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Ces fonctions ont quelque analogie avec celles qu'exerçaient avant 1789 les gardes ou syndics des communautés des arts et métiers. On en retrouve une sorte de consécration dans la loi du 16 août 1790 qui institua dans chaque canton, outre les juges de paix, des prud'hommes assesseurs de ces juges, qui connaissaient du paiement des salaires des gens de travail et de l'exécution des engagements respectifs des maîtres et de leurs gens de travail; mais c'est surtout le bureau de Lyon nommé tribunal commun qui présente, avant l'organisation moderne des conseils de prud'hommes, le modèle le plus complet de cette institution; aussi est-ce dans cette ville industrielle que fut créé et organisé, par le décret du 18 mars 1806, le premier conseil de prud'hommes.

En exposant les motifs de cette loi, le conseiller d'Etat Regnault de Saint-Jean d'Angély disait en matière industrielle, la surveillance à exercer, les contraventions à réprimer demandent d'autres instruments que ceux de l'administration générale de l'Empire et même que l'administration particulière de la cité, d'autres agents que ceux de la police ordinaire; ces fonctions exigent aussi, avec la sévérité inflexible du magistrat, une sorte de bonté paternelle qui tempère l'austérité du juge, appelle sans cesse la confiance et porte naturellement à la soumission.

Le décret du 18 mars 1806, bien que spécial à Lyon, pouvait être étendu à toutes les villes industrielles où les conseils de prud'hommes pouvaient être utiles (Art. 34 et 35). Son application fut d'ailleurs bientôt généralisée les décrets des 14 juin 1809, 20 fév. et 3 août 1840

par

contenant règlement général sur l'organisation et la ju-ridiction des prud'hommes.

Ces décrets organiques sont restés en vigueur jusqu'à 1848. Un décret du 18 mai vint alors bouleverser complètement cette organisation. Cette loi, édictée dans un moment si peu propice pour apprécier sagement les véritables intérêts de l'industrie, des patrons et des ouvriers, inspirée par un sentiment exagéré et par suite faux de l'égalité entre les patrons et les ouvriers, ne tarda pas à produire les plus fâcheux résultats. Consacrant l'oppression du fabricant par l'ouvrier devant les prud'hommes, elle porta les patrons à repousser sans cesse une juri– diction devenue suspecte et à se ménager dans tous les cas la possibilité de l'appel devant une juridiction supérieure où des sacrifices d'argent et de temps étaient imposés aux parties; lorsque l'appel ne fut plus possible, les patrons recoururent à la cassation. Dans certaines villes les passions les plus funestes pour l'industrie et la société étaient développées dans plusieurs de ces conseils qui durent être dissous: au lieu de concilier les patrons et les ouvriers, ils développèrent entre eux l'antagonisme et la lutte; alors qu'en 1847, sur les 19,271 affaires inscrites dans les soixante-neuf conseils de la France, il n'y avait eu que 1420 affaires portées au bureau général et seulement 529 jugements, un seul conseil, celui des produits chimiques à Paris, était arrivé en 1852 à inscrire 4652 affaires, dont 636 avaient été portées au bureau général et 258 avaient été suivies de jugements.

C'est ainsi que les institutions les plus utiles et les plus favorables aux ouvriers, viciées dans les temps de lutte et

de guerre civile, deviennent des instruments de guerre, des ferments de discorde, des éléments de ruine. Qu'on était loin sous la législation de 1848 des lois de 1806 et 4809, sous lesquelles les prud'hommes étaient les juges de paix de l'industrie, ayant pour science l'équité, pour devoir, pour tendance et pour but la conciliation! Qu'était devenue l'ancienne devise des prud'hommes lyonnais, servat et conciliat?

On protesta bientôt de toute part contre ces dangereuses innovations. Le commerce, l'industrie, les chambres consultatives, les conscils de prud'hommes eux-mêmes élevèrent de justes réclamations. Pour y satisfaire fut promulguée la loi du 1er juin 1853.

Cette loi ne s'est pas bornée à faire revivre la législation de 1810. Si celle de 4848 était injuste pour le patron, celle de 1840 ne faisait pas assez pour l'ouvrier. Chaque époque a des exigences raisonnables dont le législateur doit tenir compte. Il doit éloigner tout esprit d'antagonisme qui sèmerait la défiance et l'irritation. Le principe de l'égalité entre les patrons et les ouvriers a été maintenu comme la base de la loi ; la nomination du président a été laissée au chef du pouvoir exécutif duquel émane la justice en France. En remettant cette nomination à l'un des éléments qui composent le conseil, on aurait fait naître des motifs d'irritation et de lutte de nature à paralyser les heureux effets de cette institution.

Voici les règles concernant les conseils de prud'hommes, d'après la loi du 1er juin 4853, les actes de l'autorité publique qui en ont assuré l'exécution, l'interprétation qu'elle a reçue des auteurs et des tribunaux, et les

règles résultant de lois antérieures dont les dispositions sont restées en vigueur.

Institution des conseils de prud'hommes.

Les conseils de prud'hommes sont établis par décrets rendus dans la forme des règlements d'administration publique, après avis des chambres de commerce ou des chambres consultatives des arts et manufactures) L. 1er juin 1853, art. 1, § 4).

Lorsqu'il s'agit d'établir un conseil de prud'hommes, la proposition motivée en est envoyée au ministre par le préfet avec les pièces suivantes :

1° Délibération de la chambre de commerce ou de la chambre consultative des arts et manufactures, s'il en existe dans l'arrondissement;

2o Délibération du conseil municipal renfermant la promesse de subvenir au payement des dépenses;

3 Tableau indiquant toutes les industries justiciables du conseil projeté ; la division de ces industries en catégories; le nombre des prud'hommes à élire dans chacune d'elles, et enfin le nombre des patrons ou des ouvriers électeurs ou non que renferment ces mêmes catégories (Instr. min., 5 juillet 1853).

Les décrets d'institution déterminent le nombre des membres de chaque conseil. Ce nombre est de six au moins, non compris le président et le vice-président (L. 1853, art. 1).

La loi, en fixant un minimum, a laissé à l'adminis

tration toute latitude pour qu'elle pût déterminer le nombre des membres, suivant les exigences de chaque localité, autrement il aurait fallu ou introduire des exceptions pour les grands centres manufacturiers, ou multiplier les conseils dans une même ville, ce qui pourrait avoir des inconvénients. Le gouvernement reste juge de l'opportunité qu'il y a, suivant les circonstances, à créer plusieurs conseils correspondant aux branches d'industries les plus importantes, ou un seul conseil embrassant ces industries diverses (Rapport à la Chambre sur la loi de 1853).

Il n'y a pas de suppléants. La suppléance est une sorte de noviciat qui prépare aux fonctions de juge; mais un pareil noviciat n'est pas nécessaire pour les modestes fonctions de prud'homme; le véritable noviciat pour lui consiste dans l'exercice d'une profession industrielle, où il puise journellement les notions pratiques dont il a besoin (même Rapport).

Les dépenses de premier établissement sont payées par la ville où le conseil est établi; il en est de même des dépenses de chauffage, éclairage et autres de même nature; à cet effet, le président du conseil des prud'hommes présente, chaque année, au maire, l'état des dépenses, qui est porté au budget communal et ordonnancé par le maire. C'est également la ville qui fournit le local pour la tenue des séances (D. 11 juin 1809, art. 68, 69, 70).

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