'inconnu et sans nom. Cette façon de parler de Dieu semble venir du fonds même de la religion juive, où Dieu est appelé invisible, ineffable, très-haut, caché, éternel. Les Juifs n'osaient, pour ainsi dire, prononcer le nom sacré Jéhova. C'est dans le même esprit que, chez les Egyptiens, leur Dieu souverain était appelé Amoum, qui signifie caché,

Il est certain que le Dieu inconnu, incertain et sans nom des païens était le Dieu véritable, le Dieu même des Juifs. Saint Paul étant au milieu de l'aréopage, dit aux Athéniens : « Ayant regardé en passant «<les statues de vos dieux, j'ai trouvé un autel sur le

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(1) Philon rapporte « qu'Auguste avait ordonné que l'on « offrît tous les jours pour lui, et à ses dépens, des sacrifices << AU DIEU TRÈS-HAUT dans le temple de Jerusalem, quoiqu'il sçût bien qu'il n'y avait point d'idoles. Ce prince, qui en"tendait mieux que nul autre la vraie philosophie, jugea qu'il «était nécessaire qu'il y eût au monde un temple dédié au « DIEU INVISIBLE, dans lequel il n'y aurait aucun simulacre.» (Philon, de Legat. ad Caï., p. m. 1036.)

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« quel il est écrit: AU DIEU INCONNU; c'est donc ce « Dieu, que vous adorez sans le connaître, que je « vous annonce (1). » On ne croira pas, sans doute, que l'apôtre ait voulu persuader aux Athéniens que cet autel était consacré au vrai Dieu, quoiqu'il sût bien que cela n'était pas. Aussi, saint Chrysostôme dit que « l'apôtre n'a rien ôté à Jupiter pour le don« ner à Dieu, et n'a fait que rendre à Dieu ce qui « lui appartenait, et que l'on avait appliqué jusque« là, sans aucun fondement, à Jupiter (2). » Saint Augustin parle à peu près de la même manière (3), aussi bien que d'autres Pères qu'il est inutile de citer. Les païens eux-mêmes ont tenu ce langage. Lucain (4) dit en termes formels que le Dieu des Juifs était le Dieu incertain des nations :

Incerti Judaea Dei.

Et dedita sacris

C'est dans le même sens que Varron croyait que les Juifs adoraient Jupiter (5).

Mais nous avons des auteurs qui attestent plus expressément que les druides adoraient un Dieu suprême et unique dans son rang. Lucain (6) faisant la

(1) Act. 17, 23.

(2) Homil. 3, in Epit. ad. Tit. Circ. med.

(3) Contr. Cresc., liv. 1, c. 29.

(4) Lib. 2, ant. fin.

(5) Varro Deum Judæorum Jovem putavit. (Aug. Cons., Evang., I. 1, C. 22.)

(6) Lib. 3.

description d'un bois consacré à l'Étre-Suprême hors des murs de Marseille, s'exprime ainsi :

Pavet ipse sacerdos

Accessus, Dominumque timet deprendere luci.

Strabon parlant des Céltibères, peuple gaulois qui avait passé en Espagne, dit « qu'eux et les autres peu«ples qui les confinent du côté du nord, adorent le « Dieu sans nom au temps de la pleine lune, dan<< sant pendant toute la nuit au-devant de leurs mai<< sons avec toutes leurs familles (1). » Ce Dieu sans nom des Celtibères ne pouvait être que le vrai Dieu, qui n'a point de nom, parce que, comme dit un philosophe païen cité par Lactance (2), Dieu étant essentiellement un, n'a pas besoin de nom qui le distingue

ou le fasse connaître.

Il paraîtra peut-être surprenant que les Gaulois se soient garantis de la contagion universelle, et qu'ils pu conserver, pendant le cours de tant de siècles, le nom du Dieu véritable dans toute sa pureté.

aient

pas

Cependant, nos ancêtres n'étaient les seuls qui, dans l'idolâtrie, avaient conservé le nom simple et absolu de Dieu. Nous en trouvons plusieurs exemples dans l'Ecriture sainte; Laban, les deux Abimelech, etc., étaient idolâtres, et reconnaissaient l'unité d'un Être - Suprême. D'ailleurs les druides,

par

le

(1) Strab., l. 3, p. 164.

(2) Lact., de fals. Relig., lib. 1, cap. 6.

moyen de leur retraite, de leur solitude et du long séjour qu'ils allaient faire exprès en Angleterre, conservaient soigneusement le dépôt de leurs pères. Ces prêtres n'étaient pas moins ennemis des religions étrangères, qu'ils étaient jaloux de la leur. « Les peu« ples qui habitent les Gaules, dit l'orateur romain, « n'ont ni les mœurs ni le naturel des autres hom<< mes; car tandis que ceux-ci ne prennent les armes « que pour la défense de leur religion, et s'adressent << aux dieux pour avoir la paix, les Gaulois, au con« traire, font la guerre à toutes les autres religions, « et veulent détruire les dieux immortels (1). »

Les Gaulois donnaient à l'Étre-Suprême le nom d'Esus, qui signifie Dieu. J'ai trois preuves de cette

vérité.

1o Les Grecs avaient leur ZEYΣ; or, Zɛús est certainement Esus, et quant à la signification, et quant aux lettres et aux syllabes. Quant à la signification, puisqu'il signifie Dieu simplement. « Dieu, dit Aris<< tote, est appelé Zeus, mot qui fait à l'accusatif Ziva «et Ala, deux différentes inflexions qui se répon<< dent, parce qu'elles servent à exprimer celui par qui <«< nous vivons (2). » Zeús était aussi Esus quant aux

(1) Quæ tantùm à cæterarum gentium more ac naturâ dissentiunt, quòd cæteræ pro religionibus suis bella suscipiunt, istœ contrà omnium religiones: illa in bellis gerendis ab diis immortalibus pacem ac veniam petunt; istæ cum ipsis diis immortalibus bella gesserunt. (Cic., pro M. Fonteio.) (2) Aristotel., de Mundo, l. 1, c. 7.

lettres et aux syllabes: on n'y trouve en effet d'autre différence que la transposition d'une lettre. Ce dérangement n'a pas même lieu dans aloa, qui dans sa

terminaison féminine est l'atoa des Toscans et l'Esus des Gaulois. Les Grecs se servirent dans la suite

d'aïoa pour signifier le destin, quoique, selon Aristote, ce mot ne signifiât autre chose que Dieu, et sa manière de subsister toujours par soi-même : Atoav dé átí ovcav. C'est pourquoi l'auteur du grand Ethymologicon, dit «qu'aïa est cette divinité qui subsiste << toujours, qui ne change point, qui est toujours égale << à elle-même, et qui pénètre également toutes cho<«<ses (1). » Je croirais volontiers que le verbe sum nous vient d'esus ou d'a; car on conjuguaít autrefois esum, esumus, ensuite l'on a retranché l'e, d'où est resté sum.

2o Esar, en langue étrusque, signifiait Dieu, comme nous l'apprend Suétone dans la vie d'Auguste, en parlant des signes qui précédèrent la mort de ce prince. «La foudre, dit cet historien, tomba et em<< porta le C du mot de Cæsar, qui était gravé sur «< un cartouche, qui servait de base à une statue de «< cet empereur. On eut recours aux augures; ils ré<< pondirent que la lettre C qui était numérale et signi<< fiait cent, ayant été effacée, dénotait qu'Auguste «< n'avait plus que cent jours à vivre, après quoi il

(1) Παρᾶ τὸ αει ιση ειν μ ή μή μεταβολλαμένη πᾶσι γι' ἴσωσ

ἔπεισιν.

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