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ils étaient vivement persuadés de la nécessité des victimes humaines.

Ce n'était donc point uniquement par cruauté, par droit de représailles, ou dans les transports d'une colère aveugle qu'ils faisaient ces abominables sacrifices, comme l'ont pratiqué plusieurs autres nations inconnues : c'était de sang-froid, de dessein formé, par principe de religion, en conséquence d'un dogme fixe et fondamental. Il semble même l'on que peut recueillir des paroles de César, qu'il y avait de ces sortes de sacrifices qui revenaient au bout d'un temps marqué, et qui étaient, pour ainsi dire, de fondation, publicèque ejusdem generis habent instituta sacrificia; ils se servaient du ministère des druides, qu'on sait avoir été leurs prêtres, administrisque ad ea utuntur druidibus.

Ces peuples habitaient la même terre que nous, ils respiraient le même air, étaient nourris de pareils alimens, et éclairés du même soleil; il est surprenant que notre nation, singulièrement recommandable par la douceur et la politesse des mœurs, ait eu pour ancêtres des hommes assez barbares pour se faire un point de religion de sacrifier des innocens et de bons citoyens; étrange, mais ordinaire effet de la superstition.

Mais ce n'est pas ici le lieu de s'arrêter à ces réflexions: il est plus important de découvrir les principes des sacrifices humains, et de s'étendre sur les motifs qui faisaient agir les anciens Gaulois dans ces occasions, et de les bien distinguer, afin de s'en former une juste idée.

Dom Jacques Martin (1) fait remonter l'origine des victimes humaines au sacrifice d'Abraham. II confirme son sentiment par le vœu de Jephté, qui, selon lui, sacrifia sa fille unique pour s'acquitter d'un vœu qu'il avait fait pour le salut général de sa

nation.

Mais en lisant attentivement l'histoire d'Abraham, on reconnaît aisément que Dieu n'a eu d'autre vue que de montrer dans ce saint patriarche un modèle parfait d'une foi soumise, entière et à toute épreuve. L'ordre qu'il lui donna de quitter sa patrie pour aller dans un pays où il ne posséda jamais un pouce de terre; les promesses réitérées qu'il lui fit de lui donner un fils dont la race se multiplierait comme les étoiles du firmament, promesse dont l'accomplissement fut retardé pendant un si long-temps, et que Dieu ne cessa de renouveler, même après que ce père des croyans, et Sara sa femme, qui avait toujours été stérile, furent parvenus dans un âge très-avancé; le sacrifice qu'il exigea de ce fils, accordé enfin à la foi persévérante d'Abraham, tout démontre que le dessein de Dieu n'était autre que d'éprouver jusqu'au bout la foi de son serviteur, et de montrer aux nations que ses adorateurs étaient capables de faire pour son service, ce que les infidèles faisaient pour leurs idoles. Ce qui confirme évidemment que ce genre de sacrifices n'était point fait pour la Divinité (2), c'est

(1) Rel. des Gaulois, l. 1, p. 95, 100, et l. 3, p. 39. (2) Deus enim fidem non mortem quærit, votum non sanguinem

qu'a

mer,

'au moment même où Abraham allait le consomle Seigneur, content de son obéissance, arrêta son bras par le ministère d'un ange, et lui déclara qu'un semblable sacrifice ne serait à ses yeux qu'un objet d'aversion (1). Ainsi cet exemple ne peut servir de fondement à des victimes humaines, parce que ceux qui avaient quelque connaissance du sacrifice auquel Abraham s'était préparé, ne devaient pas ignorer que Dieu ne l'avait point accepté, et qu'il avait même empêché qu'il ne fût consommé.

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Le vœu de Jephté eut son exécution, il est vrai; mais quelques interprètes veulent que l'accomplissement ne s'en fit point par la mort réelle de sa fille, mais par la consécration perpétuelle de sa personne et de sa virginité; ce qui est nommé dans l'Ecriture du nom de mort (2), et ce qui devait sans doute être

sitit, placatur voluntate non nece: filium enim sicut offerri jussit, sic non permisit occidi. ( Chrysost., Serm. 18.)

(1) Dixitque ei: non extendas manum tuam super puerum, neque facias illi quidquam nunc cognovi quod times deum, et non pepercisti unigenito filio tuo propter me. (Genèse, l. 22, p. 12.)

(2) Omnis consecratio quae offeretur ab homine, non redimetur, sed MORTE MORIETUR. (Levitic., l. 27, c. 29. ) L'hébreu et les septante font connaître qu'il est parlé ici d'une chose qui est consacrée à Dieu, de telle sorte qu'elle doit être détruite naturellement ou civilement pour sa gloire. On disait dans l'ancienne loi que ceux qui étaient consacrés au Seigneur pour tous les jours de leur vie, comme le fut Samuel, étaient morts d'une mort civile.

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très-sensible à un prince comme Jephté, puisque tout l'honneur d'un père, dans ces temps de l'ancienne loi, était d'avoir des enfans, à cause de l'espérance du Messie. Cependant, en adoptant même la réalité de l'immolation de la fille de Jephté, les Ecritures ne disent point du tout que ce sacrifice ait été agréable à Dieu. Plusieurs Pères de l'Eglise le condamnent, et taxent le vœu de Jephté de la plus grande témérité, et son accomplissement d'impiété (1). Ce second exemple ne prouve donc pas davantage que premier.

le

J'ai vu des personnes savantes s'y prendre d'une autre manière pour trouver dans la véritable religion

(1) Quædam sunt quidem in se considerata bona (et secundùm hoc possunt cadere sub voto ); possunt tamen habere malum eventum, in quo non sunt observanda. Et sic accidit in voto Jephte, qui ut dicitur in Judicum II votum vovit Domino dicens : Si tradideris filios Ammon in manus meas, quicumque primus egressus fuerit de foribus domus meæ, mihique occurerit in pace, eum offeram holocaustum Domino. Hoc autem poterat malum eventum habere, si occurreret ei aliquod animal non immolandum, sicut asinus vel homo, quod etiam accidit. Undè et Hieronymus dicit: In vovendo fuit stultus, quia discretionem non habuit; et in reddendo impius. Prætermittitur tamen ibidem, quòd factus est super eum spiritus Domini, quia fides et devotio ipsius, ex quâ motus est ad vovendum, fuit à spiritu sancto. Propter quod ponitur in catalogo sanctorum; et propter victoriam quam obtinuit, et quia probabile est, eum pænituisse de facto iniquo, quod tamen aliquod bonum figurabat. (S.-Thom., 2a. 22. q. 88. 2. 2.)

pre

le fondement des victimes humaines. La foi nous apprend, disaient-ils, qu'il lui en a fallu une Théandrique. Peut-être que ceux qui abordèrent les miers dans les Gaules avaient appris des descendans de Noé, qu'il viendrait quelqu'un qui par sa mort réparerait tout le mal des hommes et de la nature. De là à des victimes humaines, le chemin est court.

Cette objection est sans doute la plus solide qu'on puisse opposer. Mais il y a une différence essentielle entre le sacrifice de JÉSUS-CHRIST et tous ceux que les hommes ont offerts à telles divinités que ce puisse être. Et, en effet, quelle est l'idée que nous présentent ces sacrifices? Elle réunit trois choses : les hommes étaient les sacrificateurs, la victime était l'offrande, et la divinité était l'objet auquel on offrait cette victime: or, dans le sacrifice de JÉSUS-CHRIST, les hommes n'y font nullement le rôle de sacrificateurs. Les Juifs n'ont fait mourir notre divin Sauveur que par l'effet de l'aveuglement et de la haine la plus envenimée, et ils ne l'ont présenté aux puissances de la terre que comme un criminel, un blasphémateur, un scélérat et un perturbateur du repos public: Vah qui destruis templum Dei, et in triduo illud reedificas: salva temetipsum: si filius Dei es, descende de cruce. Il est bien vrai que la mort de JÉSUS-CHRIST était un véritable sacrifice offert à Dieu, mais la victime était volontaire. JÉSUS-CHRIST était en même temps et le pontife et l'hostie. Il s'immolait lui-même à son Père pour tous les hommes qui, en qualité de pêcheurs, avaient tous mérité la mort, et

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