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nombreux, plus pénibles, plus prolongés, moins en rapport avec leur âge et leurs forces; de là de nombreux abus, des excès nuisibles à la santé et à la vie des individus, qu'il est du devoir des gouvernements d'arrêter et de faire disparaître.

C'est en Angleterre que le mal s'est d'abord fait sentir, et dès 1802 un bill essaya de mettre un terme à ces maladies et à ces morts prématurées, résultat d'un travail excessif et imposé de trop bonne heure aux enfants. Ces premiers efforts du gouvernement anglais n'ayant pas eu tout le succès qu'il en attendait, de nouvelles propositions furent faites en 1815; en 1819 intervint un nouvel acte de protection en faveur des jeunes ouvriers. Cet acte, completé en 1825, fut refondu en 1833 dans un nouveau bill formant un corps complet de lois de police sur le travail des enfants dans les manufactures. En 1844, des améliorations partielles furent encore ajoutées à cette législation.

La Suisse, la Russie, l'Autriche, la Bavière, ont aussi réglementé ces matières. On est heureux de pouvoir constater que les mesures législatives qui limitent l'âge auquel les enfants peuvent être admis dans les manufactures, la durée du travail auquel on peut les soumettre, ont été on ne peut pas plus utiles à la conservation de la santé de cette classe intéressante des ouvriers, sans arrêter la marche prospère et toujours progressive de l'industrie.

En France, les abus ne se sont manifestés qu'assez tard. Dès qu'on put les apercevoir, des voix généreuses les signalèrent. Hâtons-nous d'ajouter qu'à peine M.

Villermé les dénonçait dans les séances de l'Institut, que l'industrie elle-même se levait pour les combattre. La société industrielle de Mulhouse attira sur le sort des jeunes ouvriers l'attention et la sollicitude du pouvoir; elle lui fit connaitre le mal; elle lui signala les moyens de le combattre. Immédiatement les conseils généraux, les chambres consultatives du commerce et de l'industrie furent appelées à éclairer le gouvernement sur les moyens à employer pour améliorer le sort de ces enfants. Enfin, un projet de loi fut présenté aux chambres en 1840; il fut suivi de longues et savantes discussions, et, après avoir reçu de nombreuses modifications, il fut voté et promulgué comme loi de l'Etat.

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Le but multiple de la loi du 22 mars 1841 a été de veiller, autant que possible, sur le sort des enfants, leur santé, leur bien-être, leur éducation intellectuelle et religieuse.

Cette œuvre n'était pas sans difficultés. Constatons que c'est avec la plus grande sollicitude que l'on chercha la solution de ce problême qui touchait à la fois aux principes les plus élevés du droit civil, de la morale, dé là politique et de l'économie sociale. Il fallait mettre un terme aux sacrifices trop grands qu'on exigeait de ces jeunes forces pour le service de ces grandes forces impulsives qu'on emprunte à la nature inanimée; il fallait annihiler les résultats fâcheux de cette soif immodérée du lucre qui pousse certains chefs d'établissements industriels à dépasser les justes limites que la nature impose à la durée du travail. Il fallait empêcher que ces jeunes enfants fussent exténués par un travail excessif, laissés

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sans éducation, sans principes moraux, à l'état d'une machine qui dès son premier fonctionnement est ruinée par la somme anormale des forces qu'on lui fait déployer. D'un autre côté, il fallait avoir égard à la liberté de l'industrie sans laquelle la concurrence étrangère viendrait étouffer toute vie dans nos ateliers, amener la ruine de nos établissements industriels, au préjudice des ouvriers, des industriels et du pays. A un autre point de vue, si l'on devait empêcher les parents d'abuser prématurément des forces de leurs enfants pour accroitre leur salaire, alors que dans l'impuissance de subvenir aux besoins de leurs familles, sans épargne, sans prévoyance, sans espérance, ils vivent dépouillés par l'excès de la misère et du mal des sentiments les plus doux et les plus énergiques de l'âme; il fallait aussi ne pas convier les enfants à une oisiveté précoce; il fallait surtout respecter le développement légal de la puissance paternelle; l'Etat ne pouvait substituer la volonté exclusive de la loi à la direction du père de famille sa puissance devait être respectée, comme le disait M. Renouard, en tant que droit du bienfait; la loi ne pouvait en réprimer les excès que quand elle se manifestait comme droit de l'abus.

La loi de 1841, sur le travail des enfants dans les manufactures, a donc été inspirée par un sentiment de vif intérêt pour les jeunes ouvriers. C'est une loi de protectection dont l'administration a été armée en leur faveur contre les excès de l'avidité aveugle et cruelle de certains industriels et contre l'exercice abusif de l'autorité paternelle.

Parcourons les dispositions de cette loi.

Etablissements auxquels s'applique la loi de 1841 sur le travail des enfants dans les manufactures.

Les dispositions de la loi ne pouvaient s'appliquer à tous les lieux de travail; c'eût été énerver la loi que la généraliser outre mesure; elle n'atteint pas les ateliers de famille et les travaux placés sous l'abri du toit domestique. Dans la plupart de ces petits ateliers le travail a lieu sous l'influence de l'esprit de famille; le remède est le plus souvent à côté du mal; on a pensé que les sentiments d'affection naturelle tempèreraient les exigences de la misère. Le législateur a voulu être pratique afin d'être plus utile; il n'a pas voulu qu'une loi de protection ne pût être exécutée qu'au moyen de mesures vexatoires et en introduisant à toute heure les agents de l'autorité chez les citoyens (Macarel, Cours de Droit administr.)

C'est donc pour les véritables établissements industriels que la loi est faite. Ils sont divisés par le législateur, au point de vue qui nous occupe, en deux classes: la première comprend les établissements à moteur mécanique ou à feu continu et leurs dépendances; la seconde toute fabrique fonctionnant autrement, mais employant plus de vingt ouvriers réunis en atelier (L. 1844, art. 4).

Ces grands établissements employant le plus de bras, c'est là où la mesure devait être à la fois la plus générale et la plus utile; c'est de là que devait partir l'exemple, c'est là que devait se former l'usage.

Pour les manufactures et usines à moteur mécanique ou à feu continu, il n'y a aucune distinction à faire ; ces moteurs sont aveugles dans leur action : ils fonctionnent sans trève ni relâche; en exigeant une moindre dé– pense de force, ils nécessitent un travail continu; l'attention du législateur devait donc se porter dans ces ateliers où existent les plus grandes probabilités d'un travail prolongé. La loi s'applique non-seulement à ces manufactures, usines et ateliers, mais encore à leurs dépendances; sinon en transportant hors du local principal les opérations accessoires, on pourrait échapper à l'application de ses dispositions.

La seconde catégorie des établissements auxquels la loi est applicable, est, toute fabrique occupant plus de vingt ouvriers réunis en ateliers. Cette limite a paru suffisante pour atteindre presque toute la fabrication et arrêter les abus dans toutes les agglomérations qui, sortant en quelque sorte du travail domestique, ont le caractère d'ateliers.

Au reste, après avoir posé ces règles générales, le législateur a dû laisser au gouvernement le droit de prendre, suivant la localité, les fabrications, les climats, les besoins locaux, des mesures propres à réprimer les abus qui pourraient se glisser dans des établissements non englobés par les dispositions de la loi. Des règlements d'administration publique peuvent étendre à des manufactures, usines et ateliers autres que ceux que nous venons d'énumérer, l'application des dispositions de la loi de 4844 (L. 1841, art. 7, § 1).

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