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et les Latins. Ils le persuadèrent facilement à une partie des Gaulois, qui virent avec plaisir qu'on rapprochait leur religion de celle du vainqueur. Les Gaulois politiques imitèrent les Samaritains, qui ayant reçu ordre d'Antiochus d'abandonner le culte du dieu des Juifs, déclarèrent à ce prince « qu'à la vé«rité ils avaient rendu jusque-là leurs adorations, et « offert leurs sacrifices au dieu inconnu et sans nom, auquel leurs ancêtres avaient bâti un temple sur <<< le mont Garizim, mais que pour lui marquer leur « déférence, ils allaient le dédier à Jupiter le « Grec (1).

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Les druides s'opposèrent d'abord à la nouveauté; mais la puissance des Romains ne leur laissait plus que l'autorité de la parole, armes trop faibles pour réprimer des politiques. Le peuple gaulois s'opiniâtra, et les ministres de l'ancienne religion furent obligés de fermer les yeux et de tolérer les abus auxquels ils ne pouvaient remédier. Esus fut changé en Jupiter (2): les autres dieux inférieurs cédèrent aussi leurs places aux dieux romains. Les Gaulois avaient pensé jusqu'alors que le Seigneur du ciel et de la terre n'habite point en des temples bâtis par des hommes; mais

(1) Joseph, l. 12, c. 7, p. 410.

(2) Il y a cependant lieu de croire qu'Esus et Jupiter furent honorés quelque temps ensemble, puisqu'on trouve leurs figures sur deux faccs d'une pierre de la cathédrale de Paris. (Voyez la Religion des Gaulois, par Jacques Martin, t. 2, p. 44.)

peu après la conquête des Romains, ils se piquèrent de bâtir des temples très-magnifiques.

C'est ainsi que la superstition romaine triompha de la religion gauloise. On peut voir dans les deux volumes de dom Jacq. Martin, le détail immense de tous les dieux qui furent dans la suite adorés dans les Gaules.

Je me borne à relever ici deux erreurs capitales où cet auteur est tombé. L'auteur de la Religion des Gaulois dit, pag. 53 du liv. I, «qu'ils avaient une (( profonde vénération pour le chêne, et le prenaient « pour Dieu, ou du moins pour l'habitation de Dieu; » et pages 15, 64, 259, 287, 294, que « l'origine du <«< culte que les Gaulois rendaient au chêne, venait « du chêne de Mambré. » C'est une erreur de prétendre que nos ancêtres rendissent au chêne les honneurs divins, et c'est une absurdité de recourir au chêne de Mambré, pour trouver le motif de la vénération singulière que les Gaulois avaient pour cette sorte d'arbre. Tenant ordinairement leurs assemblées religieuses dans des forêts, ils devaient choisir naturellement les arbres dont le feuillage est beau et épais; d'ailleurs l'agriculture n'ayant été introduite que fort tard parmi les Celtes, est-il surprenant qu'ils eussent de la prédilection pour le chêne, qui par le moyen du gland qu'il produit, les nourrissait avec une partie de leurs troupeaux? Qu'était-il donc besoin d'aller chercher dans la Palestine un chêne, supposé encore que c'en fût un; car plusieurs soutiennent que c'était un térébinthe. Au surplus,

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quelle connaissance les Gaulois pouvaient-ils avoir des honneurs que le père des croyans avait rendus à Dieu sous le chêne, plus de trois cents ans après la dispersion des hommes dans toutes les parties du monde, puisqu'ils ne parlaient pas la même langue que les descendans d'Abraham?

Le même auteur prétend, pages 55 et 57 du liv. I, et pages 71 et 72 du liv. III, que «les Gaulois fai<< saient un dieu d'un taureau d'airain, sur lequel ils « juraient. » Voici ce qui a donné lieu à cette fable. Plutarque raconte (1) que « les Cimbres que Catulus «< avait en tête, ayant emporté à la pointe de l'épée « un fort qui était sur le bord de l'Adige, furent « charmés de la bravoure des soldats romains qui << avaient défendu ce fort et qui s'étaient battus « d'une manière véritablement digne de leur patrie, et << qu'ils renvoyèrent ces soldats sur leur parole, après « leur avoir fait prêter serment sur le taureau d'ai« rain, qui, à ce qu'on rapporte, fut ensuite porté << dans la maison de Catulus, comme une prémice du « butin. » De là on conclut que tous les Celtes faisaient un dieu d'un taureau d'airain, qu'ils le portaient à la guerre, qu'ils le prenaient pour témoin et pour garant de leurs sermens. Mais il n'y a rien de tout cela dans le vrai les Cimbres, comme tous les autres Celtes, immolaient aux dieux une partie de leurs prisonniers. Leurs prêtresses (2), qui se mêlaient toutes

:

(1) Plutar., in Mario, t. 1, p. 418. (2) Strab., 1. 7, p. 294.

de deviner, recevaient le sang de ces malheureuses victimes dans un énorme vaisseau d'airain, qui passait chez eux pour la chose du monde la plus sacrée. Ce grand bassin avait la forme d'un taureau ou d'une tête de bœuf (1). Les Cimbres conduisirent leurs prisonniers près de cet horrible bassin, et là leur firent prêter serment de ne plus servir contre eux, sous peine d'être traités comme les autres captifs, dont le sang regorgeait dans le vaisseau. Pouvait-on engager plus fortement les soldats romains à tenir leur parole? C'est en cela assurément que consiste tout le mystère du taureau d'airain (2); et ce signe sensible devait faire plus d'impression sur des soldats, que le respect qu'ils témoignaient pour les dieux.

Venons maintenant au culte que les Celtes rendaient à leurs dieux, culte fondé sur des principes très-singuliers; en voici le précis (3). Ils pensaient

(1) Ces vaisseaux s'appellent encore aujourd'hui, dans la langue tudesque, oxhoff, tête de bœuf.

(2) Les Grecs avaient une autre manière de faire serment sur le taureau, mais ils ne le mettaient pas non plus au nombre des dieux; c'est ce qui est clairement exprimé dans Eschile, et que Boileau, dans son Longin, a traduit de cette manière :

Sur un bouclier noir sept chefs impitoyables
Epouvantent les dieux de sermens effroyables:
Près d'un taureau mourant qu'ils viennent d'égorger,
Tous la main dans le sang, jurent de se venger.
Ils en jurent la Peur, le dieu Mars et Bellone.

(3) Natio est Gallorum admodum dedita religionibus : atque

que le seul moyen d'apaiser les dieux et de sauver la vie d'un homme en danger de mort, c'était d'immoler un autre homme en sa place. On doit, disaient-ils, offrir aux dieux la victime la plus excellente : or, rien n'est plus excellent que l'homme : donc les victimes humaines sont le sacrifice le plus agréable à la Divinité. Il est vrai qu'ils ajoutaient, par intérêt sans doute et par politique, que pour ces sacrifices on devait commencer par les hommes les plus criminels. Ils immolaient par préférence des coupables; et les druides leur avaient persuadé que des sacrifices nombreux d'homicides fertilisaient les terres : moyen infaillible pour détourner du meurtre des hommes féroces, et pour engager le peuple à ne jamais favoriser l'évasion des accusés (1). Mais au défaut de criminels, les Celtes sacrifiaient sans scrupule des innocens, tant

ob eam causam, qui sunt affecti gravioribus morbis, quique in præliis periculisque versantur, aut pro victimis homines immolant, aut se immolaturus vovent, administrisque ad ea sacrificia drudibus utuntur. Quod pro vitâ hominis reddatur, non posse aliter deorum immortalium numen placari arbitrantur; publicèque ejusdem generis habent instituta sacrificia. Alii immani magnitudine simulachra habent, quorum contexta viminibus membra vivis hominibus complent : quibus succensis circumventi flamma exanimantur homines supplicia eorum, qui in furto aut latrocinio, aut aliquá noxá sint comprehensi, gratiora diis immortalibus esse arbitrantur. Sed cum ejus generis copia deficit, etiam ad innocentium supplicia descendunt. (Cæsar, de Bell. gall, 1. 6, édit. Scaliger.)

(1) Strab., 1. 4, p. 197.

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