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rien d'aussi simple, et cela ne nuit en rien aux manipulations subséquentes.

D.MM. Boutigny, pharmacien, et Baudry, médecin à Évreux, sont commis à l'effet de vérifier si de l'arsenic, jeté dans la mare-nette, au hameau de Tourvoie, a pu s'y dissoudre en partie et occasionner les accidents dont s'est plaint le nommé Mesnil-dit-Moulinier. — Cet homme, ayant mangé de la soupe préparée avec de l'eau de cette mare, éprouva des coliques d'estomac et du ventre, des vomissements, des crampes dans les bras et les jambes, un sentiment de lassitude générale, des piqûres à la peau, de la difficulté d'uriner, des étourdissements, de la diarrhée. L'eau puisée à la mare, ainsi que les matières vomies n'ont point été conservées. L'état des lieux a indiqué que la mare-nette pouvait contenir 4000 ou 5000 litres d'eau. On a trouvé 1o un sachet en papier gris flottant sur l'eau et présumé contenir de l'arsenic; 2o un fragment d'arsenic opaque assez volumineux, couvert de vase, lors de l'épuisement de la mare; 3° deux témoins ont déposé avoir trouvé une poudre blanche et l'eau trouble à l'endroit où l'on puisait habituellement l'eau ; 4° le médecin consulté par Moulinier a déclaré qu'il était empoisonné par l'arsenic et a prescrit à cet effet l'oxyde de fer.

Pour résoudre cette question, les experts ont suspendu des fragments d'acide arsénieux opaque dans une éprouvette contenant 400 grammes d'eau, et analysé chaque jour les couches supérieures et inférieures du liquide par l'acide sulfhydrique. Les trois premiers jours, pas de réaction; du quatrième jour au dixième, ce réactif a indiqué la présence de l'acide arsénieux sans que la quantité en soit progressivement augmentée. Le dixième jour, le morceau d'acide arsénieux avait perdu en poids 0,016 gramme. Ils concluent de ces expériences, 1o qu'il faudrait plusieurs jours pour que l'eau d'une mare fût empoisonnée par l'acide arsénieux; 2o que même probablement celui-ci serait décomposé par l'acide sulfhydrique provenant de la putréfaction des matières organiques de la vase; 3° qu'un morceau d'acide arsénieux étant jeté dans 4000 à 5000 litres d'eau, et y ayant séjourné à peine vingtquatre heures, n'a pu s'y dissoudre en suffisante quantité pour communiquer à cette eau des propriétés toxiques, et pour que la soupe préparée avec cette eau ait produit l'empoisonnement, à moins qu'on n'admette que des parcelles d'acide arsénieux étaient encore en suspension dans l'eau, lorsque la femme Moulinier a puisé ce liquide, ce qui n'est guère possible, sans qu'elle s'en soit aperçue. Discutant ensuite

les accidents éprouvés par Moulinier, ils les considèrent avec raison comme non caractéristiques, et insuffisants pour affirmer qu'il y a eu empoisonnement par l'arsenic.

L'expérience, pour résoudre la question, est sans doute bien instituée; cependant, elle eût offert plus d'analogie avec le cas présent, si les rapporteurs avaient opéré plus en grand. Ils auraient pu par exemple agir sur un grand baquet d'eau, au fond duquel aurait été déposée de la vase de la mare, et analyser comparativement l'eau puisée à l'aide d'un sceau avant et après y avoir projeté de l'arsenic en fragments.

AFFAIRE CLAUDE BARBE,-2 juillet 1842. Assises des Bouches-duRhône. Les experts, ayant à constater si les matières suspectes renfermaient du laudanum, et les résultats étant négatifs, soupçonnèrent un empoisonnement arsenical, parce que les mouches qui se déposaient sur ces matières étaient intoxiquées immédiatement. L'analyse par l'appareil de Marsh, modifié par l'Institut, confirma ces soupçons. (Voyez Empoisonnement en général).

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AFFAIRE RIGAL. Assises d'Albi. 28 septembre 1839. Thérèse Rigal nourrissait un enfant; elle s'absenta et fut à pied à Albi (3 heures de distance, revint le soir bien portante, et mangea, comme à son ordinaire, une soupe: peu après, vomissements très-intenses, douleurs épigastriques, etc.; symptômes qui durèrent pendant 5 jours. Elle succomba le 3 octobre au soir dans des convulsions atroces. Autopsie le 7 octobre. Putréfaction très-avancée; inflammation de la base de la langue, de la face inférieure de l'épiglotte, de l'isthme du gosier et de la luette; œsophage sain. L'estomac offre une teinte rougeâtre et une tache noirâtre dans sa grande courbure, et, près du pylore, une tache ardoisée d'un pouce carré; il est sain partout ailleurs. Duodénum enflammé et taché de noir. Poumons gorgés de sang. Les autres viscères saius. Première expertise. MM. LimousinLamothe et Durand, pharmaciens à Albi, n'obtinrent pas d'arsenic à l'appareil de Marsh du décocté aqueux de l'estomac, du produit de l'incinération du tube intestinal, ainsi que du décocté du cadavre entier, par l'azotate de potasse. Contre expertise. Le 10 janvier 1840, MM. Orfila, Devergie et Lusueur analysèrent 80 grammes de liqueur incolore, provenant du décocté de l'estomac, qui leur fut envoyée à Paris. L'acide sulfhydrique n'y produisit aucun précipité. Evaporée à

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siccité, le résidu carbonisé par l'acide azotique, donna, à l'appareil de Marsh, une quinzaine de taches, petites, jaunâtres, légèrement ardoisées à leur centre, très-miroitantes, semblables, quant à l'aspect, aux taches arsenicales. Elles se volatilisaient facilement par la chaleur, se dissolvaient rapidement dans l'acide azotique à froid, mais, le soluté étant évaporé à siccité, il fut impossible de développer la couleur rougebrique par l'azotate d'argent. Ils examinèrent, par le mênie procédé, les liqueurs provenant du traitement par l'eau du produit de l'incinération du tube intestinal, ainsi que des débris du corps de la femme Rigal, qui, leur furent aussi envoyés plus tard d'Albi, et ils ne découvrirent, dans ces matières, aucun atome d'arsenic. - Conclusion. Le liquide obtenu par l'ébullition dans l'eau de l'estomac, contient une très-faible portion de préparation arsenicale; toutefois, nous ne saurions en donner des preuves à l'abri de toute objection.

M. Orfila, étant appelé aux débats, pour donner son opinion sur la mort de la femme Rigal, déposa ainsi : 1° la femme Rigal a succombé à un empoisonnement par l'arsenic; 2o les résultats négatifs des experts d'Albi dépendent de ce que la majorité du poison a été éliminée par les vomissements et par les urines, et de ce qu'ils n'ont pas employé le procédé le plus propre ; car l'incinération par l'azotate de potasse donne plus de perte d'arsenic, est moins avantageux que la carbonisation par l'acide azotique; 3° il n'est pas extraordinaire que des atomes d'arsenic aient échappé à des hommes qui n'ont pas une grande habitude de ces sortes d'expériences et n'ont jamais mis en usage ce procédé; 4° caractériser les taches arsenicales, il n'est pas nécessaire d'en pour constater tous les caractères ; j'ai une conviction profonde que les trois que j'ai constatés sont suffisants, et je conçois que des experts, peu habitués à ces sortes d'analyses, soient plus exigeants.

Réflexions. Nous doutons que M. Orfila, dans une affaire semblable,exclusivement considérée sous le point de vue scientifique, donnât aujourd'hui des conclusions aussi affirmatives, et il n'est aucun toxicologiste qui, sur les trois caractères qu'ont offerts les taches, voulût affirmer qu'elles sont arsenicales. Dailleurs, MM. Orfila, Devergie et Lusueur, dans leurs conclusions, ont été mo:ns affirmatifs; et M. Orfila lui-même, dans une triple accusation d'empoisonnement (assises de la Haute-Loire, 1842), a obtenu des taches, dont les caractères

étaient certainement aussi caractéristiques, et cependant, il n'a pas affirmé qu'elles fussent arsenicales. M. Orfila ne blâmerait pas non plus les experts d'Albi, ne soutiendrait pas, en pleine audience, que s'ils n'ont pas obtenu de l'arsenic, c'est qu'ils ont employé le procédé de l'incinération par l'azotate de potasse, au lieu du procédé de carbonisation par l'acide azotique, car, quelques mois plus tard, il a presque exclusivement renoncé à ce dernier procédé, pour adopter le premier, comme lui étant préférable et plus exact.

AFFAIRE MERCIER, LAFFARGE, CUMON, TRICHEREAU, VEUVE C. (Assises de la Haute-Loire). Comme les discussions qu'elles peuvent soulever se rattachent à des questions de toxicologie générale, nous renvoyons à l'empoisonnement en général. Voici cependant les réflexions qu'elles nous ont suggérées : 1o Des experts ont affirmé qu'il y avait empoisonnement par la seule constatation des altérations pathologiques. Il était permis seulement d'élever des soupçons, de demander une expertise chimique; 2o malheureusement, trop souvent, il y a eu dissidence entre les médecins traitants ou experts, sur la nature de la maladie, sur la cause de la mort, sur les analyses; 3° les experts ont affirmé la présence de l'arsenic, et qu'il y avait empoisonnement, quoiqu'ils n'aient pas obtenu le métal pur, et constaté toutes les réactions exigées par la science, même les plus importantes; 4° les experts ont trop fractionné les matières suspectes, ont fait agir les réactifs sur des liqueurs impures, qui ne pouvaient donner que des résultats nuls ou incomplets; 5o on s'est trop hâté d'appliquer les nouveaux procédés de carbonisation et d'incinération et l'appareil de Marsh aux expertises judiciaires. Les erreurs qui pouvaient en résulter n'étaient pas encore assez prévues. Aussi, dans presque toutes ces affaires, les soins à prendre dans l'autopsie, dans la conservation, dans l'analyse même des matières suspectes, ont été complétement négligés ; c'est ce qui explique cette incertitude, ces vacillations presque mensuelles sur le choix, sur la valeur relative des divers procédés, ces discussions, je dirai presque scandaleuses, pour l'honneur du

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corps médical, ces appréciations contradictoires des faits entre des hommes qui occupent un rang distingué dans la science. Terminons par un rapport remarquable qui devrait servir de modèle dans les expertises judiciaires. (Ann. de Thér. et de Toxic.)

(Rapport officiel sur l'affaire lacoste.)

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« Nous, Théophile-Jules Pelouze, membre de l'Institut, professeur de chimie à l'école Polytechnique, etc., Alphonse Devergie, docteur en médecine, agrégé à la faculté de médecine de Paris, médecin de l'hopital Saint-Louis, et Charles Flandin, docteur en médecine, sur l'appel de M. Salmon, juge d'instruction du tribunal civil de la Seine, nous nous sommes rendus le 26 février 1844, en son cabinet, où il nous a été donné communication d'une ordonnance, en vertu de laquelle nous étions désignés pour procéder à l'analyse chimique, tant des matieres extraites du cadavre de Henry Lacoste, décédé à Riguepeu, le 22 mai dernier, et présumé empoisonné, que de la terre recueillie au-dessus et au-dessous de la bière dudit Lacoste. Après avoir accepté la mission qui nous était confiée, et avoir prêté serment de la remplir en notre honneur et conscience, il a été arrêté que le lendemain, 27 février, à quatre heures de relevée, M. le juge d'instruction nous remettrait, dans le laboratoire de chimie du Collège de France, les matières à conviction sur lesquelles nous devions opérer. Le 27 février, aux heure et lieu précités, cette remise nous a été faite par M. le juge d'instruction Salmon, assisté de M. de Charencey, substitut du procureur du roi du tribunal de la Seine, et de M. Borne, greffier. Une caisse en bois, enveloppée d'une toile, ficelée et scellée du cachet de M. le procureur du roi d'Auch, a été ouverte devant nous, et il en a été retiré quatre bocaux en verre noir, également scellés du sceau de la justice, et portant les inscriptions suivantes: Bocal, no 1: Quart des organes abdominaux, et portion des parois abdominales. Bocal, n° 2: Muscles de la cuissé. Bocal, no 3: Terre du cimetière audessus de la bière.' Bocal, no 4: Terré du cimetière au-dessous de la bière. — Les scellés qui fermaient ces bocaux ayant été rompus, il a' été constaté que les vases contenaient les matières désignées, ce dont il a été dressé procès-verbal : après quoi, nous avons placé nous-mêmes, sous clé et sous scellé, dans une pièce attenant au laboratoire de chimie, les matières confiées à notre responsabilité. Durant le temps qu'a demandé notre expertise, aucun étranger n'est entré dans cette pièce, et dans l'intervalle de nos vacations la porte a toujours été fermée à clé,

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