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«< serait mis au nombre des dieux, parce qu'Esar, «< c'est-à-dire les 'syllabes du nom de Cæsar que la << foudre avait épargnées, signifiaient Dieu en langue

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étrusque (1). » Non seulement Esar en étrusque, et par conséquent en véritable gaulois, signifiait Dieu; mais Esus même, et son pluriel Esi, signifiaient l'Etre - Suprême. Hésychius le dit en termes formels (2). On opposerait en vain la diphtongue qui forme la première syllabe de l'Esar et de l'Esus étrusque. Les Gaulois n'usaient guère de diphtongues le génie de leur langue a passé jusqu'à nous, qui ne les souffrons pas volontiers dans la langue française. D'ailleurs il y a grande apparence que les Gaulois donnaient à l'E qui commence par Esus, le même son que les Etrusques donnaient à la diphtongue E, puisque nous trouvons dans Lucain et Minutius-Felix, qu'ils écrivaient Hésus avec un H.

que

3o Quel rapport trouve-t-on entre Hésus et Mars, pour prétendre que le dieu gaulois répondait à celui des Romains? Julien l'Apostat insinue à la vérité (3) Mars était le Dieu tutélaire de nos pères; mais cet empereur parlait en romain, et n'était point initié dans les mystères gaulois. Chez ceux-ci le Dieu suprême présidait à tout, el était par conséquent le Dieu des armées aussi bien que de tout le reste. Ainsi de

(1) Futurumque ut inter Deos referretur quòd AEsar, id est, reliqua pars è Cæsaris nomine etruscâ linguâ Deus vocaretur. (2) Αἴσοι θεοί ὑπὸ Θυῤῥηνῶν.

(3) Cyril. Alex., contra Jul. orat.

ce que les Gaulois étaient des guerriers entreprenans, il ne faut pas en conclure qu'ils eussent un dieu par

ticulier qui présidait aux combats. C'est donc sans fondement qu'on a prétendu que l'Esus des Gaulois était le Mars des Romains. Que n'a-t-on dit que c'était le dieu des gourmands? On aurait pû faire dériver esus du supin esum.

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Je ne crois pas davantage que les Gaulois honorassent un Dieu Dis, qui était le même que le Pluton des Romains. S'ils avaient un Dieu Dis, comme le prétend Jules - César, ce pouvait être chez eux une dénomination de l'Etre-Suprême, de même qu'Esus. Car As en grec signifie Dieu (1), aussi bien que Ζεύς. Ainsi tout ce qu'on peut conclure de ce que César nous apprend que les Gaulois se vantaient de tirer leur origine de Dis (2), c'est qu'ils regardaient Dieu comme l'auteur de leur nation, comme leur premier père et l'origine de leur être. Ils avaient certainement

(1) Ao a peut-être été pris du di ou deis des Celtes, qui signifie jour, lumière. C'est de là qu'est venu le dies des Latins. On a appelé Dieu As, quasi lucidus aut lucetius, le père de la lumière. Les anciens Latins disaient Dius pour Deus : c'est de là que les Espagnols disent Dios, et les Italiens Dio.

(2) Galli se omnes ab Dite patre prognatos prædicant, idque ab druidis proditum dicunt: ob eam causam spatia omnis temporis, non numero dierum, sed noctium finiunt, et dies natales et mensium et annorum initia sic observant, ut noctem dies subsequatur. (Cæs., de Bell. gall., 1. 6.)

raison: telle était la première tradition des hommes. L'apôtre disait aussi à l'Aréopage: « Dieu a fait naître «<< d'un seul toute la race des hommes, et il leur a « donné pour demeure toute la terre, ayant marqué «<l'ordre des saisons, et les bornes de l'habitation << de chaque peuple, afin qu'ils cherchassent Dieu, <«< comme en tâtonnant, quoiqu'il ne soit pas loin de << nous. Car c'est en lui que nous avons la vie, le << mouvement et l'être, et selon que quelques-uns de « vos poètes ont dit : Nous sommes les enfans et la « race de Dieu (1). »

Mais, objecte-t-on, César dit clairement que les Gaulois prétendaient être descendus du dieu des ténèbres, puisqu'il observe que c'était à cause de cette origine terrestre et nocturne qu'ils comptaient par nuits, en sorte qu'à leur égard le jour était une dépendance de la nuit : Ob hanc causam spatia omnis temporis sic observant ut noctem dies subsequatur. On a peine à concevoir comment un semblable raisonnement est échappé à César; car rien n'est plus faux que la conséquence qu'il déduit de son principe. L'usage de compter le jour civil du coucher du soleil, et du temps auquel la lune éclaire l'horizon, était commun à tous les peuples qui employaient des mois purement lunaires, et les Gaulois étaient de ce nombre. On ne connaît presqu'aucune nation qui, dans les premiers temps, n'ait compté par des mois

(1) Act. 17, 26, 27, 28.

absolument lunaires (1). Censorien n'excepte que les Babyloniens, qui commençaient le jour au lever du soleil, et les peuples de l'Ombrie, qui le commençaient à midi. Les Romains mêmes, dès le temps des douze tables, avaient commencé le jour civil à minuit. Enfin Moïse, parlant des jours de la création du monde, place la nuit la première: Vesperè et manè factus est dies unus. Il est donc surprenant que des critiques modernes aient prétendu, sur la foi de César, que les Gaulois avaient un dieu dont le département répondait à celui de Pluton chez les Romains (2). Et pourquoi nos ancêtres auraient-ils créé un dieu des ténèbres, puisqu'ils enseignaient que leurs âmes n'allaient point habiter les tristes demeures de l'Erèbe, et qu'elles ne sortaient de cette vie que pour

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(1) L'année des Mahométans, ainsi que celle de plusieurs autres peuples, est encore aujourd'hui purement lunaire.

(2) Tacite rapporte que les Germains regardaient le dieu Tuiston comme leur père et leur auteur: Celebrant.... Tuistonem deum terrâ editum, et filium Mannum, originem gentis conditoresque. (Tacit., de Mor. Germ., c. 2.) On en conclut aussi que Tuiston était le dieu des enfers. Pluton était-il donc sorti de la terre? avait-il un fils comme Tuiston? les Romains prétendaient-ils tirer leur origine de Pluton et de son fils? Au reste, Tacite, quoique mieux instruit que César de la religion des Germains, n'était pas pour cela initié dans leurs mystères.

I. 10o LIV.

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aller continuer de vivre dans un monde nouveau?

Non tacitas Erebi sedes, Ditisque profundi

Pallida regna petunt: regit idem spiritus artus
Orbe ALIO: longa (canitis si cognita) vita
Mors media est.

Voilà tout ce qu'on peut dire des divinités gauloises avec quelque fondement. Nous ignorons quelles étaient leurs divinités subalternes. Nous ne savons si Theutates, Belenus, Camulus étaient des noms de dieux particuliers, ou s'ils n'étaient que des noms différens de l'Etre- Suprême. Les Romains, infatués de leurs divinités, les trouvaient dans tous les pays qu'ils parcouraient. Les druides, qui seuls auraient pu instruire la postérité, faisaient mystère de tout ce qui pouvait détromper les étrangers, et leur donner la clef d'une religion qu'ils voulaient seuls connaître. Ainsi on est réduit à fonder des conjectures sur des étymologies qui par elles-mêmes ne peuvent jamais rien établir. J'écarte donc tout ce qu'on rapporte du nom des dieux inférieurs des Gaulois.

L'ancienne religion des Gaules fit enfin place à une nouvelle superstition. Les Romains étant entrés dans nos provinces, remarquèrent que les habitans du pays assemblaient le long des chemins des monceaux de pierres, autour dequels ils tenaient leurs assemblées religieuses; qu'ils vénéraient avec cela le ciel, la lune, les fleuves, les mers; ils s'imaginèrent donc que le culte de Mercure, de Jupiter, de Neptune était reçu dans les Gaules, comme parmi les Grecs

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