Images de page
PDF
ePub

Au feutre empanaché, relevant sa moustache;

et ce poëte crotté, qui, alléché par les succès de Desportes et de Bertaud,

Méditant un sonnet, médite un évêché?

Plus loin, voici le disciple de Bartole, qui,

Une cornette au col, debout dans un parquet

A tort et à travers va vendre son caquet;

ou bien le médecin qui reçoit une belle pièce de monnaie à la fin de sa consultation

Et dit, serrant la main : « Mais il ne fallait point! »

Au milieu de ces esquisses légères se trouve un vrai chefd'œuvre, Macette, la vieille hypocrite. Déjà au XIIIe siècle, Jean de Meung avait ébauché Faux-Semblant; bientôt, au XVII, Molière créera Tartufe. Il semble que la poésie française ait toujours été heureuse en touchant à ce sujet,

comme

Par un arrêt du ciel qui hait l'hypocrisie.

A part cet admirable tableau où manquent toutefois encore la vraisemblance et la vie du dialogue, il faut avouer que le pinceau de Régnier s'arrête volontiers à la surface des choses. C'est de lui qu'on peut dire qu'il se joue autour du cœur humain'. Sa poésie n'a rien de bien profond, de bien philosophique; ce sont les jeux innocents de la satire ses contemporains l'avaient jugé ainsi. Ce prédécesseur de Boileau était pour eux le bon Régnier; et lui-même nous explique, quoique avec trop de modestie, cette qualification :

Et ce surnom de bon me va-t-on reprochant,
D'autant que je n'ai pas l'esprit d'être méchant.

Ce n'est certes pas l'esprit qui manque à Régnier, ni l'enjouement, ni la verve. Mais il est artiste bien plus que mo1. Circum præcordia ludit. Perse.

raliste; il s'occupe plus de la peinture que de la leçon. Sa plus belle création, c'est son style; on en a fait un bel et juste éloge en le rapprochant de celui de Montaigne. « Régnier est en effet le Montaigne de notre poésie. Lui aussi, en n'ayant pas l'air d'y songer, s'est créé une langue propre toute de sens et de génie, qui, sans règle fixe, sans évocacation savante, sort comme de terre à chaque pas nouveau de la pensée, et se tient debout, soutenue du seul souffle qui l'anime. Les mouvements de cette langue inspirée n'ont rien de solennel ni de réfléchi; dans leur irrégularité naturelle, dans leur brusquerie piquante, ils ressemblent aux éclats de la voix, aux gestes rapides d'un homme franc et passionné qui s'échauffe en causant. Les images du discours étincellent de couleurs plus vives que fines, plus saillantes que nuancées. Elles se pressent, elles se heurtent entre elles. L'auteur peint toujours, et quelquefois, faute de mieux, il peint avec de la lie et de la boue. D'une trivialité souvent heureuse, il prend au peuple ses proverbes pour en faire de la poésie, et lui renvoie en échange ces vers nés proverbes, médailles de bon aloi, où l'on reconnaît encore, après deux siècles, l'empreinte de celui qui les a frappées 1. »

Malherbe.

Le talent de Malherbe a un caractère tout différent 2. Moins ingénieux que sage, moins fécond que judicieux, toute son invention consiste à bien choisir, toute sa richesse à se dépouiller à propos. Critique plutôt qu'artiste, c'est à quarantecinq ans qu'il commence sa carière; son œuvre est un code plus qu'un poëme, et, comme tout législateur, il s'attache surtout à ce qu'on doit éviter. Ainsi que le chef des stoïciens, il prend pour devise abstiens-toi. Il s'enorgueillit d'être appelé le tyran des mots et des syllabes. Le culte de la langue est sa religion; il la prêche encore au lit de mort à sa

1. Sainte-Beuve, Tableau de la poésie française au xvro siècle, t. I, p. 469. 2. François de Malherbe naquit à Caen vers 4555, et mourut à Paris en 14628. OEuvres odes, paraphrases, psaumes, stances, épigrammes, chansons; traductions de quelques traités de Sénèque et du XXXIIIe livre de Tite Live. Édition Chevreau, 1723, 3 vol. in-12. Lefèvre, 4825, 1 vol. in-8.

[ocr errors]

garde-malade. Malherbe est sévère dans ses préceptes. Il proscrit en vers l'hiatus, sans circonstances atténuantes, interdit à jamais l'enjambement ou suspension, poste la césure au sixième pied de l'alexandrin, comme une sentinelle impassible, repousse dédaigneusement les rimes trop faciles : rien ne sent plus son grand poëte que de rimer difficilement. Désormais plus de licence en poésie, plus d'inversions hasardées; les vers bien faits seront beaux comme de la prose. La gloire de Malherbe c'est d'avoir connu le premier en France le sentiment et la théorie du style, d'avoir fait sciemment ce que Régnier exécutait par instinct. S'il procéda surtout par négation, c'est que son époque, non moins que son génie, lui en faisait une nécessité. La richesse était faite dans la poésie, il n'y manquait que l'ordre, cette seconde richesse. Malherbe inventa le goût : ce fut là sa création. Dans les matériaux confus qu'avaient entassés ses devanciers, il fit une langue noble, par choix et par exclusion. Le principe qui présida à ce triage atteste sa haute intelligence de la vraie nature des langues; il répudia également la cour et le collége, la mode et l'érudition, et prit pour guide l'instinct du peuple de Paris. « Quand on lui demandoit son avis sur quelques mots françois, il renvoyoit ordinairement aux crocheteurs du port au foin et disoit que c'étoient ses maîtres pour le langage 1. » Il rejeta également tous les patois, admis avec trop d'indulgence par Ronsard. La langue, comme la monarchie, marchait à grands pas vers l'unité. Au précepte il sut joindre l'exemple, et le caractère de son talent s'assortit merveilleusement avec les exigences de sa raison. Poëte peu fécond, mais correct et laborieux, on le vit gâter une demi-rame de papier à faire et refaire une stance. On a calculé que, pendant les vingt-cinq années les plus fécondes de la vie, il n'a composé, terme moyen, que trente-trois vers par an. Cette sobriété de composition, ce respect du lecteur et des lois du style, cette haute idée des difficultés de l'art, étaient au XVIe siècle chose entièrement nouvelle. Aussi quel charme n'éprouve-t-on pas, en quittant

1. Vie de Malherbe, par Racan.

Ronsard, Dubartas, d'Aubigné et Régnier lui-même, de rencontrer tout à coup des vers qu'on croirait cueillis d'hier, tant ils ont conservé leur fraîcheur et leur pureté. Malherbe a pour titre de gloire, ou d'avoir deviné la langue de ses descendants, ou de leur avoir imposé la sienne. Il a fait quelque chose de mieux que des stances et des sonnets, il a accordé l'instrument de la haute poésie, il a rendu possibles Corneille, Boileau et Racine.

QUATRIÈME PÉRIODE.

LE DIX-SEPTIÈME SIÈCLE.

CHAPITRE XXIX.

INFLUENCE DE L'ESPAGNE.

INVASION DU GOÛT ESPAGNOL.

[blocks in formation]

L'HÔTEL DE RAMBOUILLET; LES ROMANS BALZAC ET VOITURE. AUTRES CÉLÉBRITÉS CONTEMPO

Invasion du goût espagnol.

La première moitié de notre grand siècle semble d'abord être tout espagnole. L'influence littéraire de l'Espagne survivait à sa puissance politique: c'était l'écho de sa gloire. Depuis Charles-Quint la monarchie catholique, débordant de sa péninsule, avait battu de ses flots toutes nos frontières; sous Philippe II elle avait un moment, à l'ombre de la Ligue, envahi jusqu'au cœur de la France : l'Espagne avait présidé nos états généraux dans la personne de ses ambassadeurs. Henri IV refoula le torrent; il rendit la France à elle-même, et devint par là même le plus populaire de nos rois. L'œuvre de nos grands écrivains du xviie siècle fut la même; ils retrouvèrent l'esprit français submergé par les idées étrangères.

Une organisation robuste se fortifie dans les crises qui semblaient devoir l'accabler; la France gagna à l'invasion des littératures italienne et castillane. Elle sentit s'éveiller dans son sein le sentiment de l'art, de la beauté, de la grâce. Ses maîtres nouveaux exagéraient un peu la leçon : la France ne l'entendit que mieux. Les anciens seuls eussent été trop parfaits; leur simple et naïve beauté eût moins frappé des yeux encore grossiers. A côté d'eux se placèrent de dange

« PrécédentContinuer »